Suite - chapitre 5 :

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Le meilleur endroit pour profiter d'un orage, c'était une fenêtre, en hauteur. C'était l'endroit où il avait une vue parfaite sur la foudre, l'observant s'abattre à divers endroits avec le frisson de penser que ça pourrait tomber sur eux. C'était un frisson qu'il aimait. Quand il regardait l'orage éclater, il s'évadait. Il était attentif aux éclairs, ressentant cette pointe à la fois agréable et insupportable dans le creux du ventre alors qu'il observait les zébrures de l'impact de la foudre. Une pluie diluvienne se mêla rapidement à l'orage, venant claquer et s'écouler contre les vitres avec le vent. La violence d'une pluie d'orage le détendait, contrairement aux pluies d'automnes glaciales et désagréables. Peut-être que c'était la chaleur, le fait de se sentir à l'abri alors que le ciel grondait et déversait toute cette eau.

Derrière lui, il entendit un bruit de frottement de tissu. Il y jeta un coup d'oeil. Tom s'était retourné dans son lit. Il ne voyait plus qu'un amas de dreadlocks contrastant avec les draps blancs sous lesquels il était emmitouflé.
Depuis qu'il l'avait retrouvé là-haut, Tom n'avait fait que dormir. En tout cas, personne ne l'avait vu se réveiller. Ce n'était pas si surprenant en sachant que sa perfusion avait été changée. Il était dix fois trop faible. Bill allait employer les grands moyens si c'était ce qu'il devait faire. Il n'allait certainement pas le laisser s'enfoncer un peu plus chaque jour. Hors de question.

Automatiquement, ses pieds le menèrent de l'autre côté du lit. Il détailla les quelques traits de son visage qu'il pouvait apercevoir. Ses paupières closes, les cernes creusées sous ses yeux, sa joue et sa mâchoire trop saillante. Il savait que, comme pour Léo, Julia, Léon ou même Sacha, il s'inquiétait trop. Il s'attachait à eux comme s'ils étaient son entourage. À partir du moment où les voir dépérir lui faisait du mal à lui, il était foutu.

Tom remua sous ses yeux. Il devina que ses jambes étaient pliées à leur maximum contre son torse puisque son corps formait une petite boule sous la couverture. Même sa tête bougea, baissée contre lui comme si ça allait le protéger.
Son corps ne reflétait pas du tout son âge. Maigre, sans forme, saillant et presque squelettique, il avait le corps d'un enfant/ado en transition, juste avant les changements, la puberté et toutes ces choses qui feraient de lui un homme. À dix-huit ans, il aurait déjà dû changer, si seulement il prenait du poids et des forces.

Bill soupira faiblement, agacé de ne pas pouvoir y faire grand chose. S'il y avait des patients avec qui il arrivait à discuter pour faire les choses, ils étaient moins nombreux et c'était une chose vraiment frustrante. Comment aider quelqu'un qui ne parlait et ne réagissait pas ? Les médicaments n'étaient pas toujours une solution. Bill refusait de les shooter les trois-quarts du temps, ça n'aidait en rien du tout. Il arrivait toujours ici motivé et déterminé, avec des résolutions fixes. Il voulait faire bouger les choses. Puis il était confronté à la réalité, à la souffrance silencieuse, aux regards éteins... et tout s'écroulait comme un château de cartes. Il allait sérieusement devoir bosser sur son sang-froid.

La foudre craqua soudain au-dessus du bâtiment, le tonnerre grondant jusqu'à faire vibrer les fenêtres. Bill sentit son coeur s'arrêter une seconde sous le choc et vit le corps du dreadé sursauter au milieu des draps. Ses yeux s'ouvrirent en grand et tombèrent aussitôt sur Bill, qui se sentit bizarrement mal à l'aise. Le veiller ne faisait pas partie de son boulot.
Un éclair de ce qui ressemblait à de la terreur passa d'abord dans ses yeux. Bill était à présent sûr et certain qu'il avait vécu quelque chose de mal. Quelque chose qui l'avait brisé. Ce n'était pas juste le choc émotionnel d'une mort. C'était autre chose.

Conscient qu'il ne voulait pas de lui ici, Bill recula. Il ne voulait pas s'imposer et surtout en pleine nuit. Il était là pour l'aider. Pas l'ennuyer.

« Si t'as faim, je t'ai laissé de quoi manger. » ; l'informa-t-il en lui indiquant deux fruits sur la table de chevet. Tom n'y jeta même pas un coup d'oeil. L'androgyne quitta alors la chambre sans rien ajouter de plus.

Dans le couloir, il retrouva Gabriel. Agité, courant à moitié, il se précipita vers Bill dès qu'il l'aperçut.

« Ah, je te cherchais partout ! Léo est réveillé et c'est toi qu'il veut. Il est grimpé sur la table. »

Le médecin haussa un sourcil et prit la direction de la chambre du gamin avec lui.

« Il s'était bien endormi pourtant, qu'est-ce qui s'est passé ? »

« Je sais pas, j'ai entendu des grondements alors je suis allé voir et c'était une vraie pile électrique ! »

« Il doit angoisser pour quelque chose. » ; soupira le blond. Ils se dépêchèrent de rejoindre la bonne chambre. Bill découvrit Léo carrément perché sur une table de chevet. Il sauta, grimpa sur une chaise, puis la table, puis redescendit et sauta sur le lit. « Léo ! » ; appela-t-il fermement. Le gamin l'ignora et continua son manège de façon répétitive. Des grognements sortaient de sa bouche et contrastaient parfaitement avec des petits rires que les deux hommes trouvèrent plus ou moins flippants. L'androgyne avança, tentant de capter son attention même si l'enfant continuait de sauter et grimper dans tous les sens autour de lui. « Léo, écoute-moi. » ; appela-t-il encore. Pour le stopper, il lui attrapa un bras au passage et le tira vers lui malgré les cris qu'il se mit à pousser. Bill se baissa pour être à sa hauteur, essayant de maintenir son menton afin de croiser son regard vide. « Léo, c'est juste moi... Calme-toi. »

Enfin, l'enfant planta son regard dans le sien. Bill passa une main dans ses cheveux, espérant le calmer un peu. Léo semblait furieux.

« Tu m'as abandonné ! » ; lui cracha-t-il, le surprenant.

« Quoi ? Qu'est-ce que tu racontes ? »

« T'es parti ! » ; Bill n'obtint aucune autre réponse malgré son regard interrogateur. Il comprit progressivement que Léo avait dû paniquer en se réveillant seul, mais pourquoi ?

« Tu sais très bien que je ne suis jamais très loin. » ; Léo répéta : t'es parti ! Le blond tendit alors ses mains, caressant d'abord ses joues. « Viens ici. » ; le petit hésita. Bill avança pour déposer un baiser contre son front et Léo s'apaisa enfin contre lui.

Gabriel leva un pouce en l'air un peu plus loin, lui souriant légèrement avant de lui faire signe pour signifier qu'il le laissait gérer.
L'androgyne enroula ses bras autour du petit garçon afin de le soulever et l'emmener dans son lit. Il éteignit la lumière pour ne garder qu'une lampe de chevet allumée et vint ensuite tirer la couverture sur lui. Calmé, Léo tapota la place à ses côtés. Bill vint s'y asseoir s'en protester. Il appuya son dos contre la tête de lit et laissa l'enfant se coller à lui. Qu'est-ce qui avait bien pu changer à ce point pour qu'il s'attache autant à lui ?

« Tu sais, tu dois comprendre que j'ai du travail. Je dois m'occuper de tas de choses et même si je suis pas là quand tu ouvres les yeux, je ne suis jamais loin. Tu peux juste me faire appeler et je viendrais, mais ne pas être là ne veut pas dire que je t'abandonne, tu comprends ? » ; Léo hocha la tête contre lui. Le médecin passa délicatement ses doigts dans ses cheveux pour l'apaiser. « Qu'est-ce qui te fait peur ? » ; lui demanda-t-il après un moment.

« Tout. » ; répondit l'enfant qui trifouillait distraitement sa blouse. « Rien n'est jamais comme je veux. »

« Et tout ce qui n'est pas comme tu le veux te fait peur ? »

« Oui. »

« Pourquoi ? »

« Parce que ça m'énerve. » ; se plaignit le gamin, sourcils froncés. Il était toujours nerveux, Bill pouvait le sentir.

« Et pourquoi ça t'énerve ? »

« Parce que je peux pas le contrôler ! » ; s'exclama à nouveau l'enfant.

« Tu as besoin de contrôle ? » ; Bill plissa les yeux. « Ça te rassure ? »

« Oui. »

« Comme quoi ? » ; Léo haussa les épaules. C'était dur à expliquer pour lui. Assez incompréhensible, en fait.

« Je sais exactement à quelle heure sont servis mes repas. S'il y a une minute de retard, je sens que c'est pas moi qui peux le contrôler et ça m'énerve. Comme si ce n'était pas moi qui décidais de quand je pouvais manger. »

« Et quand c'est à la bonne heure non ? »

« Non. Arriver à l'heure c'est ce qui doit arriver. Je le sais. »

« Et tu as l'impression de le contrôler. » ; Léo acquiesça encore. Ce qui se passait dans sa tête était parfois tellement difficile à suivre que Bill se sentait à côté de la plaque. Aujourd'hui, il en avait une, et la semaine suivante ce serait une autre. Ce qui ne changeait pas était l'angoisse que ce ne soit pas quelque chose qu'il contrôle. Il y eut quelques minutes de silence. Léo ne bougeait pas, triturant seulement ses vêtements entre ses doigts pendant que le blond jouait avec ses cheveux. Bill espérait réussir à l'apaiser pour la nuit cette fois.

« Tu vas rester jusqu'à ce que je dorme hein ? » ; demanda-t-il contre lui. Bill déposa ses lèvres contre son front, y répondant par un -oui- à voix basse.

« Je resterais et si tu te réveilles quand je serai parti, tu n'auras qu'à sonner, d'accord ? Si c'est pas moi qui viens, tu devras juste me demander et je reviendrais. » ; l'enfant hocha la tête. Il se hissa plus près, cherchant la chaleur dont il avait besoin. Bill ne put que le laisser faire. Sa tête pesait de plus en plus contre son torse et il dut attendre de longues minutes dans le silence jusqu'à ce qu'il s'endorme. Il continua de caresser ses cheveux encore un moment, voulant le garder paisible au maximum.

Une fois certain qu'il était bien endormi, il lutta pour tenter de se glisser hors du lit. Il déposa délicatement Léo contre son oreiller, plaça son doudou contre lui et le borda. Il déposa un autre baiser contre son front et s'éclipsa silencieusement, chassant les pensées qui l'accusaient clairement de prendre ce gamin bien trop à coeur.
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La vérité, c'était que faire des efforts et continuer de sombrer rendait tous les espoirs vains. Bill avait vu cette situation se produire plusieurs fois. Aujourd'hui, il s'agissait de Julia. Elle essayait de manger, de prendre du poids. Il l'avait vu se forcer et était même resté pour être certain qu'elle ne se fasse pas vomir juste après. Pourtant, elle n'avait pas pris un gramme. Rien du tout. En voyant son poids, elle avait éclaté en sanglots. Bill était tout aussi dégoûté d'avoir réussi à la convaincre alors que son corps résistait. Il avait dû lui expliquer que c'était possible, qu'il lui fallait du temps, qu'elle faisait certainement un blocage malgré ses efforts. Difficile à croire, mais pas impossible.

« Et si je maigris ? » ; lui demanda-t-elle. Bill fronça le nez.

« Si tu maigris alors que tu manges, ce sera plus compliqué. Tu atteins déjà les limites, il faut pas que tu perdes. »

« Vous croyez que c'est facile ?! »

« J'ai pas dit ça. » ; Julia plia ses jambes sous sa couverture. Frêle et fragile, elle lui faisait penser à une poupée. Une petite poupée fragile. Difficile de ne pas vouloir la protéger.

Julia avait largement le temps de se reconstruire, il espérait que ses efforts donnent de vrais résultats et qu'elle irait mieux.
Soudain, quelques coups résonnèrent contre la porte de la chambre, et Bill plissa les yeux lorsqu'elle s'ouvrit. Noa entra. Noa. Le petit frère de Rose. Il y eut une seconde durant laquelle Bill crut qu'il avait oublié un rendez-vous ou même que l'adolescent avait besoin de lui parler, mais non, Noa échangea un sourire avec Julia et avança près du lit. Il y eut des petits -salut- bas, le faisant hausser les sourcils.

« Vous vous êtes parlé ? » ; Noa baissa les yeux sur le lit et ce fut sa patiente qui l'éclaira.

« Vous nous avez laissé ensemble la dernière fois, vous vous souvenez pas ? »

« Hum... si, je crois ? » ; répondit-il en fouillant dans ses souvenirs. « Alors vous parlez ? »

« Un peu. Noa m'a filé un numéro et je l'ai appelé ensuite. » ; Bill jeta un coup d'oeil vers le jeune garçon. Il rêvait ou ils se jetaient des regards discrets ?

« Et de quoi est-ce que vous parlez ? » ; les deux jeunes le regardèrent avec l'air de dire que ça ne le regardait pas. « Non j'veux dire... est-ce que vous parlez de vos problèmes ? » ; Julia acquiesça lentement, le faisant réfléchir à vive allure. « C'est lui qui t'a convaincue de manger ?! »

Noa ne répondit rien, sur la réserve, mais l'adolescente baissa brusquement la tête jusqu'à ce que ses cheveux cachent la moitié de son visage. Bill plissa les yeux, curieux et déçu. Il n'avait donc servi à rien ? Il observa les deux simultanément, surpris. Il n'aurait jamais imaginé qu'un lien se crée entre eux, un contact assez fort pour qu'ils échangent un numéro, pour qu'ils en viennent à se parler à distance.

« Vous pensez que c'est mal c'est ça ? » ; demanda Julia sans le regarder. Bill fronça les sourcils.

« Quoi ? Non, pas du tout. Pourquoi ce serait mal ? »

« J'en sais rien. Des conneries qui me feront replonger ou blablabla. »

« Et bien, tout dépend de ce qui se passe entre vous, mais dans tous les cas je ne peux pas vous empêcher de vous voir et tant qu'il n'y a pas d'amélioration, il ne s'agit pas de replonger. » ; l'adolescente osa enfin le regarder, au même titre que Noa. « Si vous pouvez vous parler de vos problèmes, c'est plutôt une bonne chose à mes yeux. Vous avez au moins quelqu'un à qui vous n'avez pas peur de parler. »

« Vous allez essayer de nous soutirer des infos ? » ; Bill eut un petit sourire cette fois. Il croisa les bras contre son torse.

« Je pourrais, c'est vrai. Mais dites-vous que si je le fais un jour, ce sera pour essayer de vous aider. Si vous savez des choses graves sur l'autre, et même si vous vous promettez de rien dire, n'hésitez pas tant qu'il s'agit de la vie de l'autre. » ; leur expliqua-t-il calmement. Il s'adressa plus particulièrement à Julia. «Je veux autant que toi te voir sortir, mais je peux pas te laisser partir tant que tu n'es pas en forme. Quoique je fasse, je le fais pour te voir partir en pleine forme un jour, et avec d'autres idées dans la tête que celles qu'on t'a forcé à croire. »

Julia baissa à nouveau les yeux vers son lit. Ça prenait du temps mais les choses faisaient leur chemin dans sa tête. Si Noa la motivait et lui faisait du bien, pourquoi tenterait-il de les séparer ? Ça ne servirait à rien. Plus on tente d'éloigner deux personnes, plus elles se rapprochent.
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Gabriel lui lança un regard. Bras croisés, Bill, lui, attendait. Il avait apporté lui-même un plateau dans la chambre du dreadé, l'avait volontairement glissé sous ses yeux en lui assurant que ni lui ni l'infirmier ne sortiraient de cette pièce tant qu'il n'aurait pas mangé un peu. Évidemment, Tom n'avait pas bougé.

Suite à son malaise, il y avait eu d'autres examens et Bill avait décidé de suivre le conseil de Gabriel en remarquant que son corps était à deux doigts de lâcher. Alors il avait décidé de le secouer. Ils se regardaient tous les deux automatiquement, chacun se demandant comment faire. Le secouer, oui, mais en auraient-ils le coeur ?

Bill s'avança, déterminé. Il préférait être détesté que ne rien faire et le laisser mourir à petit feu.

« Tom, il faut que tu manges. » ; commença-t-il d'abord, se penchant doucement pour essayer de le voir. Les longues dreadlocks cachant la majorité de son visage, Bill ne trouva jamais son regard. « Allez... » ; appela-t-il avec un soupir. « Tu dois vraiment manger. Tu t'en fiches d'être constamment perfusé ? De te sentir faible ? »

Son patient n'eut aucune réaction. Gabriel regarda le médecin faire, curieux. Si Bill savait se faire entendre auprès du personnel, il était dix fois plus doux avec les patients et il ne croyait pas vraiment qu'il allait oser le secouer ou lui faire peur.

« Tu te fiches de te sentir mal ? D'être coincé ici ? » ; toujours rien, bien sûr. Bill se demandait pourquoi il faisait ça, pourquoi il essayait de le faire réagir alors qu'il avait su d'avance que ça ne mènerait à rien. Pourquoi lui posait-il ces questions normalement alors qu'il n'obtiendrait jamais de réponse ? Il jeta un coup d'oeil las vers Gabriel et celui-ci l'encouragea du regard. Il se mordit l'intérieur des joues, se forçant à ne pas soupirer ou montrer un signe de faiblesse. Son regard se reporta sur le dreadé, immobile au milieu de son lit. « Tu te fiches de mourir ? » ; reprit-il avec une pointe de rancoeur et d'amertume. « TOM ! » ; s'écria-t-il, sa voix forte et un peu rauque résonnant dans toute la chambre en même temps que ses mains qui claquèrent contre la tablette. Tom sursauta. Bill en profita pour le pousser un peu plus, gardant ses mains appuyées contre la surface juste sous ses yeux et se penchant pour lui parler. « Tu manges. Ou c'est moi qui vais te forcer. » ; comment, il n'en avait pas la moindre idée mais il espérait que seule la menace suffise. « Tom. » ; appela-t-il à nouveau.

Sa voix froide fit visiblement son effet puisque le dreadé bougea enfin. Il leva une main, tremblante, et attrapa fébrilement sa fourchette. Bill et Gabriel le regardèrent avec surprise. Il ne leva jamais les yeux, gardant ceux-ci fixés vers le bas, sur son assiette. Les deux hommes le virent attraper une bouchée de son plat avec une certaine fascination. Il porta lentement la fourchette à sa bouche, eut un temps de pause, puis entrouvrit lentement les lèvres. Une expression de dégoût se dessina sur son visage et Bill crut durant une seconde qu'il allait vomir avant même d'avoir avalé la nourriture. Il fit une petite grimace lorsqu'il avala la bouchée, mais continua. Une, deux, trois fourchettes. Il enchaîna sans jamais regarder autre chose que son assiette. Bill fronça les sourcils en le voyant agir de cette façon. C'était automatique. Il bougeait comme un robot, mangeait sans plaisir, sans besoin. Il jeta un regard vers Gabriel qui haussa les épaules. Il mangeait, c'était ce qu'ils voulaient, alors qu'est-ce qui clochait ?
Petit à petit, le contenu de son assiette se vida. Un peu trop vite, d'ailleurs. Il mangea, bouchée par bouchée. Il leur semblait qu'il fixait son assiette mais ne regardait jamais le contenu de sa fourchette, comme s'il refusait de voir ce qu'il avait à avaler et préférait s'assurer que la nourriture disparaissait bien de l'assiette après chaque bouchée avalée.

Soudain, il se stoppa, lâcha la fourchette pour plaquer sa main contre sa bouche et son visage changea de couleur en une seconde.

« Non, non, non ! » ; s'exclama le blond. Tom se jeta hors du lit et courut jusqu'à la salle de bains. Ils l'entendirent clairement rendre le contenu de son estomac et Bill soupira de résignation, se laissant lourdement tomber au bord du lit.

« Sois pas déçu, fallait s'y attendre ! » ; s'exclama doucement l'infirmier. « Tu t'attendais à quoi ? Il s'est carrément gavé. »

« Je sais... » ; il passa ses mains sur son visage avec un petit soupir. « Tu crois qu'il a fait exprès de manger autant pour se rendre malade ? »

« C'est possible. Il peut vouloir se venger ou avoir eu peur. »

« Génial, ça nous avance pas beaucoup tout ça. » ; Gabriel souffla. C'était vrai. Ça ne les aidait pas vraiment. Il décida tout de même d'aller voir. Tom l'entendait, alors il pouvait parler, essayer. Il verrait bien.

Il fila dans la salle de bains, passant la porte grande ouverte pour découvrir le dreadé assis par terre, blanc comme un linge, transpirant et visiblement épuisé. Bill se baissa pour se retrouver à sa hauteur. Il n'était pas surpris qu'il se retrouve vidé de toutes ses forces. Manger, oui, mais en douceur. Il baissa les yeux entre eux, sur le lino gris terne et usé. Déprimant.

« Écoute, je n'ai aucune idée de ce qui se passe dans ta tête, mais je sais que t'es parfaitement conscient de ce que tu fais. »

Tom ne le regarda pas. Bill ignora le fait qu'il ne réagissait pas. À quoi bon le traiter comme un gosse ou quoique ce soit d'autre ? Il pouvait l'écouter et réagir, alors il allait juste lui parler clairement.

« Je suis sûr que tu comprends, mais moi je comprends pas pourquoi tu te laisses mourir. » ; lui dit-il tout en y réfléchissant. « Je te demande pas de manger beaucoup, mais d'essayer un peu. Il faut que ce soit progressif, pas que tu te gaves et que tu sois malade. »

Tom ne bougea pas. Seule sa respiration lourde indiquait au blond qu'il était bel et bien conscient. Ses yeux étaient figés, fixés, vides. Bill était sûr qu'il se sentait mal. D'abord, son estomac si peu habitué à être plein avait dû le faire souffrir, vomir avait fait monter la fièvre et probablement la tachycardie. Être aussi maigre et faible était aussi pas mal désagréable. Vertiges, nausées, faiblesses, douleurs dans les os ou même dans tout le corps.

« Bon... Viens, tu as besoin de te reposer. » ; souffla le médecin. « On en a assez fait pour aujourd'hui. »

Il y eut de longues secondes durant lesquelles le silence régna. Tom ne fit rien, semblant complètement lessivé. L'androgyne l'observa avec une pointe d'inquiétude, restant tout de même patient.

Finalement, il bougea après plusieurs minutes. Bill se redressa, le regardant faire, prudent. Tom dut appuyer son dos contre le mur pour réussir à se hisser vers le haut et se mettre debout. Il aurait probablement été prêt à ramper jusqu'à son lit s'il avait été seul. Il était toujours livide, tremblant. Il fit quelques pas et Bill tendit instinctivement ses mains vers lui au cas où il s'effondre. Tom ne les prit pas et ne flancha pas. Bien qu'il tienne à peine debout, il longea les murs seul. Bill sut lorsqu'il atteignit son lit qu'il était à deux doigts de lâcher prise. Ses mains tremblaient, ses jambes aussi. Il eut beaucoup de mal à lever chacun de ses membres pour grimper sur le matelas. Il se coucha sans pour autant avoir l'air de se sentir mieux.

« Tu devrais boire un peu. Vomir ça déshydrate. » ; l'informa Bill en déposant le grand verre d'eau sur la table de chevet. Il lui laissa aussi son yaourt et un petit paquet de biscuits. « Je vais te reperfuser. Je sais que c'est désagréable mais tu es trop faible et si tu crois que je vais laisser tomber, tu te trompes vraiment, Tom. Je serais encore là demain. »

Le dreadé se coucha le plus confortablement possible, enfonçant sa tête contre les coussins et pliant automatiquement ses jambes contre lui. Bill sortit alors chercher ce qui fallait. Gabriel était reparti, s'occupant certainement de quelqu'un d'autre. Il devait en parler avec lui mais il ne pouvait plus dire que Tom ne réagissait pas. Il était conscient, il écoutait sans problème et même s'il partait de temps en temps dans un autre monde, il ne semblait pas avoir de réel problème à se reconnecter à la réalité. Avec un peu de temps et d'aide, il pouvait s'en sortir. Bill en était persuadé.


À suivre...

Chambre 248.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant