A son réveil, la jeune femme se sentait confuse. Incapable de s'expliquer son état de la veille. Elle se leva sans prendre le temps de la réflexion, attrapa un pinceau, le trempa dans de la peinture noire, et débuta une longue écriture de phrases qui, misent bout à bout, semblaient ne vouloir rien dire. Pourtant, pour Lemie, de la majuscule au point, chacun de ceux ci avaient un sens. Et un jour, elle en était certaine, quelqu'un réussirait à les assembler pour en décoder le message. Mais, pour l'heure, elle n'en était pas là. Il y avait encore tant de toiles à remplir. Prise dans le flot de son inspiration, elle entendit soudainement comme un bruit de verre s'écrasant au sol. Oli était réveillée, cela ne faisait aucun doute. Et ce son inattendu venait de lui couper l'énergie créatrice dans laquelle elle se trouvait.
Curieuse, Lemie se rendit dans la cuisine, d'où l'impact semblait provenir. En entrant, elle vit Oli accroupie, en train de ramasser les morceaux de verre d'une tasse brisée, que Lemie aimait particulièrement.
- Je parie que c'était ta préférée. Lança Oli.
- Et bien... oui. Répondit Lemie, un peu gênée.
- Maintenant, elle est comme toi. Cassée !
- Je ne le suis pas. Affirma la jeune femme.
- Panique pas. Ce n'est pas un reproche. On l'est tous un peu non ?
Lemie ne sut quoi répondre à la question. Elle laissa Oli continuer de ramasser, sans dire un seul mot. Du moins, jusqu'à ce que son invitée, qui ne faisait pas suffisamment attention, s'ouvre la paume de la main avec un morceau de verre. Le sang ne tarda pas à couler. Il y en avait tant que Lemie ne sut comment réagir. Elle semblait contempler le spectacle, sans même s'inquiéter d'Oli. Cette dernière se leva alors, et s'approcha de son hôte.
- Tends ta main. Lui lança t elle.
Lemie n'était pas vraiment rassurée à l'idée de jouer le jeu, mais l'invitée insista de façon convaincante. Elle avança sa main, et vit la jeune femme l'attraper, la maintenir, avant d'y enfoncer un bout de verre, comme pour les mettre à égalité.
- Qu'est ce que tu fais ? S'écria Lemie, sentant soudainement la douleur s'emparer de sa paume, tout en tentant un mouvement de recul.
- N'aies pas peur. Redonne moi ta main.
Lemie ne trouvait plus du tout la situation amusante, et ne voulait plus jouer le jeu. Mais Oli ne laissa pas vraiment le choix à la jeune femme, et colla sa main contre la sienne, mélangeant ainsi leurs sangs.
- Et voilà, maintenant nous sommes liées. Conclut Oli, avant de s'éloigner pour finir de ramasser les débris.
- Pourquoi as tu fait ça ? Interrogea Lemie, quelque peu troublée par ce qui venait de se passer.
- C'est comme ça que naissent toutes les amitiés. En échangeant quelque chose qui rend les protagonistes d'une histoire, indissociables. Répondit l'invitée.
La jeune femme, chamboulée, comprit qu'elle venait de trouver là sa première véritable amie. Oli avait certainement raison. Ce genre de relations ne pouvait prendre vie qu'en partageant quelque chose de fort. Et quoi de plus puissant que de ne faire plus qu'une, à deux ? Séduite par l'idée, Lemie ne chercha pas plus loin. Elle ne désirait pas gâcher cet instant. Il était trop rare, trop précieux. Pendant que la jeune femme en était à ces considérations, Oli interrompit le moment par une nouvelle.
- Tes parents t'ont laissé un message sur ton répondeur.
La première question qui aurait dû venir à l'esprit de Lemie, était de savoir pourquoi Oli avait jeté un oeil sur son téléphone. Mais la jeune femme mit la situation sur le compte de leur nouvelle proximité. Lemie n'avait, en réalité, aucune idée de ce qui était normal ou non, et dans le doute, elle préférait s'abstenir de tous reproches. Elle se dirigea vers son téléphone, et en y voyant l'icône toujours présente, elle comprit que si Oli était au courant de cet appel, celle ci avait respecté son intimité, en prenant soin de ne pas écouter.
Elle s'éloigna, téléphone en main, rejoignant sa chambre, la main encore dégoulinante de sang, pour entendre le message. C'était sa mère. Quelque chose s'était produit. Elle qui avait toujours un ton sec en s'adressant à sa fille, semblait soudainement vulnérable, fragile. Sans réfléchir, Lemie rappela celle ci, dans le but d'en savoir plus. Quelques secondes après la première tonalité, la mère de Lemie décrocha.
- Que se passe t il ? Interrogea Lemie, inquiète.
- Rien. Ne t'inquiète pas.
Lemie ne pouvait en rester là, et insista pour que sa mère se montre précise sur la question. Celle ci lui expliqua alors qu'en rentrant chez elle, son mari n'était plus là. Il manquait des affaires, une valise avait également disparue. Naturellement, en tant qu'épouse, celle ci s'était de suite imaginée que celui avec qui elle avait passé toute sa vie, s'était enfuit sans un mot. Une situation stressante qui l'avait poussée à appeler sa fille, comme un geste désespéré.
Lemie fut surprise et voulu savoir le fin mot de l'histoire. Sa mère lui annonça alors qu'ils allaient partir quelque temps, en croisière. Le père de la jeune femme avait tout prévu en cachette. Et ce qu'il manquait dans les armoires n'était autre que le nécessaire pour ce grand voyage surprise. Alors que, pour la première fois depuis une éternité, Lemie avait ressenti de l'inquiétude pour ses parents, voilà que ceux ci lui jetaient leur bonheur à la gueule. Elle n'était plus si triste, mais en colère. Pourtant, il lui aurait été impossible de le souligner. Comment ne pas se réjouir du bonheur de ses propres géniteurs ? Comment leur reprocher d'avoir réussi, là où elle ne faisait qu'échouer depuis toujours ? La jeune femme raccrocha, après leur avoir souhaité un bon voyage, sans en penser un seul mot.
De retour dans la cuisine, Lemie en avait complètement oublié l'entaille dans sa main. La douleur que cela lui avait procuré sur le moment, avait totalement disparue. Son angoisse était bien plus forte. Oli remarqua tout de suite que quelque chose n'allait pas, et questionna son hôte sur le sujet.
- Que se passe t il Lemie ?
- Rien. Répondit la jeune femme, visiblement renfermée.
- Tu ne t'en sortiras pas si facilement. Ajouta Oli, qui attrapa la main de Lemie, afin d'en nettoyer le sang avec de l'essuie tout.
Lemie remercia son invitée, sans pour autant lâcher son malaise.
- Que crains tu plus que la mort ? Demanda alors Oli.
La question, qui semblait venir de nul part, n'avait aucun lien avec la discussion en cours. Lemie le savait, sa presque colocataire avait l'art de mélanger les thèmes, et de se permettre de s'égarer dans ses propos.
- Pourquoi me demandes tu ça ?
- Et bien, tu ne veux pas me parler de ton problème, alors je parle d'autre chose. Répondit Oli.
- Tu n'as rien trouvé de plus joyeux pour me changer les idées ?
- Qui a dit que c'était mon but ? Je te l'ai dit, tu ne vas pas t'en sortir si facilement.
- J'ai le droit de ne pas te répondre. Affirma Lemie.
- Bien sûr. Autant que tu as le droit de le faire. Pourquoi choisirais tu une option plutôt qu'une autre ? Je ne t'impose pas de me dire ton souci, je te propose une alternative. Un sujet ou un autre.
- Tous les deux sont mauvais. Répondit Lemie.
- Soit ! Mais lequel est le moins pénible pour toi ?
Lemie prit le temps de la réflexion. La question méritait bien d'être posée. C'était vrai. Si parler de ses parents ne l'enchantait pas, parler de ses plus grandes craintes ne l'animait pas tellement plus. Mais des deux sujets, si elle n'avait vraiment pas le choix, lequel lui aurait été le moins dur ? Le moins troublant à partager ? Et à cette question, Lemie ne trouvait pas la réponse.
- Laisse tomber. Tu m'en parleras demain de toute façon. Lança Oli.
- Comment peux tu en être aussi sûre ?
- Je le sais. C'est tout.
Oli sortit de la cuisine, comme pour interrompre cette discussion, et obliger Lemie à s'interroger, à se torturer l'esprit. Elle venait d'injecter un drôle de doute dans les pensées de la jeune femme. Et Oli le savait bien, cela suffirait certainement à pousser son hôte à revenir sur la question, à un moment ou à un autre.
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L'Appartement
Short Story"La solitude, autant qu'on peut la vouloir ou l'espérer, sonne comme un abandon quand elle s'éternise un peu trop".