« Mon aaaange ! Comment tu vas ? »
Tout en étouffant à moitié sous l'étreinte maternelle, Bill afficha un léger sourire et serra sa mère en retour.
« Bien, et toi ? » ; demanda-t-il distraitement.
« Plutôt bien aussi. Ça fait un moment qu'on t'a pas vu ! » ; s'exclama-t-elle en se décidant à le relâcher. Bill baissa alors les yeux vers elle.
« Je sais, je suis désolé, j'étais pas mal occupé entre le boulot et la famille de Noa. »
« Ils sont toujours contre toi ? » ; ils s'installèrent tous les deux autour d'une petite table, l'androgyne soupirant en pensant à toute cette histoire.
« Oui, plus ou moins. Le juge commence seulement à réfléchir à l'idée que je puisse l'avoir. » ; Rosalie fronça les sourcils en entendant ça.
« C'est dingue qu'il se méfie autant, tu n'as pourtant rien à te reprocher ! »
« Je sais, mais c'est normal. On ne peut pas confier un enfant à n'importe qui, même si je suis psychiatre. Combien de profs, de médecins ou d'autres types font du mal aux gosses ? Tu ne peux quasiment jamais être sûr que ça n'arrivera pas, et si le juge se méfie autant, c'est pas plus mal, ça prouve qu'il expédie pas l'affaire. »
« Et pourtant il voit pas que ce gamin est mal avec sa famille, que ça pourrait justement être un membre de sa famille qui lui ferait du mal. »
« Tu sais... il y a des lois, des règles, la famille passe avant tout. » ; soupira-t-il. Lorsqu'un serveur arriva, ils commandèrent deux cafés, puis Bill attendit un peu pour reprendre. « Ils peuvent même le confier à une tante éloignée qu'il n'a jamais vu. »
« C'est n'importe quoi ! » ; le médecin haussa doucement les épaules, il avait déjà vu ça.
« Sans doute. Mais ça reste une solution. » ; sa mère leva les yeux au ciel. Elle connaissait un peu le sujet étant donné qu'elle avait adopté deux enfants, mais Bill s'y connaissait bien plus, et puis les lois changeaient. «Bon ! En parlant de juge, j'ai un truc pour toi. » ; s'exclama-t-il pour changer de sujet. Rosalie plissa les yeux, curieuse et impatiente. Elle se doutait que ça concernait Léo.
« Qu'est-ce que c'est ? » ; leurs cafés arrivèrent, alors Bill attendit tout en souriant. Une fois le serveur parti, sa mère s'impatienta. « Alors ?! »
« Alors... il m'a donné une date. »
« Une date ? » ; il acquiesça et eut un petit rire face à la nervosité de sa mère. « Quand ?! » ; il trouvait franchement ça amusant qu'elle lui ait reproché de trop s'investir et d'être elle aussi accroc au petit à présent.
« Le 7 ! Mais comme c'est dans un peu plus d'une semaine seulement, je lui en ai demandé une autre, au cas où. Il faut que je prépare Léo et il aura peut-être besoin d'un peu plus de temps en sachant que c'est concrêt cette fois, tu comprends ? »
« Bien sûr ! »
« Bien. Alors je vais lui en parler, je verrais comment il réagit et il faudra que vous veniez le revoir, plusieurs fois mais sans trop le presser ok ? Soyez juste vous-mêmes, rassurez-le et essayez de ne pas le montrer si vous stressez, ça le rendra juste un peu plus nerveux. » ; conseilla-t-il tout en réfléchissant. «Je ne viendrais pas le jour où vous viendrez le chercher, il faut qu'il comprenne que c'est avec vous qu'il va vivre, et pas moi. »
« Mais ? » ; questionna-t-elle en sachant qu'il ne pourrait jamais s'empêcher de passer voir si ça allait.
« Mais je peux toujours venir dîner ce soir-là ou je sais pas... pour qu'il comprenne que je le laisse pas tomber. »
« D'accord. Oui, je pense que c'est une bonne idée ! » ; répondit sa mère tout en touillant son café. «J'espère vraiment que ça se passera bien. »
« Moi aussi, mais y a pas de raison. Je suppose qu'il sent que... toi et moi, on se ressemble. » ; souffla-t-il doucement. « Il finira par te faire confiance. »
En tout cas, il l'espérait vraiment. Si ça se passait mal, c'était retour à la case départ. Ou pire, le foyer, et il n'en était pas question. Léo était trop fragile, trop éparpillé dans sa tête. Ce dont il avait besoin, c'était d'un cadre, de calme, d'amour. Il fallait agir calmement avec lui et il était sûr que sa mère était la mieux placée pour ça. Ce n'était pas un tas d'inconnus et un cadre instable qui allaient l'aider, bien au contraire.
« Tu t'inquiètes hein ? » ; lui demanda Rosalie de sa voix douce. Le psychiatre fronça le nez, ennuyé. Oui, il était inquiet.
« Je sais qu'il vous aime bien, qu'il s'est attaché à vous, mais il est tellement changeant parfois, et on peut rien y faire... » ; expliqua-t-il, les yeux rivés sur sa tasse de café à moitié pleine. « Il est encore petit, il peut paniquer et alors quelque chose va se bloquer dans sa tête, et un traitement ou une thérapie n'y changeront rien. Même avec toute la meilleure volonté du monde, il reste incontrôlable, tu vois ? »
« Tu penses qu'il sera toujours comme ça ? »
« Non. En grandissant, il apprendra à se contrôler, il évoluera, il ira mieux, mais il aura encore beaucoup de frayeurs, de cauchemars, il continuera de détester ce qu'il ne contrôle pas, ou d'en avoir peur, mais il saura un peu mieux le gérer. » ; il réfléchissait à ce qu'il avait appris, mais il savait aussi que chaque personne était et évoluait différemment. « Techniquement, il se souviendra de beaucoup de choses, plus que nous en tout cas ! Il a une sacré mémoire, il est intelligent et malin, il se souviendra de détails auxquels on ne prête même pas attention, nous. » ; expliqua-t-il à nouveau. « Tu ne pourras jamais être parfaite, et moi non plus, alors essaie juste d'être aimante sans pour autant l'étouffer, de le comprendre sans dire amen à tout, toutes ces choses... je sais que c'est quasiment impossible de réussir à tout faire comme lui le veut.»
« Je ferais tout ce que je peux et je sais que toi aussi, te torture pas pour ça, Bill ! » ; gronda sa mère en lui attrapant la main. Elle le secoua un peu, le forçant à sortir de ses songes et retrouver la réalité. « Tu ne peux pas savoir ce qui se passera, alors ça sert à rien ! Arrête ça tout de suite. »
Bill soupira faiblement, finissant par avaler la fin de son café d'une seule traite. Du contrôle ! Il en manquait sérieusement lui aussi.
**
Un, deux, trois cafés. Non, Bill ne savait même plus à combien il en était. Ayant plutôt mal dormi, il s'était levé plus tôt que prévu, agacé de tourner en rond dans son lit, et sa dose de caféine avait considérablement augmenté, le rendant seulement un peu plus nerveux.
« Dis-moi, tu trafiques quoi la nuit pour toujours finir dans tous tes états ? »
« Mais rien ! J'essaie de dormir, figure-toi. » ; soupira le blond en jetant son gobelet dans une corbeille.
« Alors tu devrais vraiment apprendre à te détendre, tu vas finir par exploser. » ; le prévint Alex. « Qu'est-ce qui te tracasse autant ? » ; demanda-t-il en venant se poser à ses côtes. Bill concentra son regard sur le carrelage délabré de la salle du personnel, ils attendaient les autres pour leur petite réunion habituelle et il aimerait qu'ils se dépêchent pour ne pas avoir à subir d'autres questions.
« Tout. » ; répondit-il, préférant rester évasif. Entre Léo, Noa, Tom, et sa propre famille, il avait de quoi cogiter.
« Et tu n'as aucun moyen de régler tout ça ? » ; tout ? Non, probablement pas. Et puis même s'il y avait des solutions, même quand Léo serait chez ses parents, même s'il arrivait à obtenir la garde de Noa, même s'il arrivait à faire sortir Tom de toute cette merde, il ne cesserait jamais de s'inquiéter.
« J'en ai, mais ça prend du temps, et puis tout ne se règle pas. »
« Je comprends. C'est plus facile à dire qu'à faire. » ; Bill acquiesça distraitement. Si seulement ça pouvait l'être !
Après un moment, la porte s'ouvrit et plusieurs personnes entrèrent, coupant court à leur conversation. Cette fois, leur petite réunion matinale allait pouvoir commencer. Bill aimait faire le tour de chaque patient, passer de leurs progrès à leurs problèmes, chercher des solutions, se motiver, se concentrer sur eux. Mis à part ses patients les plus difficiles, il obtenait de bons résultats, de belles progressions et surtout, des sorties ! Même si parfois, ça le rendait triste, il s'estimait heureux chaque fois que quelqu'un sortait d'ici. Après tout, les aider, c'était son but.
**
2 4 8. Parfois, dans sa tête, il retraçait les chiffres usés de cette porte. Il en connaissait chaque détail, de la moindre courbe à la plus petite trace d'usure. Ces portes méritaient un bon coup de frais, d'ailleurs, et il en rêvait presque parfois.
Tout en secouant la tête comme pour chasser ses idées improbables, il ouvrit et plissa les yeux face à l'obscurité de la pièce. Pourquoi les rideaux étaient-ils encore tirés à cette heure ?
« Tom ? » ; appela-t-il machinalement. Le lit était fait, et Tom n'y était pas. Il fronça les sourcils et entra, allant tirer sur les rideaux afin de laisser entrer la lumière du jour. Après ça, il pivota, balaya la pièce du regard et n'y vit personne. Il fila voir dans la petite salle de bains, mais rien non plus. Cette fois, il s'inquiéta. Tom était assez fin pour se faufiler partout et surtout très doué pour se rouler en une boule étonnamment petite, alors il vérifia chaque coin, chaque placard, et même sous le lit. « Tom ! » ; s'exclama-t-il inutilement. Il n'y avait personne.
Aussitôt, son rythme cardiaque s'accéléra. Où était-il passé ? S'il n'était pas là, alors il était sorti. Mais où ? Comment ? Avec qui ? Et s'il s'était perdu tout seul ?
« Bah qu'est-ce qui se passe, t'es tout pâle, Bill ? » ; demanda Alex qu'il recroisa lorsqu'il ressortit de la chambre. Le jeune psychiatre pivota, se demandant comment il avait pu disparaître sans que personne ne le remarque.
« Où est Tom ? » ; questionna-t-il d'une voix grave.
« Tom ? » ; Alex fronça les sourcils. « Il est pas dans sa chambre ? »
« Et pourquoi crois-tu que je pose la question ?! Bien sûr que non il y est pas ! » ; s'exclama vivement le blond. Son collègue ne releva pas le ton agacé. Bill était inquiet, et il y avait de quoi. Tous les deux se regardèrent durant plusieurs secondes, puis chacun balaya le couloir du regard. Il y avait pas mal de patients qui se promenaient, du personnel remuant dans tous les sens. Il y avait un sacré brouhaha autour d'eux, ils en avaient l'habitude, c'était juste un bruit de fond pour eux, mais pas pour Tom, qu'ils imaginèrent au milieu de tout ça. Finalement, leurs deux regards inquiets se croisèrent à nouveau, et Alex fut le premier à réagir.
« Je préviens Gabriel et je descends. » ; lança-t-il tout en s'éclipsant à une vitesse assez impressionnante. Bill fronça le nez, prenant une seconde pour paniquer intérieurement avant de filer d'un pas rapide. Il arrivait toujours quelque chose, alors il ne pouvait pas s'empêcher d'appréhender.
En premier lieu, il regarda partout autour de lui, longeant l'étage en vérifiant chaque coin où il aurait très bien pu le retrouver recroquevillé et tremblant. Pourtant, il ne le vit pas. Et s'il n'était pas là, il était soit dans une chambre, une pièce quelconque, un autre étage, ou même dehors, et ne pas le retrouver tout de suite stressa un peu plus le blond. Il refit alors tout l'étage en prenant cette fois le temps de vérifier chaque chambre et chaque autre pièce, comme la salle du personnel, les placards, la pharmacie, et beaucoup d'autres. Mine de rien, et même s'il le connaissait par coeur, il trouvait aujourd'hui cet endroit dix fois trop grand.
De longues minutes passèrent comme ça, à chercher sans trouver, la boule au ventre, appréhendant ce qu'il allait découvrir, tournant à moitié en rond. Si Alex faisait le dessous, et Gabriel le dessus, il n'avait pas de raison de le faire, mais ça le démangeait sérieusement. Et puis le parc ? S'il avait réussi à sortir et qu'il était planqué quelque part au milieu des arbres ? Ou s'il était roulé en boule, affolé, derrière un mur ? Et perdu ?
Coupant court à ses réflexions, son téléphone sonna dans la poche de son jean et il décrocha sans regarder qui appelait.
« Je l'ai. Rejoins-moi au dernier étage. » ; Gabriel. Celui-ci raccrocha avant même que Bill n'ait eu le temps de dire quoi que ce soit. Il resta là, planté avec le téléphone à l'oreille durant plusieurs secondes, se sentant à la fois soulagé et confus.
Finalement, il se secoua, rangea son téléphone et se précipita en direction des escaliers. Comment Tom avait-il encore pu atterrir au dernier étage ? C'était la seconde fois, et il se demandait ce qui avait bien pu se passer cette fois. Une fois à l'étage indiqué, il regarda un peu partout, cherchant où ils étaient exactement. Ici, il y avait bien moins de monde, c'était plus calme que tout le reste de l'hôpital, mais pas totalement tranquille pour autant, il y avait juste un peu moins de chambres et donc moins d'agitation.
Ce fût alors un peu plus loin qu'il les trouva, là où, justement, il n'y avait que des salles réservées au personnel. C'était un placard. Bill fronça les sourcils lorsqu'il s'arrêta dans l'encadrement de la porte et qu'il les vit. Qu'est-ce que Tom trafiquait dans une pièce aussi petite ?
« Mais qu'est-ce qui s'est passé ?! » ; honnêtement, Tom n'avait pas l'air traumatisé, loin de là même. Il affichait son éternelle expression neutre, il avait l'air en forme... Bill ne comprenait pas. « Qu'est-ce que tu fais là ? » ; demanda-t-il en s'approchant de lui. Il eut la désagréable impression que quelque chose lui échappait, que quelque chose clochait dans tout ça.
« Bill... » ; appela Gabriel juste à côté. Le médecin plissa les yeux face à ceux du dreadé. Il y avait définitivement quelque chose de bizarre. Il jeta un rapide coup d'oeil à la pièce et remarqua un vieux pull étalé sur le sol. Rapidement, ce fut la confusion dans sa tête et des dizaines de questions l'envahirent. Un pull, un vieux pull miteux, c'était bien là-dessus qu'il avait vécu, dans cette maudite cave ? C'était bien ce qu'il lui avait dit ? Est-ce qu'il avait dormi ici ? Et personne ne l'avait vu ? Pourquoi ? Comment ?
« Pourquoi tu... » ; il reposa les yeux sur le pull, puis Gabriel qui affichait une mine contrariée, ou inquiète. Qu'est-ce qui se passait ? « Pourquoi t'es venu ici ? » ; Est-ce qu'il s'était infligé ça pour une raison précise ? Certainement, en tout cas c'était ce qui lui paraissait le plus logique. Tom n'était pas idiot, alors il n'était pas là pour rien. Bill se mit à réfléchir, fouillant dans sa tête, repensant à tout ce qui s'était passé, cherchant. Peu à peu, la façon dont il avait agi avec lui la dernière fois lui revint en mémoire et il eut peur de comprendre. Son regard passa de celui impassible de Tom à celui plutôt nerveux de Gabriel. C'était évident ! « C'est ma faute... ? » ; demanda-t-il d'une voix plus basse. Tom ne bougea pas, n'eut même aucune réaction, tandis que son ami remuait.
« Je vais le raccompagner, Bill, ok ? » ; souffla celui-ci, plutôt hésitant. Il passa à côté de lui tout en faisant un petit signe de main au dreadé. Bill le fixa stupidement, comme sonné, et se sentit douloureusement impuissant lorsqu'il le vit le contourner, puis disparaître derrière lui afin de suivre Gabriel.
Bon dieu, c'était sa faute. Comment ça avait pu arriver ? Comment Bill avait-il pu laisser cette situation se produire ? Sérieusement, qu'est-ce qu'il avait foiré ?
Il y eut de longues minutes durant lesquelles il resta planté là, secoué entre des vagues de colère et de confusion. Il se maudissait d'avoir déclenché une telle réaction chez lui, et en même temps il ne pouvait s'empêcher de penser que cette rébellion le poussait à sortir de sa bulle. Tiraillé par ces deux sentiments, il redescendit, sentant la colère prendre de l'ampleur au fur et à mesure où il pensait à ce qu'il avait foiré. Agacé, il commença à tourner en rond dans le couloir. Quelle était la raison de tout ça ? Qu'est-ce qui avait dérapé ? Qu'est-ce qu'il ne gérait pas ? Pourquoi réussissait-il avec les autres et pas avec Tom ?
Finalement, Gabriel réapparut assez rapidement. Il ignorait s'il lui avait parlé, mais si c'était le cas, ça n'avait pas duré.
Son ami l'attrapa par le bras et le tira vers la petite salle du personnel, sans rien dire. Guidé par son élan de colère, Bill se laissa entraîner mais attendit à peine d'être rentré dans cette salle pour exploser. Gabriel le lâcha à peine, que son pied partit tout droit frapper violemment dans la première chose qu'il trouva, créant ainsi un vacarne assez assourdissant en renversant deux chaises sur le vieux carrelage.
« Bill ! » ; gronda l'infirmier, le rattrapant pour lui éviter de s'acharner. Il le força à pivoter vers lui et lutta pour le garder en place tellement il était nerveux. « Tu vas te calmer et m'écouter, ok ? C'est pas en flinguant notre salle que tu vas arranger les choses, déjà qu'elle est délabrée alors hein... »
L'androgyne fronça les sourcils avec l'air de dire qu'il n'en avait strictement rien à faire, remuant sous l'emprise forte qu'il exerçait sur ses avant-bras.
« Lâche-moi. »
« Seulement si tu m'écoutes. » ; Bill soupira lourdement, ne cachant pas son agacement. « Tu veux savoir ce qu'il m'a dit ou pas ?! »
Cette fois, le blond se stoppa, le fixant avec de grands yeux tout en pensant que sa colère ne faisait que s'accroître. Pourquoi ? Il n'avait pas le temps d'y penser.
« Quoi ?! »
Gabriel eut l'air d'hésiter. Bill était déjà bien énervé et il n'était pas certain que ce qu'il allait lui dire arrange les choses.
« En fait... il a pas vraiment parlé. Quand je l'ai retrouvé et que je lui ai demandé ce qu'il faisait là, il m'a demandé ce qu'il avait fait pour que tu en aies marre de t'occuper de lui. »
Les yeux du jeune psychiatre s'arrondirent en entendant ça. Lui ? En avoir marre ?
« Mais c'est n'importe quoi ! » ; s'exclama-t-il vivement. D'abord, c'était son boulot, il aimait ça, et puis en avoir marre de Tom ? Franchement ?
« Je sais, calme-toi. » ; répéta son ami en le poussant à s'asseoir, et Bill ne s'exécuta que grâce au choc. «C'est ce que j'ai essayé de lui dire, enfin pas de la même manière, évidemment. »
« Et c'est tout ? »
« Je lui ai dit que c'était pas possible, et il a dit que tu le fuyais toujours, mais oui, c'est tout, je crois qu'il voulait juste le faire savoir, mais il avait pas envie de parler. En tout cas, pas à moi. » ; raconta-t-il calmement. « Je crois vraiment que tu devrais prendre le temps de lui parler, de lui dire les choses. » ; enfin, son ami sembla se calmer face à lui. Il respirait toujours vite tellement il s'était rendu nerveux, mais il était à l'écoute à présent.
« De quoi tu parles ? »
« Dis-lui que tu tiens à lui et que tu ne sais pas comment le gérer par rapport au boulot. » ; Bill sursauta presque à cette suggestion.
« Mais j'ai pas le droit ! »
« Justement. T'as pas le droit, et alors ? Qui le saura ? C'est pas Tom qui te balancera ! » ; lui répondit l'infirmier, mais le blond fut loin d'être convaincu. « Qu'est-ce que ça te coûte ? Je suis sûr qu'il comprendra. Tu vois bien que la distance que tu lui infliges lui fait faire des conneries, si tu lui expliques pourquoi tu réagis comme ça, et surtout si tu le rassures, ça devrait aller mieux. »
Bill baissa le regard vers le sol, fixant le carrelage délabré comme si c'était du vide. Il n'arrivait pas à croire que Tom se soit infligé une telle chose, un tel souvenir, juste à cause de lui.
« Il a réagi comme si je le traitais aussi mal qu'eux, je comprends pas. » ; souffla-t-il faiblement. Ça, ça le bouffait.
« Il a réagi de la seule façon qu'il connaisse, je ne crois pas que tu devrais te prendre la tête avec ça. »
Alors ça, c'était impossible. Il savait d'avance que cette histoire allait lui trotter dans la tête pendant un bon moment.
« Tu peux juste lui dire que... j'irais le voir demain ? » ; demanda-t-il d'une voix plus basse. « J'ai besoin de réfléchir. »
« Bien sûr. Et t'as raison de prendre le temps d'y penser. » ; le médecin fronça le nez, nerveux. « Je suis sûr qu'il peut comprendre, si tu lui dis la vérité. »
Et quelle vérité ? Bill lui-même ne la connaissait pas ! Il s'inquiétait, il ramait, et puis voilà.
« Je suis pas sûr que lui dire que je suis pas foutu de m'occuper de lui correctement aidera à quelque chose. » ; Gabriel soupira, sachant qu'il était buté.
« Bien sûr que si ! Ça aidera si tu ajoutes que tu tiens à lui et que si tu n'y arrives pas, c'est parce que tu n'arrives pas à rester neutre. »
« Merci de me décrire la façon dont je crains. » ; gronda le blond tout en se mettant à fouiller ses poches à la recherche de cigarettes.
« Arrête ça ! » ; s'exclama l'autre homme. « Depuis quand on craint parce qu'on a des sentiments ? Tu fais justement ce boulot parce que tu tiens aux autres et que la façon dont une grande majorité du monde traite les patients t'insupporte. » ; une fois le paquet de poison entre les mains, Bill cessa de s'agiter et leva des yeux hésitants vers lui. Il n'avait pas tort. Les personnes qu'on enfermait ici étaient souvent celles qui avaient le plus de sentiments, et Bill détestait la façon dont le monde extérieur les traitait. Ils ne savaient rien. Lui si. Il aimait ses patients, il aimait les aider, leur apporter l'attention dont ils manquaient cruellement. Il aimait aussi beaucoup être celui qui mettait de l'ordre dans leurs têtes, leurs sentiments. Seulement, il n'avait pas le droit de laisser apparaître les siens, il était là son problème.
**
« Pourquoi tu dors pas ? »
Sous la surprise, Bill sentit tout son corps se crisper et sursauta violemment sans pouvoir le contrôler, manquant de renverser sa tasse au passage. Ses grands yeux se posèrent sur Noa, dont il avait reconnu la voix, et lui lancèrent un regard plus ou moins autoritaire.
« Putain, tu m'as fait peur. » ; râla-t-il automatiquement.
« Désolé. » ; souffla l'adolescent avec un léger sourire. Il avança, jetant un coup d'oeil à la cafetière qu'il avait littéralement vidée, et puis vint se poser sur le second tabouret. « Qu'est-ce que tu fais debout à cette heure-là ? »
L'androgyne regarda distraitement l'heure sur l'horloge de la cuisine. Il était plus de quatre heures du matin.
En réalité, il n'avait même pas pris la peine de se coucher. Trop nerveux, trop tourmenté. Il avait toujours des petits excès de colère, il ne faisait que réfléchir, alors dormir aurait été impossible ce soir.
« Et toi ? » ; demanda finalement le blond. Noa plissa les yeux, le regardant sans visiblement avoir l'air gêné. Plus le temps passait et plus il se sentait comme s'il connaissait Bill depuis des années.
« J'avais soif, ça m'empêchait de me rendormir. » ; répondit-il naturellement. « Pourquoi tu fais exprès de pas répondre ? »
« Et pourquoi tu n'as pas encore bu si t'as soif ? »
Noa fronça les sourcils, soupirant et décidant de se lever pour aller se chercher à boire et pouvoir passer à autre chose. Il sentit parfaitement le regard du blond suivre chacun de ses gestes et reposa les yeux sur lui une fois qu'il eut avalé de longues gorgées d'eau fraîche.
« Voilà. » ; souffla-t-il en déposant son verre vide devant le blond. « Tu vas parler maintenant ? Tu sais c'est pas parce que je suis un gamin pour toi que je suis idiot ou que je sais pas écouter. »
« Mais j'ai jamais dit ça ! » ; l'adolescent étendit ses mains sur le petit comptoir, sans le lâcher des yeux. Bill soupira. « C'est juste le boulot, ok ? T'as cours demain, tu devrais dormir. »
« Cinq minutes ça va pas me tuer. » ; le médecin souffla, faisant distraitement tourner sa tasse entre ses doigts tout en baissant les yeux vers elle. « Tu te prends toujours autant la tête pour les autres ? » ; demanda franchement Noa, et Bill grimaça en réalisant que c'était vraiment un problème.
« Non. » ; soupira-t-il finalement. « Pas toujours et pas pour tout le monde. »
Noa haussa un sourcil. Pas pour tout le monde, il voulait bien le croire, mais pas toujours ? Ça arrivait très souvent alors.
« Je suis désolé si je te cause aussi du souci, tu en as assez là-bas. » ; bredouilla le jeune garçon. Il réalisait seulement maintenant. Il n'y avait pas que lui, Bill s'occupait des autres à longueur de temps, et il acceptait de le faire avec lui même sur son temps libre. Il regrettait de lui avoir mis la pression plusieurs fois d'affilé.
« Mhh, quoi ? » ; Bill reposa de grands yeux surpris vers lui, puis afficha une mine contrariée. « Non ! Non, non, tu vas pas te mettre à croire à ces conneries toi aussi ! »
« Quelles conneries ? »
« Y a aucun souci, ok ? » ; s'exclama-t-il. « Je me bats pour toi parce que je tiens à toi et parce que j'en ai envie, et je me fiche que ce soit dur ! C'est pas quelque chose qui me prend la tête. »
« Pourtant tu as vraiment l'air de t'inquiéter tout le temps. » ; Bill plissa les yeux, se penchant vers l'adolescent.
« Tu apprendras que s'inquiéter pour les gens à qui on tient, c'est normal. Si je me prends la tête, c'est que je cherche une solution, c'est tout ! » ; se défendit-il rapidement. « Maintenant, c'est pas que je veux te chasser mais tu devrais vraiment retourner dormir. »
Noa souffla d'ennui. Retourner se coucher ne lui plaisait pas spécialement, mais il consentit tout de même à obéir.
« Ok, j'y vais. Mais toi aussi tu devrais dormir. »
Bill haussa les épaules, alors le jeune homme n'ajouta rien de plus, le sachant buté quand il avait quelque chose en tête. Il lui souhaita simplement une bonne nuit et disparut. Une fois qu'il eut entendu la porte de la chambre d'amis se refermer, le médecin repartit aussitôt dans ses songes sans en avoir conscience. Une solution. Il avait besoin d'une solution.
**
Se retrouvant à nouveau planté devant cette maudite porte, Bill jeta des regards nerveux autour de lui sans raison apparente. Personne ne faisait attention à lui. C'était juste lui qui stressait de ce qu'il allait dire à Tom, et peut-être de ce qu'il allait lui balancer, s'il parlait. Et justement, par où allait-il commencer ? Devait-il vraiment lui dire les choses ? Il y avait pensé toute la nuit et il ne le savait toujours pas.
Tout en pensant qu'il avait probablement l'air idiot à rester planté devant la porte, il leva une main, toqua une fois et puis ouvrit lentement. Il ne savait pas trop comment le dreadé allait l'accueillir, alors il préférait rester prudent.
Assis au bord du côté opposé du lit et dos à la porte, Tom ne bougea pas lorsqu'il entra.
« Hey... » ; souffla-t-il pour s'annoncer. Le jeune homme ne bougea toujours pas, même s'il avait probablement reconnu sa voix. Bill se mordit l'intérieur des joues et avança jusqu'à décider de se poser lui aussi au bord du lit, mais pas du même côté. Il se tourna un peu pour le voir, détaillant distraitement les longues dreadlocks descendant en cascade dans son dos tout en réfléchissant à ce qu'il était censé dire. « Je suis désolé. » ; bredouilla-t-il d'abord. « J'ai été nul. »
Visiblement bien contrarié, son jeune patient resta dos à lui, immobile et silencieux. Ses jambes étaient repliées et emprisonnées par ses bras, comme très souvent, comme si cette position le protégeait même des mots. Bill ne pouvait empêcher le noeud dans son estomac d'empirer en pensant que cette fois, c'était de lui dont il se protégeait.
« Je sais que j'agis pas de la bonne façon, je fais n'importe quoi avec toi mais tu dois pas croire que je m'en fiche ou que j'en ai marre. » ; souffla-t-il avec une pointe d'hésitation. Son regard descendit vers les draps défaits et il se perdit au milieu de toutes les explications auxquelles il avait pensé. « En fait, tu te trompes complètement. J'aime m'occuper de toi, mais justement, j'aime encore plus passer du temps avec toi. » ; raconta-t-il sans être certain d'en avoir conscience. Il allait probablement regretter ça. « Mais j'ai pas le droit. Mon rôle c'est de t'aider, de te soigner, de m'occuper de toi sans pour autant être proche de toi. Je sais que ça n'a pas l'air logique comme ça, mais c'est juste mon boulot, ce sont les règles. » ; ajouta-t-il avec un soupir. Il n'aimait pas ces règles, mais dans un sens, si elles n'étaient pas là pour le freiner, ce serait probablement encore pire. « Tom... t'es assez intelligent pour savoir que si je m'en fichais, je serais pas comme ça avec toi, non ? » ; il n'attendit pas de réponse et chercha seulement ses mots, ceux qui seraient juste. « Si je m'enfuis, ou si c'est l'impression que je donne, c'est pas parce que j'en ai marre de toi, c'est parce que j'ai mal pour toi et je sais pas comment le gérer. »
À ces mots, Tom lui accorda enfin son attention et posa les yeux sur lui, mais l'androgyne ne le vit pas, trop absorbé par tout ce qui tournait dans sa tête.
« J'ai pas le droit d'être attaché à toi, mais je peux pas vraiment lutter. Tu sais, c'est comme si on me demandait de ne pas aimer ma famille... je peux pas ! Je suis tiraillé entre l'envie de te protéger et celle de te sortir de là avant tout, et ça finit n'importe comment. » ; marmonna-t-il, presque plutôt pour lui-même que pour Tom. « Alors j'ai réfléchi et la seule chose que j'ai trouvé c'est de te dire les choses. »
Lorsqu'il releva les yeux, il fut surpris de retrouver ceux du dreadé braqués sur lui. Durant une seconde, il ne fut plus si certain de sa solution, après tout, elle était tirée par les cheveux, mais il n'en avait pas d'autre.
« Laisse-moi faire mon boulot... te sortir de là, normalement, et puis quand tu seras enfin dehors, y aura plus de limites. »
Bien que Bill eut l'impression d'exagérer en parlant de limites, cette histoire sembla intéresser le principal concerné. Il observait le blond avec tellement d'insistance qu'il crut qu'il allait dire quelque chose, mais seul le silence lui répondit. Bill reprit alors.
« Je veux pouvoir être ami avec toi, et te protéger et m'inquiéter sans me dire que c'est mal ou qu'on peut me foutre dehors pour ça. » ; souffla-t-il prudemment. « Mais pour ça, tu dois aller mieux, et si je veux réussir à bosser correctement, il faut qu'on s'éloigne sans pour autant que tu oublies ce que je t'ai dit. » ; franchement, à voix haute, ça sonnait confus. « Tu comprends ce que je veux dire ? Même si je m'éloigne de toi, même si t'as l'impression que je te traite comme les autres ou que je m'en fiche, n'oublies pas que je tiens à toi. »
Tom ne dit rien. Il regardait seulement son médecin avec l'air de réfléchir sérieusement à la question, alors Bill appréhendait un peu.
« Cette décision ne tient qu'à toi, tu sais. Si tu veux vraiment sortir, plus vite tu feras des efforts et plus vite tu seras dehors. »
Comme pour lui demander s'il souhaitait sceller cet accord, il tendit une main entre eux, dont il appuya le dos sur le lit. Si Tom acceptait, il avait intérêt de réussir, et s'il refusait... il ne savait même pas comment ça finirait.
En premier lieu, Tom baissa le regard vers sa main, semblant toujours très pensif. Le jeune psychiatre attentit sans rien ajouter de plus, patient. Il savait que Tom avait juste besoin de s'ouvrir pour être apte à sortir. Il aurait probablement besoin d'un suivi durant encore un moment, mais il pouvait réellement s'en sortir.
Finalement et au bout de longues minutes, Bill put sentir un contact au niveau de sa paume de main et sursauta pratiquement de surprise. Son regard remonta vers les yeux pétillants du dreadé. Pour la première fois, il montrait qu'il voulait sortir. Bill était vraiment soulagé. Depuis le début, il n'avait jamais vraiment voulu, il avait toujours semblé en avoir peur, ou même n'en avoir rien à faire, alors ça le surprenait et le soulageait en même temps. Enfin, Tom avait de l'espoir, et ça c'était énorme.
Souriant sans pouvoir s'en empêcher, l'androgyne referma ses doigts sur les siens, serrant sa main tout en sachant que c'était la dernière fois avant un bon moment, en tout cas si son plan fonctionnait.
Peu à peu, il tira sur sa main, doucement, et pencha la tête pour lui demander d'approcher. Tom bougea alors un peu, se hissant vers lui jusqu'à ce que Bill lâche sa main pour déposer la sienne contre sa joue. Ils se retrouvèrent presque assis l'un à côté de l'autre, mais chacun dans un sens.
« J'ai besoin que tu me fasses confiance. » ; demanda le blond à voix basse. Et c'était sa meilleure carte. La confiance. La seule chose qui pouvait les aider.
Tom eut l'air hésitant. Il enroula ses doigts autour du poignet de Bill, son regard vagabondant entre ses yeux et le mince espace qu'ils gardaient entre eux. Il réfléchissait, imaginait sans doute. Depuis qu'il avait commencé à travailler ici, Bill avait été le premier à lui parler d'avenir. Il n'y avait jamais cru, jamais vraiment réfléchi. Il avait peur, mais c'était peut-être le moment de se lancer.
Sans donner de réponse à voix haute, il pencha la tête et vint coller sa joue à l'épaule du bel androgyne, fermant les yeux et serrant encore plus, voire trop fort, ses doigts sur son poignet. C'était sa réponse.
Le geste inhabituel surprit le blond, mais il ne fit aucun commentaire. Tom faisait un pas vers lui alors il préférait se taire et juste le laisser se rassurer.
« Qu'est-ce que ça veut dire quand quelqu'un tient à toi ? »
Bill ouvrit de grands yeux à cette question venue de nulle part. La voix du dreadé sonnait encore plus basse que d'habitude et honnêtement, il ne se souvenait pas qu'on lui ait posé une telle question un jour. Ses doigts montèrent jusqu'au milieu des dreadlocks blondes et il consentit à penser sérieusement à la question.
« Hum... ça veut dire qu'il t'apprécie, qu'il s'inquiète pour toi, ça veut aussi dire que tu prends ta place dans sa vie. » ; le décrire était très bizarre et il mesurait ses mots par peur de dire une connerie. Quelle était la réelle définition de : tenir à quelqu'un ? Il devrait peut-être songer à faire une recherche, juste histoire de voir comment ils le décrivaient. « Ça veut dire que cette personne aime passer du temps avec toi, parler ou rire avec toi. Ça veut dire que tu comptes. » ; ah, ça c'était bien ! S'il pouvait indirectement lui faire comprendre qu'il n'était pas rien et qu'il comptait, ce serait un grand pas en avant.
« Tout ça ? »
Franchement, Bill aurait pu rire de son innocence par rapport à tout ça. Il n'avait jamais rencontré quelqu'un qui semblait autant ignorer les sentiments.
« Oui, tout ça. » ; lui confirma-t-il.
« Tu m'abandonneras pas quand je serais dehors ? »
Encore une fois, il eut la preuve que Tom y pensait bel et bien sérieusement et qu'il était tout à fait capable de s'en sortir. Il avait quelques angoisses à calmer, il aurait besoin d'un temps d'adaptation, mais ça irait.
« Bien sûr que non. » ; et puis lui ? L'abandonner ? Non. Il serait bien trop angoissé de ne pas savoir comment il allait. « Je serais là. Je ne suis jamais très loin tu sais. »
Concentré, et puis aussi incertain, Tom ne bougeait pas. Il était tiraillé entre l'angoisse et le réconfort dont il avait besoin. Comme d'habitude, seule sa tête était en contact avec le blond et il avait pourtant toujours l'impression que c'était trop. Dans un sens, il le voulait, mais dans un autre il avait l'impression d'étouffer.
« Je sais. » ; répondit-il dans un souffle.
Bill baissa les yeux vers lui, ne tombant que sur la masse de dreads dans lesquelles ses doigts s'emmêlaient. Il se demandait vraiment à quoi Tom pensait, si ça allait marcher, s'il allait vraiment faire des efforts.
« Est-ce que tu vas essayer ? » ; lui demanda-t-il prudemment. Comme très souvent, le dreadé tarda à répondre. Il laissait presque toujours un petit laps de temps, de silence et de suspense avant de parler. Bill ignorait pourquoi. Peut-être qu'il était trop absorbé par ses pensées ? Ou c'était un jeu ? Bien que, ça l'étonnerait beaucoup.
« Je sais pas. » ; aussitôt, Bill fronça les sourcils. Pourquoi ? Evidemment qu'il ne savait pas ! Pourquoi était-il déçu ? Pourquoi aurait-il accepté aussi vite ? « Il n'y a rien... » ; bredouilla-t-il à voix basse. Il se redressa et se détacha ainsi du blond afin de pouvoir le regarder dans les yeux. Il était sérieux et sûr de ce qu'il disait. « Pour moi. Il n'y a rien dehors pour moi. » ; ajouta-t-il face aux yeux confus du médecin. Celui-ci se mordit l'intérieur des joues. Il le savait ! Tom n'avait plus aucune famille, plus rien. Personne pour l'attendre ou l'accueillir, personne pour le guider. En ce qui concernait sa famille, Bill avait vérifié, mais il n'avait rien trouvé. Par contre, il savait qu'il avait de l'argent quelque part et il avait les moyens de s'en sortir à peu près au début. Seulement, et quand il y aurait réfléchi un peu plus, Bill lui en parlerait pour l'y préparer.
« Il y a la vie. » ; tenta-t-il. Inutile, bien sûr. La vie, Tom en avait une sacrée vision. Il ne connaissait pas la vraie, alors comment en avoir envie ? « Et moi... »
Tom leva une nouvelle fois les yeux vers lui en l'entendant. Le psychiatre lui-même ignorait pourquoi il s'était senti obligé de l'ajouter, mais il ne pouvait plus le retirer à présent. Il y avait bien d'autres choses qu'il aimerait dire, mais savait qu'il valait mieux se taire.
« Tu es déjà là. »
« Bien sûr, mais ce sera différent ! Je ne serais plus ton médecin, je pourrais toujours veiller sur toi mais... on sera égaux. » ; et c'était important à ses yeux ! Il prenait conscience que, comme pour Léo, il voulait que Tom sorte, que quelqu'un d'autre soit celui qui s'occupe médicalement de lui et qu'il puisse agir sans le prendre pour un patient.
« Toi et moi ? » ; Bill acquiesça face à la mine surprise du plus jeune. « On n'peut pas. »
« Pourquoi ? Qu'est-ce que tu crois ? Je n'vaux pas mieux que toi, Tom, et quand tu seras dehors tu t'en rendras peut-être compte. »
Cette fois, Tom n'ajouta rien et se contenta de le regarder. Il jongla entre ses yeux et sa bouche durant de longues secondes, sans bouger, sans rien dire. Bill sentit rapidement le malaise monter et l'étouffer. Ça, c'était dix fois trop. Ce n'était pas que ça le gênait vraiment, mais c'était trop pour le boulot. Il baissa le regard vers le petit espace qu'il restait entre eux, et décida de se remettre à réfléchir.
« Il faut que je t'explique deux ou trois trucs avant d'y aller, parce que c'est la dernière fois qu'on en parlera ok ? »
Évidemment, le sujet de conversation fit sortir le jeune dreadé de sa léthargie et il cessa enfin de le fixer avec insistance. Bill reposa les yeux sur lui, sachant qu'il avait encore une fois tout cassé même si ça lui semblait nécessaire. Lui, il aurait la patience d'attendre qu'il sorte, enfin il supposait, alors pour le moment il pensait qu'il n'avait pas besoin d'en faire trop. Après tout, ce n'était pas des adieux, juste une mise à distance.
« Tu m'écoutes ? » ; demanda-t-il doucement. Tom acquiesça, alors il repensa à son plan et commença à s'expliquer. « Bien. Déjà, tu vas devoir être un peu plus cool avec le personnel. Je ne peux pas décider de ta sortie si personne d'autre que moi ne voit un changement. Tu es autonome, tu manges, tu es calme, ok, mais ça suffit pas. Je te demande pas de leur parler si t'en as pas envie, mais juste de faire un petit effort. Montre leur que tu es capable de te débrouiller ou je sais pas... » ; son patient fronça le nez à cette suggestion et Bill sut lui-même que c'était très bizarre comme situation. Il avait l'impression de le faire évader, et pourtant il était réellement presque prêt. « Et euh... il va falloir que tu sortes. Dehors. Si t'as peur, je serais avec toi, ou même Gabriel ou qui tu veux ! Mais tu dois essayer, doucement... je sais que c'est pas si facile, mais quand tu sortiras d'ici tu seras directement confronté au monde extérieur, aux gens, au bruit, à l'agitation. Tu comprends ? Et que ce soit clair, ne te force pas ! Tu peux d'abord commencer par traverser le couloir, puis y aller petit à petit, même si ça dure cinq minutes. »
Tom concentra son regard sur les draps, l'air pensif. Cinq minutes c'était déjà trop pour lui. Bill lui en demandait beaucoup, c'était certain, mais il ne le forcerait jamais, c'était à lui de jouer ensuite.
« Dis-toi que tu as tout ton temps et que te forcer pour te sentir mal ne servira à rien. Je serais toujours là, quelque part, j'aurais toujours un oeil sur toi et tu le sais. Je ne vais pas abandonner même si c'est long, d'accord ? »
Il y eut à nouveau un petit laps de temps durant lequel Tom eut l'air de cogiter, mais ce fût moins long que précédemment.
« Tu viendras encore me voir ? »
« Bien sûr ! Je continuerais de venir souvent, je suis censé vérifier que tu vas bien et que tout se passe bien. »
Tom se mordit les lèvres, soucieux. Il était loin de croire en la vie, en l'avenir, même. Mais en Bill ? Avait-il au moins assez de force pour ça ? Pour essayer ? Supporter ? Et puis arriver au bout ?
« Ok... » ; souffla-t-il finalement. Après tout, il avait bien tenu jusque là et le personnel avait été très loin d'être toujours gentil avant, et même s'il s'était protégé grâce à son état de léthargie, Tom avait des souvenirs assez clairs.
À ses côtés, un sourire apparut sur le visage du blond et celui-ci remua, satisfait, et déjà prêt à partir. Tom agrippa son bras avant qu'il ne s'échappe.
« Attends... juste cinq minutes. »
L'androgyne se stoppa, surpris. Il trouvait ridicule la façon dont il se sentait par rapport à cette distance qu'il leur imposait, mais pas Tom. Parce que Tom avait besoin d'être rassuré, et ça il le comprenait parfaitement.
Toute pensée cohérente s'envola lorsqu'il déposa ses deux mains contre les joues du dreadé afin de le rapprocher de lui et de pouvoir déposer ses lèvres contre son front. Ok il voulait rétablir un peu d'ordre entre eux pour bosser correctement, mais il ne voulait surtout pas que Tom se sente abandonné ou expédié, ça ferait tout foirer. Étonnamment, celui-ci se laissa faire et n'eut pas l'air gêné par le geste. Lorsque Bill recula son visage, il baissa seulement les yeux vers lui, à la fois curieux et perdu. Comment les choses allaient-elles tourner ? Comment et pourquoi avait-il laissé entendre que sortir était une bonne idée ?
« Fais-moi confiance. » ; souffla son vis-à-vis. Tom voulait bien essayer, mais pourquoi faire ? Pourquoi aller dehors ? Et d'abord où allait-il atterrir ? « Si tu ne veux pas y croire, crois en moi. Parce que j'ai assez d'espoir pour deux. »
Il avait mal d'avance. De devoir se forcer à regarder les autres, à avoir l'air normal, à avoir l'air de vouloir s'en sortir alors qu'il se fichait pas mal de finir sa vie ici. Il avait mal de savoir qu'il n'aurait plus cette bouffée d'oxygène chaque fois que Bill entrait, lui souriait et le regardait avec toute la bienveillance du monde. Il ne resterait plus juste pour être là, pour lui parler. Tom appréhendait beaucoup de devoir tout supporter sans avoir droit au Bill qui prenait le temps de le rassurer. Il avait mal d'avance de le voir passer en coup de vent et agir comme s'il n'était rien. Mais au fond, c'était ce qu'il était, ce qu'il avait toujours été, alors pourquoi avait-il inconsciemment cru à ce changement ?
« Tom. S'il te plait. J'ai besoin que tu ne repartes pas. » ; évidemment, le dreadé n'entendit rien, perdu au milieu de son malaise. Bill fronça les sourcils, agrippa soudain ses poignets et tira dessus sans aucune douceur. « Tom ! »
Surpris, son jeune patient ouvrit de grands yeux et se retrouva nez à nez avec le blond sans savoir comment c'était arrivé ni même si Bill avait parlé. L'androgyne, lui, soupira faiblement.
« Je sais que tu fais ça pour te protéger mais essaie de ne pas te renfermer. » ; lui demanda-t-il d'une voix plus basse.
Tom fronça le nez à la suggestion, loucha sur sa bouche, puis reposa ses yeux confus sur les siens. Si Bill s'amusait à lui demander l'impossible, il n'arriverait jamais au bout.
« Penses-y, d'accord ? Je dois vraiment y aller maintenant. »
Il serra ses mains durant quelques secondes, comme pour lui dire qu'il était là, mais Tom n'eut aucune réaction et le regarda simplement s'éloigner. C'était bizarre, et c'était normal, Bill était conscient d'avoir tout chamboulé dans sa tête en lui demandant une telle chose, mais si ça pouvait le pousser à sortir de sa coquille, il en serait content. Il ne voulait pas juste le faire sortir, il voulait le voir vivre, c'était tout.
**
« Un quoi ?! »
« Je te dis qu'il y a une femme qui essaye de rentrer ! » ; Bill fronça les sourcils, incompréhensif. « Elle est avec quelqu'un. »
« Qui ça ? »
« Mais j'en sais rien moi ! » ; s'exclama Gabriel tout en levant les yeux au ciel. « Bon alors tu viens avec moi ? » ; amusé qu'il ne soit pas rassuré, le médecin acquiesça finalement et se décida à le suivre.
Dehors, il y avait apparemment une femme qui tentait de forcer le passage alors qu'il était presque 1h du matin et qu'elle n'avait pas le droit d'entrer. Une fois à l'extérieur, Bill l'entendit déjà crier en descendant les quelques marches, et plissa les yeux pour essayer de voir quelque chose à travers l'obscurité.
« Tu vois c'que je vois ? » ; lui demanda discrètement Gabriel pendant qu'ils avançaient jusqu'à la grille. Bill hocha la tête. Cette femme à moitié hystérique tenait quelqu'un qu'elle retenait par un vêtement et qui ne semblait pas franchement tenir debout.
Plutôt inquiet de l'état potentiel dans lequel se trouvait cette personne, l'androgyne sortit ses clés et n'hésita pas à se poster devant la grille pour ouvrir.
« ENFIN ! » ; s'exclama la femme dont les yeux ne reflétaient que colère et dégoût. La grille fut à peine ouverte qu'elle les bouscula violemment, traînant l'autre personne avec elle, qu'elle finit par éjecter d'un mouvement habile. Le corps s'écroula durement dans les gravas et Bill fut le premier à s'y précipiter. Son premier réflexe fut de chercher un pouls, puis, une fois trouvé, de lever les yeux vers cette femme. « Enfermez-le ! Je n'veux pas d'un putain de camé sous mon toit. » ; cracha-t-elle avec hargne. Et sur ces mots, elle partit, ne donnant ni explications, ni informations sur le dit-camé, ne prenant même pas la peine de lui accorder un dernier regard. Elle partit seulement comme si elle venait de se débarrasser d'un poids. Bill décida de ne pas chercher à lui courir après et tendit ses clés à Gabriel afin qu'il referme. Sa priorité, c'était la santé de la personne inerte qu'il avait sous les yeux.
En premier lieu, il poussa délicatement la capuche qui cachait son visage et fronça le nez face aux traits fins et encore enfantins qu'il découvrit. Ce garçon ne devait pas avoir plus de quinze ans, et vu le teint blafard qu'il avait, cette femme ô combien violente n'avait sans doute pas menti. Gabriel le remarqua également et ils se regardèrent tous les deux avec une pointe de tristesse et d'inquiétude. Malheureusement, c'était courant.
« Va chercher du renfort, et une civière, je préfère éviter de le malmener encore plus. »
Gabriel acquiesça, lui rendit rapidement ses clés et partit en courant. Bill se mordit distraitement l'intérieur des joues et reporta son attention sur le gamin tout en se demandant si cette femme était sa mère ou une quelconque proche. Il n'avait encore jamais vu quelqu'un débouler comme ça pour emmener un patient de force, mais savait parfaitement que ça arrivait. Drogués, personnes âgées, enfants abandonnés. L'entourage de ces personnes était cruel parfois, les traînant de force et les faisant passer pour "fous" pour s'en débarrasser. Techniquement, quand quelqu'un arrivait comme ça, ni Bill ni aucun autre membre du personnel n'avait le droit de le laisser partir. Si, par chance, cette personne n'avait pas besoin de rester, ils devaient la rediriger, mais vérifier leur santé était obligatoire. Sinon, ce serait considéré comme une faute. Il était clair qu'ils ne savaient pas ce qui pouvait arriver et il valait mieux toujours prendre soin de quelqu'un qu'on emmenait ici, peu importe l'état dans lequel il arrivait.
Enfin, le renfort arriva après un moment, coupant court à ses pensées et laissant l'agitation reprendre le dessus. Malgré les circonstances, il adorait ça. Il ne pouvait définitivement pas le nier.
**
Si voir ses patients sortir était génial, plusieurs d'un coup, c'était plutôt dur. Malgré la joie de les savoir mieux, Bill ne pouvait jamais s'empêcher d'avoir un pincement au coeur. Ils passaient des semaines ici, voire des mois et des années, et en les voyant tous les jours, Bill s'habituait à en prendre soin, alors il s'inquiétait toujours un peu de savoir qui le ferait à l'extérieur.
« Alors ? Comment s'est passé le départ de Julia ? »
Bill jeta un coup d'oeil à Alex qui venait de se poser à ses côtés sur le banc, puis son regard retourna sur Léo qui courait dans tous les sens dans l'espoir d'attraper un papillon. Apparemment, les papillons faisaient partie des choses que l'enfant trouvait fascinantes.
« Bien. Elle était contente de rentrer. » ; répondit-il sans lâcher le petit des yeux. Le voir comme ça, à courir après ce pauvre papillon sans défenses, rassurait Bill autant que ça l'angoissait. Il savait que Léo était bien juste en le regardant, mais il allait devoir lui annoncer qu'il était prêt à partir d'ici et ça n'allait pas être simple. Déranger ses habitudes allait faire s'envoler sa petite tranquillité et ses craintes, son incertitude, son agressivité allaient remonter à la surface. C'était sûr.
« Et toi ça te rend triste ? »
Durant une seconde, Bill lâcha Léo des yeux pour regarder son collègue. Vu ce qui s'était passé entre eux, il était toujours un peu surpris chaque fois qu'il venait juste pour discuter avec lui.
« Non... oui, je sais pas. » ; soupira-t-il. « Je suis content qu'elle s'en sorte. »
« Mais tu t'inquiètes. » ; confirma Alex. Le jeune psychiatre haussa une épaule, comme très souvent. Il était comme ça, ils allaient bien finir par s'y faire, tous ? « Elle a bien le numéro du bureau de toute façon ? »
« Oui. Je donne celui de l'accueil et de mon bureau. »
« Alors y a pas de problème ! Si ça va pas, elle t'appellera, après tout elle te fait confiance. »
« Ouais... sans doute. » ; bredouilla-t-il distraitement. Il espérait bien avoir des nouvelles d'ailleurs.
Soudain, sous leurs yeux, Léo réussit à encercler le papillon de ses deux petites mains et se mit à crier de joie dans tout le parc. Il déboula vers eux en courant, les mains en avant, fermement scellées autour du petit papillon.
« Je l'ai euuuu, Bill, je l'ai eu ! » ; s'exclama-t-il joyeusement. Une fois devant le blond, il se stoppa, ne semblant même pas remarquer Alex. « Regarde ! » ; Bill leva les yeux vers les dites-mains. Il ne pouvait rien voir, mais se doutait que le papillon tentait de s'échapper puisque Léo se mit à rire. « Il me chatouille ! »
Amusé, le médecin pencha la tête tout en décollant son dos du dossier pour se rapprocher du bord du banc.
« Il veut s'échapper. »
« Mais je l'aurais plus si il s'échappe... » ; bredouilla l'enfant avec une pointe de tristesse. En réalité, il voulait juste pouvoir découvrir comment il était fait, ses couleurs, les détails sur ses ailes.
« Non, mais tu crois pas que lui rendre sa liberté serait une bonne chose ? Il va mourir si tu le gardes dans tes mains. » ; Léo fit la moue.
« T'es sûr ? » ; Bill acquiesça, alors le petit souffla de déception et se retourna. « D'accord... » ; marmonna-t-il d'une petite voix. Il jeta un coup d'oeil au ciel, aux arbres aussi, et puis reposa les yeux sur ses doigts, qu'il écarta délicatement. « Envole-toi, petit papillon... »
Bien sûr, celui-ci n'attendit pas pour s'échapper aussitôt qu'il eut juste assez d'espace pour s'envoler. Léo le regarda voler très vite, et loin, probablement paniqué à l'idée de se retrouver emprisonné à nouveau. Une fois disparu, l'enfant se tourna vers lui avec des yeux tristes.
« Ohh, sois pas triste, tu ne lui as pas fait de mal et tout ira bien. »
Ses lèvres se courbèrent pratiquement vers le bas, et ses yeux brillèrent alors qu'il grimpait vivement sur les genoux du médecin pour se coller à son torse. Bill jeta un regard vers Alex qui fut loin d'avoir l'air surpris et qui s'amusait plutôt de la situation. Et puis que Léo soit aussi sensible par rapport à quelque chose comme un papillon n'était pas surprenant non plus. Ses bras se refermèrent alors autour de Léo afin de le réconforter et de le laisser assimiler tranquillement.
« Bon. Moi je vous laisse, j'ai du boulot ! » ; s'exclama Alex au bout d'un moment. Dans ces moments-là, Léo ne voyait rien d'autre que Bill, il le savait et pensait que rester ne servirait à rien.
Bill le regarda s'éloigner tout en se mordillant nerveusement la lèvre inférieure. C'était le moment où jamais. Il fallait qu'il annonce à Léo qu'il partirait d'ici quelques jours, ou au moins, qu'il le prépare. Si l'enfant refusait, il avait un délai, juste histoire d'y penser et de se faire à l'idée.
« Hey, Léo... » ; appela-t-il, sa voix sonnant plus grave qu'en temps normal. « Est-ce que tu m'écoutes ? »
« Tu crois qu'il est parti où ? »
« Hein ? » ; en baissant les yeux vers le petit qui le regardait avec espoir, il comprit qu'il parlait du papillon et essaya de réfléchir à quelque chose qui expédierait le sujet. « Oh, hum... il est peut-être parti se poser sur une fleur. »
« Sur une fleur ? »
« Oui, c'est son environnement, alors c'est sûrement là qu'il est. » ; Léo plissa les yeux. Il aimait les papillons mais les attraper n'était pas bien. Alors comment les observer ?
« Et si un papillon est posé j'ai le droit de m'approcher ? »
« Bien sûr ! Si tu t'approches sans lui faire peur, tu pourras le regarder. » ; l'enfant baissa à nouveau les yeux et attrapa l'avant-bras tatoué du médecin entre ses deux mains, en retraçant distraitement les lignes.
« Il était si beau. » ; souffla-t-il, à moitié perdu dans ses songes et en même temps concentré sur ce qu'il faisait.
« Dis-toi que la liberté, c'est le plus important. Un papillon n'est pas comme un chat, tu ne peux pas t'en occuper, tu dois juste le laisser s'envoler. »
« Pourquoi nous on peut pas s'envoler et aller où on veut ? »
Cette question, aussi innocente soit-elle, lui fit mal au coeur. Un jour, Léo aurait le droit de prendre son envol et il y veillerait personnellement.
« Parce que c'est pas aussi simple. Toi, par exemple, tu es trop petit, mais un jour, tu pourras... » ; Léo leva des yeux curieux vers lui. « D'ailleurs, sortir d'ici serait un bon début, tu crois pas ? »
« Pourquoi ? » ; demanda le petit avec de grands yeux.
« Parce que tu pourrais te promener, jouer, aller à la plage... » ; Léo afficha une mine intéressée, mais méfiante.
« Je vais partir ? »
Bill se mordit l'intérieur des joues, à la fois anxieux et un peu plus confiant que précédemment. Il n'avait pas l'air paniqué à cette idée, c'était déjà pas mal.
« Et bien... tu es censé, oui. »
« Quand ? » ; un jour, peut-être, Bill cesserait de s'étonner du comportement si mature qu'il avait parfois. Mais pas aujourd'hui.
« Bientôt. »
« Bientôt comment ? » ; ses doigts passèrent dans les cheveux courts de l'enfant, comme si ça allait faciliter les choses.
« Dans quelques jours ? » ; souffla-t-il prudemment. « J'ai obtenu une date, mais si tu n'es pas prêt, tu as le droit à quelques jours de plus. »
Le regard surpris et perdu du petit se fixa sur lui durant de longues secondes, mais dévia ensuite vers ce qui les entourait. Bill fut rassuré qu'il ne parte pas, qu'il ne se soit pas aussitôt renfermé. Il était parfaitement conscient et semblait y réfléchir, et c'était déjà génial !
« Je pourrais faire de la balançoire ? »
Bill lutta pour masquer sa surprise, et puis hocha vivement la tête, soulagé. Ils étaient plutôt bien partis.
« Bien sûr, Zoé a hâte de pouvoir faire la course avec toi. » ; visiblement satisfait à cette idée, un petit sourire glissa sur son visage enfantin et Bill ne put s'empêcher de sourire lui aussi. « Alors t'es d'accord ? »
Apparemment, Léo avait moins peur du changement que lui puisqu'il hocha la tête en réponse. Ils n'étaient certainement pas à l'abri de craintes potentielles avant le jour J, mais Bill pensait qu'il saurait plus ou moins les gérer. Dorénavant, il ferait tout pour le rassurer à propos de ce départ qu'il espérait définitif, et puis sa mère serait parfaite pour prendre le relais. Il n'avait aucun doute à propos de ça.
**
Le lundi matin, arrivé plus tôt pour pouvoir prendre le temps de boire un café avant de commencer, Bill se sentit en forme et motivé pour cette nouvelle semaine. Parfois, il avait tendance à l'oublier, mais plus il était motivé et souriant, plus il arrivait à gagner la confiance des patients. Evidemment, ça ne marchait pas à tous les coups et c'était normal. La confiance, c'était quelque chose de précieux et d'important, mais il obtenait de bons résultats en règle générale.
Chaque matin, le changement d'équipe se faisait par roulement. Ils arrivaient généralement en décalé afin de ne pas trop enbahir les couloirs et tentaient de se croiser avec l'équipe de nuit pour se tenir informés de ce qui se passait.
Ce jour-là, c'était Gabriel qui avait été de garde de nuit et qui l'interpella aussitôt qu'il le vit.
« Bill, faut que j'te parle. Viens. » ; appela-t-il tout en lui faisant signe de le suivre. L'androgyne suivit sans poser de questions, se laissant guider avec une pointe de curiosité dans les couloirs. Son ami se stoppa finalement, lui indiqua une porte ouverte, et surtout, une personne à l'intérieur. Bill fronça les sourcils en reconnaissant la chambre et évidemment, son patient. « Il est comme ça depuis trois jours. Il ne bouge pas, ne réagit pas... je crois qu'il a replongé droit dans son monde. »
Sous leurs yeux, Tom était allongé, recroquevillé dos à la porte, immobile. Etant donné ses nombreux progrès depuis quelques mois, le revoir comme ça leur faisait faire un énorme bond en arrière...
À suivre...
