Chapitre 35 - Besoin d'air

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Lemie n'en pouvait plus de rester enfermée chez elle. Il fallait qu'elle sorte, pour ne pas étouffer. Parce qu'elle finissait par ne plus avoir d'air en restant ici, à ne jamais rien faire. Cette fois, ce ne serait pas pour retrouver son ancienne invitée. Sa décision fut prise. Il était temps d'enfin tourner la page de cette étrange histoire, de toutes ces histoires. Sans en perdre la déception, mais juste avancer, comme le disait si bien Oli. Elle voulait aussi le retrouver, lui. Le vieil homme sage. Elle parcourut alors les rues de sa petite ville, probablement des heures durant, sans jamais repérer l'ombre de celui ci. Finalement, dépitée et résignée à retourner chez elle, elle entendit une voix l'appeler au loin.

- Mademoiselle ! Mademoiselle !

Lemie se retourna et vit le vieil homme. Sa maison était identique à la précédente, sans pour autant se trouver au même endroit. Tout y était malgré tout. Cette vieille couverture aux couleurs écrue et bordeaux. Sa bouteille de whisky bon marché. Son sac à dos abîmé. Tout. Intact.

- Tu me cherchais jeune fille ! Lança le SDF.

La formule fut surprenante pour Lemie, qui constata que celui ci affirmait, plutôt que de demander.

- Et bien, oui, je crois. Répondit, un peu gênée, la jeune femme.

- Assis toi. Je vois que tu es en colère.

- Je ne suis plus ni triste, ni égarée ?

- (L'homme se mit à sourire) Tu es en colère ce soir.

- Vraiment ? A quoi constatez vous ça ?

- Tu l'es parce que maintenant tu sais. Ajouta le sans abri.

- Et qu'est ce que je sais au juste ?

- Et bien ! Que j'avais raison jeune fille.

- A quel propos ?

- Sur la marche à suivre. Tu refais le fil de ton histoire, puisque tu es revenu me voir.

- Je suis venue parce que je n'en pouvais plus d'être seule chez moi.

- Et qui te dit que tu n'es pas tout aussi seule ici ?

- Vous êtes là vous !

- Ce n'est pas d'un vieillard comme moi dont tu as besoin.

- Et de quoi ai je besoin alors ?

Lhomme éclata de rire.

- Tu es amusante jeune fille. Tu as toutes les réponses à tes questions, et tu arrives encore à les ignorer.

- Je ne comprends pas ce que vous essayez de me dire.

- Tu comprendras. Mais fais en sorte de ne pas trop tarder. Si les douleurs sont longues, la vie n'en reste pas moins courte.

- Vous aimez votre vie, vous ?

- Si je ne vivais pas dans la rue, tu ne me poserais pas cette question jeune fille. Je le sais, et tu le sais. Tu me demandes ça simplement parce que tu penses voir ma tristesse, dans ma situation. Mais tu as tort. Ce qu'une personne peut penser, va bien au delà de ce qu'elle possède ou non. Je connais tant de gens qui n'ont rien, et qui sont tellement heureux. Et tant d'autres qui ont plus que la norme le voudrait, et qui s'endorment pourtant tous les soirs avec l'envie de se flinguer. Ce n'est pas ce que tu possèdes, c'est ce que tu es qui compte.

- Et qu'est ce que je suis selon vous ? Demanda la jeune femme.

- Comment le saurai je ? Je ne suis pas devin.

Lemie fut gênée et se sentit un peu absurde d'avoir posée la question. D'autant plus qu'elle avait totalement conscience du ridicule que celle ci représentait.

- Tu es à nouveau perdue jeune fille. Lança le vieillard.

- Je... je suis à la recherche de quelque chose.

- De quelque chose ou de quelqu'un ?

- Peut être de quelqu'un qui m'apporterait quelque chose. Répondit elle.

- Que recherches tu précisément ?

- Une raison. Je crois.

- (L'homme se mit à nouveau à rire) N'est ce pas ce que l'on fait tous ? Qu'importe le pourquoi, le comment ou le quand, il n'existe aucune âme en ce monde qui ne soit pas à la recherche d'un sens, d'un but, d'un chemin ou d'une raison. C'est d'un banal consternant.

Lemie fut mal à l'aise tant elle savait que le SDF avait raison. Comment en aurait il pu être autrement ? Elle n'était pas différente des autres. Toute aussi insignifiante que le reste du monde qu'elle tentait de fuir.

- Jeune fille ! Interrompit l'homme, qui avait remarqué que Lemie venait de se perdre dans ses pensées. Tu te poses bien trop de questions. A s'en poser tant, on manque de place pour en accepter les réponses. Cesse donc de te torturer ainsi. Rentre chez toi. Reprend le film par la fin et poursuis le. Il te ramènera forcément au début. Et un jour, tu respireras à nouveau, sans avoir le sentiment d'avoir besoin d'aide pour le faire. Tu ne sentiras plus cette masse qui semble t'écraser. Et tu sais comment je le sais ? Parce que le meilleur moyen pour ne pas oublier, est de chercher à le faire. Quand tu l'auras compris, tu pourras alors continuer ta route, et la raison que tu cherches tant s'imposera à toi.

- Comment pouvez vous être à ce point certain de tout ça ?

- Il est tard. Tu devrais rentrer chez toi. Tu ne devrais pas être ici avec moi. Ce n'est pas ta place.

- Mais...

- N'insiste pas. Et ne reviens pas me déranger tant que tu n'auras pas compris.

L'homme tourna le dos à Lemie, pour qu'elle n'ai plus de doute sur son désir d'achever cette discussion. Vaincue, la jeune femme reprit sa route, contrainte de rentrer chez elle. Sur le chemin, elle pensa à Oli, à son projet, à Dirdre. Mais plus que tout encore, c'était les mots du SDF qui avait semé le trouble. 

L'AppartementOù les histoires vivent. Découvrez maintenant