Suite - chapitre 7 :

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La semaine suivante, Bill la trouva longue. Très longue. Chaque jour était guidé par une routine qu'il avait du mal à garder. Après un samedi soir mouvementé à se prendre la tête alors qu'il était avec ses amis, il avait décidé d'arrêter de se laisser bouffer par ses sentiments. Entre autres, plus de rapprochements, moins de temps passé à essayer de rassurer, discuter, sourire, développer un attachement improbable. Tout ça, terminé ! Ça avait été plutôt radical, mais il savait qu'essayer d'être progressif n'aurait jamais fonctionné. Il aurait craqué à la première occasion.

Avec ce gros changement, ses journées avaient changé. Il ne passait plus autant de temps à veiller sur ses patients ni à se battre pour telle ou telle futilité. Bien sûr, il restait un médecin et faisait correctement son boulot. Mais justement, c'était son boulot, et rien de plus. Compassion, empathie, aide médicale, des choses qu'il n'était pas censé dépasser et qui pourtant lui semblaient si froides. Ses questions ne dépassaient plus les banalités. Comment vous sentez-vous ? Qu'est-ce qui vous angoisse ? Pourquoi ceci, pourquoi cela ? L'esprit détaché de toutes ces questions était loin de mettre les autres en confiance, en tout cas pour lui. Ça ne suffisait pas. Pour parler, un patient a besoin de confiance, d'assurance, de réconfort. Ça avait toujours été sa façon de faire à lui. Souriant et sensible, il inspirait naturellement à la confidence. Il était rassurant. Seulement, il en faisait toujours plus que ce que le contrat lui imposait. Sourire, oui, mais pas trop. Rassurer, aussi, mais à distance et avec une certaine retenue. Ce boulot, le vrai, imposait un grand fossé entre patients et personnel. Quelque chose que Bill ne cautionnait pas. Peu importe qui ils étaient, ils étaient tous humains, égaux, un médecin ne valait pas mieux qu'un patient. Bill pensait sérieusement que n'importe quel psychiatre, infirmier, psychologue ou quoique ce soit d'autre, pouvait un jour se retrouvait à la place d'un patient. La chaleur humaine était une clé, pour lui, mais c'était pas vraiment dans les règles.
Autrement dit, il devait être l'opposé de ce qu'il était et ça l'énervait. Il se sentait froid et inutile.

« Léo ! Calme-toi ! » ; dans les couloirs, la voix d'Ana résonna, puis des bruits de pas rapides. « Viens ici ! »

Il y eut quelques secondes de boucan avant que deux personnes n'entrent dans son champ de vision en courant. Léo échappa de justesse à la jeune infirmière, plusieurs fois, s'amusant d'ailleurs de la situation. Lorsqu'il manqua de lui rentrer en plein dedans, il se stoppa. Bill baissa les yeux, curieux. Léo le regarda droit dans les yeux durant de longues secondes, sans rien dire. Ana s'était arrêtée à quelques mètres de là. Finalement, le gamin contourna son médecin et reprit sa course sans jamais rien dire. Surpris, ou inquiet, Bill se retourna pour le regarder s'enfuir. Depuis sa dernière crise où Bill lui avait dit qu'il ne pouvait pas rester, qu'il avait du boulot, Léo était en colère contre lui et le blond n'avait jamais tenté de se faire pardonner. Ça allait faire deux semaines et pourtant, l'enfant gardait sa rancoeur en mémoire. Bill ne faisait rien parce qu'il pensait que s'éloigner de lui faciliterait sa sortie. Si Léo le détestait, et bien soit, il accepterait de sortir et l'oublierait sûrement.

Ana suivit l'enfant sans faire de commentaire, lui lançant seulement un regard confus en passant devant lui. Bill soupira faiblement, puis se décida à retourner travailler. En l'occurrence, beaucoup de paperasse et de coups de fil à passer.
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La vie avait parfois quelque chose de très ironique. Comme quelqu'un avec une hygiène de vie très saine tombant malade, comme un enfant adorable subissant des maltraitances, comme tous ces cas injustes où la vie vous attrape malgré tous vos efforts. Bill trouvait cette ironie injuste et parfois vraiment machiavélique.

Il en eut la preuve un matin où il arriva à l'hôpital et où on lui annonça que Léon, l'homme le plus joyeux et adorable qu'il n'avait jamais connu, était en train de lâcher prise. Son corps, en tout cas, le faisait pour lui. Depuis quelques semaines, ses oublis, ses crises ou même ses hallucinations avaient augmenté. Parfois, il ne les reconnaissait plus et commençait à croire qu'ils leur voulaient du mal. Bill l'avait trouvé perdu et errant à plusieurs reprises, se trompant de chambre ou atterrissant parfois à un étage qui n'était pas le sien sans savoir comment il était arrivé là. Aujourd'hui, son corps fatiguait. Il n'avait plus la force ni l'envie de sortir et d'aller raconter ses histoires à qui voulait bien l'entendre. Il était sérieusement en train de s'éteindre, et même s'il le savait depuis le début, Bill avait de la peine. Il était vraiment triste et tourmenté, il ne pouvait définitivement pas aller contre ça. Léon était incroyable et malgré son âge, ça lui paraissait injuste de finir ses jours avec le poids d'une telle maladie.

Chambre 248.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant