Dans le couloir, Gabriel l'attendait, souriant. Bill se demanda sérieusement ce qui n'allait pas avec lui.
« Il s'est renfermé ? » ; il lui demanda ça avec une espèce de jubilation incompréhensible et le médecin fronça les sourcils.
« Pourquoi ? Merde, qu'est-ce que tu mijotes ?! »
« Je te demande s'il s'est renfermé après que je sois venu ! »
« Oui ! » ; gronda le blond en passant une main sur son visage. « Tu sais très bien qu'il se ferme chaque fois que quelqu'un arrive. »
« Ouais, enfin il y a une différence entre se renfermer et bouder comme un bébé. » ; Bill l'attrapa par le bras pour le tirer jusqu'à son bureau et être plus tranquille.
« Qu'est-ce que tu racontes ? »
« T'as bien remarqué qu'il n'a pas la même façon de se renfermer que d'habitude, n'est-ce pas ? »
« Oui, et alors ? » ; s'impatienta le médecin. Ses mains étaient glacées et il mourrait pourtant de chaud. Il avait besoin d'un bon bol d'air.
« Et alors, t'as pas vu sa tête quand j'ai parlé de Léo qui allait dans ta famille ? » ; Bill fronça le nez, le regardant comme s'il était fou.
« Quoi, t'es venu pour le tester ?! »
« Ouais ! » ; Bill soupira face à son sourire grandement amusé. « Et il est tombé en plein dedans ! » ; s'exclama à nouveau l'infirmier. « Écoute, ça me parait logique. Léo a cinq ans et tu vas le sortir de là pour le prendre sous ton aile. Tom est ici depuis une éternité, tu vois ce que je veux dire ? Il te voit t'occuper du gamin et... »
« Il se sent abandonné. » ; compléta le blond, stupéfait par ses propres paroles. Gabriel acquiesça.
« Même s'il n'a jamais fait d'effort et même s'il a peur, il pense obligatoirement à l'extérieur. On ne lui a jamais laissé croire qu'il pourrait sortir un jour, il a grandi comme ça ! »
« Et je lui ai laissé croire le contraire. »
« Exactement. Tu lui as donné de l'espoir, peut-être que te voir te consacrer personnellement à Léo lui fait perdre ses espoirs et indirectement, il te le fait payer. » ; aussi dingue que ça puisse paraître, c'était plausible. Bill commençait à y croire. « T'es sûr que ça va ? Parce que t'as pas l'air en forme depuis ce matin. »
« Je vais très bien. » ; râla-t-il pendant qu'il réfléchissait à une quelconque solution. « Bon, je dois voir les parents de Sacha. On en reparle plus tard ok ? De toute façon il est têtu. »
« Dis-toi qu'au moins tu apprends des choses à propos de lui ! » ; lui cria l'infirmier en le voyant repartir sans attendre. Bill lui fit un signe de main sans se retourner et disparut très vite de son champ de vision. Gabriel secoua lentement la tête. Au moins, c'était bien plus animé depuis qu'il avait débarqué ici.
**
Qu'y avait-il de plus déroutant que de ne plus savoir qui vous êtes ? C'était une question que Bill se posait très souvent. Une grande majorité des patients qu'il côtoyait se posaient des questions, ne savaient plus ou se laissaient tout simplement influencer par l'avis des autres et se forçaient alors à être quelqu'un qu'ils ne voulaient pas être.
En réalité, tout le monde avait tendance à le faire. Chaque individu avait au moins une fois prétendu être quelqu'un d'autre, par peur d'être jugé, rejeté, ou même parfois par ennui. Qui n'avait jamais fait semblant pour ne pas avoir à perdre son temps à donner des explications ? Personne. En tout cas, il en doutait fortement.
Jazzy faisait partie de ces personnes qui avaient gardé un masque durant si longtemps que la réalité la frappait comme si elle n'avait pas été au courant depuis le début.
En tentant de cacher ce qui s'était passé à tout le monde, elle s'était elle-même convaincue et enfermée dans une espèce de bulle, comme si elle était capable de se dédoubler ou de laisser son esprit sortir de son corps chaque fois qu'on lui faisait du mal.
Après avoir réussi à obtenir quelques informations de plus, il avait appris que son oncle la droguait pour la rendre plus docile et qu'elle en était finalement devenue accroc au fil du temps. La dépendance, mais aussi le besoin d'oublier. Bill se sentait en colère que de telles atrocités soient infligées à une enfant, et il était à présent sûr et certain que c'était la vérité. Une enquête avait été ouverte, son oncle arrêté, interrogé et mis en détention après que la police ait obtenu des preuves. Les autres hommes étaient recherchés, mais Jazzy ne connaissait aucun nom et Bill avait demandé à la police d'y aller doucement avec elle, et surtout qu'il voulait être présent afin d'être certain que tout se passe bien.
C'est en repensant à toutes ces choses que l'androgyne partit à la recherche de la jeune fille. Étant donné qu'elle allait être interrogée, et même si elle s'en doutait, il voulait absolument la prévenir. Il y avait eu assez de traumatismes comme ça. Comme il ne la trouva pas dans sa chambre, il longea les couloirs, bien qu'étonné qu'elle s'y promène tranquillement. Et pourtant, c'est bien là qu'il la trouva, en compagnie de ses parents. Il hésita d'abord, mais vit clairement sa mère asséner une gifle monumentale à Jazzy et ses yeux s'écarquillèrent sous le choc.
« Non mais vous êtes malade ?! » ; ses pieds le menèrent automatiquement vers le petit groupe et son regard passa de la mère, aux yeux éteins du père, puis à l'enfant qui se frottait la joue sans pour autant avoir de larmes dans les yeux. L'habitude à la violence, probablement. Il tendit sa main vers elle, sans pour autant la toucher tout de suite. À sa grande surprise, Jazzy accepta de retirer sa main pour le laisser faire. Ce n'était pas qu'elle refusait qu'il la touche, en général, mais ce qu'elle acceptait était très léger et Bill pouvait totalement le comprendre. Elle avait le droit de le rejeter, de rejeter tout contact, et il trouvait ça même étonnant qu'elle ne le fasse pas. Il effleura alors à peine sa joue, rouge et probablement douloureuse. « Ça va aller ? »
Jazzy acquiesça. Bill reporta alors son attention sur sa mère, qui les fixait avec une certaine colère.
« C'est ma fille, je fais ce que je veux. »
« Je crois pas, non. Avez-vous une idée de toute la violence qu'elle a vécue ? Ça vous amuse d'en rajouter ?! »
« Elle me désobéit, je la punis. » ; Bill jeta un coup d'oeil effaré au père qui ne disait rien.
« On vous a jamais appris que la violence ne résout rien ? » ; il attrapa finalement la main de la petite afin de l'entraîner avec lui. « Suivez-moi. » ; ordonna-t-il sans attendre.
« Nous n'avons pas beaucoup de temps. »
« Et bien vous allez le prendre ! » ; il se dirigea vers la chambre de l'adolescente, poussa la porte et entra avec elle tout en leur faisant signe de les suivre. Les parents entrèrent alors et Bill prit soin de refermer pendant que Jazzy filait sur son lit. « Bien. Ce ne sera pas long. J'ignore comment vous avez été élevés, mais on élève pas un enfant avec des coups. »
« Qu'est-ce que vous en savez, vous ? Vous avez des enfants ? » ; Bill secoua la tête, mais ne se démonta pas face au mépris de cette femme.
« Je vois bien assez d'enfants brisés par des coups pour penser que ça résout quoique ce soit. » ; cette fois, le père baissa la tête. Bill se demanda pourquoi il s'écrasait face à sa femme. « Votre fille a été détruite, ça ne vous fait donc rien ?! »
« Si, bien sûr que si. » ; Bill croisa les bras, méfiant.
« Alors pourquoi n'essayez-vous pas de la rassurer ? Pourquoi lui faire encore plus de mal ? »
Soudain, sans même que Bill ne le voit venir, l'homme explosa, s'écroula, brutalement. Il se mit à pleurer, balbutier, crier, alors que sa femme tremblait à ses côtés. Cette fois, Bill vit la détresse dans leurs deux regards et comprit.
« On a rien vu, rien ! » ; il commença à faire les cent pas dans la pièce, semblant très nerveux. « RIEN. » ; Jazzy sursauta au cri rauque qui échappa à son père et se mit elle aussi à pleurer en entendant les sanglots sortir de sa gorge. « Je n'peux plus fermer l'oeil de la nuit parce que j'imagine ce... ce... » ; sa femme semblait tout aussi mal, mais moins démonstrative. « J'ai envie de le tuer ! Vous comprenez ?! » ; Bill recula d'un pas face à la colère désespérée de ce père, rongé par les remords.
« Je comprends. » ; il ne sut pas exactement comment calmer tout ce petit monde et espéra vraiment que sa "douceur" naturelle allait fonctionner sur eux. « Je comprends totalement que vous soyez bouleversés et déboussolés tous les deux, mais vous ne pouviez pas deviner ce qui se passait et votre colère n'arrangera rien. » ; leur expliqua-t-il calmement. « Votre fille a besoin de soutien, laissez la police faire le reste. Toute personne impliquée finira en prison, d'accord ? Je vais me charger d'y veiller de près, mais s'il vous plaît, ne rejetez pas votre colère sur elle. »
Tous les regards se portèrent sur Jazzy qui pleurait en silence. Pour le coup, sa mère avança et vint se poser au bord du lit. La gamine se jeta automatiquement dans ses bras, sans attendre, sans se soucier de ce qui s'était passé un peu plus tôt. Bill les observa durant quelques secondes, puis fit un petit signe de tête au père afin qu'il les rejoigne.
Après ça, il décida de les laisser. Ils avaient bien besoin de se retrouver, et puis dans tous les cas, il ne serait pas très loin. Chacun avait une façon différente de surmonter un tel choc et même s'il restait méfiant, il ne pouvait pas blâmer cette femme, qui ne savait plus comment réagir et qui, de ce fait, ne réagissait pas de la bonne façon.
**
Le lendemain matin, Bill fut embarqué par de petites mains aussitôt arrivé. Léo avait visiblement pris soin de déjeuner rapidement pour pouvoir l'attendre. Il lui avait à peine laissé le temps de déposer ses affaires, râlant et le pressant en le suivant de près. Finalement, il l'avait emmené dans le parc sans jamais lui dire pourquoi. Bill savait que lui poser la question ne servirait à rien tant qu'il n'était pas décidé. Il se laissa alors entraîner jusqu'à un banc ensoleillé où l'enfant le poussa.
L'androgyne le regarda sortir deux mars de sous son pull avec une pointe de curiosité, ignorant comment il avait pu acquérir ces sucreries. Le gamin lui en tendit un, puis s'appliqua à essayer d'ouvrir le sien sans tout déchirer.
« Tu me le donnes ? » ; demanda-t-il prudemment. Léo hocha la tête sans le regarder, concentré sur sa tâche. « Pourquoi ? »
« Parce que j'en ai deux. »
« Et tu ne veux pas manger les deux ? »
« Léon me donnait toujours des gâteaux quand je lui racontais des histoires. » ; lui avoua le petit en réussissant finalement à extirper la barre chocolatée du papier. « Il a dit que dans sa famille, ils se donnaient des choses, comme des trésors. Mais j'ai pas de trésor. »
« Et pourquoi est-ce que c'est à moi que tu le donnes ? » ; cette fois, Léo haussa les épaules. Il grimpa sur le banc pour se retrouver à ses côtés.
« Mange-le avec moi. » ; bien que surpris par cette notion de partage, Bill s'exécuta, déchirant le papier avec précaution. Léo sourit et tendit son propre mars vers lui, les faisant trinquer. Ils croquèrent ensuite chacun dans leur gourmandise en se regardant et l'enfant sembla satisfait. Les mars furent engloutis en trois bouchées et Léo lécha le chocolat sur ses doigts avant de se hisser plus près de lui. « Ana dit qu'il est une étoile maintenant, mais je sais que c'est pas vrai. » ; souffla-t-il sans que Bill ne voit venir cette conversation.
« Qu'est-ce que tu crois qu'il est ? » ; lui demanda-t-il, curieux.
« Mort. » ; le mot cru surprit Bill, mais il ne fit aucune remarque. Léo poussa sa tête contre son bras, comme pour réclamer le contact. « Personne ne sait où finissent les morts alors pourquoi ils inventent tous des histoires ? »
« Pour que la réalité soit moins dure à supporter. » ; répondit machinalement le blond en levant son bras. L'enfant se faufila alors rapidement contre son flanc.
« C'est nul. » ; répondit-il en marmonnant. « Ça sert à rien. Si maman était morte je le verrais même pas. » ; les yeux du blond s'écarquillèrent.
« Léo ! » ; gronda-t-il doucement. Et Léo haussa les épaules. « Tu ne peux pas dire des choses comme ça. »
« Pourquoi ? »
« Parce que c'est ta mère. » ; d'accord, Bill n'était pas sûr que ce soit une vraie bonne raison étant donné qu'elle se fichait pas mal que son propre enfant se retrouve enfermé ici, mais quand même.
« Elle me manque même pas. »
« Léo ! » ; râla à nouveau le médecin. Le gamin ne répondit pas, mais se hissa pour grimper sur ses genoux. Il accrocha ses mains à ses épaules et se retrouva ainsi face à face avec Bill. L'androgyne baissa les yeux, plutôt curieux. Ils se regardèrent durant quelques secondes, dans le silence. Léo semblait si sérieux que Bill sentit à nouveau un sujet épineux approcher. Il était bien trop malin et conscient des choses pour son âge.
« Tu veux toujours m'abandonner ? » ; demanda franchement l'enfant.
« Je ne veux pas t'abandonner. » ; Léo fronça les sourcils, pas convaincu pour un sou. « Écoute, tu sais très bien que je peux pas faire ce que je veux ! Et puis tu es toujours là et moi aussi, non ? »
L'enfant ne répondit pas tout de suite et baissa le regard vers son torse, l'air contrarié et triste en même temps.
« Je suis pas un bébé, tu peux le dire que je vais partir. »
« Tu te fiches de rester enfermé ici ? Tu t'ennuies pas ? »
« Non. » ; c'était plutôt bizarre, mais dans un sens, pas complètement improbable. Léo avait besoin de stabilité et c'était ici qu'il l'avait trouvé.
« Tu n'as pas envie de voir la mer, de te promener, de faire du vélo ? » ; cette fois, il hésita, réagissant comme tout enfant ayant le désir de jouer.
« J'aimerais faire du vélo à la mer. » ; Bill pencha la tête, s'apprêtant à parler, mais le petit le devança. « Avec toi. » ; et ça lui coupa le souffle. Il le regarda, entre surprise et incompréhension. Il ne comprenait toujours pas pourquoi c'était à lui qu'il s'accrochait. « Mais je sais pas en faire. »
« Tu ne sais pas ? » ; Léo secoua la tête. « Personne ne t'a appris ? »
« Non. » ; cette raison le conforta dans l'idée qu'il serait tellement mieux, chez lui. Là où il avait lui-même appris toutes ces choses. « J'avais un vélo mais je l'ai cassé. »
« Comment ? »
« Je l'ai lancé vers la route et une voiture l'a écrasé. » ; Bill fronça le nez, septique.
« Pourquoi ? » ; lui demanda-t-il. « Tu voulais pas apprendre ? » ; à nouveau, le gamin répondit à la négative.
« J'avais peur de pas y arriver. » ; ah ! L'incertitude et la crainte de ne pas réussir. Bill oubliait parfois ces choses qui le reliaient à la maladie.
« Alors t'as préféré le détruire ? »
« Oui. »
« Est-ce que tu le ferais encore aujourd'hui ? »
« Oui. » ; Bill plissa les yeux.
« Même si c'est moi qui t'apprend ? » ; il vit clairement la surprise se dessiner sur le visage du petit et se mordit l'intérieur des joues, sachant qu'il s'engageait sur un terrain glissant.
« Tu ne peux pas. Y a pas de vélo ici et quand je serais parti tu seras plus là. » ; depuis quelques minutes, Léo était simplement assis sur ses genoux, sur le côté. Bill avait bien envie de le rassurer avec sa douceur mais savait qu'il ne devait pas.
« Mais si je pouvais, est-ce que tu voudrais apprendre ou tu le détruirais à nouveau ? »
« Je ne sais pas. »
« Tu sais que le vélo, c'est comme tout ? Tu ne peux pas grimper dessus et réussir aussitôt, tu dois essayer, tomber, et recommencer. » ; Léo haussa les épaules sans le regarder. « Tu dois juste être patient.»
La conversation prit fin à cet instant, lorsque Léo décida qu'il ne voulait plus lui répondre et se concentrer plutôt sur la manche de sa veste. Bill n'avait même pas eu le temps de la retirer en arrivant, ni d'enfiler sa blouse. L'enfant bailla sur ses genoux, et sa tête bascula contre son torse. Bill ignorait ce qui se tramait dans sa tête et ce qui l'avait poussé à vouloir être avec lui aussi tôt le matin. Une mauvaise nuit ? Une prise de conscience ? Ou simplement l'une de ses nombreuses impulsivités ? Le fait est qu'il ne semblait pas avoir dormi son compte et qu'il somnola à moitié comme si ce qui s'était passé quelques minutes plus tôt n'avait jamais existé.
Bill soupira faiblement et se redressa, incitant le petit à bouger. Léo se laissa mollement être redressé et enroula ses bras autour de son cou lorsque le blond le souleva pour pouvoir se lever. Sa tête fut lourde contre son épaule, signe qu'il était probablement déjà endormi. Il se dirigea alors vers l'entrée, le tenant fermement d'un bras pour pouvoir tirer sur la porte, puis attraper son badge. Il dut remonter avec le gamin dormant contre lui, croisant Ana qui lui lança un sourire alors qu'il allait vers sa chambre. Il le recoucha, luttant un peu pour faire lâcher prise à ses petits bras agrippés sur sa veste, puis le borda et faufila son doudou contre lui. Léo n'ouvrit même pas un oeil après tout ce mouvement, alors Bill passa une main dans ses cheveux et quitta silencieusement la pièce.
Dans le couloir, il retrouva l'infirmière qui jonglait visiblement entre les chambres et s'arrêta cette fois pour la saluer.
« Alors ? Qu'est-ce qu'il te voulait aussi tôt ? Il était une vraie pile électrique dès le réveil ! »
« J'en sais trop rien, en fait... » ; soupira-t-il, retirant distraitement sa veste. « Il a parlé de Léon, peut-être qu'il lui manque ? Plus que je le pensais en tout cas. »
« Probablement, mais ce qu'il voulait ce matin c'était toi, il n'a rien dit de spécial ? » ; Bill secoua la tête.
« Le problème c'est qu'il parle à demi-mot, il change de sujet comme bon lui semble ou il ne répond pas. Je sais que c'est habituel mais ça m'aide pas trop. » ; Ana sourit et passa une main contre son bras.
« Tu t'en sors toujours pour comprendre ce à quoi même moi je n'aurais pas pensé, alors t'inquiètes pas.»
Bill fronça le nez, septique, et passa nerveusement une main sur sa nuque.
« Mouais... et Tom, il a toujours rien avalé ? »
« Pas que je sache. » ; répondit la jeune femme. « Il a eu son petit-déjeuner, mais je n'y suis pas encore retourné. » ; l'androgyne jeta un coup d'oeil à l'heure. Léo avait décalé ses petites habitudes matinales de trois-quarts d'heure.
« Je vais aller voir. S'il n'a toujours rien mangé je lui fais avaler par les oreilles. » ; gronda-t-il, faisant à nouveau sourire Ana.
« Oh ! Par contre, Julia a bien mangé hier soir. »
« Ah oui ? »
« Oui, elle a presque fini ses légumes. » ; expliqua-t-elle en y réfléchissant. « Bon, elle a encore besoin de s'y habituer mais elle a l'air sur la bonne voie. Elle sourit. » ; Bill hocha la tête tout en souriant lui-même. Il allait régulièrement discuter avec l'adolescente, de choses et d'autres, de conneries, souvent, et elle souriait de plus en plus. Elle semblait mieux. Mieux dans sa tête. Il en était très heureux.
« Tant mieux, j'aimerais vraiment qu'elle aille mieux. »
Ana acquiesça. Ils discutèrent durant encore cinq petites minutes, puis filèrent tous les deux. Bill alla échanger sa veste contre sa blouse et se décida ensuite à aller voir Tom en premier. Il y fila rapidement, entrant sans attendre, comme la plupart du temps. Le dreadé le vit aussitôt entrer et roula sur le matelas, lui tournant le dos. Bill haussa les sourcils, jetant un oeil au plateau du petit-déjeuner auquel il n'avait même pas touché.
« Merci pour l'accueil, Tom. » ; râla-t-il machinalement. Il était tellement habitué à faire la conversation tout seul que ça lui paraissait naturel. « Tu veux toujours pas me voir ? »
« Non. »
Non, évidemment. Il l'ignorait chaque fois qu'il entrait depuis qu'il était en colère. Un vrai bébé boudeur. Soudain, il réalisa. Choc ! Bill se stoppa avant même d'avoir atteint le lit, pensant durant une seconde qu'il avait rêvé. Dans sa tête, il y eut comme une espèce de tornade, comme deux courants d'air différents se croisant et se heurtant dans un orage violent. Réagir, ou faire comme si c'était normal ? Bon dieu, Tom venait de parler ! Le ton avait était sec, boudeur, et sa voix rauque et cassée comme s'il était en pleine bronchite. C'était irréel.
« Non ? » ; tenta-t-il de sa voix la plus naturelle possible. Il reprit sa route pour s'approcher du lit, pensant que peut-être, lui parler normalement allait l'encourager à continuer. Pourtant, et malheureusement, Tom n'en fit rien. Le médecin ne sut pas du tout quoi faire sur le moment, réfléchissant à vive allure. « Vraiment ? Pourquoi t'es en colère... » ; souffla-t-il faiblement. Rien. Évidemment. Bill se posa au bord du lit avec une pointe d'hésitation, toujours sonné de l'avoir entendu. « Tom... »
Son bras passa par-dessus le corps recroquevillé du dreadé et il dut tâtonner à la recherche de ses mains. Enfin, il les trouva, les toucha, effleura ses doigts crispés sur les draps. Tom referma ses doigts sur les siens presque aussitôt. Bill ne sut jamais si c'était automatique ou s'il en avait besoin, mais ses gestes furent loin d'être hésitants lorsqu'il emmêla leurs doigts. Il baissa les yeux sans pour autant voir leurs mains, sentant seulement sa peau, sèche, glisser contre la sienne.
« Tu sais, si toi tu te fiches de retomber dans ce truc morbide, ce n'est pas le cas de tout le monde. Je suis toujours inquiet et je n'suis même pas le seul. »
Le dreadé ne lui porta pas plus d'attention en l'entendant. En tout cas, il ne bougea pas et ne lui accorda aucun regard, mais ainsi posé et sans jamais lâcher ses doigts avec lesquels il continuait de jouer inlassablement, il semblait perdu dans ses songes. Peut-être y réfléchissait-il ? Sinon à quoi pouvait-il bien penser ? C'était tellement frustrant de ne rien savoir.
En détaillant les traits de son visage afin d'essayer d'y déceler quoique ce soit qui pourrait l'aider, il le vit baisser les yeux, ses longs cils papillonnant délicatement contre sa peau de porcelaine. Bill suivit alors son regard jusqu'à tomber sur leurs mains. Si le contact était doux, il n'avait pas imaginé qu'il aurait l'air aussi intense à la vue. La façon dont Tom bougeait et laissait glisser ses doigts pour les aligner aux siens avait quelque chose d'intime, de captivant. Durant tout ce temps, Bill oublia la situation, oublia même que Tom avait prononcé un mot et que c'était carrément dingue. Il s'enfonça dans cette espèce de bulle hors du temps et resta là à suivre les mouvements pourtant lents et infimes de leurs doigts. C'était si aérien que c'en était fascinant.
« S'il te plaît, Tom... je veux que tu vives. » ; les mots sortirent tous seuls de sa bouche, sans consulter sa raison ou même son cerveau. Il n'était pas censé dire ça. Du moins, pas dans ces conditions. Bien sûr que tout le monde voulait que Tom vive pour de vrai, mais ce qu'il avait dans la tête n'était pas ce qu'il y avait de plus professionnel.
Ses doigts appuyèrent sur les siens, poussèrent sa main contre son propre ventre et l'incitèrent à rouler sur le dos. Enfin, Tom accepta de le regarder. Ou plutôt, il fut forcé de tomber aussitôt dans ses yeux.
« Est-ce que tu le veux ? » ; sa lassitude répondit au blond pour lui. Il ne souhaitait pas aller mieux, il s'en fichait ! C'était là tout le problème avec lui. Quelle solution avait-il si Tom ne voulait même pas être libre ? «Pourquoi as-tu essayé de faire des efforts si tu t'en fiches ? » ; demanda-t-il, relâchant finalement sa main. Tom baissa les yeux vers ses propres mains et les observa comme si elles avaient quelque chose qui n'allait pas. « Pourquoi fais-tu un pas vers moi pour ensuite reculer ? C'est vrai... je comprends pas. Si tu te fiches de sortir d'ici ou de pouvoir te sentir mieux, pourquoi tu me touches ? Pourquoi as-tu mangé ? Pourquoi as-tu communiqué avec moi ? Pourquoi tu fais tout ce que tu n'as jamais fait ? » ; il était conscient qu'il étalait là ses propres pensées, ses questions, mais pensa que c'était peut-être ce qu'il fallait : être franc.
Le regard de Tom passa de ses propres mains à celles du blond, dont il suivit la progression avec une attention que Bill ne lui connaissait pas. Celui-ci se demanda d'ailleurs s'il l'écoutait ou s'il était assez concentré pour ne pas l'entendre.
« Tom ? »
En entendant son nom, le jeune dreadé releva les yeux vers lui. Bill ne sut pas pourquoi il se sentit mal.
« Je ne peux pas croire que tu te fiches de tout... il y a forcément quelque chose. » ; bredouilla-t-il, et ça sonnait plutôt comme une façon de se convaincre lui-même que de poser la question. Tom baissa une nouvelle fois les yeux, reportant son attention sur ses mains. « Il faut que je réfléchisse. » ; le dreadé s'apprêtait à attraper l'une d'elles, mais Bill les éloigna avant ça et se leva, faisant éclater sa bulle. « Tout ce que je fais ça sert à rien ! Ça ne peut pas marcher si tu t'en fiches. »
Tom fixa ses propres mains avec de grands yeux, comme si quelque chose venait de lui échapper. Il entendit Bill reculer sans le voir, sans même vouloir le regarder. Le léger claquement de porte le fit sursauter et le silence soudain l'oppressa ensuite. Il s'enfonça durement et habilement en lui, venant s'enrouler et comprimer ses poumons comme un serpent. Tom roula lentement sur le côté, repliant ses jambes et se recroquevillant au milieu du lit comme il l'était la plupart du temps. C'était comme ça que le temps passerait jusqu'à ce que quelqu'un mette à nouveau les pieds dans cette pièce.
**
« Merci. Pour tout. » ; Bill adressa un sourire ravi au jeune garçon qui lui faisait face. « J'y serais jamais arrivé sans vous. »
« Je suis sûr que si, tu avais juste besoin d'un petit coup de pouce. » ; Sacha avait le sourire, et sa famille aussi. C'était le moment de quitter l'hôpital, pour de bon cette fois, et l'androgyne était très heureux de pouvoir le laisser partir.
« En tout cas, merci de me l'avoir donné. »
« Pas de problème. Essaie de te souvenir de ce que je te dis toujours ! » ; Sacha acquiesça et avança spontanément d'un pas pour enrouler ses bras autour de lui. Bill fut surpris, mais lui rendit tout de même l'étreinte. Lorsque le jeune homme recula, il leva un pouce, comme Bill le lui avait fait si souvent. L'androgyne répondit alors en l'imitant et sourit. « Prends soin de toi. »
À leur tour, les parents de Sacha vinrent le remercier. Bill était vraiment content d'avoir réussi avec lui. Il était clair qu'il aurait encore du chemin à faire mais il était parfaitement capable de gérer ses tocs au quotidien.
À ses côtés, Gabriel fit de petits signes à Sacha, tout aussi heureux qu'il puisse retrouver sa liberté. Ils les regardèrent partir tous les deux, chacun un peu nostalgique même si c'était génial.
« T'as fait du bon boulot avec lui. » ; glissa l'infirmier en les regardant passer la porte. « Tu lui as redonné confiance et c'est génial. Je sais pas si tu te rends compte de ce que ça représente pour lui. » ; Bill se tourna vers son ami lorsqu'ils disparurent de leur champ de vision.
« J'ai juste fait mon boulot, je n'vois pas pourquoi tout le monde est surpris. »
« Ça, tu le sais. » ; Gabriel plissa les yeux en le regardant. « Mec, je sais pas ce que tu trafiques en ce moment mais tu ressembles à un zombie, j'ai l'impression que tu risques d'être cassé en deux à tout moment. Est-ce que tu manges au moins ? » ; le médecin leva les yeux au ciel à cette remarque. « Non mais je suis sérieux, ça s'est déjà vu du personnel qui perd l'appétit à force de voir leurs patients souffrir de ça, tu sais ? »
« Arrêter de manger en voyant très bien que c'est destructeur et douloureux ? C'est pas logique. »
« Peut-être pas, mais ton inconscient se fiche pas mal de la logique. » ; Bill soupira.
« Je mange, ok ? Et je vais très bien. » ; gronda le blond avant de le planter là. Gabriel fronça les sourcils, mais ne le rattrapa pas, préférant réfléchir à ce qui lui arrivait avant de lui tomber dessus comme il aimait tant le faire.
**
« Vous avez une chance incroyable ! »
« Je crois que j'vais faire une syncope. » ; bredouilla Bill avec la désagréable impression d'être à bout de souffle alors qu'il n'y avait aucune raison. Sarah lui sourit, et ses parents aussi. Ils venaient tout juste de voir le juge et au final, ça n'avait pas duré si longtemps. Il avait sérieusement pris connaissance de leur dossier et comprit qu'ils étaient une famille de confiance. Bill avait cru mourir avant qu'il ne leur donne finalement l'accord pour envisager le placement de Léo chez eux. Il allait falloir quelques visites et encore quelques semaines avant une décision finale, mais il avait approuvé. C'était dingue. Carrément incroyable.
« Vous avez été géniaux. » ; s'exclama doucement l'assistante. « J'avais un peu peur qu'il garde en tête que Bill n'avait pas le droit d'aller aussi loin, mais vous avez un dossier en béton, et vous, vous avez su plaider votre cause. » ; dit-elle en s'adressant cette fois au blond. « Nous n'avons plus qu'à espérer que Léo ne vous rejette pas. »
« Bill, on te laisse le soin de lui en parler. » ; l'androgyne acquiesça, se sentant complètement sonné. Rosalie, sa mère, vint déposer une main contre son épaule. « Tu te sens bien, chéri ? Tu n'as pas l'air très en forme.»
« Oui oui, j'étais juste stressé. » ; elle plissa les yeux, mais ne fit aucune remarque, lui souriant simplement.
« On va y arriver, t'en fais pas. On va le sortir de là cet enfant. »
« Je le sais... qu'il sera bien, avec vous. Même si ça prend du temps, il finira par vous adorer. » ; il pivota un peu pour passer ses bras autour de ses épaules et embrassa son front, Rosalie étant bien plus petite que lui. «Merci... je sais que je vous demande beaucoup. »
« Ça nous fait plaisir. » ; son père avança lui aussi, souriant.
« Que tu te soucies autant de ce gamin est la preuve que nous avons fait du bon boulot avec toi. Tu as un coeur énorme. » ; Bill sourit, même si ça, ça ne l'aidait pas toujours. « Bon, nous ne pourrons pas accueillir tout le monde non plus, mais on est tous les deux très heureux de donner une chance à cet enfant et de pouvoir t'aider. »
Bill passa alors de sa mère à son père, le serrant rapidement dans ses bras avec la sensation d'avoir accompli une petite chose. Léo n'irait pas en foyer, ou en tout cas, il l'espérait vraiment. Cette décision ne tenait presque plus qu'à lui.
Après cette petite séquence émotion, ils se tournèrent tous vers Sarah qui souriait. La jeune assistante semblait tout aussi concernée qu'eux, et heureusement. Sans elle, ils n'auraient jamais eu ce rendez-vous.
« J'espère vraiment que ça marchera, mais n'oubliez pas que vous êtes une famille d'accueil, pas ses parents, d'accord ? Sans ça, vous serez ceux qui souffriront le plus si Léo vient à retourner vivre avec l'un de ses parents. »
« Nous ferons de notre mieux. » ; elle acquiesça, toujours souriante.
« Bien. Maintenant, Bill, vous devez lui parler. Une fois que ce sera fait et bien sûr, s'il accepte, prévenez-moi et je vous organiserais une rencontre. » ; expliqua-t-elle. « La première ne dure pas, il doit d'abord vous voir et se faire à l'idée. On va y aller doucement, ok ? Si nous voulons que ça marche, nous ne pouvons pas trop le pousser au risque de l'effrayer. »
« D'accord. »
« Et pas de cadeaux ou d'extravagances, en tout cas pas pour le moment. »
« Pourquoi c'est mauvais ? » ; demanda Rosalie avec curiosité.
« Il pensera que vous essayez de l'acheter ou de l'embobiner. » ; répondit rapidement son fils. Et Sarah hocha la tête.
« Exactement. Léo est bien plus malin que la plupart des gamins, il se passe beaucoup de choses dans sa tête et nous ne savons jamais comment il va réagir. »
Les parents du blond hochèrent docilement la tête et écoutèrent chaque recommandation pendant qu'ils avançaient tous vers le parking. Chacun espérait de tout coeur que ça marche. Maintenant que cette idée avait quelque chose de concret, ils pouvaient foncer. Bill appréhendait tout de même la réaction de Léo. Il craignait sérieusement de se faire jeter, alors il espérait vraiment que l'enfant ne le fasse pas.
**
Pouvoir végéter sur son canapé fut une chose à laquelle Bill était très reconnaissant ce soir-là. Il était complètement mort, sans force, sans rien du tout. Plus les jours passaient et plus ses moments d'absence s'amplifiaient. Il avait réfléchi à toutes les situations et n'en avait toujours pas trouvé la cause. Ça ne pouvait pas être un virus étant donné que ses seuls symptômes étaient les vertiges et le manque de force, et que ça faisait déjà de longs jours que ça durait. Alors ce soir, il était bien content de rester allongé à ne rien faire. Peut-être que se poser un peu le remettrait en forme. Il l'espérait en tout cas.
Il avait grignoté vite fait en rentrant, pris une longue douche chaude et relaxante, s'était étalé sur le canapé comme une épave et n'en avait plus bougé. Habituellement, il détestait ne rien faire. Il était trop nerveux, il fallait qu'il bouge, tout le temps ! Il savait très bien que ça énervait la plupart des gens, mais il était juste comme ça.
Le film qui passait à la télé n'ayant aucun intérêt à ses yeux, il somnola plus qu'autre chose, sentant son corps s'alourdir au fur et à mesure où il s'endormait complètement. Parfois, il sentait ses paupières devenir lourdes, il sentait qu'il partait, et puis d'un coup, il avait l'impression horrible de tomber du haut d'un immeuble. Cette sensation le réveillait toujours violemment, qu'il soit en train de somnoler ou même complètement endormi. À chaque fois, il sursautait et se sentait aussi étourdi que si ça avait été réel.
Cette fois, pourtant, ce ne fut pas le vide qui le réveilla en sursaut mais son téléphone. La sonnerie le fit pratiquement tomber du canapé et il ouvrit de grands yeux affolés avant de réaliser ce qui se passait. Il tendit alors le bras pour attraper l'appareil hurlant au milieu du petit bordel qui traînait sur la table basse et décrocha.
« Oui ? »
« Bill j'ai besoin de toi maintenant. » ; l'androgyne plissa les yeux, puis les frotta, mettant un certain temps à reconnaître la voix de Gabriel.
« Mh, quoi ? Qu'est-ce qui se passe ? »
« Tom a recommencé. » ; lui gronda l'infirmier.
« De quoi ? »
« À se faire vomir. »
« Putain. » ; le mot sortit tout seul. Bill soupira lourdement, agacé. Tom allait l'entendre.
« Je l'ai choppé, sauf qu'il se fait vomir sans toucher à ses plateaux. Je sais même pas comment il tient debout ! » ; marmonna l'homme au téléphone. Le médecin pouvait deviner qu'il tournait en rond. « Quand je l'ai retrouvé il était faible et il ressemblait à un cadavre. Bon dieu. J'ai essayé de l'aider mais il veut me tuer avec ses yeux. »
« Et bien ignore ses yeux ! »
« Il va se mettre à hurler, Bill. Il n'y a que toi qu'il accepte, tu te souviens ? » ; l'androgyne jeta un coup d'oeil à l'horloge. Il était plus d'une heure du matin.
« Ok, j'arrive. Je vais lui foutre mon pied dans le cul, bordel. » ; il entendit Gabriel rire légèrement, mais chacun savait que c'était grave et que Tom ne faisait que se détruire en agissant de cette manière. Il raccrocha et se leva d'un bond. Sa vue se brouilla aussitôt et il vacilla avant de se forcer à se secouer. Durant quelques secondes, il tourna sur lui-même, cherchant ce qu'il était censé faire. Un jean ! Il lui fallait un jean. Il fila dans sa chambre, enfilant le premier pantalon venu, des baskets, puis cherchant ses clés et une veste quelconque. Il claqua rapidement la porte derrière lui et descendit en courant pour rejoindre sa voiture et se mettre en route.
Tom allait sérieusement l'entendre. Et d'abord, que foutait-il à se faire vomir en pleine nuit ? Et pourquoi le faisait-il encore ? Alors qu'il ne mangeait même pas ? Ça n'avait aucun sens, outre le fait de vouloir se faire du mal. Plus il y réfléchissait et plus il était inquiet. Pourquoi voulait-il se faire du mal alors qu'il ne l'avait jamais fait depuis toutes ces années ?
Bill jura tout seul, ennuyé d'avoir cette impression de ne rien comprendre et de faire les mauvais choix. Qu'est-ce qui clochait ? Qu'est-ce qui avait marché ? Qu'est-ce qui n'allait plus ? Et pourquoi ?
Arrivé devant l'hôpital, il se gara à la va-vite et traversa le parc d'un pas rapide. Honnêtement, la nuit, cet endroit avait quelque chose de flippant, mais Bill y était plus ou moins habitué à présent. Il dut utiliser son badge pour entrer et grimpa rapidement par les escaliers pour rejoindre son service. Gabriel tournait en rond dans le couloir, alors il n'eut aucun mal à le trouver. Bill s'inquiéta d'ailleurs de sa nervosité.
« C'est si grave que ça ? » ; lui demanda-t-il en arrivant près de lui. Gabriel releva vivement la tête en l'entendant et s'arrêta avec un petit soupir. Son regard plongea dans celui du blond, sérieux.
« Tu comprendras quand tu l'auras vu. » ; anxieux, Bill fronça le nez et retira sa veste qu'il abandonna sur la chaise trônant à côté de la machine à café avant de se décider à aller voir.
Dans les couloirs, tout était calme. Bill tenta de ne pas faire trop de bruit lorsqu'il ouvrit la porte de la chambre 248. La pièce était vide, mais la lumière allumée. Il avança aussitôt vers la petite salle de bains, se doutant qu'il y était probablement encore puisque de toute façon il n'y avait aucun autre endroit où il pouvait être.
Lorsqu'il poussa la porte, la lumière vive et blanche l'aveugla d'abord. Il plissa les yeux comme si ça allait changer quelque chose, puis posa enfin le regard sur le dreadé.
Recroquevillé et tremblant contre le mur, Tom ressemblait effectivement à un cadavre. Sa peau était blanche, redevenue translucide avec des cernes sombres. Même ses lèvres étaient pâles, et sèches. Elles tremblaient et laissaient s'échapper son souffle saccadé. Bill se demanda sérieusement comment il avait pu dépérir en si peu de temps. Il l'avait vu quelques heures plus tôt et il avait encore des couleurs à ce moment-là. Tom leva les yeux vers lui en l'entendant. Des yeux brillants. Il était clair qu'il se sentait mal. Très mal, même. Bill soupira, plus inquiet qu'ennuyé.
Avant toute chose, il fila chercher une grande bouteille d'eau et une couverture. Il enroula le grand morceau de tissu autour de lui, l'ajustant sur ses épaules, puis lui tendant la bouteille qu'il avait ouverte.
« Bois. Tu dois te réhydrater. » ; Tom n'hésita pas pour s'exécuter et avaler de longues gorgées d'eau, espérant sûrement effacer le goût de la bile dans sa bouche. L'androgyne n'eut bizarrement plus du tout envie de crier. Il était juste déçu, inquiet et perdu. Il ne comprenait toujours pas et même si ça l'agaçait toujours, ça le rendait surtout triste. Il le regarda faire, puis baisser la bouteille et appuyer une main contre sa bouche. L'eau remplissant son estomac vide et sensible, il se sentit évidemment mal. « Non, non, non. » ; il attrapa son poignet pour le forcer à baisser sa main. « Respire doucement, reste calme, et ça va passer. » ; Tom grimaça, mal en point. Bill était sûr qu'il mourrait d'envie de vider son estomac et qu'il était à deux doigts de l'éjecter pour se soulager, mais il ne le laisserait certainement pas faire.
Sous ses yeux, il ne sut pas si le dreadé pâlissait de plus en plus ou s'il virait carrément au vert, mais une chose était sûr : ça n'allait pas du tout. Il transpirait et tremblait en même temps, et juste l'ingestion de l'eau ne convenait pas à son corps. Bill eut la désagréable impression de le torturer en le forçant à la garder. Ses yeux étaient brillants et peut-être même vraiment au bord des larmes, il eut des espèces de hoquets dus aux remontées acides et Bill dut attraper ses deux poignets alors qu'il se jetait pratiquement sur les toilettes.
« Tom ! Regarde-moi. » ; le pauvre dreadé se laissa retomber contre le mur, prêt à exploser. Bill le lâcha pour déposer une main contre sa joue et à sa grande surprise, il se laissa faire. Il ne l'avait jamais touché de cette manière, ni vraiment touché rien d'autre que ses mains ou ses bras, d'ailleurs. Tom planta son regard dans le sien. Humide et brumeux, et désespéré. « Bien. Concentre-toi, écoute ton souffle et contrôle-le. » ; le guida-t-il à voix basse. Son patient sembla enfin accepter de l'écouter, alors Bill l'encouragea en bougeant à peine son pouce contre sa joue, sans trop oser le pousser mais voulant au moins lui faire comprendre qu'il était là et qu'il le resterait. Tom quitta son regard pour baisser la tête, jusqu'à ce que son front touche celui du médecin. Celui-ci fut surpris, mais ne fit aucune remarque, l'écoutant seulement essayer de réguler sa respiration au fur et à mesure. Il attendit patiemment, en silence, et remarqua peu à peu que c'était sur le sien, que Tom essayait de calquer son souffle. Il abandonna sa joue pour descendre ses deux mains et attraper les siennes, soulagé qu'il l'écoute au moins un peu. Les minutes passèrent. Longues, silencieuses. Bill attendit jusqu'à ce qu'il le sente se détendre un peu. Il ne pouvait pas prendre le risque de le faire se lever s'il avait la nausée. Le mouvement secouerait son estomac et cette fois ça sortirait tout seul. « Ça va mieux ? »
Tom ne répondit pas, se reculant seulement pour le regarder. Le médecin n'avait parlé à personne du mot qu'il avait prononcé. Il ne voulait pas trop s'avancer et se demandait de toute façon s'il n'avait pas rêvé puisque le dreadé ne semblait pas décidé à recommencer.
« Allez, debout. Il faut que tu dormes. » ; lui dit-il en se redressant. Il tira doucement sur ses mains, le hissant vers le haut et le regardant vaciller un peu sans pour autant le rattraper. Il ne voulait pas abuser et préférait de toute façon que Tom soit celui qui vienne vers lui. Le dreadé lâcha alors sa main, se stabilisant tout seul, puis le suivant hors de la petite salle de bains. Bill le surveilla pendant qu'il retournait se coucher. Cette rechute lui valait encore une fois une perte de poids et de sérieux problèmes s'il ne réagissait pas. Il tira la couverture sur lui, Bill déposa la bouteille sur la table de chevet et baissa le regard en le voyant continuer de trembler. « Je vais aller te chercher quelque chose. Pas de bêtise, d'accord ? J'en ai juste pour quelques minutes. »
Tom papillonna des yeux contre son oreiller, se recroquevillant en une boule tremblante et glacée. Bill décida de filer chercher ce dont il avait besoin avant de faire quoique ce soit qu'il regretterait.
Une bouillotte. Il avait besoin d'une bouillotte. Il se dépêcha d'en préparer une tout en réfléchissant à s'il devait l'aider à se sentir mieux ou ne rien lui donner par crainte qu'il se retrouve encore plus faible.
« Hey ! Comment va-t-il alors ? » ; Gabriel s'arrêta contre le mur afin de lui faire face.
« Mal. » ; gronda le blond en versant l'eau dans la bouillotte. « Je comprends pas. Qu'est-ce qui cloche ? Qu'est-ce que j'ai manqué ? »
« Je sais pas... tu es celui qui l'a fait réagir et on est d'accord qu'il allait mieux hein ? » ; Bill acquiesça brièvement. « Mais peut-être qu'il réagit comme ça aussi par rapport à toi, j'veux dire... y a rien d'autre qui me vient. Il y a quelque chose qui se passe dans sa tête, mais je ne sais pas quoi. » ; le médecin soupira, faisant glisser la bouillotte sous son bras afin de se préparer un café rapide.
« Je vais voir... en attendant, demain matin rien de solide, ok ? Pas de jus d'orange non plus, c'est trop acide. Il a besoin d'y aller doucement. »
« Pas de problème, je ferais attention. »
Bill glissa un sucre dans sa boisson chaude, puis l'embarqua en faisant un petit signe de tête à son ami comme pour le remercier. Il espérait pouvoir arranger ça et mettre fin à cette histoire d'autodestruction.
**
Plus tard, beaucoup plus tard, Bill fut celui qui s'endormit. Recroquevillé dans le fauteuil avec les jambes passées au-dessus de l'accoudoir, l'androgyne somnolait en silence. Tom devait tendre l'oreille au maximum pour entendre son souffle alors que le bruissement des draps lui paraissait faire un bruit monstrueux. La tête collée à son oreiller, il tentait tant bien que mal de faire le moins de bruit possible pour pouvoir l'écouter et ce son léger qu'il entendait directement dans son oreiller et qui n'avait pas lieu d'être l'agaçait fortement.
Tourné de son côté, bras serrés autour de la bouillotte qui pourtant ne chauffait plus grand chose, il avait concentré son regard et ses oreilles sur Bill. Malgré l'obscurité, il pouvait déceler les contours de sa silhouette et comme le jour commençait à se lever, la lueur matinale l'éclairait progressivement. Tom ne savait absolument pas pourquoi ça le calmait, mais aussi bizarre que ça puisse paraître, ça marchait. Il était concentré et alors, la douleur à l'intérieur de lui était plus supportable.
Les heures étaient passées longuement. Il avait très peu dormi. Il avait mal. De faim. De peur. Il avait mal quand il ne mangeait pas, mais tout aussi mal quand il avalait quelque chose. C'était un cercle infernal duquel il n'avait plus la force de se dépêtrer.
Souvent, la nuit, il rêvait. Il rêvait, s'agitait, puis se réveillait en sursaut avec des images plein la tête. Il détestait ça. Il détestait ça autant qu'il détestait être réveillé et voir les heures passer sans pouvoir faire quelque chose d'autre qu'affronter ces images. Là encore, il devait faire face à un cercle vicieux. Dormir ou rester éveillé, c'était la même chose. Ce qu'il y avait dans sa tête ne cessait pas. Jamais.
Il ne savait pas quand Bill s'était endormi ni pourquoi il était resté. Avec son jean déchiré aux genoux, ses baskets et un tee-shirt au style plus ou moins négligé, il était clair qu'il ne travaillait pas officiellement et qu'il n'avait rien à faire là.
Aux alentours de sept heures, Gabriel déboula. Le jour était levé à présent et Tom n'y avait même pas prêté attention. En voyant que l'androgyne dormait, l'infirmier sourit et fit signe au dreadé de garder le silence, comme s'il allait parler. Il vint déposer un plateau sur la tablette. Café, lait, compote. Il devina que le café était pour Bill étant donné qu'il y avait deux tasses et que la sienne comportait du lait. Aussi léger que soit ce petit-déjeuner, cette simple vue l'écœura et il détourna rapidement les yeux du plateau, restant forcé de supporter l'odeur du café encore fumant qui serait d'ailleurs froid et aurait probablement eu le temps de le rendre malade avant que son médecin n'ouvre les yeux.
Gabriel disparut sans qu'il ne le remarque. Il n'avait pas bougé et préférait rester là, recroquevillé contre son oreiller, les genoux quasiment remontés jusqu'à son torse et les yeux braqués sur la silhouette svelte du blond. Son estomac gargouillait et tiraillait, mais il ne ressentait pas du tout la faim. Il avait mal. Juste mal. Boire l'avait fait se sentir plein et lourd, et c'était horrible. Il avait cette barre, douloureuse, il avait mal à chacun de ses membres. Bras, jambes, dos. Il avait très souvent mal à la colonne, aux os, aux articulations dans ses doigts. Il avait même mal quand il était assis sur quelque chose de moelleux. Le manque de force était douloureux et lui filait des vertiges monstrueux où il ne voyait absolument plus rien, et il savait que s'il avait mal aux os c'était justement parce qu'il n'avait plus que la peau sur les os et rien pour le protéger.
Avant d'arriver ici, il avait connu la faim. La vraie faim. Et même la soif. Celle qui vous dévore et vous donne l'impression que quelque chose est en train de ronger votre estomac. Il avait eu très mal au début, et peur. Et puis la faim avait cessé. Il s'était juste habitué à ne pas manger, ou presque pas. Son estomac s'y était fait et il avait tenu durant très longtemps. Puis, en arrivant ici, on lui avait glissé un plateau rempli de nourriture. Au début, il avait cru avoir faim. Il avait mangé comme si c'était la dernière fois, comme si c'était la chose la plus précieuse au monde. Mais, après tout ce temps passé avec l'estomac vide, ça avait été trop. Beaucoup trop. Il s'était senti très mal. Malade, écœuré, dégoûté. Il avait mis des jours et des jours avant d'accepter de manger à nouveau et de trouver un rythme régulier. Même si ce qu'il mangeait n'avait jamais été suffisant, ça avait juste suffi à le faire tenir. Jusqu'à maintenant.
Ses souvenirs s'envolèrent brusquement lorsque Bill bougea sur le fauteuil. Il s'appuya sur un coude pour se redresser et Tom vit la surprise sur son visage. Il avait carrément l'air de se demander ce qu'il faisait là. Le dreadé suivit précisément ses gestes du regard sans bouger. Bailler, se frotter les yeux, passer les doigts dans ses cheveux ébouriffés. Le jeune psychiatre mit un certain temps à réaliser où il était et avec qui. Lorsqu'il croisa les yeux de Tom, il sembla gêné. Il avait l'air très différent de ce qu'il était au quotidien, en temps que médecin. Tom n'y avait même pas fait attention la veille, alors qu'il avait la même mine fatiguée et ses cheveux avaient déjà été en désordre lorsqu'il avait débarqué.
Finalement, Bill laissa glisser ses jambes de l'accoudoir et se redressa pour se donner une certaine contenance. Seulement, il avait l'air bien plus enfantin au réveil que durant la journée et ses traits ne changèrent pas malgré sa volonté à retrouver un semblant de sérieux. Tom en fut surpris, comme si un médecin, malgré sa jeunesse, ne pouvait pas garder ses traits enfantins. Et ce Bill-là le perturba.
« Hum... tu es réveillé depuis longtemps ? » ; lui demanda celui-ci en louchant sur le café peut-être encore tiède. Il en avala une gorgée et Tom fut écœuré à sa place. Bien sûr, il ne répondit pas, mais le médecin n'y fit pas attention. Il en avait l'habitude et posait surtout des questions pour faire la conversation. Tom savait très bien ça. « Essaie d'avaler quelque chose. Le lait apaise souvent si tu le bois par petites gorgées. »
Tom détourna aussitôt les yeux, comme si ça allait le faire disparaître et que plus personne ne le forcerait à manger.
« Tom, allez... tu ne peux pas rester comme ça. Je sais que tu détestes ça, que tu détestes manger, mais la seule chose que tu fais là... c'est te tuer. Alors est-ce que c'est ce que tu veux ? » ; ce qu'il voulait ? Est-ce qu'il voulait mourir ? Tom ne le regarda pas et ne lui donna aucun signe de réponse. Il s'enfonça seulement un peu plus dans le matelas, s'enroulant comme s'il formerait une boule assez petite pour disparaître. Alors, il entendit Bill bouger. Le matelas s'affaissa. À peine. « Hé, Tom, non. » ; il tira sur la couverture qui le cachait, le découvrant sans pour autant le faire bouger. « Écoute-moi. Même si tu le voulais, je te laisserais jamais faire. J'ignore ce que tu as vécu et à quel point c'est dur de vivre avec, mais tu as toute ta vie devant toi. Tu as tout le temps de te reconstruire. Peut-être que tu t'en fiches, mais pas moi ! Je ne vais que d'échec en échec avec toi mais j'abandonnerais pas pour autant. » ; comme Tom bougea, il pencha la tête. Il ne pouvait voir qu'une toute petite partie de son visage puisque le reste était caché contre l'oreiller. « Je suis très têtu, plus tu résisteras, plus tu m'auras sur le dos. » ; souffla le blond. « Et si tu fais des efforts, et que tu sors d'ici, cette fois tu seras débarrassé de moi. »
La surprise fit bouger le dreadé pour de bon. Il tourna vraiment la tête cette fois et Bill ne fut pas certain de comprendre la lueur de colère dans ses yeux alors qu'il se redressait d'un bond.
« Non ! » ; Bill le regarda avec de grands yeux surpris. Le dreadé agrippa ses poignets et le secoua à moitié. Ou en tout cas, avec le peu de force qu'il avait.
« Non quoi ? Pourquoi ? » ; Tom fronça les sourcils avec l'air d'être désespéré. Il relâcha ses poignets, puis baissa les yeux entre eux. Bill se doutait qu'il ne dirait rien de plus et pour le coup ça le frustrait vraiment. Il décida tout de même que rester doux était la meilleure solution. Pour l'instant. « Si tu n'essaies pas de me dire les choses ou au moins de me les faire comprendre, je n'peux pas t'aider, tu sais... » ; l'informa-t-il, mais son patient garda la tête basse et retrouva cet instinct de protection en enroulant ses bras autour de ses jambes qu'il remonta. « Qu'est-ce qui te met en colère, Tom... »
Il tendit la main pour la déposer sur ses bras et l'inciter à se détendre, mais Tom ne le fit pas. L'androgyne se mordit l'intérieur des joues, réfléchissant. Si, comme Gabiel le pensait, il avait été jaloux de l'attention personnelle qu'il apportait à Léo pour le faire sortir, sa colère pouvait être due à l'impression d'abandon. Peut-être que, comme Léo, il se sentait abandonné quand Bill parlait de le faire sortir. Peut-être avait-il peur ? Il se doutait déjà qu'il avait peur du monde extérieur, mais de là à se sentir abandonné ? Vraiment ? Avait-il peur qu'il le lâche dans la nature sans l'aider ? Avait-il l'impression qu'il essayait de se débarrasser de lui ?
Malgré tout ça, il y avait un point positif. Il avait parlé. Encore. Et Bill se fichait pas mal que ce ne soit qu'un mot, l'important était qu'il fasse l'effort. Qu'il s'ouvre.
« Qu'est-ce qui te fait peur ? L'extérieur ? Les autres ? » ; lui demanda-t-il, espérant juste un petit signe. « Te retrouver seul ? » ; Tom secoua la tête. Le médecin se demanda alors s'il ne rêvait pas. « Non ? » ; le jeune homme releva les yeux vers lui, mais ne fit rien d'autre. « Alors qu'est-ce que c'est ? »
Tom se perdit dans ses songes alors que son regard était fixé sur le blond. Ses souvenirs étaient très clairs, puisqu'ils tournaient inlassablement dans sa tête. Ils s'emmêlaient. Souvent. Ils se mêlaient au présent et alors il ne savait plus où il en était. Y échapper lui était impossible, et en parler, encore moins. Il ne pouvait pas. Bill ne comprenait pas. Il aimerait lui faire comprendre mais là encore, il ne pouvait pas.
« Tom ? » ; son nom résonna dans sa tête comme un cri. Pourtant, face à lui, Bill était très calme. « Est-ce que tu m'écoutes ? Je ne peux pas t'obliger à parler ou me raconter quoique ce soit, mais pour ce qui est de manger, je ne lâcherais pas. Tu peux me détester si tu veux, l'important pour l'instant, c'est de te garder en vie. » ; Tom fronça le nez de dégoût alors que la compote était apparue devant ses yeux. « Juste un peu. Fais-moi plaisir ? »
Le dreadé refusa par le silence. Bill soupira en le voyant ainsi, immobile et pourtant mal en point. Ça le rendait dingue.
« Ok, ça suffit maintenant ! » ; Tom sursauta au ton sec. « Tu ne veux pas le faire par toi-même ? Alors je peux te forcer. » ; sous les yeux du jeune garçon, il ouvrit la compote et attrapa une cuillère. Le dreadé le regarda avec un mélange d'incompréhension et de crainte. Il n'allait pas le forcer ? Il ne pouvait pas le forcer ! «Ouvre. » ; ordonna le médecin. Il attrapa un peu de compote dans la cuillère et la tendit vers lui. « Maintenant !» ; Tom garda ses lèvres scellées et n'eut pas peur de soutenir son regard autoritaire. Ce Bill-là, il ne voulait pas le voir. Même s'il l'avait toujours plus ou moins poussé, Bill ne l'avait jamais forcé et s'il le faisait, Tom le détesterait. Il était le seul à s'intéresser à lui alors pourquoi le trahir ? « Tom, je te jure que si tu n'ouvres pas la bouche maintenant, je le fais moi-même. » ; gronda à nouveau le médecin. Pour appuyer ses dires, il posa le pot et tendit sa main libre vers son visage. Tom ouvrit alors la bouche avant qu'il ne le fasse. On l'avait déjà forcé à ouvrir la bouche et avaler des quantités de nourriture astronomiques pour son estomac et il ne voulait pas le revivre. Ce fût donc les yeux remplis de rancoeur qu'il avala la cuillère de compote que Bill faufila dans sa bouche.
Il lui en fit avaler plusieurs, sans rien dire, sans se soucier de sa colère. Par chance, il ne le força pas à finir toute la compote et Tom eut tout le loisir de sentir la nourriture peser douloureusement sur son estomac. Bill recula une fois qu'il eut jugé qu'il ait assez mangé pour une première fois et le dreadé ne se priva pas de se réenrouler sous ses couvertures et de lui tourner le dos sans même lui avoir jeté un regard. Le médecin soupira faiblement et embarqua ce qui devait être jeté pour ne lui laisser que du lait et de l'eau. Il se dirigea vers la porte, mais s'arrêta avant de l'ouvrir, jetant un regard à la forme que dessinait son corps recroquevillé, et son regard fixé sur la fenêtre. Il savait qu'il venait de briser quelque chose, mais il n'avait plus vraiment le choix.
« J'suis désolé... » ; bredouilla-t-il juste avant de refermer derrière lui.
À suivre...