Quelques jours plus tard, Lemie avait déjà posée plusieurs phrases sur sa première toile au dessus de son lit. Seulement des phrases, sorties de leur contexte, qui n'auraient pu être comprise que par elle, et les personnes à qui elle s'adressait. Seulement des idées, sortie de sa tête, pour exprimer un mal être profond qui lui nouaient la gorge et le ventre quotidiennement. Un peu plus chaque jour. Ces mêmes mots qu'elle n'avait jamais osé dire, à personne, par peur d'être mal interprétés, entendus, ou simplement par envie de préserver ce qui n'était qu'à elle en ce bas monde. Ses jours de solitude n'avait pas un bon effet sur elle, pourtant, c'était bien ce que Lemie était venue rechercher en s'enfermant dans cet appartement. C'était ça, et soudain, elle le touchait du bout des doigts, se rendant ainsi compte de l'effroi que le véritable isolement peut provoquer.
Mais Lemie ne cherchait que ça. Elle voulait se sentir glisser, elle voulait ressentir, une fois encore, quelque chose. Autre chose que ce vide qui avait fini par la combler. Qui avait fini par prendre tellement de place, que rien ne pouvait plus se loger, ni dans son esprit, ni dans son cœur. Autre chose que ses soucis intérieurs, dont les origines étaient aussi troubles que ce qui en découlait. Vivre dans un tel endroit était à la fois sa meilleure solution, pour enfin prendre une décision sur sa vie, ou à défaut, pour réaliser que les vrais problèmes peuvent se situer autour d'elle, sans forcément l'imprégner, la ronger, la consummer. Jusque là, Lemie n'avait pas fait une grande évolution dans sa quête. Mais son projet prenait peu à peu forme, même s'il lui restait encore beaucoup à faire. Elle savait que le jour où elle finirait de remplir chacune des toiles du mur de cette chambre, la sienne, alors la décision pourrait être prise. Soit elle recommencerait une nouvelle vie, ailleurs, avec d'autres gens, d'autres envies, un autre décor, soit elle achèverait la sienne. Dans tous les cas, il se passerait quelque chose.
Cela ne faisait pas longtemps qu'elle était ici, pourtant, Lemie en était déjà à envisager un premier bilan de ce qu'elle avait vécu sous ce toit qui laissait passer le vent, par manque d'isolation. Elle avait fait la mystérieuse rencontre d'Oli. Celle qui lui avait apporté le luxe d'un peu de compagnie, mais aussi des mensonges. Elle avait également eu cette drôle de rencontre, avec le serrurier, qui s'était mal terminée, mais dont Oli l'avait sauvé in extremis. Et puis, ses parents, fidèles à eux mêmes, qui l'avaient encore un peu plus troublée, comme c'était le cas depuis sa naissance. Enfin, elle avait sa solitude. Et celle ci qu'elle désirait tant, finissait par la dévorer au plus profond d'elle même.
Voilà une semaine qu'Oli n'avait plus donné aucun signe de vie, pourtant, sa malle était toujours dans la pièce extérieure. Que faisait elle ? Pourquoi ne venait elle pas la récupérer comme cela était prévu. Lemie se fit surprendre par l'envie, à nouveau, de découvrir le contenu de celle ci. Elle se disait que, peut être, s'en approcher ferait revenir Oli. Juste quelques minutes, afin d'échanger quelques mots avec quelqu'un, même si ceux ci venaient à être totalement insignifiants. Cette simple pensée lui inspira une nouvelle phrase, à poser sur ses toiles.
"La solitude, autant qu'on peut la vouloir ou l'espérer, sonne comme un abandon quand elle s'éternise un peu trop".
Celle ci sera pour Oli, si tant est qu'elle revienne un jour, et que Lemie décide de lui laisser voir l'état d'avancement de son projet, qui l'avait rendue si curieuse. Son ancienne invitée semblait tellement envieuse de savoir ce qu'il se passait dans cette chambre. Mais, pour l'heure, c'était bien la détresse qui avait fini par faire place à la solitude. Soudainement, et pour la première fois de sa vie, Lemie ne voulait plus être seule. Vraiment plus. Pas seulement comme on peut le vouloir, une heure ou deux, lorsque l'on s'ennuie, mais profondément. Comme un besoin plus qu'une envie. Quelque chose de viscéral, qui avait le don d'encore un peu plus l'épuiser. Pour remédier à la situation, elle décida d'aller faire un tour, au milieu de tous ces gens qu'elle ne connaissait pas, et dont elle savait qu'elle ne s'approcherait jamais, par timidité, par peur, ou simplement pour s'éviter de s'attacher à de mauvaises personnes qui finiraient, elle en était sûre, par la trahir ou l'abandonner.
Dans la rue, elle observait ces âmes qui vivaient leur vie. Certaines promenaient leur chien, tandis que d'autres promenaient leurs fardeaux. Elle aurait voulu en aborder un, au hasard, juste pour échanger quelques civilités, s'occuper l'esprit cinq minutes, mais la jeune femme n'osait pas. Soudain, sa promenade la fit s'égarer non loin d'un parc pour enfant. A cette heure ci, il n'y avait plus vraiment de gamins pour le remplir, et lui apporter de l'animation. Quelques personnes étaient assises sur des bancs, dont un couple qui attira son attention.
Lemie s'assit non loin d'eux, et observa le spectacle qui se déroulait sous ses yeux. Si, au premier abord, elle aurait pu croire assister à un échange entre deux amoureux, elle comprit vite que ceux ci étaient en réalité en train de rompre. Elle vit cette histoire dont elle ne savait rien, s'achever sous ses yeux. Le tableau était transperçant de froideur, de rigidité. Comment deux personnes qui semblaient s'être aimées dans dans le passé, pouvaient en venir à se vomir de telles horreurs en pleine face ? Lemie fut troublée, perturbée par la scène. Des larmes montaient à ses yeux, alors qu'elle tentait de les ravaler. Car, elle le savait, si elle venait à basculer, personne ne serait là pour la remonter. Elle finirait forcément par s'échouer, quelque part, dans les méandres de ses pensées. Pourtant, Lemie ne put faire autrement, et ses yeux finirent par se mouiller, sans qu'elle ne puisse rien contrôler de tout ça. Le couple en pleine séparation remarqua la jeune femme, et décida de s'éclipser, comprenant sans doute que ce n'était ni le lieu, ni le moment, pour terminer une histoire. Sans le vouloir, Lemie avait réussi à les mettre d'accord sur ce point, eux qui semblaient en litiges sur tout quelques secondes plus tôt.
Lemie se leva à son tour, bien décidée à rentrer chez elle, le cœur brisé comme si elle venait à peine de vivre sa propre séparation. Le ridicule de son ressenti ne l'effleurait pas, tant il était puissant. En marchant, elle tentait de se repérer dans les rues. La nuit était tombée, et elle ne s'était pas encore tant promenée que ça dans le coin. Alors qu'elle se rapprochait enfin de chez elle, un SDF tenta de l'interpeller. Son odeur et son allure crasseuse ne fit pas reculer la jeune femme. Sa détresse à lui, était physique. Ils partageaient ça, à la différence que pour elle, il était plus simple de le cacher, pensa-t-elle.
- Mademoiselle ? Mademoiselle ? Une petite pièce s'il vous plait.
Lemie le regarda, puis fouilla dans ses poches. Sa main entra en contact avec une pièce, qu'elle donna sans hésiter à l'homme.
- Merci Mademoiselle. Pourquoi êtes vous triste ?
Lemie fut surprise que l'homme, qui ne la connaissait de nul part, lui pose cette question.
- Pourquoi pensez vous que je suis triste ?
- Je suis peut être à la rue, mais je vois quand le maquillage d'une femme a coulé.
Lemie fut gênée, et préféra ne pas répondre. Elle reprit son chemin jusqu'à son appartement, pour retrouver à nouveau sa glaçante solitude.
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L'Appartement
Historia Corta"La solitude, autant qu'on peut la vouloir ou l'espérer, sonne comme un abandon quand elle s'éternise un peu trop".