Dans la vie, il y avait des jours sombres. Des jours où vous auriez aimé ne jamais vous réveiller. Et ces jours restaient pourtant aussi sombres année après année.
L'une de ces journées était arrivée lorsque Bill n'avait eu que sept ans. Ses souvenirs étaient flous, mais il y avait une image précise qui n'avait jamais cessé de le hanter ni la douleur à laquelle toute la famille avait dû faire face à cette période de leur vie.
Au fil des années, un rituel s'était installé ce jour-là. Bill rejoignait Rosalie, ils se retrouvaient seuls et faisaient ce qu'ils jugeaient indispensable. Ça faisait presque vingt ans à présent et malgré son boulot, Bill ne manquerait cette tradition pour rien au monde. C'était important pour lui autant que pour sa mère.
D'ailleurs, cette année étant très différente, entre son travail, Noa, Léo et tout un tas d'autres choses, il avait eu peur que ça ne se fasse pas et était heureux de voir Rosalie arriver vers lui de loin. Lorsqu'elle arriva à sa hauteur, elle le prit aussitôt dans ses bras et Bill se baissa sans discuter pour enrouler à son tour ses bras autour d'elle. Son menton s'appuya contre son épaule et son regard se fixa sur le sol durant de longues secondes.
« T'as réussi à te libérer sans que Léo le remarque ? » ; souffla-t-il contre son oreille.
« Oui. Ton père l'a emmené pour bricoler, il avait l'air heureux d'ailleurs. »
« Tant mieux. » ; il se recula après un long moment, souriant faiblement à sa mère et lui indiquant le petit panier de roses blanches coupées qu'il avait emmené.
Lorsque Bill avait eu sept ans, Rosalie était retombée enceinte, mais d'une petite fille cette fois. Il avait été heureux et excité de pouvoir être le grand frère, il avait même décoré la chambre d'enfant avec son père. Tout s'était bien passé, tout avait été prêt, Bill avait beaucoup parlé au bébé à travers le ventre de sa mère, et puis tout avait brusquement basculé le jour de l'accouchement.
Alors que tout semblait bien se dérouler, il y avait subitement eu beaucoup de complications, et si Rosalie s'en était sorti, le bébé, lui, y avait succombé. Bill avait été là lorsqu'on était venus leur annoncer, à lui et à son père, que leur petite princesse ne verrait jamais le jour. André, qu'on avait mis dehors dès le début des complications, s'était écroulé sous ses yeux et Bill n'avait jamais pu oublier cette image.
« Comment tu vas ? » ; lui demanda sa mère en déposant ses mains contre ses joues. Bill sourit, s'y appuyant par habitude, et puis peut-être aussi par besoin.
« Je suis content d'avoir obtenu ma matinée pour la passer avec toi, alors je vais bien. »
« Moi aussi. Tu sais que je pourrais jamais affronter ça toute seule. » ; Bill se pencha pour attraper le panier de fleurs et vint enrouler son bras libre autour de ses épaules.
« T'en fais pas, je trouverais toujours un moyen de me libérer pour cette journée. »
« Je sais bien. » ; ils s'approchèrent d'une petite rivière où ils venaient tous les ans. C'était un endroit paisible et magnifique. Un endroit où ils venaient pour faire glisser quelques roses immaculées sur l'eau. Une de plus chaque année.
André, lui, n'avait jamais eu la force de venir et préférait s'occuper le plus possible à cette date. Ni Bill ni Rosalie ne le jugeaient et après tout se retrouver juste tous les deux leur faisait du bien. Ils se comprenaient, se rassuraient mutuellement. Personne, à part André bien sûr, ne savait. Ni Zoé ni Louise n'étaient au courant de cette histoire. Au début, ils avaient jugé qu'elles étaient trop petites pour comprendre, et puis même lorsque Louise avait commencé à grandir, aucun des deux parents n'avait trouvé le courage d'en parler à nouveau. Bill n'avait jamais rien dit à personne non plus, pas même à ses amis les plus anciens. Il n'était pas certain d'en être capable ni d'en avoir envie, et puis tant que ses parents ne disaient rien, il préférait respecter cette décision.
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