Chapitre 44

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De par la nature sanguine du contrat qui le liait maintenant à moi, Tach ne pouvait se retourner contre moi sans qu'il le paye de sa vie. Mais désormais, ce filet de sécurité m'était inutile. Je savais ce que je devais faire et en qui je pouvais placer ma confiance. Je tirais la porte, sans serrure ni clef, de la geôle du démon pour le laisser sortir et se tenir à mes côtés. Il inclina la tête, imité par Matheus ce qui me fit sourire. Je l'indiquais d'un signe du menton.

- Viens, je sais où tu pourras le laisser sans craindre que quiconque le trouve.

Je remontais suivie par Thanatos et mon nouvel exécuteur. Je nous menais jusqu'à la chambre de Mehgane, l'ouvris et laissais Tach déposer son ami sur le bord du lit où la jeune femme reposait. Je priais pour qu'elle ne sache jamais que le petit furet s'était approché si près d'elle sinon je n'en entendrais jamais la fin. Elle n'était pas très friande de tout ce qui pouvait s'apparenter aux rongeurs ou choses rampantes, et en un sens je redoutais que ce dernier point n'englobe également Tach. Pourvu qu'elle ne le croise pas sous sa forme reptilienne. Lorsque ce dernier ressorti de la pièce, je refermais avant de m'éloigner pour rejoindre la grande salle et mettre les autres au fait des récents évènements. Je me retournais cependant au bout du couloir, me rendant compte que je n'étais plus suivie. En effet, Thanatos avait arrêté Tach d'une main sur le bras quelques mètres plus loin, lui parlant bas à l'oreille de sorte que je n'entendais pas ce qu'ils se disaient. Tach hocha finalement la tête puis il se dégagea de la prise du dieu de la mort sans que celui-ci ne fasse mine de le retenir. Mais avant qu'il puisse me rejoindre, un fort bruit d'explosion secoua les fondations du château, faisant trembler le sol et renversant meubles et objets qui se fracassèrent à divers endroits de la demeure si j'en croyais mes oreilles. Je perdis l'équilibre un instant avant que les mains de mon exécuteur me stabilisent et qu'il m'entraîne tout aussi vite en direction de la grande salle. Je ne lui demandais pas où était passé Thanatos puisque je savais qu'il ne se battrai pas.

Lorsque nous arrivâmes, il n'y avait personne en vue et la garnison avait déserté la place devant les grandes portes. Dehors un grondement retenti, suivit d'une clameur glaçante. Par les battants nous pûmes apercevoir les deux armées se faisant face à une centaine de mètres des grilles du domaine. Céthius avait dû donner l'ordre d'aller à la rencontre des belligérants afin de mettre le plus de distance possible entre le danger qu'ils représentaient et ceux restés en arrière au château. Je sentis en moi les effets du marché passé avec Thanatos, mon être brûlait de faire mordre la poussière au salaud qui briguait la couronne et menaçait la vie des miens. Pas seulement mes amis mais également ceux qui étaient désormais mes sujets. Les gardes, les serviteurs de ma demeure ainsi que les autres démons comme Abelard et Héloïse qui ne demandaient rien sinon de pouvoir jouir d'une bienheureuse paix sous le règne d'un souverain qui ne réduirait pas la moitié d'entre eux en esclavage et ne tuerait pas le reste pour s'épargner la menace d'une révolte. Et ce n'était qu'une infime partie de ce que le despote devant nous rêvait d'infliger à ce royaume.

Je ne laisserai pas cela arriver. J'étais une reine à présent, la Reine des Enfers. Et lorsque tout serai terminé, j'espérais bien siéger aux côtés de mon Roi. Je saisis la main de Tach qui, lorsqu'il croisa mon regard, hocha la tête, sûr de lui et résolu. J'inspirais profondément, fermais les yeux, puisant en moi dans cette étincelle qui me reliait à celui que j'aimais. Et je disparus.

Je sentis autour de moi les mêmes ténèbres qui composaient le pouvoir d'Hadès et les fis miennes. Elles ne me parurent pas étrangères, au contraire, elles étaient une partie de moi. Repliées dans un endroit sombre de mon esprit que je pouvais solliciter à tout moment et qui semblait ne pas avoir de fond. La perspective de me faire engloutir par ce pouvoir infini ne me fit pas peur. Pas plus que l'idée d'une source intarissable ne me fit frissonner de toute-puissance. Je savais quelle pente glissante cela représentait de se sentir inarrêtable et omnipotent. On cherchait sans relâche à atteindre des sommets de plus en plus hauts ou des abysses de plus en plus profonds. On finissait par y abandonner son âme et se flétrir, comme j'en avais la criante démonstration devant moi.

The King of the UnderworldOù les histoires vivent. Découvrez maintenant