Chapitre 35

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Cela faisait des heures, me semblait-il, que j'attendais dans cette cellule obscure et mal odorante. J'avais trouvé refuge dans une anfractuosité paraissant plus sombre encore et qui me permettrait, je l'espérais, de me faire oublier de mes geôliers. Loin de me lamenter bêtement sur mon sort ou prier désespérément qu'Hadès ou Céthius vole à mon secours, j'avais mis mon temps à profit pour examiner en détail ce que m'avait révélé Tach sur son enfance. Il ne paraissait pas mentir, les rares émotions qui avaient percé dans sa voix et traversé son visage avaient été véridiques. Mais je ne souhaitais pas me fier à son seul jugement ni à sa seule parole qui incriminait Hadès de la torture de ses parents et le taxait de monstre. Et puis, d'eux deux c'était lui le fieffé connard qui avait joué double jeu. Quoi que, à bien y réfléchir, jamais il n'avait prétendu appartenir au camp d'Hadès, c'est moi qui l'avais pris pour un de nos alliés. Il ne m'avait pas semblé néfaste, plutôt le genre d'étudiant timide mais franc, doux avec ceux qu'il aimait mais brutal envers ceux qui les menaçaient. Non je ne m'étais pas trompée, seulement ceux auxquels il tenait étaient morts et son âme réclamait désormais vengeance. Cette histoire me donnait l'impression d'avoir l'estomac rempli d'ammoniac, peu importait la personne qui avait laissé les corps mutilés de ces deux démons sur le seuil de leur propre domicile, l'acte restait odieux. Aucun enfant ne devrait avoir à faire ce que Tach avait du accomplit. Le tout jeune enfant qu'il avait été à l'époque était devenu un bel homme aux yeux remplis de fiel et revanchard. Mais le fait qu'il ait su développer une relation d'amitié, même avec un animal, prouvais que son cœur n'était pas habité que de malfaisance pure comme c'était le cas de celui qu'il servait.

Me relevant précipitamment à la perception de pas se rapprochants, je m'éraflais légèrement contre l'aspérité du mur. Légèrement mais suffisamment pour faire couler le sang et m'arracher un juron.

-Ne t'en fais pas, humaine. Tu pourra crier tout ton soûl pendant que ton sang tapissera les murs sous peu.

C'était le démon bicéphale m'ayant enlevé qui me regardais maintenant avec une lueur malévole et pernicieuse semblant faire geler mon sang et paradoxalement s'accélérer mon cœur, comme si celui-ci craignait de ne pouvoir battre à nouveau après chaque pulsation. Il portait une large torche, comme on n'en voyait plus qu'au cinéma ou dans les vieux châteaux forts, dont les flammes jaunes et oranges vifs éclairaient les traits hideux de la créature aux dents taillées en pointes acérées retroussées en un sourire carnassier tout sauf rassurant. La porte de fer grinça lorsqu'il l'ouvrit, les gonds rouillés pivotant difficilement dans les charnières grippées.

-Le maître a exigé que je t'amener à lui. Il n'a pas spécifié l'état dans lequel tu devais être.

Il s'approcha de moi ses deux paires d'yeux étincelant d'une malveillance perverse, un sourire sadique se dessinant sur ces deux faces. Déjà plaquée contre la paroi à m'en meurtrir le dos j'aurais voulu me fondre en elle tant il me terrorisait mais ne pu que me relever me préparant à me défendre comme je le pouvais.

-Le maître la veut maintenant, Kregor.

Nous tournâmes de conserve la tête vers l'entrée de la geôle où Tach, le dos droit, repris d'une voix doucereuse.

-À moins que tu veuilles que je lui demande de patienter le temps que tu termine avec sa prisonnière.

La menace sous-jacente fit pâlir le démon, qui cracha une ultime protestation.

-C'est moi qui l'ai ramené.

-Et le maître t'en ai reconnaissant, c'est pourquoi tu vis encore.

The King of the UnderworldOù les histoires vivent. Découvrez maintenant