Chapitre 34

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-Alors mon chou, qu'est-ce qui te ferait plaisir.

Je saisis sa main avant qu'elle n'atteigne mon visage et serrais avec plus de rudesse que nécessaire de façon à bien me faire comprendre. Cette femme était une démone, je l'avais déjà vu proposer ses services à d'autres dans l'établissement que dirigeaient Abelard et son épouse. En tant que succube, elle recherchait autant de partenaires qu'elle le pouvait mais à l'inverse des enfers, où elle recherchait gratuitement son plaisir, ici, elle le tarifait.
Bien que lorsque démons et humains couchaient avec une succube ou un incube ils en retiraient un plaisir égal à celui de sa ou son partenaire, ils ne le retrouveraient jamais plus nul part ailleurs.
Il était hors de question que cette créature me touche. J'avais promis à Perséphone l'exclusivité comme elle m'avait promis la sienne et j'entendais bien tenir parole.

-Hum, tu aimes être brutal ? Moi aussi.

Je rejetais sa main au loin avec mépris. Elle pouvait sentir par mon aura démoniaque que j'appartenais à son monde mais, en ayant réduis les effets, ne percevait pas l'étendue de mon pouvoir et, puisque je n'arborais pas ma forme démoniaque, ne reconnaissait pas non plus son souverain.

-Je ne suis pas intéressé.

Et c'était la pure vérité, les succubes ne m'avaient jamais réellement tenté mais depuis que Perséphone était à moi plus personne ne l'avait véritablement fait. Elle était la seule qui comptait à mes yeux. Ce que jamais je n'affirmerais de vive voix.
Loin de se laisser décourager dès le premier refus la démone s'approcha plus près encore, promenant de longs doigts aux ongles rouges pareils à des griffes le long de mon colle de chemise.

-Bien sur que tu l'es, tout les mâles le sont.

Cette fois je saisi son poignet osseux avec brutalité laissant le pouvoir qui courrait dans mes veines affluer à ma main et lui roussir la peau. Je n'avais pas besoin de miroir pour savoir que mes yeux avaient pris un teinte ne pouvant être confondue avec celle de n'importe quel démon mineur. Elle glapit sous l'emprise brutale et la torsion infligée, regrettant sans doute d'avoir méjugé celui auquel elle s'était adressée.

-Mon seigneur...

Ses yeux imploraient le pardon, la clémence. Ses lèvres tremblantes à la pulpe aussi rouge que ses ongles laissaient filtrer des gémissements inarticulés qui n'avaient rien à voir avec ceux qu'elle aurait pensé pousser quelques minutes auparavant. Sous mes doigts je sentis sa chaire se calciner, se faire rêche et craquelée comme le serait l'écorce d'une bûche au contact des flammes. Du fait de la proximité des humains nous entourant je ne pouvais faire jaillir ces flammes que je contrôlais et qui étaient la représentation unique de mon pouvoir dantesque et destructeur. À leur yeux mon comportement aurait paru cruel, impitoyable, le corollaire étant que mon geste condamnait l'outrecuidance et la vantardise de celle qui avait cru pouvoir faire plier le roi des enfers. Tous les indigents qui s'y étaient risqués y avaient perdu plus que leur vie et les cris de certains résonnaient encore parfois jusqu'à ma demeure.
Mais malheureusement pour elle les humains ne prêtaient pas attention à notre manège, me permettant d'exprimer toute l'allégresse que rudoyer la démone me procurait.
Personne, je n'avais jamais autorisé personne à se tenir aussi proche de moi, encore moins me toucher.
Personne hormis Perséphone.

Peut-être était-ce à cause de lui avoir permis, enfant, de faire une percé dans mes défenses, de se frayer jusqu'à mon cœur un passage, de s'y être fait une place confortable et chaude dans un organe pensé mort et froid. Par ses années d'absence elle avait laissé un vide impensable, rien ne pouvant le combler, pas même le travail ou les quelques nouvelles de ma protégée que m'apportait parfois Céthius. Je m'étais cru rendu fou par le manque, j'avais vécu seul à la tête d'un royaume sombre et violent durant des décennies sans jamais rien éprouver et maintenant que j'avais goûté au soleil, à la douceur de ses rayons, la chaleur de son affection, me retrouver à nouveau dans les ténèbres glacées, chaque jour plus abattu de n'entendre rien d'autre que les inlassables suppliques qui auparavant m'auraient galvanisé, j'en étais presque venu à maudire cet être minuscule qui m'avait rendu si faible. Mais lorsqu'elle était revenue, toutes ces années l'ayant changé en une femme magnifique aux courbes majestueuses sans plus aucune similitude avec l'enfant que j'avais accueilli, excepté ses sublimes yeux d'un bleu irréel et ses cheveux blond pourvus d'une multitude de teintes dans lesquelles jouais une infinité de reflets, j'avais cru rêver. Cette tendre affection que j'avais toujours éprouvé pour cette enfant perdue était progressivement en train de se transformer en quelque chose de plus fort, plus possessif, plus douloureux, plus dangereux. Sans m'en apercevoir je commençais à lui vouer un intérêt particulier qui me terrifiait, elle prenait trop d'importance, plus encore que lorsqu'elle avait été enfant. Son comportement à mon égard avait également changé et appelait en moi des instincts ataviques et primaires qui me déstabilisaient, penser à elle de cette manière m'avait fait horreur. Elle avait partagé ma couche non en tant que femme mais comme simple être auquel j'avais confié mon cœur, ma confiance et qui, à ce titre, bénéficiait de ma protection. Mais elle avait su transformer ces viles besoins en des sentiments infiniment plus nobles, plus précieux.
Elle était mon égérie, mais aussi un doux poison dont je n'étais pas certain de l'innocuité pour le souverain sans pitié que je devais être.
Elle était devenue mon cœur.
De sa survie dépendait la mienne, la perdre me causerait plus d'affliction que j'étais à même d'en supporter. Et je m'étais assuré que mon corps ne le supporte pas d'avantage. Lorsque nous nous étions unis, et qu'elle s'était coupée à mon armure, j'avais pris une décision. En léchant son sang j'avais instauré un lien entre nous garantissant que sa mort entraînerait la mienne sans toutefois que la réciproque soit effective. Si elle avait à son tour goûté mon sang notre lien en serait indéniablement ressortit plus profond, plus fort, mais l'aurait mit en danger car nombreux étaient ceux qui tentaient de s'emparer de ma position de monarque.
Je l'avais fait mienne d'une façon durable car ainsi lorsqu'elle succomberai à son grand âge, je la suivrai dans la mort et puisque nous étions aux enfers, je saurais conserver nos âmes enlacées, liées à jamais.

-Je vous en supplie, mon seigneur... je ne savais pas.

La petite voix plaintive de la succube me fit tiquer, elle était jeune, peut-être une cinquantaine d'années en tant que démone, en paraissant seulement vingt, quel privilège était le notre d'ainsi pouvoir paraître éternellement jeune et en parfaite santé. Sauf accident regrettable il y avait, ou si comme moi on avait fait le choix de s'unir à un être dont la vie avait une durée plus limité, nous vivions également à jamais. Parfois je regrettais qu'elle ne puisse vieillir plus lentement, non pas que je redoute la mort, comme j'avais vu certains compagnons le faire et ainsi se retourner contre leur femelle, les accusant de les avoir tués, mais il me semblait impossible de profiter de tout ce que je projetais de faire avec Perséphone, profiter d'elle le temps seulement d'une vie, le temps d'un battement de cils, me paraissait soudain bien trop court. Ce qui rendait cet échange plus puissant et inédit que tout autre, donnant son caractère unique et profond à une telle union, était qu'une fois contracté on ne pouvait défaire ces liens, pas même en contracter d'autre. Il fallait être certain de celui avec qui on voulait partager sa vie, littéralement.

-Tu aurais dû t'arrêter lorsque je t'ai dis de le faire.

Elle glapit, assurée de mourir car chacun connaissait l'étendue de ma clémence, inversement proportionnels à mes pouvoirs. J'intensifiais brutalement la pression ainsi que la brûlure puis rejetais tout aussi prestement son poignet où se devinais désormais un glyphe tout en volute noir et pourpre informant quiconque le verrait qu'elle était bannie de mes terres, reléguée aux confins de mon domaine. Elle se tenait piteusement l'avant bras, mordant sa lèvre pour ne pas risquer le scandale en exprimant tout haut sa souffrance et son chagrin d'être ainsi répudiée.

-Hors de ma vue.

Elle ne se le fit pas dire deux fois. Trébuchant contre chaque danseurs sur son passage, elle disparut entre les silhouettes aux contours floues et anonymes, corps bouillants d'énergies électrique et sexuelle auprès desquels elle était venue recharger ses pouvoirs et satisfaire ses propres pulsions.
Détournant le regard de ce pitoyable spectacle je cherchais des yeux ceux, bleus, de celle qui détenait mon âme.
Je ne pourrais jamais le lui dire mais je l'aimais comme un damné, de tout mon cœur.
Ne la trouvant pas sur la piste de danse je survolais plus largement la salle jusqu'à repérer mon bras droit embrasant farouchement Mehgane, l'amie humaine de Perséphone dont le démon corbeau s'était épris et dont les intentions ne me paraissaient pas claires. Elle le rendait malheureux. Perséphone ne me pardonnerait jamais de m'immiscer dans leur couple, encore moins mettre un terme à leur histoire mais s'il devenait évident que cette liaison entravait le bon déroulement des activités de mon second, je n'aurais d'autre choix que d'intervenir. La peine qu'elle lui causait déjà était intolérable. Elle jouais avec lui.
Ma vision ne me permettant pas de discerner Perséphone parmi la foule, je déployais mes pouvoirs afin de repérer sa présence au milieu des humains. Rien. Je sentis mes muscles se raidir et mes pupilles se dilater sous l'adrénaline. Où était-elle ? Je ne la percevais nulle part, c'était impossible. Ni sur terre ni aux enfers. Ce pouvait-il que...
Habité d'une rage folle et meurtrière prenant pour l'instant le pas sur un profond désespoir, j'avançais d'un pas vif jusqu'au démon avec qui je l'avais vu pour la dernière fois. M'ayant sentis arriver, il mis fin au baiser qu'il échangeait avec son humaine et fronça les sourcils. Réagissait-il aux émotions que je ne parvenais pas correctement à bannir de mon visage ou bien tout simplement au fait de me voir seul, sans Perséphone ? Si même Céthius ignorait où elle se trouvait, sa disparition n'en était que plus alarmante et son péril plus grand car une seule créature possédait la capacité de la dissimuler à mes sens et elle ne reculerai devant rien pour me précipiter à terre. Elle détruirait ce à quoi je tenais le plus dans ce monde et dans l'autre pour m'entraîner dans sa chute. Par bonheur mon ennemi ignorait que Perséphone m'était liée, autrement sa mort aurait été immédiate. Je disposais cependant d'un temps limité pour la retrouver et malheureusement je n'avais, au long de tout ces siècle, pas su déterminer l'endroit où se terrait Noyhrceur.

The King of the UnderworldOù les histoires vivent. Découvrez maintenant