Chapitre 40

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Les anneaux de métal transperçaient mes poignets, écartelaient mes membres et irradiaient mon corps de douleurs. J'avais l'impression qu'il s'était écoulé des jours depuis que cet enfoiré squelettique m'avait suspendu au plafond comme un putain de morceau de viande. Tout mon poids était retenu par mes seuls poignets et je sentais lentement les trous s'agrandir sous la pression de la gravité. Je me rappelais amèrement les événements qui m'avaient conduit à me retrouver supplicié trois mètres au-dessus du sol.
Le goût ferreux du sang sur ma langue me tira un frisson. Qu'avais-je imaginé ? Qu'il ne découvrirait pas que je faisais passer ma petite vendetta personnelle avant ses désirs de domination tyrannique ? Quel idiot !
Non seulement il m'avait percé à jour, mais c'était précisément la raison pour laquelle il avait refermé ses longs doigts osseux sur moi tant d'années auparavant. Ce connard monstrueux était venu me trouver au croisement des chemins de ce qu'aurai pu être mon avenir. Il avait tissé sa toile autour de mon âme brisée, vulnérable, entrelacs de désespoirs et de souffrances. Instillé la haine sure qui m'avait rongé. Et fait miroiter l'unique possibilité d'obtenir justice contre cet invincible souverain pour l'enfant pathétique et misérable que j'était alors en m'adjoignant la protection et les ressources du seul démon près à s'opposer à lui. Et j'avais cru alors que rien ne serait jamais pire que le règne de terreur mené par le vil salopard qui m'avait prit mes parents. Ainsi étaient allées crescendo les atrocités et barbaries au nom de ma vengeance dirigée dans l'ombre par celui dont l'impatronisation primait sur tout. J'étais resté aveugle, focalisé sur mes intérêts et inconscient de ses manipulations jusqu'à ce qu'il soit trop tard pour moi.

-Tach...

Au travers du bourdonnement sifflant à mes oreilles et des lents mais forts battements de mon cœur, peinant à charrier un fluide de moins en moins présent, je perçu le murmure effrayé comme un doux soupir. Quoi que je voulu répondre, tout ce qui franchi mes lèvres fut un immonde gargouillis huileux qui fit hoqueter la voix.
Les entraves me liant aux murs noircis de crasse et de suie des combustibles organiques furent soudain rompues et je chus un court instant dans le vide incertain du néant avant d'être stoppé par des bras rudes et puissants et que de douces mains viennent épouser mes joues.

-Tach !

Maman. Cette voix n'était pas celle, plus grave, de ma mère mais je les avaient souvent entendu se mêler lorsqu'elles me chantaient des airs rythmés aux intonations veloutées. Il y avait longtemps de cela. Cette voix me ramenait en un lieu où rien de mal ne semblait pouvoir m'arriver, où tout tournait rond pour autant que le quotidien d'un jeune démon dont les parents étaient tout deux Exécuteurs le puisse.

-Tach, c'est moi. C'est Tati Héli.

Oui. Même si cela faisait des années et qu'elle était noyée par les larmes, je reconnaissais sa voix.

-Ouvre les yeux, mon cœur. Ouvre-les.

Je fronçais les sourcils sous l'effort et, lorsque j'y parvins, distinguais plus de formes que sa seule silhouette. Abelard me retenait fermement de tomber, Perséphone se tenant à sa gauche. Elle ne présentait aucun des symptôme dû à mon venin ni aucune séquelle post-inoculation. Cela devait faire plusieurs jours qu'Hadès avait troqué sa vie contre la sienne comme j'avais espéré qu'il le fasse.

-Il l'a...fait. Gémis-je péniblement.

Son visage aux traits jusque là marqués par l'inquiétude, me surprenant beaucoup, se fit dur comme la pierre. Mais pas avant que je saisisse les nuances de peur, d'amour et de tristesse dans ses yeux. La culpabilité remonta presque ma colonne vertébrale en minuscules piques de glace.
Presque.
J'étais désolé qu'elle ait souffert et voit souffrir celui qu'elle aime. Je l'aimais bien, elle paraissait être une bonne personne. Mais je ne reculerai devant rien pour venger le meurtre de mes parents.

J'étais extatique à l'idée de son agonie lente et douloureuse. Les miens n'étaient pas mort paisiblement ou rapidement, leur bourreau ne profiterait d'aucune sorte de magnanimité de ma part. Il souffrirai in extenso des tortures qu'il leur avait fait endurer. Et si je ne pouvais espérer reproduire pareil châtiment que celui qui leur fut infligé, qu'à cela ne tienne, j'avais passé des années à nourrir de ma haine ce venin créé spécialement pour lui. Perfectionné par mon opiniâtre exécration et mon violent désir d'honorer la mémoire des deux guerriers qu'avaient été mes parents. Je pouvais être infatué.

-Oui. Mais tu vas nous donner l'antidote.

Plutôt mourir.

-Plutôt mourir. Répétais-je à voix haute.

-Ce ne sera pas nécessaire. Dit Abelard d'une voix d'outre tombe qui fit frissonner Héloïse.

Ses grand yeux d'un vert incroyable, qu'on ne trouvait pas au naturel même en observant la nature évoluer durant des millénaires, se firent craintifs et elle secoua imperceptiblement la tête en le regardant.

-Abelard, s'il te plaît...

Il ne la regarde pas. Ne paru pas l'entendre. Son regard froid restait fixé sur moi attendant un frémissement de peur, un instinct de survie qui n'existait pas, une velléité de vivre étouffée au commencement d'une existence d'ores et déjà perdue.

-Je ne crains pas la torture.

Et c'était vrai. Je n'avais pas même crié lorsque Noyhrceur m'avait fait suspendre par les poignets. Ç'avait été une douleur indescriptible. Et pourtant il me serait encore préférable de l'endurer des siècles que de trahir le souvenir de mes parents.

-Oh ? Et quand est-il de ton ami ?

Avec un couinement aigüe, Matheus apparut serré dans l'étau de sa poigne et j'inspirais brusquement avant de pouvoir réfréner ma panique. Comment avait-il mis la main sur lui ? Le désespoir m'envahit alors que j'étais incapable d'aider mon meilleur ami qui se tortillait et s'échinait dans des contorsions plus pénibles et vaines les unes que les autres. Il m'était physiquement impossible de lui venir en aide, mon corps étant trop affaibli par la perte de sang et j'était déchiré de l'entendre pousser ses petits cris perçants et plaintifs.
Mes parents avaient tout représenté pour moi. Ils m'avaient appris à être bon, loyal et à faire passer la famille et l'honneur avant tout. Mais ils m'avaient été arrachés. Et la seule "personne" avec qui j'avais réussi à me lier depuis était menacée. De ma capacité à effacer des années de fureur et de besoin de vengeance dépendait la vie de mon ami. Je devais choisir entre ma fidélité pour ceux que j'aimais plus que tout, qui m'avaient élevé, protégé, choyé, aimé, et la vie de celui qui depuis était mon ancre, m'apportant son soutient et son amitié alors que plus d'une fois je l'avais mis en danger dans cette quête sanglante et aveugle qui avait finalement bafoué toute les valeurs qui m'avaient été inculquées. Je m'étais dit que je pouvais me permettre de les outrepasser puisque je poursuivais un juste but. Mais maintenant que valait tout cela ?
Je ne voulais plus qu'on m'arrache d'être cher. Plus jamais.
Oui mais...

-Il est trop tard, mon poison a déjà dû faire effet.

The King of the UnderworldOù les histoires vivent. Découvrez maintenant