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Une fois que Léo eut enfin accepté de manger le midi-même, Bill put essayer de se concentrer sur les deux-trois choses qu'il devait régler de toute urgence. Léo avait refusé de le lâcher après l'avoir retrouvé et le médecin avait dû lutter pendant un bon quart d'heure pour le faire manger. Finalement, Bill s'occupait de ses petites affaires pendant que l'enfant mangeait lentement à ses côtés. Il ignorait ce qui s'était passé dans sa tête pour qu'il en vienne à ne plus vouloir le quitter, mais comptait bien le découvrir assez vite.
En attendant, il s'était occupé des réclamations à faire à sa directrice à propos de sécurité, du gamin qui manquait de se faire placer, des documents de Rose, d'une méthode à aborder pour espérer faire évoluer Julia.
Tout en réfléchissant à un plan, son regard vagabonda dans la pièce et il s'arrêta lorsqu'il tomba sur l'assiette de Léo. Tous ses petits pois étaient alignés en quatre lignes et avec une précision déconcertante. Bill plissa les yeux, le regardant les avaler un par un, l'air concentré. Il savait que dans la tête du petit, c'était plus qu'aligner des petits pois pour les manger ensuite. Dans sa tête, c'était bien plus complexe. Léo se servait de techniques étonnantes pour apprendre et retenir les choses. Il avait une capacité incroyable et Bill trouvait ça fascinant. À cinq ans, il savait des choses que beaucoup d'adultes ignoraient ou n'arrivaient pas à retenir. Ça semblait assez dingue.
Soudain, il lâcha sa fourchette, avala son verre d'eau d'une traite et attrapa son doudou afin d'ensuite ramper sur le lit, jusqu'au médecin.
« Dodo. » ; Bill ne put qu'écarter ses mains remplies de feuilles pour le laisser grimper sur ses genoux. Léo se hissa jusqu'à son torse tout en baillant, alors Bill abandonna ses affaires sur le lit.
« Tu n'as pas bien dormi cette nuit ? »
L'enfant fit non de la tête. Bill était toujours confus de le voir passer d'une attitude à une autre en l'espace d'une seconde. Il le regarda s'installer et se frotter paresseusement les yeux, se demandant comment il allait bien pouvoir s'éclipser si Léo s'endormait sur lui. Une chose était sûre : Il y avait du progrès avec lui. Il était calme et plutôt joyeux aujourd'hui. Il acceptait l'aide et même si Bill pensait que ce devrait être avec sa mère, ça restait un début. De cette façon, il allait apprendre à le contrôler, et accessoirement lui apprendre à se contrôler lui.
**Le travail reprit sérieusement une fois l'enfant endormi. Bill avait décidé de continuer son petit bilan avec Tom. Ça commençait à trop traîner et il voulait avancer coûte que coûte.
Il était d'abord passé voir si tout le monde avait mangé. Ça prenait un certain temps, mais c'était quelque chose qui devait changer.Il retrouva finalement Marta dans la chambre du dreadé. Elle venait tout juste de fermer la fenêtre de la chambre déjà bien trop froide, empêchant ainsi le soleil de filtrer. Bill décida de s'en occuper plus tard et avança, déterminé.
« Ok, Tom, j'espère que tu te souviens de ce dont je t'ai parlé parce que ce sera maintenant. » ; lui annonça-t-il d'abord.
« Pourquoi vous vous obstinez à lui parler ? Il aurait réagi depuis longtemps s'il entendait. »
« Qu'est-ce que vous en savez ? » ; demanda-t-il à la femme qu'il trouvait toujours si méprisante. « C'est pas parce que vous n'y croyez pas qu'il ne peut pas. »
« Il n'ira jamais mieux. Ce serait déjà arrivé depuis le temps. »
« Et alors ?! C'est une raison pour mal faire votre boulot ? Je ne crois pas. » ; l'infirmière eut l'air surprise par sa colère. « Si le médecin que je remplace préférait rester vissé sur sa chaise et ne rien faire, c'est pas mon cas. Vous allez devoir vous y faire. »
Marta n'osa rien ajouter, mettant alors fin à la conversation. L'androgyne soupira et reporta son attention sur Tom. Il décida de commencer par la tension. Il contourna le lit afin d'atteindre l'autre côté, tendit lentement sa main, mais n'eut même pas le temps de le toucher que des doigts venaient agripper sa gorge.
Il aurait probablement sursauté si le choc ne l'avait pas paralysé sur le coup. Ses propres doigts s'accrochèrent au bras du dreadé par automatisme et ses yeux s'écarquillèrent, face à ceux, vides, qui s'étaient directement plantés dans les siens. À travers son souffle coupé, des tas de pensées se bousculèrent dans sa tête et il se maudit durant une seconde d'échouer. Ce n'était pas censé se passer comme ça, Tom n'était pas censé l'agresser et pourtant le bout de ses doigts osseux s'enfonçait douloureusement dans sa peau.
Bill tenta de prononcer son nom, les yeux brillants au fur et à mesure où l'air commençait à quitter ses poumons. Il l'appela d'une voix sourde, espérant le faire lâcher prise ou réagir, mais lorsque l'emprise sur lui se relâcha lentement, le médecin aperçut l'aiguille que Marta venait d'enfoncer dans son bras. Il s'entendit penser des "Non, non, non !" déçus alors qu'il perdait le contact avec son regard fixe et à la fois vide de toute expression. Tom papillonna des yeux lorsqu'il retomba contre son oreiller et Bill eut un mouvement de recul à la sensation de respirer à nouveau.Malgré la brutalité du geste, il était déçu de ne pas avoir eu le temps de tenter de le faire réagir lui-même. Il était certainement fou de le penser, mais il aurait vraiment voulu réussir à provoquer quelque chose. Quelque chose d'autre que la violence en tout cas.
« Vous allez bien ? » ; il eut l'impression de revenir brusquement sur Terre au son de la voix de Marta et tourna vivement la tête vers elle, expirant lourdement tout en passant ses doigts là où ceux du dreadé s'étaient trouvés quelques secondes auparavant. Une chose était sûre, il savait ce qu'il faisait et où il fallait serrer. Aussi glauque que ça puisse paraître, c'était un avancement.
« Je survivrais. » ; répondit-il finalement à l'infirmière.
« Je vous avais dit que ça servait à rien. »
« Je vous ai rien demandé ! » ; s'exclama-t-il avec un certain agacement. Il baissa les yeux vers le corps endormi du patient et tira la couverture avec un petit soupir. Pour qu'il réagisse aussi violemment à l'idée d'être touché, il y avait bien une raison. Non ? Il y avait forcément une explication.
Marta quitta la chambre, visiblement énervée, et Bill mit plus de temps à la suivre. Il avait besoin d'air. Besoin de sortir de cet endroit. Juste une minute.
To be continued. [ ... ]
