Une petite cigarette fut la première chose à laquelle Bill pensa lors de sa pause déjeuner. Il descendit aussitôt, le bâtonnet de nicotine coincé entre les lèvres sans même penser à emporter son sandwich. Il avait bien besoin de se détendre. Toutes ces histoires lui filaient mal au ventre. S'il ne pouvait pas se détacher de Léo, ou de Léon, Julia, ou Tom qui ne communiquait même pas avec lui, il se jura de tout faire pour apprendre à s'occuper correctement de ses futurs patients sans tomber dans une telle situation. Compassion, gentillesse, compréhension et attention, oui, mais avec des limites.
Dehors, la chaleur était là, le soleil brillait haut dans le ciel et les oiseaux chantaient joyeusement, perchés sur les arbres trônant de chaque côté de la cour. Le contraste avec la tempête balayant tout à l'intérieur de lui était sacrément incroyable.
« Alors, t'as changé d'avis ? » ; dans son sursaut, Bill manqua de lâcher sa cigarette et leva de grands yeux vers Gabriel qui venait de débouler sans prévenir. Une fois la surprise passée, il l'interrogea du regard. « Je t'ai vu avec Léo. » ; ah, ça. L'androgyne haussa doucement une épaule. Ce qu'il avait décidé n'était pas clair. « J'ai vraiment du mal à croire qu'il va partir, même si c'est génial pour lui. »
Bill tourna la tête pour le regarder s'adosser au mur à ses côtés. Lui non plus, en fait. Il ne voulait même pas le croire.
« Je sais plus. » ; lui répondit-il finalement. « Je ne peux pas rester proche de lui mais je peux pas m'en éloigner. »
« Mais t'as enfin compris que tu pouvais pas continuer ce que tu faisais. »
Bill soupira, tirant longuement sur sa cigarette avant de se décider à répondre. Et puis c'était quoi, la solution ? Il avait la désagréable impression de ne pas en trouver et ça n'allait pas aider.
« Je peux essayer d'être entre les deux. Je dois le rassurer mais pas trop, franchement, ça va servir à quoi de faire les choses à moitié ?! »
« Tu peux faire les choses bien, tu dois juste essayer de faire la part des choses, garder un avis extérieur, tu comprends ? »
« Oui, je l'ai appris ! » ; se défendit le blond. « Mais un cours est différent d'une personne, parfois ça marche et parfois je peux pas juste rester indifférent. »
Gabriel appuya son coude contre le mur, tourné vers le médecin qu'il fixait avec compréhension. Certaines personnes n'avaient aucun mal à être si détachées, mais ce n'était pas leur cas, loin de là même.
Leurs deux bipeurs sonnèrent soudainement, coupant définitivement court à la conversation. Bill lâcha sa cigarette pour se précipiter vers la porte et celle-ci s'ouvrit avant même qu'il ne puisse le faire lui-même. Ana les brusqua, affolée.
« Tom est inconscient par terre, son pouls est très bas. »
Bill et Gabriel la suivirent. Les escaliers furent montés quatre à quatre, les couloirs passés en courant et ils foncèrent vers cette chambre bien connue. 248. À l'intérieur, un autre infirmier était agenouillé aux côtés du corps inerte du dreadé. Il leva vivement la tête en les entendant arriver et Bill fut le premier à s'avancer. Il vérifia son pouls, son souffle.
« Allez chercher un masque. » ; ordonna-t-il rapidement. Il s'agita sous les yeux inquiets des autres, faisant signe à Gabriel d'approcher pour l'aider.
« Qu'est-ce qui se passe ? »
« Son corps lâche. » ; l'annonce claqua dans l'air, rude, douloureuse. Gabriel eut une seconde d'affolement avant de se décider à bouger. « On va le recoucher. Aide-moi. » ; l'infirmier l'aida à porter le corps léger mais rendu lourd par l'inconscience. Ils le couchèrent prudemment dans le lit et Bill lui mit d'abord le masque qu'on avait apporté pour l'aider à respirer. « Je vais lui poser une sonde, on a pas le choix. »
« Il va se réveiller ? » ; ils tentèrent de le placer correctement, faisant glisser ses mains le long de son corps avant de le couvrir.
« Il a intérêt. On va l'aider un peu et il devrait se réveiller bientôt, mais ça n'écarte pas les possibilités de complications. Il a besoin de force. »
Ana approcha et Bill en profita pour aller chercher lui-même ce dont il avait besoin. À présent, ça devenait très urgent de le remettre sur pied. Il se dépêcha, se sentant à la fois impuissant et coupable. Tom n'avait plus fait aucun effort depuis qu'il avait cessé de vouloir le pousser, lui parler ou même lui rendre visite. Il le faisait toujours, bien sûr, mais moins souvent, moins longtemps et sans insister. Si Tom ne réagissait pas alors il faisait ce qu'il avait à faire pour le garder en vie et revenait juste le lendemain, sans jamais avancer.
Il revint très vite au chevet du dreadé, contournant le lit pour pouvoir accrocher la poche alimentaire sur le pied. Il dut évidemment pousser la couverture et eut une seconde d'hésitation en s'apercevant de la maigreur affolante de ses épaules et de ses bras. Il devait avoir si peu d'énergie que ça ne l'étonnait pas qu'il ait perdu connaissance.
« Il va falloir qu'on le surveille, que quelqu'un passe toutes les demi-heures jusqu'à ce qu'il se réveille. »
« Et ensuite ? »
« On avisera. Je vais lui parler. » ; Ana et Gabriel se regardèrent discrètement pendant que l'androgyne s'occupait de le faire bouger en délicatesse, en PLS, afin de lui poser la sonde. « S'il ne veut toujours faire aucun effort... je le forcerais, je le pousserais, tant pis s'il me déteste et si on doit le surveiller h24. On va quand même pas le laisser mourir comme ça ! » ; s'exclama-t-il avec une pointe de colère. Il leva les yeux et les deux autres acquiescèrent, tous aussi inquiets.
« On va le sortir de là. » ; confirma Gabriel. « Il peut réagir. Tu le fais réagir. Ça marchera. » ; ajouta-t-il, ne sachant s'ils essayaient tous de se rassurer ou de se convaincre pour se motiver à pousser les choses. « Bon, on te laisse. On va s'organiser pour se relayer. »
Bill acquiesça distraitement et les laissa s'en aller. Tout en réfléchissant, il vérifia la température du dreadé. Contrairement à d'habitude, elle n'était pas si haute. En fait, il avait froid. Sa peau était tiède, mais ses mains glacées. Bill tenta de le couvrir comme il fallait, comme si ça allait aider. Tant qu'il était inconscient, il était obligé de le laisser dans cette position.Cette situation n'était pas censée durer mais il ne pouvait s'empêcher de penser que ça pouvait arriver. Cette sonde était censée l'aider à retrouver la forme grâce au petit cocktail de vitamines, protéines, lipides et toutes ces autres choses dont il avait besoin. Techniquement, elle aidait aussi à digérer et réhabituer l'estomac à travailler, mais il faudrait pour ça, que Tom se décide à manger, même ne serait-ce que de petites quantités au début.
Une fois fini, il soupira et se laissa glisser sur le fauteuil. Les joues creuses et la peau translucide, Tom était pire encore que dans ses souvenirs. En s'efforçant de fermer les yeux et de ne pas s'attarder, il n'avait rien vu. Ses mains cherchèrent toutes seules celle de Tom, froide, il enroula les siennes autour comme pour la réchauffer un peu et baissa les yeux vers son visage épuisé. Il aimerait pouvoir lui demander de ne pas abandonner mais Tom n'avait rien. Rien qui puisse lui donner envie de se battre, de manger ou même de sortir. Et ça, même avec la meilleure volonté du monde, Bill ne pouvait pas le faire pour lui.
« Bats-toi, Tom, s'il te plaît. » ; souffla-t-il machinalement. Il ne voyait pas pourquoi il le ferait, mais il espérait tout de même un tout petit peu. C'était vrai que penser à s'en sortir quand vous n'avez plus ni famille ni entourage, ça tenait du miracle. Il était seul depuis tellement longtemps alors comment pouvait-il bien trouver la force de se battre ? Pour qui ? Pour quoi ? Sortir d'ici et devoir faire face à la dure réalité ? À sa solitude ? À qui ça donnerait envie ?
De nouveaux cris dans les couloirs le tirèrent violemment de ses réflexions. Il recouvrit correctement le dreadé et s'éloigna enfin pour aller voir ce qui se passait. Marta et un autre infirmier traînaient fermement Jazzy qui se débattait violemment tout en hurlant. Bill plissa les yeux, sans comprendre. La jeune fille tenta de se laisser tomber pour freiner leur progression mais son corps d'enfant ne pesant pas grand chose, elle ne réussit qu'à faire rugir Marta. Celle-ci s'arrêta pour la relever, la secouant à moitié.
« Ça suffit, j'ai dit en isolement ! Te comporter comme un bébé n'y changera rien ! »
Bill ouvrit de grands yeux et se précipita aussitôt vers la scène.
« Non mais qu'est-ce qui vous prend ?! » ; s'exclama-t-il rapidement.
« Elle va en isolement. »
« Vous ne pouvez pas l'emmener ! » ; Marta lui lança un regard sombre, comme à peu près chaque fois qu'ils se croisaient.
« Elle nous a menacés. » ; l'androgyne les interrogea du regard, plutôt surpris. « Elle nous a subtilisé la seringue et nous a menacés ! »
« Parce que vous ne deviez pas la toucher ? »
« C'est pas parce que vous laissez tout passer que ça doit se passer comme ça. Elle comprendra qu'elle doit respecter certaines règles ici. »
« Quelles règles ?! » ; s'exclama le blond assez fort. « Vous les respectez vous, les règles ? Et leurs règles à eux ? Vous n'avez pas le droit de toucher quelqu'un qui refuse, et l'envoyer en isolement avec ses propres démons est une très mauvaise idée ! » ; beaucoup de personnes s'arrêtèrent autour d'eux en entendant le ton monter. « Maintenant lâchez-la. »
L'infirmier la lâcha aussitôt, mais pas Marta. Jazzy parvint tout de même à s'échapper et Bill lui fit signe de venir derrière lui.
« Nous avons parfaitement le droit de l'envoyer en isolement ! »
« Écoutez, je ne sais pas qui vous a appris à réagir comme ça, mais vous allez devoir arrêter ça. Et à partir de maintenant, personne ne va en isolement sans mon accord, compris ? » ; Marta gronda en réponse et l'autre homme hocha docilement la tête. « Bien. »
Il leur fit signe de circuler, autant pour eux que pour tous ceux qui s'étaient arrêtés. Il se tourna ensuite vers Jazzy, toute tremblante, et pencha la tête dans l'espoir de croiser son regard.
« Ça va ? » ; elle acquiesça sans visiblement vouloir parler. « Ok, je vais te ramener. » ; l'informa-t-il ensuite. Il prit le sens inverse du couloir en vérifiant qu'elle suivait bien et la conduisit jusqu'à sa chambre, sans chercher à la brusquer avec ses questions. L'isolement était une pièce froide et sombre avec un lit fixé au sol, une table de chevet tout aussi fixée et des toilettes et avec pour seule compagnie votre solitude. Rien d'autre. C'était la meilleure façon de les faire sombrer un peu plus, de les rendre "fous". Se retrouver seul avec ses démons pour une durée indéterminée était un véritable calvaire et il n'était pas question qu'il laisse une gamine endurer ça.
**
Trois cent vingt, trois cent vingt et un, trois cent vingt-deux, ah ! Un mouvement. Bill arracha son regard aux petits carreaux du sol qu'il s'était mis à compter et accorda toute son attention à Léon. Celui-ci papillonnait des yeux, se réveillant.
Depuis qu'il avait eu ordre de se reposer, Léon tapait régulièrement un scandale à qui voulait bien l'entendre à propos d'emprisonnement forcé, que Bill tentait pourtant de limiter en le faisant sortir sans qu'il ne soit obligé de marcher ou de se débrouiller seul. En sachant que le vieil homme fatiguait très vite et qu'il ne pouvait plus tout faire sans aide, le médecin ne voulait prendre aucun risque. Léon pouvait bien râler autant qu'il le voulait, ils continueraient de se relayer pour l'aider ou le suivre jusqu'au parc lorsqu'il voulait prendre l'air.
« Hey, comment vous vous sentez ? » ; lui demanda-t-il une fois qu'il eut ouvert les yeux en grand. Léon se redressa un peu contre ses oreillers, se frottant lentement les yeux d'un geste paresseux.
« Mh, vieux et lourd. »
Bill lui tendit un verre d'eau, puis lui indiqua son déjeuner. Il ne pouvait rien faire. La bonne volonté ou quoique ce soit d'autre n'y changerait rien. Il pouvait seulement l'aider un peu à finir ses jours en douceur, et encore.
« Quelqu'un va venir pour vous aider avec votre toilette. Essayez de bien manger d'accord ? Je repasserais. » ; Léon acquiesça. Bill fit avancer la tablette avec son plateau devant lui.
Il restait ici à attendre pendant qu'il dormait, mais quand il se réveillait, Bill s'enfuyait quasiment à chaque fois. En fait, l'entendre tout en sachant qu'il allait mourir était dur à digérer. Quand Léon dormait, il se sentait envahi par le silence juste perturbé par sa respiration, et par une espèce de brouillard anesthésiant, le plongeant alors dans une semi-conscience qui rendait ses pensées plus supportables. C'était carrément improbable et idiot, mais c'était comme ça. Bill avait commencé à fuir son réveil lorsqu'il avait décidé de s'éloigner de tout le monde, et puis cette appréhension avait persisté. Plutôt bizarre à ressentir.
Une fois dans le couloir, il se sentit moins oppressé. Un peu. Avec ce boulot, il découvrit que se battre pour les autres était éprouvant. Pas physiquement, il se fichait de ça, mais moralement c'était différent. Comment faisait tout le personnel au quotidien ? L'habitude ? Le temps ? Ou y avait-il un secret ?
« Aaaah, Bill, t'es incroyable tu sais. » ; l'androgyne tourna de grands yeux confus vers Gabriel. « Un coup je te trouve en train de hurler sur la vilaine Marta et la fois d'après tu es en train de t'inquiéter de ce qui va se passer. T'as une sacrée personnalité, je sais pas si je trouve ça drôle ou improbable. »
« C'est pas drôle ! » ; amusé, Gabriel tournait malicieusement autour de lui.
« C'est trop mignon. » ; Bill leva les yeux au ciel. « Tu as vraiment du mal avec ça. Les médecins se croient toujours supérieurs, même les jeunes, et toi tu agis plutôt comme une maman ours. J'ai jamais vu ça. »
« Je suis pas une maman ours ! »
Enfin, Gabriel s'arrêta. Il lui adressa un petit sourire, se voulant rassurant.
« Tu sais, même si tu te prends la tête, moi je pense que t'es génial. C'est la façon dont on devrait les traiter, avec respect, gentillesse, douceur... toutes ces choses, tu vois ? Tu as beaucoup de chaleur humaine et tu devrais emmerder toute personne qui te le reproche. » ; le conseilla-t-il. « Quoique tu fasses, tu dois te souvenir que tu ne peux pas tous les sauver. Parfois, malgré toute la gentillesse du monde, tu ne pourras pas sortir cette personne de la prison dans laquelle elle est enfermée, tu ne pourras pas l'empêcher de sombrer et ce sera pas ta faute. »
Et pourquoi ? Pourquoi ne pouvait-on pas sauver tout le monde ? Bill le suivit du regard, conscient qu'il avait totalement raison et que c'était lui qui se prenait la tête comme le petit naïf qu'il était. Il n'allait pas sauver le monde, il devait vraiment se mettre cette idée dans la tête.
« Bill ! » ; des pas rapides, des enfants qui courent, des voix qui résonnent. Gabriel et lui se tournèrent vers Léo et un autre petit garçon tout blond qui couraient vers eux. « Tu dois aller crier ! »
« Quoi ? » ; ils s'arrêtèrent près d'eux et Léo tira sur la manche de sa blouse pour l'inciter à se baisser. Bill s'exécuta sans trop avoir le choix.
« Marina a volé nos bonbons ! Tu dois aller lui reprendre ! »
« C'est qui Marina ? »
« C'est la gamine qui est quasiment aussi grande que nous. » ; l'informa Gabriel. Bill haussa les sourcils, se remémorant cette fille qui, effectivement était très grande pour son âge.
« Donc... elle a volé vos bonbons ? » ; Léo et le petit blond hochèrent simultanément la tête.
« Qu'est-ce qui s'est passé ? »
« Elle nous les a arrachés des mains. » ; l'autre enfant confirma encore. Bill jeta un coup d'oeil vers Gabriel qui haussa une épaule.
« Tu veux que je m'en charge ? » ; lui demanda celui-ci. Bill hocha la tête. Il avait des choses à faire.
« Mais sois gentil ok ? »
« Oui chef ! » ; se moqua l'infirmier en lui tapant dans l'épaule. Il emmena les petits avec lui sans rien ajouter d'autre. Bill se douta qu'il essayait de l'aider à décrocher de Léo ou de son rôle d'ours protecteur, autant pour lui que pour l'enfant.
**
Quelques heures plus tard, Bill se décida à aller voir si Tom avait ouvert les yeux. Il ne savait pas comment mais il comptait bien faire bouger quelque chose en entrant dans cette maudite chambre.
Lorsqu'il y entra, il ne vit pas tout de suite s'il était réveillé ou non puisque le dreadé était couché dos à la porte. Il avança, contourna le lit et baissa les yeux vers son visage toujours aussi pâle. Les yeux grands ouverts et comme à son habitude roulé en boule, il fixait le goutte-à-goutte de la poche qui lui servait de sonde alimentaire et qu'il avait visiblement appréhendé. Bill ne savait pas si ça lui faisait peur ou si, au contraire, il s'en fichait d'en arriver là. Il se baissa alors de façon à ce que son visage arrive à hauteur du sien, se retrouvant accroupi et posant son bras contre le matelas.
« Tu vas te battre, Tom. » ; souffla-t-il doucement. « Tu vas arrêter ces conneries et sortir de là. » ; il baissa les yeux vers ses propres doigts qui trituraient le drap. « T'as intérêt de le faire, parce que je veux bien me battre pour toi, mais tout seul j'y arriverais pas. »
Il se concentra sur la couleur terne et définitivement déprimante du tissu, se demandant qui ne déprimerait pas dans un tel endroit de toute façon. C'était trop froid, et sombre la plupart du temps. Pour le rez-de-chaussée, ça allait, mais pour chaque étage, ne jamais pouvoir ouvrir complètement obligeait l'endroit à garder cette espèce d'atmosphère de prison. Certaines chambres avaient vu sur le petit parc, mais d'autres ne pouvaient rien voir à cause de vieilles fenêtres aux petits carreaux sombres, usés et austères. Comment avoir envie de se motiver avec une telle ambiance ?
« Je suis vraiment désolé si tu t'es senti abandonné. » ; bredouilla-t-il soudainement. Et c'était vrai. Avec Tom tout comme avec les autres, il avait abandonné l'idée de se battre plus que de raison. « Je sais que je t'avais dit que je le ferais pas, j'ai déconné. »
En levant à nouveau les yeux, il s'aperçut que Tom le regardait. Sa tête n'avait pas bougé de l'oreiller mais c'était bien sur lui que son regard était posé à présent. Comme souvent, Bill se sentit bizarrement plus petit. Il avait beau être leur médecin et devoir décider pour eux, face à certains d'entre eux, il se sentait comme s'il n'était rien. Il était juste un humain, comme eux, comme tout le monde, et Bill était vraiment du genre à se laisser ronger par leur propre douleur.
« Aide-moi à te sortir de là. » ; demanda-t-il sans mesurer la portée de ses paroles. Il ne se demanda pas à quoi ça pouvait bien servir de lui parler comme s'il allait réellement l'écouter. C'était ce qu'il voulait dire, alors si Tom l'écoutait, tant mieux, sinon, il ne serait pas surpris. Le dreadé n'eut pas l'air d'y réagir. Il était seulement là, immobile, faible. « Tom... » ; appela-t-il à voix basse. Ses doigts bougèrent pour aller effleurer les siens, crispés contre sa couverture. Il hésita un peu, refusant de lui forcer la main, mais après tout il savait parfaitement se manifester quand il ne voulait pas de quelque chose. Au début, Tom ne fit rien, le laissant seulement longer ses articulations, redessiner ses os trop apparents, l'effleurer plus que le toucher. Lentement, il s'accommoda au contact et ses doigts bougèrent, comme la première fois. Bill attendit, bougeant à peine pour le laisser s'y habituer. Le but, c'était qu'il s'ouvre, même un minimum, même si ça ne devait commencer que par ça. Tom avait tellement rejeté le contact la première fois et avec quasiment tout le monde que ce tout petit toucher était un grand pas. « Tu sais, tes dreads sont dingues. » ; souffla-t-il distraitement. « On devrait les soigner un peu et elles seraient magnifiques. » ; bien sûr, Tom n'eut aucune réaction mais ça ne devait pas l'empêcher de cogiter. « T'as dû les faire très jeune pour qu'elles soient si longues. »
Le dreadé le regardait seulement, simplement, il laissait Bill le toucher plus qu'il ne répondait au contact, mais c'était ce qui semblait lui convenir.
« Je pourrais apporter de quoi les soigner, mais tu devras soit me laisser faire, soit le faire devant moi, je ne pourrais pas te le laisser. »
Bill se demandait sérieusement comment on pouvait se sentir après avoir été enfermé pendant si longtemps. Sans espoir ? Las ? Résigné ? C'était ce qui lui venait à l'esprit et l'attitude de Tom lui confirmait. Il avait grandi ici, entre quatre murs dont il n'était pratiquement jamais sorti. Comment pouvait-il voir cet endroit autrement que comme une prison ?
« Tu voudrais le faire ? » ; demanda-t-il inutilement. « Je sais que tu te fiches de ce que je dis, que ça va pas t'aider, mais je ne peux rien faire tant que je ne sais rien. Je peux juste essayer de soigner ton corps et de te traiter autrement, parce que même si tu refuses de parler, personne ne peut t'obliger à rester enfermé ici tant que tu es autonome. » ; lui expliqua-t-il calmement. « Et moi, je suis sûr que tu peux l'être. Tu sais t'occuper de toi-même tout seul alors pourquoi pas ? » ; Tom ne répondit jamais mais ses doigts bougèrent faiblement, effleurant sa paume de main, confirmant qu'il entendait tout ce qu'il disait. « Tu crois que tu pourrais ? » ; demanda à nouveau le blond. Cette fois, rien. Aucun mouvement. Aucun signe. Bill pencha doucement la tête, détaillant ses traits creusés, un mélange de sa couleur de peau blanche avec les ombres prononcées sous ses yeux et à chaque creux, comme ses joues, sa mâchoire saillante. « J'ai l'impression de t'avoir enfoncé plus qu'autre chose. T'étais pas aussi faible avant. »
Tout en parlant, il se redressa, les jambes un peu engourdies d'avoir été accroupi pendant si longtemps. Il dut abandonner ses doigts pour contourner le lit et alla tirer la tablette avec ce qu'il y avait déposé.
« La sonde devrait réhabituer ton estomac à fonctionner lentement. Tu auras tous les apports dont tu as besoin, mais comme c'est pas de la vraie nourriture, il est préférable que tu manges un peu. Je sais que tu ne veux pas et j'ignore pourquoi mais je n'arrêterais jamais d'essayer. » ; Tom ne se retourna pas pour le voir, mais le blond savait qu'il entendait, au moins. « Je t'ai apporté du sucré, mais ce soir tu auras un vrai repas, enfin en petite quantité. » ; dans le plateau, jus d'orange, pomme, et une petite part de gâteau. « Quand tu auras recommencé à manger un peu et que je serais sûr que c'est un minimum suffisant, je pourrais te retirer la sonde. » ; Bill savait parfaitement qu'il venait de détruire le petit contact qu'ils avaient établi, mais c'était urgent, ça l'était depuis déjà un moment et il ne voulait pas atteindre le point de non-retour. « Je viendrais vérifier tous les jours s'il le faut et si tu refuses, tu n'es pas prêt de la retirer. »
Bill se tourna vers lui après un moment, rempli d'espoir. Il voulait tellement que ça marche. Pas pour lui, mais pour que Tom aille enfin mieux. Il était certain que c'était douloureux et éprouvant, alors pourquoi préférait-il s'enfoncer dans cette douleur plutôt que lui échapper ?
« Tom, tourne-toi... » ; appela-t-il, voulant l'inciter à réagir. Il y eut de longues secondes de silence, mais finalement, son patient bougea pour rouler sur le dos et se hisser de son côté. Bill masqua son étonnement en lui indiquant le plateau. « Bien. Tu n'es pas obligé de tout manger, je veux seulement que tu avales quelque chose. Essaie au moins, d'accord ? » ; il s'approcha du lit pour lui parler. « Même juste un quartier de pomme, tu le manges, tu le gardes, et ce sera bien. »
Pour le coup, Tom ne le regardait pas. Tout ce qu'il disait n'avait pas l'air de l'intéresser. Bill suivit la direction de ses yeux et remarqua qu'il était fixé sur un carré de la lumière du soleil filtrant de la fenêtre entrouverte. Il n'y avait pas grand chose mais ça semblait l'attirer. Était-ce la chaleur ou la lumière qui l'attirait ? Peut-être les deux ? Il était toujours si froid que la chaleur devait obligatoirement l'attirer.
Coupant court à toute question ou réflexion, la porte s'ouvrit brusquement et Bill eut tout le loisir de voir le dreadé sursauter violemment, puis de se recroqueviller un peu plus comme si on ne pourrait plus le voir. Il fronça les sourcils, mais tourna la tête vers la personne qui l'appelait.
« Désolé, Bill, faut qu'on parle. Maintenant. »
Le sérieux de Gabriel l'intrigua, il jeta alors un dernier coup d'oeil à son patient avant de se décider à le laisser. Des limites ! Où étaient ses limites ? Il n'avait pas besoin de se justifier ou de le materner.
Il suivit l'infirmier dans le couloir, haussant les sourcils face à l'expression qu'il affichait.
« Qu'est-ce qui se passe ? »
« Allons dans ton bureau. J'veux pas que ça atterrisse dans des oreilles indiscrètes. » ; curieux, l'androgyne le suivit alors jusqu'au bureau, ouvrant et le laissant entrer rapidement. Visiblement, c'était sérieux. Il ravala le -alors ?- qui lui brûlait la langue et l'interrogea seulement du regard une fois la porte refermée. «Bien. Tu te souviens quand je t'ai dit que Tom avait peut-être peur de Marta ? »
« Oui ? » ; Gabriel commença à s'agiter et faire les cent pas devant lui. « J'ai découvert qu'il n'était pas le seul. J'veux dire... elle est radicale, donc tout le monde la craint un minimum, mais là c'est plus que ça. »
« Alors qu'est-ce que c'est ?! »
« Léo, tu te souviens que tu as cru que sa mère l'avait giflé ? » ; les yeux du blond s'arrondirent au fur et à mesure.
« Oui ?! »
« Et bah c'était pas sa mère. » ; Bill secoua lentement la tête, comprenant sans vouloir l'entendre. « C'était Marta. »
« ... quoi ? » ; Gabriel s'arrêta pour se planter devant lui. Bill avait pâli, sous le choc et en même temps inquiet.
« T'avais raison quand tu m'as dit qu'il y avait une explication. Ils pouvaient pas avoir peur pour rien. Pourquoi crois-tu que Tom réagit toujours violemment avec elle ? C'est évident ! »
« Mais comment... tu crois qu'elle les bat ? »
« J'en sais rien. Léo a craché le morceau parce que je lui ai dit que Marta allait venir pour prendre ses draps sales. J'ai cru qu'il allait se mettre à hurler ! » ; le médecin fronça le nez, baissant les yeux au sol tout en y réfléchissant.
« Pourquoi il m'a rien dit quand je lui ai demandé ? »
« Alors là... » ; Bill soupira, mais décida de mettre cette pointe d'incertitude de côté pour se concentrer sur la situation.
« Ok, bon... On va devoir le signaler. » ; son ami hocha la tête en réponse. « Tu crois pas qu'on devrait essayer de trouver d'autres preuves ? Je doute que la parole de Léo suffise. C'est un gamin, elle va dire qu'il raconte des histoires et évidemment c'est elle que la direction croira. »
« Elle est déjà trop brutale devant nous, tout le monde pourra le dire. »
« Ouais, c'est vrai. Tu l'as pas vu essayer de traîner Jazzy en isolement ?! » ; s'exclama le blond à ce souvenir.
« Non mais je sais que tu l'as remise à sa place. Léon me l'a raconté, il était trop fier de toi. » ; Bill dut se mordre l'intérieur des joues pour ne pas rire. Faible ou pas, Léon restait une vraie fouine. « Bon, je vais essayer d'interroger d'autres personnes, on en reparle ce soir ? »
« En espérant qu'elle n'en fasse pas plus, oui... » ; Gabriel pressa une main contre son épaule.
« On va régler ça ! » ; lui affirma-t-il pour l'encourager. Bill acquiesça, puis ils ressortirent tous les deux vaquer à leurs occupations et accessoirement aller à la pêche aux infos.
**
Entre deux, une urgence arriva. Un homme en pleine crise psychotique fut amené par les pompiers, hurlant, se débattant. Il avait foutu un tel bordel dans les couloirs que tous les autres étaient allé se cacher dans leur chambre. Violent, l'homme avait manqué de frapper sur les pompiers avant même d'arriver, ils avaient dû le traîner jusqu'ici tellement il s'était débattu en entrant dans l'hôpital et Bill se demandait sérieusement comment ça allait se passer. Surtout que personne ne semblait savoir pourquoi il faisait une telle crise et il n'y avait aucun dossier.
Au final, l'homme avait dû être endormi et attaché. Bien que Bill détestait ces méthodes, il n'avait pas eu le choix étant donné les menaces qu'il avait proférées contre eux. Il avait pratiquement cassé le bras de Gabriel en le lui tordant, alors l'androgyne n'avait pas hésité.
Des prises de sang avaient été faites, mais Bill allait devoir lui parler et faire d'autres examens pour diagnostiquer quelque chose.
Avant toute cette agitation, il avait eu le temps de parler à Jazzy et d'obtenir quelques informations. Marta était plutôt brutale et la méprisait, selon elle. Elle l'avait carrément éjecté de son lit en voulant l'emmener en isolement et Bill ne comprenait toujours pas pourquoi. Jazzy faisait de sacrées crises, certes, mais jusque là, Bill avait toujours réussi à la calmer sans trop de dommages. Heureusement, malgré sa violence, elle ne l'avait jamais réellement frappé. Il ignorait pourquoi personne n'avait parlé avant ça mais ça l'inquiétait sérieusement. Après tout, Jazzy n'était pas là depuis très longtemps, contrairement à beaucoup d'autres.
Angoissé, Bill était seulement descendu fumer pour sa pause. Pas le temps pour autre chose. Juste prendre l'air et se détruire les poumons. Et cogiter, encore et encore. Il n'avait pas d'autre choix que dénoncer Marta, il ne savait pas comment ça avait pu lui échapper depuis tout ce temps. Bien sûr, elle était dure, mais c'était tout ce qu'il avait imaginé. Il n'aurait jamais imaginé cette violence.
Pendant qu'il jurait mentalement contre lui-même, ses dents tirèrent sur ses lèvres gercées et il eut rapidement le petit pic de douleur accompagné du goût du sang sur sa langue alors qu'il en arrachait un tout petit bout de peau. La douleur se transforma en un picotement familier qui, étrangement, lui plaisait. Maso ? Non. Juste nerveux au quotidien. Dix fois trop. Si son sourire cachait bien les apparences, il en était autrement quand on s'intéressait de plus près à ce qu'il était. Ici, Gabriel était le seul, avec Ana, peut-être, à avoir compris ça.
Ses pensées s'évaporèrent lorsqu'il remonta. L'heure du repas du soir. Bill prit soin de vérifier le repas de ceux qui ne mangeaient pas au self et croisa alors Ana qui se chargeait de faire la distribution.
Pour la majorité, c'était soupe et salade. En tout cas, pour ceux qui avaient besoin de quelque chose de léger. Pour les autres, il y avait d'autres choses. Poisson, riz et légumes pour ce soir.
« Comment ça se passe ? » ; demanda-t-il à l'infirmière. Ana fit glisser deux plateaux vides sur le chariot avant de lever les yeux vers lui.
« Bien. Léo et Julia sont descendus au self comme tu leur as dit, Jazzy a refusé mais elle mange ! Oh, et Tom a mangé pour le goûter. »
« Vraiment ? » ; Ana acquiesça mais fronça le nez.
« Ouais, enfin.. Ça doit être l'équivalent d'un quart de pomme. »
Bill haussa les sourcils. Et bien, le moins qu'on puisse dire c'est qu'il l'avait écouté.
« Il abuse carrément... » ; soupira-t-il. « J'espère qu'il va au moins manger un peu de soupe. »
« Je repasserais le voir après de toute façon. » ; Bill acquiesça et la jeune femme continua de lui parler tout en avançant avec le chariot. « Alors, t'as trouvé quelque chose à propos de Marta ? » ; lui demanda-t-elle d'une voix plus basse.
« Bof, j'ai l'impression que personne veut parler. Jazzy a dit qu'elle était brusque, Julia aussi, mais pas vraiment de coups, tu vois ? Peut-être qu'elle a juste dérapé avec Léo ? »
Ana s'arrêta devant une autre chambre et jeta un regard vers lui.
« Honnêtement ? T'y crois toi ? » ; le médecin fit la grimace, Ana se rapprocha de lui avec un plateau dans les mains. « Tout le monde la craint, Tom part en crise quand elle est là. Je crois pas que ce soit juste sa façon d'être un peu brutale. »
« Mais qu'est-ce qu'elle aurait pu leur faire et sans que personne le sache ? » ; ils se regardèrent durant de longues secondes, puis Bill fut celui qui eut une illumination. « Et si c'était juste au cas par cas ?! Regarde Tom, il a jamais parlé, c'est évident qu'il ne parlera pas alors c'est facile ! »
« Et elle estime trop mal Léo pour croire qu'il aurait trop peur de parler. » ; ajouta l'infirmière en lui confirmant indirectement ce qu'il pensait. Chacun se sentit à la fois choqué et angoissé. Et si c'était vrai ? Si elle profitait de la faiblesse et du mutisme des patients pour les choisir et agir comme bon lui semblait ? Bill secoua vivement la tête avec la désagréable impression que cette histoire sortait tout droit d'un mauvais film.
« Non mais tu crois vraiment que c'est possible ? »
« Bien sûr, ça existe. Pourquoi ce serait pas le cas ? Parce que c'est ici ? Tu sais aussi bien que moi qu'elle peut pas rester ici, rien que pour avoir frappé Léo. » ; Bill soupira faiblement, anxieux.
« Ouais, t'as raison. »
« Je sais que t'as un trop grand coeur mais cette femme est... elle n'a pas d'excuse, Bill. »
L'androgyne hocha la tête. Ne pas essayer de lui trouver quelque chose de bon ! Il se motiva, se remettant l'image de Léo en tête, pleurant et refusant de parler. Pourquoi n'y avait-il pas pensé avant ? Il laissa Ana finir sa tournée et partit à la recherche de Gabriel afin d'aller signaler cette histoire.
**
En dehors de toute cette agitation, Bill autorisa Sacha à retourner passer une nuit chez lui ce week-end-là, pensant qu'il y serait bien mieux qu'au milieu de tout ce bordel.
L'air était électrique ici, les rumeurs couraient, toutes plus folles les unes que les autres, et alors, Marta avait été convoquée.
Pour autant, personne n'était choqué par la nouvelle, et ça, par contre, ça le choquait lui. Ce genre d'événement devrait être accueilli d'une autre manière, pas celle d'un soulagement, d'un -je le savais- sans que personne n'en ait jamais parlé pour autant.
Quelques-uns en avaient profité pour tout balancer maintenant. À priori, il avait plus ou moins raison. Marta était rude, méprisante et brutale avec tout le monde, mais les seuls à subir ses excès de violence étaient ceux qui ne parleraient pas. C'était clair, tout le monde savait, tout le monde avait vu ou entendu quelque chose, mais personne n'avait osé balancer ce qui se passait. Par peur des représailles ? Aucun ne lui avait répondu. Et pourquoi aucun membre du personnel n'était au courant ? Pourquoi aucun n'avait vu quelque chose depuis tout ce temps ?
À présent, c'était à la direction de mener l'enquête et d'essayer d'interroger tout le monde. Bill espérait quand même que ce soit vite terminé. Une telle chose ne devrait jamais arriver. Jamais.
**
La semaine suivante, Marta fut suspendue mais l'enquête continua. L'agitation habituelle s'intensifia. Les questions venant directement de la direction angoissèrent la plupart des patients et Bill dut en rassurer plus d'un sans pour autant savoir comment ça allait se dérouler.
Pendant qu'il surveillait les couloirs, vérifiant que tout se passait bien, il croisa Léo, revenant visiblement de dehors étant donné la veste qu'il portait. Bill plissa les yeux en remarquant qu'elle ressortait bien plus grosse que ce qu'il n'était.
« Qu'est-ce que tu caches là-dessous ? »
Les yeux grands ouverts, Léo se stoppa net, tenant fermement ce qu'il gardait caché sous sa veste.
« Rien ? »
« Léo... » ; l'enfant fronça le nez et lui fit signe de le suivre jusqu'à sa chambre. Bill s'exécuta alors, curieux. Léo prit soin de refermer la porte derrière eux avant de se décider à lui montrer. Il avança jusqu'au lit, descendit la fermeture de sa veste et l'androgyne écarquilla les yeux lorsqu'il vit un petit chaton blanc en sortir la tête. Léo le déposa sur son lit avec une délicatesse inconnue et l'animal s'y accommoda aussitôt, se laissant tomber sur le dos pour rouler et se frotter contre le tissu doux. « Mais d'où est-ce qu'il sort ?! » ; s'exclama-t-il sans contenir sa surprise.
« Je l'ai trouvé dans le parc. Il s'appelle Domino. » ; l'informa le gamin en lui indiquant le bout de sa queue noire, que Bill n'avait même pas remarqué.
« Mais... Léo, tu peux pas le garder ici ! » ; l'enfant fronça les sourcils.
« Il vient chercher à manger ici, je suis sûr qu'il a pas de famille ! On peut pas le laisser tout seul dehors !» ; se défendit-il avec une pointe de colère. Bill devait avouer qu'il était mignon et bien trop petit pour être abandonné à son propre sort. Léo avança une main pour lui chatouiller le ventre, faisant ronronner le minuscule félin. À première vue, il avait quelques mois, peut-être quatre. Bill se mordit l'intérieur des joues, mignon ou pas, il ne pouvait pas rester.
« Bon... je vais voir ce que je peux faire, mais tu ne pourras jamais le garder dans ta chambre. »
« Tu peux lui trouver quelque chose à manger ? »
« Oui. Veille à ce que personne ne le voit pour l'instant. » ; Léo lui fit un grand sourire, et Bill jura mentalement pour s'être laissé embobiner. Il sortit discrètement et décida de monter aussitôt voir sa directrice. Il savait parfaitement que ce chat ne serait jamais admis à l'intérieur, mais il pouvait négocier. Le garder dans le parc, le nourrir, lui trouver un abri. Ce serait peut-être aussi une bonne chose pour les patients, de l'avoir ici. La directrice allait à coup sûr râler après lui, mais quelle importance ?
**
Malgré sa réussite, un tour dans la chambre du dreadé lui remit les nerfs en pelote un peu plus tard. Un homme était là, à essayer de l'interroger. Bill avait déjà manqué de l'envoyer bouler plusieurs fois dans la journée et ne comptait pas se priver cette fois.
« Vous vous souvenez pas quand je vous ai dit ce matin d'y aller doucement ?! »
L'homme tourna vivement la tête vers lui, contrarié.
« J'ai besoin d'informations ! »
« Non mais vous l'avez vu ? » ; terrorisé, Tom était plaqué contre la tête de lit, jambes pliées et bras serrés autour. Il était clair qu'il essayait soit de se rouler en boule, soit de se fondre dans le décor. « Il ne dira rien, je pense que c'est assez flagrant. »
« C'est pas en se taisant qu'il va m'aider. »
« Bon dieu. » ; Bill fit descendre deux doigts le long de l'arête de son nez, agacé. « Il ne parle pas, et vous voyez pas que vous lui faites peur ? La douceur, vous connaissez ou pas ? »
Aussi surpris que furieux, l'homme s'approcha de lui pour venir planter son regard dans le sien.
« Vous savez que je peux aussi vous faire suspendre ? » ; Bill soutint le regard menaçant, se fichant pas mal de ce que pouvait bien penser cet homme.
« J'essaie de prendre soin de mes patients, c'est vous qui le terrorisez, alors allez-y, suspendez-moi. » ; l'homme gronda, puis plaqua quelques feuilles contre son torse.
« Je veux un rapport complet. Débrouillez-vous pour les faire parler et signer ces papiers. » ; lui ordonna-t-il d'une voix froide. Sans plus attendre, il s'éclipsa, surprenant le blond qui durant une seconde, avait bien cru se faire suspendre sur le champ. Il jeta un oeil aux papiers avant de s'intéresser à Tom qui n'avait pas bougé. Il avança alors prudemment, pliant et fourrant les feuilles dans la poche de sa blouse.
« Hey, c'est bon, détends-toi... » ; souffla-t-il doucement. « Il ne reviendra pas, et Marta non plus. »
Tom ne bougea pas. L'androgyne vint se poser juste au bord du lit et pencha lentement la tête, baissant la voix afin de ne pas le terroriser un peu plus.
« Tom... ? » ; appela-t-il, faisant glisser sa main dans son champ de vision étant donné que son regard était fixé sur les draps. Enfin, le dreadé eut l'air de prendre conscience de sa présence. Bill vit ses cils bouger, papillonner, avant qu'il ne se décide à lever les yeux. « Génial, calme-toi, tout va bien... »
Il tenta de le rassurer, de sourire. Tom regarda droit dans ses yeux et ses pieds nus glissèrent lentement sur le matelas alors que ses jambes se dépliaient. Bill tira la couverture pour la redéposer sur lui tout en lui laissant tout de même le temps de se décrisper un peu. Tom mit un petit bout de temps avant ça, restant le dos collé et tendu contre la tête de lit et les bras serrés contre son propre corps.
« Je n'vais pas essayer de te forcer à parler. » ; lui assura le médecin. « C'est pas grave, si tu ne veux pas parler, t'en as pas besoin. Je veux déjà que tu ailles bien. » ; expliqua-t-il doucement. « C'est ça le plus important. »
Le silence. Encore et toujours. Tom ne répondit que par le silence et son habituelle immobilité. C'était comme s'il avait peur de bouger, de vivre. Peur de respirer.
S'il y réfléchissait, il y avait forcément une raison. Peut-être l'avait-on privé de tout ça ? Peut-être était-ce d'avoir été enfermé ici pendant si longtemps à devoir se plier à ce qu'on lui imposait ?
« Ana m'a dit que tu avais mangé un peu. » ; Tom baissa à nouveau les yeux vers le lit, l'androgyne l'observa tirer la couverture jusqu'à son torse. « C'est bien ! Je sais que ça t'enchante pas, peut-être que ça te dégoûte et que tu penses que j'y comprends rien, mais le seul moyen de te faire sortir d'ici c'est d'abord de te soigner. J'ai pas d'autre solution, je ne peux pas te laisser comme ça parce que te laisser faire ce serait te laisser mourir. »
Ça avait l'air inutile, mais Bill avait vu assez de personnes refuser de manger et les prendre pour des espèces de charlatans qui n'y comprenaient rien. Donner des ordres n'aidait pas, rassurer et expliquer le faisait un peu plus. Il ne pouvait qu'espérer que ça marche un minimum.
« J'aimerais vraiment trouver ce qui te sortira de là. » ; sans le regarder, Tom fit bouger ses doigts, ses deux mains se rejoignant par dessus la couverture et s'entortillant l'une à l'autre dans un geste nerveux. L'androgyne contempla chaque mouvement, espérant y trouver là une quelconque solution. C'était difficile. Tout comme avec Jazzy, qui ne lui répondait que pour dire qu'elle voulait rentrer. C'était vraiment frustrant d'avoir l'impression de stagner, de ne rien savoir de plus. Comment pouvait-il bien faire bouger les choses ?
**
Faire sortir Léon de sa chambre était devenu un véritable défi. Grognon, délirant, il refusait la plupart du temps et quand il ne le reconnaissait pas, Bill ne pouvait rien faire. Le vieil homme parlait de plus en plus difficilement, oubliant les mots, le langage, oubliant de se connecter à la réalité. Lorsqu'il oubliait tout, c'était le plus terrible. Bill avait manqué de se manger une bonne droite un matin où c'était arrivé.
Réussir à le convaincre de sortir était alors une petite victoire. Il savait très bien que c'était temporaire, qu'il le rejetterait â nouveau ensuite et que, malheureusement, il finirait par ne plus être capable de lui dire s'il le voulait ou non. Ça le rendait triste d'y penser mais il arrivait bizarrement, et surtout pour le moment, à contrôler ça.
En chemin, ils croisèrent Léo et Julia s'occupant ensemble du chaton, Domino, qu'il avait étrangement réussi à faire accepter. Il avait dû plaider sa cause durant de longues minutes et la directrice avait fini par abdiquer en lui demandant de "sortir illico" avant qu'elle ne change d'avis.
Bill stoppa le fauteuil dans lequel il poussait Léon et les deux jeunes se tournèrent vers eux, souriants. Léo vint déposer l'animal sur les genoux du vieil homme et attrapa l'une de ses mains, dix fois plus grande que la sienne, afin de la déposer délicatement au milieu des poils doux. Bill observa curieusement leurs gestes, intrigué. Plus les jours passaient et plus Léon perdait ses capacités, une par une. Parfois, il n'arrivait pas à contrôler ses membres. Voir un enfant de cinq ans l'aider avec ça sans juger, poser de questions ou même avoir peur de cette soudaine paralysie était plutôt bizarre. Calmement, il lui montrait le mouvement et Léon se laissait faire, observant la main enfantine et minuscule guider ses gestes contre le chaton qui ronronnait au contact.
Bill et Julia se sourirent discrètement. Malgré la maladie, c'était un moment auquel ils étaient heureux d'assister. Ces petites complicités étaient belles à voir et importantes à ses yeux. Ça leur faisait du bien, il était sûr de ça. Enfermés ou malades ne voulait pas dire fous et asociaux, au contraire.
« Bon, je dois aller remplir la gamelle d'eau. » ; annonça soudain l'enfant. « Bill, t'avais dit que tu trouverais des jouets, t'en as trouvé ? »
Tout en observant le chaton frotter sa tête contre la main de Léon, le médecin acquiesça. Il se secoua pour sortir de ses pensées et faufila une main dans la poche de sa blouse pour en sortir deux petites balles en mousse. Léo poussa alors un petit cri, embarqua Julia avec lui et se mit à courir vers un carré de pelouse.
« Domino ! » ; appela-t-il d'une voix forte. Il lança l'une des balles qu'il lui avait subtilisée en un temps record et le chaton sauta rapidement des genoux de Léon pour courir après. Il l'attrapa très vite, fit un sacré roulé-boulé et se roula ensuite sur le dos, la balle coincée entre ses griffes. Léo éclata de rire, entraînant Julia avec lui dans sa joie. Bill sourit en les entendant rire de bon coeur. Ça changeait tellement de ce qu'ils étaient en temps normal.
« Je veux mourir. »
Le choc bloqua la réaction du médecin en premier lieu. Il fronça le nez, se demandant d'abord s'il avait bien entendu ou s'il avait rêvé. Après au moins une longue minute, il se décida à tourner la tête vers Léon, interrogateur.
« Pardon ? »
« Je veux mourir. » ; répéta le vieil homme de sa voix grave. Bill sentit quelque chose se retourner violemment à l'intérieur de lui. Visiblement, ce n'était ni un rêve ni une blague.
« Mais qu'est-ce que vous racontez ? »
« Vous m'avez vu ? Je suis plus bon à rien, je veux mourir. »
« Et pourquoi vous me dîtes ça ? » ; Léon jeta un coup d'oeil vers lui, l'air ennuyé.
« Vous êtes docteur, non ? Aidez-moi à mourir. »
« Je ne peux pas. »
« Vous refusez ? »
« J'ai pas le droit ! » ; s'exclama le blond. « Vous êtes dingue ou quoi ? Je n'peux pas vous tuer et d'abord même si je le pouvais, il n'en est pas question ! »
« Vous êtes une mauviette. » ; Bill croisa les bras, pas blessé pour un sou.
« Peut-être. Pensez ce que vous voulez. » ; Léon gronda de mécontentement. L'androgyne baissa le regard vers ses mains tremblantes, qu'il avait beaucoup de mal à diriger lui-même. Il soupira faiblement et se baissa, accroupi face à lui. « Écoutez, je sais que cette maladie est une connerie, que c'est dur et que ça vous rend dingue, mais vous ne pouvez pas juste... mourir. Pas maintenant. Vous ne pouvez pas baisser les bras. »
« Et pourquoi pas ? Je deviens un légume ! Je veux pas me retrouver comme ça. Seul, vieux et inutile. Je ne peux plus bouger, je pourrais bientôt plus parler... »
« Je sais... »
« Vous croyez que ça donne envie ?! »
« Non. »
« Je me débrouillerais tout seul si vous m'aidez pas. Je trouverais bien un con assez fou pour me tuer. »
« Alors vous vous en fichez d'abandonner tous ceux qui vous aiment ici ? » ; le vieil homme baissa enfin le regard vers lui.
« Si c'est pas maintenant, ce sera dans quelques semaines. Dîtes-moi ce que ça change ? » ; rien. Bill se mordit l'intérieur des joues, ne sachant pas quoi répondre. « Outre le fait que j'aurais tout le temps de souffrir et de végéter dans un lit sans même pouvoir parler ? »
« Vous n'y êtes pas encore ! » ; s'exclama doucement le blond, se sentant cette fois triste.
« Ah oui ? Et dans combien de temps je parle plus ? Vous voulez parier ? Je mise sur une semaine. » ; Bill souffla. L'impuissance était une sensation horrible. Il leva ses mains afin de les déposer sur les siennes, voulant profiter de cette journée de lucidité.
« Vous allez beaucoup me manquer, vous savez. »
Léon eut l'air très surpris. Il regarda Bill dans les yeux, laissant passer de longues secondes sans savoir quoi dire.
« J'aimerais vous dire la même chose mais je vous oublie une fois sur deux. » ; l'androgyne eut un sourire. Sourire triste, mais juste à l'intérieur. Léon n'y vit que du feu.
« C'est pas grave. » ; lui répondit-il finalement. « En tout cas, réfléchissez avant de décider de quoique ce soit. » ; il n'avait même pas le droit de dire ça. « Je vous laisse, il y a deux infirmières, appelez si vous voulez quelque chose, d'accord ? »
« Attendez ! » ; appela le vieil homme avant qu'il ne s'échappe. Bill revint vers lui, curieux. « Je sais des choses sur cette vieille bique de Marta, de toute façon je vais mourir et j'aimerais profiter de ce moment de lucidité pour parler. »
Surpris, Bill baissa de grands yeux vers lui. Ça l'ennuyait de penser que c'était la fin mais le sujet l'intéressait.
« Comment ça vous savez des choses ? »
« Tout le monde sait. Personne ne parle, c'est tout. »
« Mais pourquoi ?! »
« Parce qu'ils ont peur, qu'est-ce que vous croyez ? » ; confus, le blond se baissa à nouveau, attendant d'en savoir plus. « Marta est capable de vous shooter pour rien et de vous laisser attaché pendant des lustres. Vous croyez qu'une gamine fragile ressent quoi en se retrouvant attachée jusqu'à ce que quelqu'un se décide à venir et la retrouver dans un lit mouillé ? C'est humiliant, pour n'importe qui, c'est de la torture de ne pas pouvoir bouger quand vous avez envie, quand vous avez une crampe ou quoique ce soit d'autre. Ça a l'air con mais vous devez bien savoir ce qui se passe dans la tête de quelqu'un. Marta a toujours aimé jouer avec ça. »
« Alors elle faisait ça ? »
« Ce que j'essaie de vous dire c'est qu'elle aime la torture morale. Attacher, shooter, envoyer en isolement sans raison. J'y ai été plusieurs fois, en isolement, et croyez-moi, après avoir passé une journée là-dedans, vous préférez vous fracasser la tête contre un mur plutôt qu'y rester une heure de plus. Le simple fait de se retrouver seul et enfermé avec ses propres démons est une torture. »
« C'est elle qui vous a enfermé ? » ; Léon lui répondit en détournant les yeux.
« Pour ce qui est de la violence, ça ne marche qu'avec les plus faibles. Elle peut vous forcer à manger, littéralement. » ; Bill fronça les sourcils.
« Comment... ? »
« Comme vous le pensez, oui. En vous gavant comme une oie. Elle a torturé une gamine comme ça, l'année dernière. Elle le fait avec Tom, elle peut le faire avec toute personne qui ne dira rien. C'est facile. »
« Tom ? » ; l'homme acquiesça.
« Le pauvre gamin en a bien bavé avec elle. Entre le forcer, le narguer et lui en foutre une s'il obéit pas... mais bon, il est la cible parfaite. » ; l'androgyne pencha la tête, pas forcément choqué mais surtout en colère.
« Qu'est-ce que vous voulez dire par lui en foutre une ? Pourquoi aucun membre du personnel le verrait ? Pourquoi j'ai jamais rien vu ? »
« Vous ne pouvez pas regarder partout. » ; l'informa Léon. « Elle n'irait pas jusqu'à tabasser quelqu'un, c'est plutôt une question de punition, comme si nous étions des gamins. C'est mental.»
« Et personne n'a jamais rien vu ou entendu ? Pas d'infirmier ou de médecin ? »
« Non, elle s'assure toujours de ne pas se montrer quand ces choses-là arrivent, mais tout le monde sait qu'elle est plus ou moins... »
« Brutale et méprisante. » ; Léon acquiesça et Bill passa ses mains contre son visage, inquiet. Quelles étaient les conséquences de sévices mentaux dans un hôpital psychiatrique ? Ils étaient ici pour guérir et quelqu'un venait les torturer. Bill avait beaucoup de mal à se faire à cette histoire sortant tout droit d'un livre.
« Vous avez ce que vous voulez maintenant ? »
« Je dirais pas ça comme ça, non, j'aurais voulu le savoir plus tôt ou même que ça n'arrive jamais. » ; soudain, il se souvint des papiers qu'il devait faire signer à ceux qui donneraient des informations. Il fouilla ses poches en sachant qu'il les promenait partout et finit par les retrouver, pliés au fond d'une poche de sa blouse. « Vous voudriez m'aider à faire renvoyer Marta et signer ça ? »
Léon fronça le nez, Bill ouvrit lentement de grands yeux en prenant conscience qu'il ne contrôlait plus ses mains. Le vieil homme soupira.
« Allez chercher la directrice et je dirais tout. »
« Vraiment ? »
« J'ai rien à perdre de toute façon. Dépêchez-vous tant que je peux le faire. »
« Vous savez que vous me sauvez la vie ? » ; souffla-t-il en serrant ses deux mains. Léon eut un sourire malgré lui.
« Allez ! » ; lui ordonna-t-il pour le pousser à filer chercher cette fameuse directrice. Bill posa un rapide baiser contre son front, comme pour le remercier, ou peut-être plus, avant de se décider à y aller. Du début à la fin, Léon n'aura été que du positif, pour lui, pour ses débuts. Il était sûr et certain qu'il ne l'oublierait jamais et qu'il mettrait un bon bout de temps à faire son deuil.
