Chapitre 30

11.6K 844 83
                                    

Pendant le trajet du retour j'avais renseigné Mehgane sur l'évolution qu'avaient connus nos projets pour la soirée mais je ne m'étais pas attendu à ce qu'ils changent de nouveau.
En effet, près d'une heure avant celle convenue, Hadès se présenta à la porte, m'annonçant qu'il serait ravie de partager avec nous sa table ce soir. Mehgane avait eu le réflexe courtois et enjoué d'accepter mais quand notre hôte tourna ses yeux vers moi, je ne pu faire preuve d'autant d'affabilité.

Non de... Il était tout simplement divin dans cette tenue décontractée, comportant en tout et pour tout une immaculée chemise où deux des premiers boutons ouverts laissaient entrevoir une peau marmoréenne dont l'aspect lisse était démenti par de plus ou moins fines bandes de chaires cicatricielles plus claires et enfin, un pantalon noir assorti de chaussures de même couleur. Cette aura de danger qui émanait de lui était, à l'instar de son assurance et de son charisme, inhérente à sa fonction. Le moins qu'on pouvait dire c'était qu'il était sexy en diable.

-Perséphone, cela te convient-il ?

-Oh oui.

Je m'humectais les lèvres et il rit sous cape. Qu'avais-je dit de si hilarant ?

-Très bien, attend nous ici, on n'en a pas pour longtemps.

Je regardais passivement Hadès aller s'asseoir dans le banc nacelle de la terrasse avec ce port altier et cette décontraction naturels. Mehgane, qui lui avait demandé de patienter, me tirant de ma contemplation, m'entraîna à sa suite vers les tenues de soirée que nous ne prévoyions pas de revêtir si tôt.

Je ne m'étais pas attendus, en redescendant, à trouver garée devant la maison une limousine et j'avais eu raison. Hadès avait des goût plus sûr et plus luxueux encore en matière de véhicules. Une Bentley racée et rutilante était exposée à nos yeux admiratifs tandis qu'il nous ouvrait galamment la portière.

-Si on m'avait dit qu'un jour le roi des enfers nous tiendrait la portière...

Elle ne termina pas sa phrase, c'était inutile, je connaissais l'incongruité de la situation. Pour moi même c'était une première mais ce n'était pas pour autant que je ne l'avais jamais envisagé. Tandis que mon amie allait s'asseoir sur la banquette arrière, examinant soigneusement le confortable intérieur cuir, je me laissais submerger par des souvenirs remontant à l'enfance.


-Tu m'emmènera avec toi ?

-Non.

Les puissantes foulées du roi démon me forçaient à propulser mon petit corps avec une force que mes minuscules jambes ne possédaient pas encore. Mais depuis qu'il m'avait ramené avec lui de cette chambre d'hôtel, je le suivais partout. Littéralement.

-Si.

Il ne ralentit pas et même accéléra imperceptiblement. Sans doute avait-il sentit le conflit à venir.

-Je veut venir avec toi.

Il se retourna, le regard noir, lèvres retroussées sur des crocs suffisamment longs pour égaler ceux des grands fauves.

-Il n'en est foutrement pas question.

Rugit-il. Provoquant des picotements dans mes yeux et bientôt mes pleurs.

-Ss...Si.

Gémis-je doucement. Je détournais les yeux de son image devenu floue et, tête baissée, m'efforçais de chasser de mes petits points serrés les larmes qui m'obstruaient la vue. Je n'aimais pas pleurer. À quatre ans on ne pleurait plus. Et puis Hadès non plus ne pleurait pas. Je reniflais courageusement, lui ne pleurait jamais.
Son buste entra dans mon champ de vision quand il s'accroupit mais je dû tout de même relever la tête pour apercevoir son visage.

-Écoute moi, Perséphone.

Je frémis en repoussant les derniers sanglots qui m'étreignaient la gorge.

-Tu ne peut pas m'accompagner dans le monde des humains.

-Pourquoi ?

Ma petite voix contrariée malgré les trémolos le fit légèrement sourire et il m'effleura la joue pour capturer une larme solitaire qui m'avait échappé.

-C'est pour le travail que je m'y rend. Je ne pourrais me concentrer si je dois me préoccuper de ta sécurité, tu comprends.

-Je ne veux pas rester toute seule.

Protestais-je néanmoins, tortillant mes mains. Il les recouvrit des siennes et me consola de cette voix douce qu'il utilisait pour m'endormir ou quand j'étais triste.

-Je t'emmènerais quand tu sera plus grande.

Je levais sur lui des yeux pleins d'espoir.

-Tu promets ?

Il prit un air si grave et solennelle que je choisis d'en adopter un moi aussi, fronçant les sourcils, le menton bien haut, bouche incurvée vers le bas. Je mis comme lui, main sur le cœur et il prêta serment.

-Je te promets de t'emmener avec moi dans le monde terrestre quand tu sera plus âgée.

Seulement, l'attaques dont Céthius m'avait préservé m'avait obligé à grandir seule dans le monde humain, loin de mes amis démoniaques. Nous n'avions donc jamais eu l'occasion de ce genre de petit geste insignifiant comme tenir une portière, aller au restaurant, ni même se promener, ce qu'à l'époque je désirais plus que tout.

Maintenant adultes je ne désirais plus que sa compagnie, bien entendu pas de la même manière qu'avant et lui non plus mais sortir ensemble serait toujours important pour moi.

-À quoi penses tu ?

Il avait laissé de côté la galanterie et s'était approché de moi, m'effleurant la joue de pouce. Je sourie de la similitude de ses gestes.

-Tu as finalement tenu ta promesse.

Il me regarda l'air grave.

-Tu pensais que j'oublierai une promesse faite à une enfant ?

Il déposa sur les miennes la douce caresse de ses lèvres avant de me faire pénétrer dans l'habitacle. Mais ne m'y rejoignit pas, délaissant la place à mes côtés au profit de celle du conducteur. Sa conduite fluide et assurée nous mena diligemment au cartier où se côtoyaient restaurants haut de gamme et bouge comble de monde à cette heure pourtant peu avancée de la soirée. Nous nous garâmes et empruntèrent une étroite allée pavée avant de déboucher sur la large rue nimbée de lumières dorées que diffusaient les lanternes suspendues aux filins d'acier tendus par delà la travée, au dessus de nos têtes et qui dans un effort esthétique avaient été dissimulés par de factices guirlandes de lierres. Cette artère abritant édifices nourriciers et commerces en tout genre sous un chatoyant éclairage donnait l'impression d'évoluer sous un tunnel couvert dont la luisante clarté rendait la surface des pavés laquée.

Aux bras d'Hadès, nous déambulions dans cette atmosphère en quête de quoi nous sustenter. Enfin il arrêta notre progression au milieu des badauds et tourisme fourmillant autour de nous, devant une élégante trattoria encadrée de colonnes oblongues blanches d'époque grec. Le portier nous ouvrit obligeamment l'un des vantail et nous pénétrèrent dans le Purgatorio.

The King of the UnderworldOù les histoires vivent. Découvrez maintenant