Avec le temps et la toute première semaine passée, Bill prit conscience que certaines choses seraient plus difficiles que d'autres à changer. Si quelques-uns des patients, comme Léon, s'accommodaient parfaitement de son arrivée, c'était loin d'être le cas de tout le monde. Et c'était exactement la même chose à propos de son équipe. Il avait plus ou moins réussi à se faire accepter et respecter auprès de deux autres infirmiers, mais par exemple, Marta refusait considérablement de l'écouter. Trop jeune, trop peu expérimenté selon elle. Bill était conscient qu'il avait encore beaucoup de choses à apprendre, mais il avait eu son diplôme haut la main et les nombreux mois de stages qu'il avait effectué faisaient son expérience.
« Comment comptez-vous procéder alors ? »
« Le but est d'améliorer son mode de vie au maximum. C'est par sa mère que nous devons commencer, c'est avec elle qu'il vivra et si elle est incapable de le gérer, il n'ira jamais mieux. Il a besoin d'un pilier solide. »
« Donc vous voulez d'abord parler avec elle ? » ; Bill acquiesça tout en y réfléchissant.
« Oui, je vais lui donner rendez-vous, discuter avec elle et nous verrons ensuite. Veillez à ce que Léo ait ses repas à heures fixes, c'est pareil pour beaucoup de petites choses quotidiennes. »
« Lui imposer un rythme ? »
« En douceur, mais oui, c'est le but. » ; Bill leva les yeux vers Gabriel qui hochait docilement la tête à ses suggestions. « Il a besoin d'être recadré, mais sans être brusqué. S'il refuse, ne lui imposez pas, mais si c'est fréquent, tenez-moi au courant. »
« Parfait ! »
« Et bipez-moi en cas de crise, d'urgence, je dois voir comment il réagit. » ; l'infirmier acquiesça à nouveau et Bill lui indiqua alors qu'il pouvait y aller.
**
Du calme. Enfin. Bill soupira longuement et avala une longue gorgée de son café, appuyé contre le mur. C'était une journée plutôt agitée. D'abord, le petit Léo avait piqué une crise dès son réveil à cause d'une peluche qu'on lui avait soit disant volé et qui au final, avait simplement roulé sous son lit durant la nuit. Il avait fallu une bonne heure avant de réussir à le calmer, trois infirmières différentes, et Bill s'était complètement fait rejeter par l'enfant. Évidemment, il n'était pas étonné qu'il ne se fasse pas accepter aussi tôt, mais ça compliquait les choses, parce qu'il ne pouvait pas agir comme il le voulait et les infirmières n'en faisaient qu'à leur tête, ce qui n'aidait pas non plus.
En second plan, Rose avait elle aussi fait une véritable crise, se mettant à jeter des objets à travers la pièce et menaçant Marta qui, contrairement à lui, était loin de garder son calme dans ce genre de situation. Ils avaient ainsi dû attacher l'adolescente et puis Bill avait finalement réussi à discuter avec elle après un long moment, refusant qu'on lui administre un calmant. Pour lui, et surtout dans le cas de Rose, il n'y en avait pas besoin.
Tout en repensant à tout ça, il termina sa boisson chaude d'une traite et jeta le gobelet. Si avec Léo c'était loin d'être gagné, il semblait réussir à installer une toute petite pointe de complicité avec Rose qui finissait quasiment toujours par l'écouter et ça le rassurait un peu. C'était positif, c'était la chose la plus positive depuis qu'il était arrivé et ça l'encourageait à continuer avec ses propres méthodes.
Remotivé, il se décida à continuer sur sa lancée et se dirigea vers une chambre qu'il connaissait peu. Le cas le plus désespéré de tout l'établissement selon son équipe, le plus calme, surtout.
Surpris de trouver la porte entrouverte, il toqua prudemment tout en fixant le numéro affiché. 248. Sans surprise, il ne reçut aucune réponse et poussa lentement la porte afin d'entrer dans la pièce assombrie par l'heure plus ou moins tardive.
« Tom... ? » ; appela-t-il doucement. Aucune lumière allumée, aucun signe de vie dans la pièce. Si la majorité des patients avaient tout de même quelques objets, peluches, photos, jouets, couvertures et vêtements personnels, c'était loin d'être le cas ici. Vide, froide, impersonnelle. Cette chambre lui donnait froid dans le dos.
Il avança avec prudence, se demandant où il était passé et voulant vérifier s'il était dans la petite salle de bains adjacente ou non, mais la porte grinça derrière lui et son coeur fit un bond monstrueux lorsqu'il se retourna. Debout, caché dans le coin sombre entre le mur et la porte, il était là, errant, silencieux. Ses longues dreadlocks tombaient et cachaient la majorité de son visage maigre et terne. Seuls ses yeux ressortaient légèrement grâce à leur brillance, pourtant sombres, et vides. Il se tenait comme un zombie, comme une véritable marionnette, sans réelle force, son corps flottant de manière affolante dans ses vêtements miteux. Bill se força à ne pas avoir l'air de se retrouver devant ces filles fantômes dans les films d'horreur et tenta de garder une expression neutre sur son visage.
Pour la première fois, Tom le regardait. Il était si immobile que Bill se demanda durant une seconde s'il respirait toujours. C'était idiot, bien sûr, mais c'était incroyable à quel point il ne bougeait pas, ne clignait même pas des yeux.
« Hum, hey... » ; souffla-t-il, ne sachant soudainement plus du tout par où commencer. « Je suis Bill, ton nouveau médecin. »
Tom ne fit aucun mouvement, aucun signe qu'il l'écoutait ou même comprenait. Bill ne savait même pas si ce qu'il fixait était lui, ou le vide.
« Je veux pas t'embêter trop longtemps, je voudrais juste savoir si tu comprends. » ; bien sûr, il n'obtint aucune réponse, mais en bougeant de sa place, il remarqua que c'était bien lui qu'il regardait. « Tu ne peux pas cligner des yeux pour dire oui ? » ; Tom ne fit rien, rien de visible en tout cas. « Je sais que c'est ennuyeux, mais j'ai vraiment besoin de savoir si tu comprends quand on parle. »
Bill trouva franchement angoissant que ses yeux ne papillonnent même pas. S'il n'était pas debout et s'il ne l'avait pas clairement vu le suivre du regard, il penserait qu'il était tout sauf vivant.
« Tom ? » ; tenta-t-il, espérant naïvement qu'il ait même la réaction la plus insignifiante à l'entente de son nom, mais toujours rien. Il devait absolument réfléchir à une solution, une petite astuce qui lui donnerait au moins une réponse. Dire ou faire quelque chose qui le ferait obligatoirement réagir, même si ça devait se faire en plusieurs temps. Il lui fallait une idée, et très vite. Si personne n'avait jamais cherché à creuser les choses avec lui, Bill ne comptait pas abandonner de sitôt. « Tu ne veux pas aller t'asseoir ? » ; lui demanda-t-il, se décalant d'un pas pour lui indiquer son lit. C'était vraiment étrange, la façon dont il avait l'air si vide, comme s'il pouvait tout ignorer et ne jamais rien montrer ou ressentir. Ressentait-il au moins quelque chose ? Se souvenait-il de ce qui était arrivé ? Bill voulait des réponses, mais essayer de le faire réagir serait forcément trop dur pour le moment. Bill ne voulait pas arriver et le faire souffrir avec des questions bien trop brutales pour lui. Sa priorité, c'était de le faire aller mieux, au moins un peu, voir s'il était réceptif, instaurer un contact, même minime. « Ok, alors... » ; souffla-t-il, regardant distraitement autour de lui tout en cherchant une idée quelconque. Il aurait aimé pouvoir lui laisser rien qu'un crayon, lui demander de dessiner ou écrire et puis même si Tom le faisait en son absence, il saurait qu'il comprenait, mais il avait un vague souvenir de ce qu'une femme suicidaire avait fait avec un simple crayon de bois durant l'un de ses stages et cette vision lui filait encore des frissons. « Je vais te laisser tranquille, j'aimerais que tu fasses un truc pour moi. Je dois obligatoirement faire des séances avec toi, savoir comment tu vas, comment tu évolues, tu sais ? Alors quand tu te sens prêt, et même si on ne fait rien, je voudrais que tu laisses ta porte entrouverte, comme aujourd'hui. Alors pour ça tu devras faire attention à ce qu'elle reste soit bien fermée, soit grande ouverte, si tu veux pas que je te dérange entre-deux. »
Tom ne fit rien, évidemment, mais l'androgyne eut l'espoir qu'il l'écoute. Ça prendrait probablement du temps, mais c'était une façon de le faire agir, de lui laisser le droit de décider, et ça, Bill était sûr que personne ne l'avait fait.
« Bien, essaie de manger en attendant. » ; dit-il, se retournant finalement pour quitter la pièce. Il referma la porte sans rien ajouter de plus. Que pouvait-il dire de toute façon ? Parler dans le vide ne servirait à rien.
**
« Monsieur Kaulitz, on a un problème. » ; sourcils froncés, Bill leva les yeux de son dossier. Un problème ? Il venait d'arriver !
« Lequel ? »
« Cette femme arrivée il y a deux jours pour toxicomanie et tendances suicidaires, vous vous en souvenez ? »
« Oui ? »
« Elle s'est mise à se taper la tête contre le mur. » ; Bill fronça le nez en l'imaginant et fit un petit geste pour l'inciter à continuer. « Elle s'est défigurée, elle s'est arraché les cheveux. » ; ew. Ça, il ne voulait pas l'imaginer. « Nous avons dû lui administrer un calmant de force et puis elle est partie en urgences. Vous devriez voir sa chambre, c'est impressionnant, on dirait qu'il y a eu un triple meurtre là-dedans. »
« Merci Gabriel. » ; soupira le médecin face à la remarque. « Vous avez des nouvelles ? »
« Pas encore, mais je leur ai bien précisé de l'attacher afin qu'elle ne recommence pas. »
« Ok, très bien, je vais les appeler. »
« Vous allez la garder ici ? »
« Bien sûr que je vais la garder, vous croyez qu'on va renoncer au premier obstacle ? J'ai déjà vu ça durant un stage, c'était assez dégueulasse j'dois dire... » ; marmonna-t-il en y repensant. « Bref, une telle crise ne signifie pas qu'elle est désespérée, surtout dans un cas de toxicomanie, vous devriez savoir aussi bien que moi que la drogue fait des ravages, et un sevrage mal encadré ne résout pas grand chose.»
« J'suis d'accord mais... comment vous comptez gérer ça ? Nous ne pourrons jamais la relâcher, qui sait si elle ne fera pas pire ? » ; Bill plissa les yeux face à la question. N'avaient-ils rien appris avant ça ?
« Je vais y réfléchir, je vous tiens au courant, pour l'instant je vais voir comment elle va. »
« Vous allez la shooter ? » ; tout en cherchant le numéro du bon hôpital, Bill ignora l'expression et acquiesça.
« Ne serait-ce que pour son propre confort, je pense qu'il vaut mieux au début. »
« C'est pas faux. » ; approuva l'infirmier qui affichait une grimace au souvenir de ce qu'il avait vu. « Je vous laisse, j'ai du boulot. »
Bill acquiesça et lui fit un petit signe avant d'attraper le téléphone et de composer le numéro de l'hôpital. Encore une longue journée en perspective.
**
« Allez vous faire foutre ! »
Encore un exemple d'agitation. La famille. Non, les histoires de famille. Dans ce cas, il s'agissait du père de Léo. Celui-ci avait divorcé de sa femme quelques mois plus tôt et ils se battaient visiblement pour la garde. Bill était agacé de ne pas avoir été mis au courant plus tôt. La stabilité était une clé, et de ce qu'il pouvait voir, ce pauvre gamin était loin d'être aidé.
« Monsieur, calmez-vous ! »
« Je me calmerais quand j'aurais vu mon fils ! » ; Bill plissa les yeux, observant la mère de Léo se chamailler et l'empêcher de passer. Parfois, il se demandait si les gens réfléchissaient avant d'agir. Seulement, c'était un fait, tout le monde agissait plus ou moins par instinct, l'instinct de défense, en l'occurrence. Une solution qui n'était pas la bonne lorsqu'il y avait un enfant au milieu.
« Ça suffit, taisez-vous ! » ; ordonna-t-il fermement. Sa voix résonna dans tout le couloir et toutes les têtes se tournèrent aussitôt vers lui. « Vous êtes dans un hôpital, si vous avez des comptes à régler, faîtes-le dehors. »
« Mais il n'a pas... »
« J'ai dit : Stop ! » ; gronda-t-il à nouveau. « Qu'est-ce que vous croyez ? Que vous aidez Léo en vous disputant ? Si vous voulez le faire, faîtes-le ailleurs. Je serais celui qui décidera de ce qui se passe pour votre fils. »
Sans surprise, les deux recommencèrent à crier, protester et se chamailler, et Bill soupira lourdement. Le divorce, le mariage, conneries.
« TAISEZ-VOUS ! » ; ses mots résonnèrent à nouveau, puis le silence se fit enfin. L'androgyne croisa les bras contre son torse et fixa tous ceux qui lui faisaient face avec une mine autoritaire. « Dans mon bureau, maintenant. » ; ordonna-t-il aux parents qui, finalement, l'écoutèrent et se dirigèrent docilement vers son bureau comme deux enfants. Gabriel avait l'air plus ou moins amusé par la situation tandis que deux autres infirmières retournaient à leurs occupations sans demander leur reste. « Ana, tu restes avec Léo jusqu'à ce que j'en ai fini avec eux. Occupe-le, rassure-le, je te fais confiance d'accord ? »
Ana hocha la tête et fila rapidement dans la chambre d'enfant. Bill souffla et lança un coup d'oeil à Gabriel qui sursauta pratiquement avant de se décider à retourner bosser. Bill leva les yeux au ciel, légèrement amusé. Sans eux, ce serait probablement triste et désagréable de travailler ici.
**
La salle commune. Un endroit que Bill avait trop peu expérimenté. C'était dans ces moments qu'il réalisait qu'ils avaient tous un sérieux manque de contact avec l'extérieur. Pour la plupart, ils étaient rejetés et pris pour des fous par leur famille et il avait vraiment de la peine pour ça. Injustice, incompréhension, c'était juste ça. Rejeter quelqu'un de sa famille pour une simple différence ne devrait pas exister à ses yeux. C'était peut-être difficile à gérer, mais pas impossible, et puis une petite visite de temps en temps ne ferait pas de mal, si ?
« Hey doc ! » ; Bill tourna lentement la tête vers la personne qui venait de s'asseoir à ses côtés. Léon.
« Bonjour Léon, comment allez-vous ? »
« Très bien, et vous ? Il parait que la nouvelle a essayé d'encastrer son crâne dans le mur et qu'elle y a laissé un morceau, c'est vrai ? » ; le médecin haussa un sourcil, étonné des rumeurs qui tournaient et dont il entendait parler depuis quelques jours.
« Qui vous a dit ça ? »
« Tout le monde ! Enfin... tous ceux qui parlent. » ; ajouta le vieil homme en lui indiquant quelques patients quasiment immobiles et silencieux.
« Et vous aimez en parler ? Alimenter ces rumeurs ? »
« Bien sûr, ça nous distrait. » ; Bill acquiesça distraitement, pas très surpris. Au moins, ils se parlaient, créaient des liens. C'était une bonne chose. « Est-ce qu'elle va revenir ? » ; concentré à observer diverses personnes, cherchant à analyser leur comportement en groupe, Bill ne fit que hocher la tête pour lui confirmer et Léon s'exclama bruyamment à ses côtés. « Génial ! Elle est comment ? Vous croyez que... »
« Léon ! » ; soupira-t-il en posant enfin les yeux sur lui. « Elle a d'abord besoin d'être soignée, et même si vous adorez commérer, il est hors de question que je vois quelqu'un la harceler ou se moquer d'elle, on est d'accord ? » ; Léon le regarda avec de grands yeux, réagissant comme un enfant qu'on venait de gronder.
« Non... non, bien sûr. » ; Bill lui adressa un léger sourire et puis reporta son attention sur les autres. Il y avait des patients qu'il ne connaissait pas mais qui étaient du même étage et certains duos l'étonnaient pas mal. Par exemple, Rose jouait et riait avec une femme probablement aussi âgée que Léon. Dans l'ensemble, c'était une bonne chose, une très bonne chose même. Ça lui donnait une idée de ce qu'elle était, de ce qui pouvait lui manquer.
« Dîtes-moi, avec qui vous vous entendez le plus ici ? » ; demanda distraitement l'androgyne au vieil homme.
« Oh ! Hum... j'adore aller jouer avec Léo, c'est un gamin brillant. » ; Bill tourna vivement la tête vers lui. Léo ? « J'aimais beaucoup discuter avec Adeline aussi, mais elle est morte le mois dernier. » ; le médecin fronça le nez, le regardant tout en réfléchissant déjà à une stratégie. « Vous savez, la plupart des gens ici pourraient être mes enfants ou mes petits-enfants, alors je les aime tous. »
« Tous ? »
« Évidemment ! Vous voyez ce gosse complètement muet ? Il est là depuis plus longtemps que moi, il n'a jamais décroché un mot et ça n'empêche pas qu'il est attachant. »
« Comment... Tom ?! » ; s'exclama le blond avec de grands yeux. Léon hocha vivement la tête.
« C'est ça, Tom ! Je me demande parfois comment il fait parce qu'il y a vraiment des têtes à claques ici, surtout avant que vous soyez là. » ; soupira le vieil homme. « Et puis tout le monde croit qu'il est comme un possédé parce qu'il a toujours l'air d'un fantôme et qu'il ne parle même pas quand il disjoncte. »
« C'est-à-dire ? »
« Et bien, il ne fait que des mmhhhh, vous voyez ? Comme si on vous mettait un bâillon et que vous essayez de crier sans pouvoir parler. Il n'a jamais de mots, jamais de larmes. »
« Vraiment ? » ; de la façon dont tout le monde lui décrivait le dreadé, Bill pensait qu'il s'était juste éteint. Que ce soit sa douleur, ses émotions, ses souvenirs. S'il n'y avait plus rien, ça ne pouvait être que ça.
« Oui, je trouve ça triste. Personne ne va le voir parce qu'ils ont peur et je n'ai jamais vu quelqu'un de l'extérieur lui rendre visite alors il est toujours seul. »
Bill ne l'écoutait que d'une oreille, réfléchissant, imaginant. Depuis qu'il était allé le voir, Tom n'avait pas donné signe de vie, en tout cas n'avait pas encore décidé de le laisser entrer à nouveau. Bill espérait qu'il le fasse au moins une fois, parce que même s'il voulait attendre son accord, il finirait par être obligé d'y retourner même sans autorisation de sa part.
« Vous l'avez déjà vu en crise ? » ; demanda-t-il à Léon.
« Une fois, oui. C'est assez rare, c'est toujours avec cette vieille co... » ; il se coupa lorsque Bill le regarda et se racla la gorge avant de reprendre. « Marta ! »
« Pourquoi ? »
« Parce qu'il refuse d'être touché et elle le force. Ana y va plus en douceur et réussit à le perfuser en général. »
« Et comment vous savez tout ça ? »
« Je lui rends visite et je fais la conversation pour deux. Ana dit que je devrais continuer. » ; Bill acquiesça lentement.
« Bien, elle a raison, vous devriez continuer d'aller discuter même s'il ne répond pas. »
« Vous croyez qu'il m'écoute vraiment ? Peut-être que je le saoule, Rose a dit que je la saoulais. » ; cette fois, Bill afficha un sourire amusé. Qui ne saoulait pas Rose ?
« Moi aussi je la saoule, mais c'est pas grave, je pense qu'elle aime ça secrètement. » ; Léon eut l'air surpris mais tout aussi amusé.
« Alors vous, on le sait, on l'entend râler à l'autre bout du couloir quand vous allez la voir ! » ; Bill afficha un sourire malicieux. Il savait qu'il la dérangeait les trois-quarts du temps et ça l'amusait beaucoup. « Vous savez, vous pourriez être mon petit-fils, vous aussi. » ; l'androgyne ne releva pas le soudain changement de sujet et haussa un sourcil tout en lui souriant.
« Vous voudriez ? »
« Bien sûr ! Vous êtes un bon garçon. » ; le médecin lui adressa un petit sourire. Léon était l'un de ces patients improbables, mais incroyable. Une raison pour laquelle il aimait beaucoup ce métier. En tout cas, c'était une chose qui l'avait marqué durant ses années de stage. Ça et aussi beaucoup d'autres choses, même si c'était loin d'être facile tous les jours.
**
En cette fin de journée plutôt calme, Bill fut plutôt heureux de se retrouver autour du distributeur de boissons, à boire un café bien chaud et discuter avec Ana et Gabriel, avec qui il commençait doucement à tisser des liens.
« Je trouve quand même que... même si votre arrivée perturbe une bonne majorité des patients, c'est bénéfique pour eux. » ; l'androgyne recula jusqu'à ce que son dos touche le mur, se retrouvant alors face à eux.
« Vous croyez vraiment ? »
« C'est évident. » ; continua Gabriel avant d'avaler une petite gorgée de sa propre boisson. « Vous êtes dix fois plus présent, ils n'ont pas l'habitude, mais ils ont l'air de plutôt bien s'ouvrir à vous, non ? »
« Mouais, plus ou moins. Léo refuse toujours de coopérer quand il s'agit de moi, madame Braun aussi, et puis Tom ? »
« Alors là, vous vous attaquez au plus dur ! »
« C'est vrai. » ; confirma Ana sur laquelle il posa finalement les yeux. « Léo a besoin de temps, soyez patient avec lui, il finira par vous adorer. Il refusait tout contact avec tout le monde quand il est arrivé ici, il hurlait dès que je le touchais, alors ne vous inquiétez pas, ça viendra ! »
Bill acquiesça d'un petit signe de tête. Il espérait vraiment réussir à se faire accepter et enfin pouvoir les aider.
« Voilà, et madame Braun est comme ça avec tout le monde, elle nous en veut d'être là parce que sa fille l'a envoyé ici sans qu'elle ait le temps de s'expliquer. »
« Personne ne l'a écouté ? »
« Elle perd la mémoire et fait des crises dangereuses parfois, elle ne peut pas vivre seule, ni sans être suivie. »
« Bien, je devrais essayer de lui faire comprendre qu'on est pas là pour lui faire du mal ou la juger. » ; les deux infirmiers confirmèrent, et le médecin jeta son gobelet vide avant de croiser les bras contre son torse.
« Vous devriez vous en sortir ! Et puis pour Tom, il n'y a pas vraiment de miracle. » ; soupira Gabriel. «J'aimerais vraiment le voir sortir d'ici et en bonne santé un jour, mais tant qu'il ne réagit pas ou n'essaie pas au moins de se faire comprendre, on avancera pas. »
« Je trouve ça dingue qu'il soit comme ça depuis tout ce temps. Je me demande ce qui se passe dans sa tête. »
« Surtout qu'à part quand on le force, il ne réagit pas du tout. Ni cris, ni pleurs, rien du tout. Je n'sais même pas s'il souffre encore de ce qu'il a vu ou s'il ne s'en souvient même pas. En fait, on ne sait rien du tout... C'est hyper frustrant, on est tous impuissant avec lui. »
Bill repensa à la façon dont il avait pratiquement eu l'air d'un fantôme, comme s'il hantait juste l'endroit de sa présence. Ça avait vraiment quelque chose de flippant.
« Mr Kaulitz ! » ; trois têtes se tournèrent vers la voix affolée qui venait de résonner dans tout le couloir. « Rose a trouvé une fenêtre ouverte au dernier étage et elle veut sauter ! »
Bill fronça les sourcils et tous suivirent l'infirmier qui venait de les prévenir en courant.
« Pourquoi les fenêtres ne sont pas sécurisées ?! Qu'est-ce qui s'est passé ? » ; demanda-t-il en chemin. Ils montèrent les escaliers quatre à quatre et foncèrent dans les couloirs.
« Voyez ça avec l'administration, et je ne sais pas grand chose, je crois qu'elle a eu une mauvaise nouvelle, mais c'est tout. »
Enfin, ils arrivèrent. Au bout d'un long couloir, il y avait une fenêtre assez grande, et qui s'ouvrait bien trop facilement avec une simple poignée. Rose y était montée, une main accrochée à l'encadrement et les yeux rivés vers le vide. Bill se fraya un chemin à travers la petite foule de personnel et patients, et s'arrêta prudemment à quelques centimètres de la fenêtre.
« Rose... » ; l'adolescente reconnut sa voix sans se retourner et Bill ne fut pas surpris par sa réaction.
« Ah non, pas vous. Foutez-moi la paix. »
« Pourquoi tu fais ça ? Je croyais que tu étais plus forte que ça ? »
« Conneries ! » ; s'exclama sa voix tremblante et forte. Elle sembla résonner dans tout l'hôpital et le médecin se demanda comment procéder. « Tout le monde me croit cinglée de toute façon. Je veux pas vivre comme ça. »
« Et tu laisses tout ce monde gagner en agissant de cette manière. » ; Rose tourna la tête pour lui lancer un regard sombre. « Écoute, je comprends que tu ne fasses confiance à personne ici, mais je te promets qu'on peut tout faire pour que tu sortes d'ici en pleine forme, et dans ce cas tu pourras emmerder toutes ces personnes qui pensent de telles choses sur toi, mais si tu sautes, ce sera foutu. Ce sera l'image qu'ils garderont de toi. »
Malgré la surprise qu'un médecin lui parle de cette façon, la jeune fille ne renonça pas pour autant.
« Quelle importance de toute façon ? Personne n'a jamais cru en moi. Même mon petit frère me croit cinglée et refuse d'avoir quelque chose à voir avec moi. »
Bill jeta un coup d'oeil autour de lui, mais personne ne semblait être au courant de quoique ce soit.
« Et tu préfères pas prouver à ton petit frère que tu n'es pas ce qu'il croit ? Tu ne crois pas qu'il se fait certainement influencer ? »
« Qu'est-ce que ça change ?! Il me déteste ! » ; s'exclama-t-elle à nouveau.
« Il ne peut pas te détester. Rose... Moi je suis sûr que tu te sortiras de tout ça. »
Incertaine, Rose tourna la tête vers lui.
« Vous mentez. »
« Non. »
« Vous avez juste la trouille d'avoir une mort sur la conscience ! Un mort dans votre service, ça ferait trop mal à votre réputation ! » ; s'écria-t-elle vivement. Bill sentit tous les regards peser sur lui.
« Tu te trompes. De toute façon personne ne croit en moi non plus ici. Je suis trop jeune, pas assez expérimenté. Je ne suis probablement pas capable de trouver les mots pour t'empêcher de faire ça, mais au moins je crois en toi. »
Intriguée, l'adolescente le regarda de ses yeux brillants et douloureux. Étrangement, elle eut l'air de croire en ce qu'il disait. Elle était la première à refuser de croire qu'il pouvait l'aider. Elle savait aussi qu'il venait d'arriver et se doutait qu'il ne mentait pas. Bill sentit un immense sentiment de soulagement le traverser lorsqu'elle se retourna totalement vers eux. Il tendit aussitôt ses deux mains, et Rose se laissa docilement porter et hisser vers le bas jusqu'à se retrouver sur la Terre ferme.
Plusieurs personnes soupirèrent de soulagement autour de lui. Bill ne savait pas exactement ce qui l'avait convaincu ni ce qu'il était censé faire à présent, mais il était franchement soulagé qu'elle ait renoncé et songeait sérieusement à demander des ouvertures plus sécurisées pour les fenêtres. Pourquoi personne n'avait-il jamais rien fait à propos de ça ?
Finalement, le monde se dispersa autour d'eux, il vit Gabriel et Ana lever les pouces un peu plus loin, et leur adressa un léger sourire avant de se décider à raccompagner Rose à sa chambre.
« Vous croyez vraiment que personne ne croit en vous ? » ; lui demanda-t-elle pendant qu'il appuyait sur le bouton d'un ascenseur. Ils y entrèrent calmement et Bill baissa les yeux vers elle.
« Je sais pas trop, j'ai quelques problèmes d'intégration, mais me laisser faire ce serait abandonner, tu comprends ? »
« Je crois... » ; Bill bougea pour appuyer sur le bon bouton de leur étage, ignorant que la jeune fille le regardait à présent avec une espèce de fascination, d'incompréhension, d'espoir. « Pourquoi on ne croit pas en vous ? » ; surpris qu'elle s'y intéresse après une telle situation, le médecin fronça le nez, ne sachant même pas comment s'exprimer.
« Je te l'ai dit. »
« Mais être trop jeune, ça veut rien dire. C'est des conneries. »
« Il me semble que tu n'as pas confiance en moi non plus. » ; Rose fit la grimace.
« C'est pas contre vous, je fais confiance à personne. »
« Pourquoi ? »
« Parce que tout le monde me laisse tomber ! Toujours ! » ; l'ascenseur se mit rapidement en route, descendant tranquillement pendant que le blond réfléchissait à une façon de dire les choses, et aussi de poser les bonnes questions.
« Alors tu crois que je le ferais aussi ? »
« De toute façon qu'est-ce que ça peut faire ? Vous êtes mon médecin, pas ma famille. »
Bill haussa les sourcils face à tant de sympathie, mais ne fit aucun commentaire et la suivit simplement lorsqu'ils sortirent de l'ascenseur une fois arrivés au bon étage. Avec elle, il avait l'impression d'avancer d'un pas pour ensuite reculer de trois, mais l'avoir dissuadé de sauter de cette maudite fenêtre restait un grand pas. Maintenant il allait devoir essayer de discuter avec elle et probablement la faire surveiller discrètement. Il n'était pas question qu'une telle chose se reproduise.
To be continued. [ ... ]
