Chapitre 15 :

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Végéter était déjà ennuyeux, mais végéter avec la nausée était définitivement l'un des pires sentiments du monde. Dormir un quart d'heure, se réveiller, vomir, se recoucher, avoir mal, dormir, avoir encore mal, tourner en rond, dormir. Non, franchement, qu'y avait-il de plus ennuyeux ? Il préférait largement bosser.

Face à son état, la patronne lui avait accordé trois jours entiers. Trois jours de repos forcé. Gabriel l'avait ramené et aidé à monter, se coucher et puis avait veillé à ce qu'il ait de l'eau et tout ce dont il avait besoin à sa portée. Il avait promis de repasser, puisqu'il avait dû retourner bosser. Inquiet à l'idée de ne pas pouvoir être là durant si longtemps, Bill lui avait donné une peluche à donner à Léo. Un vieux lapin aux longues oreilles recousues à maintes reprises, qu'il avait traîné durant des années. C'était juste pour lui prouver qu'il était là à distance et qu'il ne se mette pas à croire qu'il ne reviendrait pas. Il avait aussi fait jurer à son ami de veiller sur eux. Ses patients. Tom, surtout. Trois jours n'étaient peut-être pas énormes, mais il savait qu'on se sentait vite abandonné là-bas. Et puis c'était long pour lui. Trop long. Vingt-quatre heures, ça durait une éternité. Et puis il avait mal aux côtes à force de vomir et ça ne semblait même pas vouloir s'arrêter.

« Biiiiill ! »

Les yeux grands ouverts, l'androgyne sentit une masse sauter et rebondir sur son lit et fronça le nez en sentant cette petite voix venir cogner durement dans sa tête.

« Zouuu, doucement. » ; marmonna-t-il d'une voix rauque. Zoé avança à quatre pattes jusqu'à lui et vint toucher son front. La fraîcheur de ses doigts lui fit d'ailleurs du bien.

« T'es beaucoup malade ? »

De toute évidence, après avoir appelé ses parents vite fait, ceux-ci avaient demandé à Louise de passer et Zoé avait suivi le mouvement.

« Oui. » ; la petite se coucha contre lui pour le réconforter, tandis que Louise venait poser un baiser sur son front et fronçait le nez à l'odeur de la bassine qui lui servait à vomir ses tripes.

« Ah ouais. Quand maman a dit que tu étais malade, je t'imaginais pas comme ça. » ; marmonna-t-elle.

« T'as cru que je faisais semblant ? »

« Non. » ; son sourire familier fit du bien au blond. Elle se posa au bord du lit, vérifiant sa température. « Je sais que tu dois vraiment être à plat pour accepter de t'arrêter. » ; souffla-t-elle en caressant distraitement son front du bout des doigts. Ce serait apaisant si c'était frais. « Mais... et excuse-moi de te le dire. Ça pue le fauve et le vomi ici. Tu devrais prendre une douche et aérer. »

Bill n'eut pas la force de rire, mais sourit et passa une main sur son front brûlant. Il avait vraiment hâte que ça se termine.

« Tu veux bien m'apporter un truc frais ? Je vais bouillir sinon. » ; Louise acquiesça et se leva tout en emportant la bassine avec elle. « Merci Lou ! » ; dit-il en la regardant partir vers la salle de bains. Une fois qu'elle eut disparue, il baissa les yeux vers Zoé qui s'était littéralement roulée en boule avec la tête contre son ventre. Elle devait mourir de chaud entre la couette et la chaleur exagérée irradiant de son corps. « Zoé ? »

L'enfant leva la tête, comme si elle venait de se réveiller. Bill lui tendit son bras et elle remonta alors, enroulant pratiquement ses jambes autour de lui pour finir par refermer les yeux.


Lorsque Louise réapparut quelques minutes plus tard, tout le monde dormait. La jeune fille se stoppa en les voyant, puis leva les yeux au ciel et vint tout de même déposer un gant humide sur le front de son frère. Finalement, elle décida de s'occuper un peu de l'appartement et de préparer quelque chose à manger. Elle avait tout son temps, visiblement.
**


« Non. »

« Allez ! » ; l'androgyne secoua fermement la tête. « Fais un effort au moins. » ; reprit son ami.

« Si tu me forces, je te vomis dessus, compris ? »

Gabriel soupira lourdement, agacé. Il croisa les bras contre son torse, sachant que même s'il essayait de le forcer, Bill était totalement capable de se venger.

« Je t'ai préparé de la soupe avec des vrais légumes exprès pour que tu te remettes ! » ; le médecin souffla et pencha lentement la tête. Ok, c'était adorable, mais il ne pouvait toujours rien avaler.

« Je ne peux pas. » ; son ami se laissa tomber sur une chaise face à lui, résigné. Bill était lui aussi assis, à table, enroulé dans une couverture et toujours dans un sacré état. Son estomac avait fini de se vider, heureusement, mais à part de l'eau, il ne pouvait rien avaler. « J'ai même pas fumé depuis deux jours, je sais pas si tu te rends compte. »

« Ah oui, en effet... » ; Bill souffla et appuya ses coudes sur la table afin de poser sa tête contre ses mains. Il se sentait comme si ses bras étaient aussi fragiles que des spaghettis. « T'as la force de rien ? » ; le blond secoua lentement la tête, ennuyé. « T'as quand même grave déconné... tu dors plus, tu manges plus, évidemment que tu choppes le premier virus venu ! »

Le médecin leva les yeux au ciel. Il avait peut-être un petit peu déconné... beaucoup, même. Il avait surtout mal géré son temps. Il avait dix fois trop la tête au boulot, même en dormant.

« Et Léo ? Comment il va ? » ; demanda-t-il, ignorant ainsi volontairement le sujet.

« Oh ! Il refuse de lâcher ta peluche. Il la traîne partout, bon dieu. J'ai dû le menacer pour qu'il la lâche avant la douche. » ; Bill sourit malgré lui en l'imaginant. « Il a dit qu'il ne la lâcherait pas tant que tu serais pas revenu et qu'il me ferait la misère si t'avais menti et que tu revenais pas. Dis-moi pourquoi c'est moi qui dois prendre ?! » ; l'androgyne étouffa un petit rire, plutôt amusé par la situation.

« Il t'a demandé pourquoi j'étais pas là pour lui dire moi-même ? »

« Oui. Je lui ai dit que t'avais failli gerber tes tripes en plein milieu du couloir et que je t'avais emmené te coucher. » ; joli façon de dire les choses ! « Il a eu l'air de comprendre, alors je pense qu'il cogite mais ça va... il a pas fait de crise en tout cas. »

« Tant mieux. » ; souffla le blond avant d'avaler une longue gorgée de son verre d'eau.

« Et Tom tu demandes pas ? » ; Bill fronça le nez, louchant sur ce qui restait dans son verre. « Allez... je sais que t'en meurs d'envie. »

« Et bah accouche ! » ; s'exclama le médecin en voyant bien qu'il le narguait. Gabriel éclata de rire, satisfait.

« Je le savais que ça te démangeait. » ; Bill soupira. Il était désespéré. « Bien... ça va. Je lui ai dit que t'étais malade, j'avais un peu peur qu'il baisse les bras sans savoir pourquoi t'étais absent si longtemps. »

« Et alors ? Il mange toujours ? »

« Étonnement, oui ! » ; en fait, chaque repas acquis de plus surprenait le blond. Même si Tom ne mangeait que très peu, il faisait l'effort à chaque fois. « Il a l'air d'aimer le thé, il le finit presque à chaque fois. Ça doit l'aider à digérer, je pense ? »

« Sans doute. »

« Tu devrais peut-être essayer d'ailleurs ? » ; Bill haussa les épaules, mais l'infirmier n'attendit pas de réponse et alla fouiner les placards à la recherche de thé.

« Et son coeur, ça va toujours ? » ; Gabriel acquiesça. « T'aurais pas une idée, toi ? De pourquoi il mange, tout d'un coup ? »

Cette fois, le jeune homme se stoppa, semblant hésiter. Il se retourna avec un mug entre les mains et le blond l'interrogea du regard.

« Euh... j'en ai une, mais tu vas m'engueuler. » ; le psychiatre haussa les sourcils.

« Putain. Qu'est-ce que t'as fait encore ?! »

« Je l'ai un peu secoué... ? » ; Bill fit les gros yeux en entendant ça. « Pas comme tu le crois ! Il était à peine réveillé après son arrêt, je lui ai juste parlé. » ; souffla-t-il, déposant la grande tasse et se remettant à chercher du thé. « Je lui ai dit que tu lui avais sauvé la vie, que tu te donnais du mal pour lui et qu'il... devait arrêter de se détruire. C'est tout. »

Enfin, il attrapa un petit sachet de thé et revint avec, le faufilant dans la tasse sous les yeux confus de son ami.

« C'est tout ? »

« Oui, qu'est-ce que tu croyais ? Je veux qu'il aille mieux, j'allais pas l'agresser ! »

« Mais alors c'est quoi ton idée ? »

« Bah... j'en suis pas sûr, mais je me demande si ça l'a pas fait réfléchir. » ; souffla-t-il, baissant les yeux vers le blond. « J'veux dire... son coeur s'est arrêté ! C'est sérieux. C'est ce que je voulais qu'il comprenne. Je ne crois pas qu'il ait miraculeusement eu envie de s'en sortir, mais je pense qu'il fait des efforts par rapport aux tiens. »

Comment ? Pourquoi ? Bill se mit à fixer la table sans but, plongeant dans ses réflexions. Il n'était pas sûr de comprendre. Manger comme signe de reconnaissance ? De remerciement ?

« Je comprends pas. » ; marmonna-t-il alors que Gabriel s'occupait à faire chauffer de l'eau.

« Je pense qu'il a compris que tu faisais beaucoup d'efforts pour lui et que tu t'inquiétais personnellement pour lui. »

« Et alors ? »

« Et alors, tu lui as sauvé la vie, évidemment ça fait partie de ton boulot mais ça reste quelque chose d'énorme ! Il a peut-être enfin compris que tu croyais en lui. »

« Donc, tu crois qu'il mange parce que... ? »

« Parce que ça lui donne des forces, c'est évident ! » ; Bill frotta ses yeux de ses paumes, réfléchissant. Ça lui paraissait gros. « Honnêtement, je pense qu'il tient à toi, et que ça le tire vers le haut. Sinon pourquoi ce serait avec toi qu'il réagit toujours ? » ; alors ça, si c'était la vérité, il ne savait pas si c'était une bonne ou une mauvaise chose. Encore une fois, il n'avait pas le droit d'avoir ce type de lien avec un patient. « Et je sais que tu ne nous dis pas tout ce qui se passe avec lui. J'en suis sûr. » ; Bill reposa des yeux surpris vers lui. «Mais je te blâmerais pas pour ça, parce que je te fais confiance. Je pense que tu lui fais du bien et ça fait tellement longtemps qu'il souffre que les règles peuvent aller se faire foutre. »

Pour le coup, l'androgyne dut se mordre l'intérieur des joues pour ne pas sourire. S'il y avait une chose qu'il aimait chez Gabriel, c'était son franc parlé et sa façon de penser.

« Tiens, voilà ton thé monsieur ! » ; il le remercia distraitement, sans pouvoir cesser de laisser tourner ses pensées. Gabriel se réinstalla face à lui. « C'est juste une hypothèse, tu sais. »

« De toute façon l'important c'est qu'il mange. »

« Oh, en parlant de ça, j'ai tes résultats de prise de sang. » ; le blond haussa les sourcils, jetant un oeil aux papiers qu'il déplia et sortit de sa veste. « Tu peux parler de tes patients hein, tu manques de beaucoup de choses. » ; Bill fronça le nez en analysant les fameux résultats. « T'as intérêt d'apprendre à manger correctement et à chaque repas. Un sandwich dans la journée ça suffit pas, et puis café/clope c'est pas un repas. »

Tout en se mordillant l'intérieur des joues, son ami eut un sourire malgré lui et se concentra sur le thé qu'il touillait.

« C'était mon préféré. »

« Mais je rigole pas ! » ; gronda Gabriel en poussant sur son bras. « De toute façon le doc va te passer un savon. Il a un double de tes résultats et il te prescrira sûrement des trucs. » ; l'androgyne lâcha finalement le papier, pour finalement soulever sa tasse et boire une petite gorgée de la boisson chaude. « Tu vas faire attention ? » ; Bill leva des yeux curieux vers lui.

« Tu t'inquiètes pour moi ? »

« Hum... je dirais pas ça comme ça. » ; se défendit-il, faisant sourire son vis-à-vis. « Mais c'est quand même dans ma voiture que t'as failli gerber ! Comment j'aurais nettoyé ça ? »

« Connard. » ; Gabriel sourit. Bill savait de toute façon qu'il ne serait pas là s'il s'en fichait.

« Allez. Encore une journée et tu seras de retour. J'apporterais les chouquettes si tu veux. »

Des chouquettes. La gourmandise par excellence ! Bill n'en avait même pas envie. Son estomac était encore sensible d'avoir été si malmené. Il espérait quand même retrouver la forme et très vite. Il avait hâte de reprendre, même si dormir lui faisait du bien.
**


La nuit suivante, son sommeil fut perturbé par des coups monstrueux contre la porte. Bill mit un bon bout de temps à trouver le courage de sortir du lit. Pour une fois qu'il dormait bien ! Malgré le fait qu'il traînait lourdement des pieds jusqu'à la porte et qu'il râlait tout haut, les coups ne cessèrent jamais. En tout cas, jusqu'à ce qu'il ouvre.

Sous ses yeux, Noa manqua de s'écrouler ou de lui tomber dessus. Sa main s'accrocha à l'encadrement, à défaut de la porte contre laquelle il s'était acharné, et l'androgyne fronça les sourcils face à son état. Déjà, il sentait l'alcool à des kilomètres, et puis il avait une belle contusion près de son oeil, et aussi au coin de la lèvre, et l'une de ses pommettes avait l'air de changer de couleur. Bill soupira et se frotta vivement les yeux avec ses poings.

« Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? » ; demanda-t-il en se décalant pour le laisser entrer. Noa ne répondit pas tout de suite, entrant en titubant et le suivant jusqu'à la cuisine. Bill lui servit un grand verre d'eau. Histoire de le réhydrater un peu. Lui qui se remettait tout juste, le gamin allait certainement rebaptiser son appartement de cette odeur horrible de vomi. Ô joie. « Alors ? »

« Je savais pas où aller. » ; répondit seulement l'adolescent. Bill l'observa avaler son verre d'une traite. Il pouvait presque parier que c'était par rapport à Rose. C'était logique, en tout cas.

« Bon, viens. Je vais te mettre quelque chose là-dessus avant que tu sois défiguré. » ; soupira-t-il en lui indiquant ses blessures. Noa afficha une mine confuse, titubant toujours à moitié. Le médecin attrapa alors son avant-bras et le tira vers la salle de bains. Là-bas, il le fit asseoir sur le rebord de la baignoire et farfouilla dans l'armoire à pharmacie. « Tombe pas hein ! » ; s'exclama-t-il en le voyant chanceler. Noa manqua de basculer vers l'arrière et pouffa en se retenant de justesse au bord. Un peu plus et il glissait directement dans la baignoire. Bill leva les yeux au ciel, attrapant une crème et aussi un peu de désinfectant.

Lorsqu'il se posta face à lui, Noa leva les yeux, l'air sérieux. Bill ne dit rien et s'occupa d'abord de la petite plaie près de son oeil, tapotant délicatement un peu de produit afin de désinfecter. L'adolescent grimaça, mais ne fit aucun commentaire.

« Tu vas te fâcher ? » ; demanda-t-il pendant qu'il vérifiait la blessure. Bill haussa un sourcil à cette question.

« Pourquoi ? Parce que t'as bu, parce que tu t'es battu ou parce que tu t'es sûrement encore frité avec ta tante ? »

« Pour débarquer chez toi comme ça. » ; Bill passa aux hématomes sur lesquels il appliqua une crème et se mordit nerveusement la lèvre inférieure avant de soupirer.

« Ça me dérange pas. Je préfère te savoir ici que traînant n'importe où. Tu le sais. »

Noa papillonna des yeux lorsqu'il effleura sa pommette tuméfiée. De toute évidence, celui qui l'avait frappé n'y avait pas été de main morte.

« Merci. »

« De quoi ? » ; le jeune homme haussa les épaules. Bill termina de le soigner et vérifia qu'il n'y avait rien d'autre.

« De t'occuper de moi. »

« T'as mangé ? » ; demanda le blond. S'occuper de lui lui paraissait normal, il ne voyait pas pourquoi le sujet devrait être relancé.

« Non. Hum... je sais plus. » ; Bill rangea ce qu'il avait utilisé et lui fit un petit signe de tête.

« Quand j'avais ton âge et que je rentrais de soirée complètement torché, je m'enfilais des grands plats de pâtes à 5h du matin. »

« Des pâtes ? »

« Ouais, je mourrais de faim ! Viens. » ; Noa le suivit à nouveau jusqu'à la cuisine. « T'as envie de quoi ? »

« Euh... Je dirais d'un bon gros sandwich. Avec des cornichons. »

Bill sourit et alla ouvrir le frigo, cherchant de quoi lui faire quelque chose de potable.

« Installe-toi. »

Honnêtement, et même si ça l'ennuyait de le voir faire des conneries, il ne pouvait pas le laisser. Il aimait beaucoup Noa, et puis s'il s'était retrouvé à sa place, à son âge, il n'aurait pas fait mieux. Pourquoi un ado paumé et pratiquement abandonné à son propre sort n'aurait pas le droit de se rebeller ? Il avait besoin de soutien et de stabilité, et Bill refusait de le laisser tomber. Il s'en voudrait trop s'il arrivait quelque chose.
**


Le retour au boulot fut une espèce de délivrance, au bout de trois longues journées de sommeil agité, d'ennui, de nausées et de chaud/froid incessant. Trois jours et demi, même, en comptant celui où ça avait commencé. Bill se sentait mieux. Un peu à l'ouest et faible de ne plus rien avoir dans le ventre, mais mieux ! Il était surtout content d'être là et de ne plus avoir l'impression que le sol se dérobait sous ses pieds.

Après un thé pris dans la salle du personnel, il commença par traverser le couloir, sans trop savoir par où commencer. À cette heure, le petit déjeuner avait déjà été servi, les traitements avalés et pour la plupart, la toilette déjà faite. Il n'avait franchement pas envie de rester enfermé dans son bureau alors aller voir ce qui se passait directement comme il le faisait toujours était sa meilleure option.

Justement, en chemin, il vit Ana de loin, se chamaillant avec Léo certainement encore pour des broutilles. Bill lui fit signe de se taire lorsqu'elle le remarqua. L'enfant était dos à lui et il avait bien envie de l'embêter. Il tenta d'avancer en silence, marchant presque sur la pointe des pieds. Il se pencha et étendit ses bras afin de déposer ses mains contre les yeux de Léo.

« Devine qui c'est... ? »

Ana éclata de rire en voyant l'enfant s'agiter aussitôt et crier des Biiiiill à tout va. Celui-ci se retourna vivement et sauta dans ses bras sans aucune douceur, accrochant fermement bras et jambes autour de lui. L'androgyne le rattrapa au vol, souriant et le laissant caler confortablement sa joue contre son épaule. Il pencha la tête pour embrasser son front et jeta un oeil à la peluche usée qu'il avait lâché dans le mouvement et qu'Ana ramassa. C'était celle qu'il lui avait donné. Enfin, qu'il avait filé à Gabriel pour qu'il lui donne. Léo semblait le traîner et le malmener autant qu'il l'avait fait étant petit et ça le fit sourire.

« T'es pas parti. » ; bredouilla l'enfant contre son oreille. Et ça sonnait vraiment comme s'il y avait cru. Trois jours, c'était pourtant pas si long ?

« Bien sûr que non. » ; Ana lui fit signe qu'elle les laissait, alors Bill récupéra la peluche et la remercia du regard. Il berça un peu Léo contre lui, sachant que, de toute manière, il ne pouvait pas rester très longtemps avec lui.

« Tu m'as manqué. »

Sans pouvoir faire autrement, le sourire de Bill s'étira à nouveau. Il baissa la tête et appuya son menton contre la petite épaule frêle de Léo.

« Toi aussi. » ; répondit-il à voix basse. Il avait hâte que Léo sorte et qu'il n'en soit plus médicalement responsable, finalement. Il ne saurait pas gérer ça encore longtemps. Il en était trop proche, dorénavant.
**


Après une matinée plutôt riche en agitation, un déjeuner normal en bas et vérification de tout ce qu'il avait raté durant son absence, ce fut le moment du fameux bain qu'il avait suggéré à Tom. Tout était calme et il avait enfin le temps. Il n'avait plus qu'à le lui annoncer et espérer qu'il accepte.

D'abord, il devait le voir. Parce qu'il ne l'avait pas encore vu depuis qu'il était arrivé. Lorsqu'il entra, Tom ne regarda pas tout de suite qui entrait, alors il ne le vit pas. Bill avança de quelques pas en silence, n'osant pas trop perturber le calme qui régnait ici. À présent, cette chambre ne lui paraissait plus aussi sinistre. C'était calme, terne et impersonnel, certes. Mais il y avait Tom.

Finalement et en se rendant visiblement compte qu'il ne se passait rien, le jeune dreadé détacha son regard de la fenêtre pour s'intéresser à lui. En premier lieu, il eut l'air surpris. Surpris de le voir ? Aussi surpris que Léo qu'il soit vraiment revenu ? Bill ne le sut jamais, mais croiser son regard pétillant lui rappela qu'il aurait aussi beaucoup de mal à s'en passer.

Il se mordit la lèvre inférieure en y pensant, appuyant ses mains au bout du lit et regardant son patient dans les yeux.

« Est-ce que t'es prêt ? » ; demanda-t-il doucement. « La salle est vide et j'ai du temps. Tu pourrais aller prendre ce bain. » ; en fait, cette histoire de bain servait surtout à essayer de le faire sortir et changer ses habitudes. Tom n'était pas sale, loin de là ! Il prenait sa douche seul et savait parfaitement s'occuper de lui-même sans qu'on le lui demande. Mais justement, il faisait sa petite vie, dans sa chambre, discret et sans jamais rien demander à personne. Bill voulait le sortir de ça. Ce serait un bon départ avant de tenter de le faire sortir dans le parc, de s'ouvrir, doucement. « Je pourrais fermer les yeux tout le long si tu veux. » ; souffla-t-il en passant ses mains sur ses yeux pour le mimer. À sa grande surprise, Tom se leva du lit pour se diriger vers sa petite salle de bains. « Tu n'as pas besoin de serviette, y en a là-bas. » ; l'informa-t-il rapidement.

Le jeune dreadé réapparut au bout de quelques secondes. Dans ses bras, des vêtements propres et du savon. Bill sourit, satisfait. Il acceptait de sortir de cette chambre et déjà, rien que ça, c'était bien.

« Super. Allons-y. »

Il alla ouvrir la porte et lui fit signe de le suivre, ce que Tom fit prudemment. Il était hésitant et plutôt recroquevillé sur lui-même, mais il avançait. Bill baissa le regard vers ses propres pieds pour se concentrer sur sa présence dans son dos et ralentir en même temps que lui. Il savait qu'il avait peur du monde extérieur, et Bill aurait aimé pouvoir le rassurer, mais il ne pouvait pas lui attraper la main ici. Et puis, il voulait d'abord voir comment il réagissait. Quand il saurait ce qui lui faisait peur, il pourrait l'aider un peu plus.

Jusqu'au bout, et malgré les craintes du médecin, Tom le suivit et ne s'arrêta que lorsqu'ils se retrouvèrent dans la dite-pièce. Bill vit parfaitement qu'il s'était renfermé et l'avait senti se tendre à distance. Les regards, les cris provenant d'autres étages, le bruit, le monde, tout simplement. Il n'avait jamais regardé rien d'autre que les pas du blond, parce que c'était le monde qui l'effrayait. Bien sûr, il avait l'habitude des médecins, infirmiers, de Léo qui débarquait. Individuellement, les autres ne lui faisaient pas peur. Ou peut-être que sa chambre restait son cocon, l'endroit qu'il connaissait par coeur et où il n'avait pas peur.

« Tiens, tu peux poser ça ici. » ; lui indiqua-t-il en tendant de faire comme si tout était normal. « Tu as des serviettes et des gants de toilette. Du savon aussi. » ; dans cette pièce, il y avait deux grandes baignoires, trônant en plein milieu du passage d'ailleurs. Il y avait aussi des tapis doux et des étagères avec le linge et les produits. Des lavabos, des miroirs. Il y avait tout ce qu'une salle de bains était censée posséder, excepté l'intimité. Personne ne pouvait venir ici tout seul. Cette pièce restait verrouillée par le personnel et tout le monde y faisait attention. Il y avait risque de noyade. Un patient pouvait très bien venir, faire couler l'eau et y mettre la tête pour se noyer. Ou un patient pouvait aussi y noyer un autre. Glauque, mais réaliste. Bill alla ouvrir le robinet et régler l'eau de l'une des deux baignoires. Après ça, il décida de le laisser faire et lui tourna le dos pour s'occuper de ranger un peu le bordel laissé ici et là.

Au début, Tom ne bougea pas, ses vêtements serrés contre lui, les épaules voûtées et osant à peine observer de quoi était faite cette pièce. Il mit du temps, et Bill lui laissa totalement. Il ne voulait pas le brusquer : ce serait une erreur. Si ça prenait une heure à ce qu'il ose enfin bouger et se glisser dans le bain, et bien soit. Bill lui-même détesterait être à sa place, enfermé là et surveillé comme un gamin ou comme un animal dangereux. Parfois, il y pensait. Réellement. Même quand on leur donnait des libertés, on les gardait enchaînés. Ça lui faisait mal au coeur, mais en même temps, c'était pour leur bien. Rester dans cette pièce avec lui était une question de sécurité, il serait de toute façon trop angoissé de le laisser tout seul ici. La seule chose qu'il pouvait tenter de faire, c'était de les laisser s'acclimater sans les brusquer ou les observer comme certains le faisaient.

Après plusieurs minutes, Tom bougea. Il avança et ses mains légèrement tremblantes se levèrent pour pouvoir déposer ses vêtements à l'endroit indiqué. Dans le mouvement, il buta dans une petite poubelle en plastique, sursauta et manqua de tout faire tomber. Bill se retourna au bruit, croisant ses yeux perdus et paniqués. Il lui adressa son sourire le plus rassurant et récupéra les vêtements.

« C'est rien, t'en fais pas. » ; c'est juste du bruit, juste une poubelle, eut-il envie de rajouter. C'était très bizarre et aussi fascinant la façon dont il pouvait perdre ses repères en dehors de sa chambre, et aussi d'être surpris de faire du bruit. Qui serait surpris d'en faire ? Il était si habitué au silence, à être muet et imperceptible.

Encore une fois, Bill le laissa évoluer à son rythme et il lui fallut un certain temps avant qu'il ne se décide à se déshabiller. Pour le coup, il détourna les yeux tout en pensant qu'il n'aimerait pas qu'on le regarde, lui, et attendit patiemment jusqu'à entendre le bruit de l'eau bougeant contre les parois de la baignoire. En fait, ce fût très léger. Comme lui. Tom était si léger et discret qu'il se faufila presque silencieusement dans l'eau chaude.

Une fois à l'intérieur, il ne bougea pas. En tout cas, Bill ne l'entendit pas et aurait pu jurer qu'il était encore recroquevillé avec les jambes contre lui alors qu'il ne le voyait pas. Il attendit patiemment, lui laissant le temps de s'habituer à la sensation de l'eau chaude et aussi à la situation. Il jeta un petit coup d'oeil vers lui pour s'assurer que tout allait bien et s'occupa à ranger tous les savons par parfum. Fraise, vanille, pomme glacée.Oh ! C'était sans doute son préféré. Il se demanda durant une seconde si amener du bain moussant serait une bonne idée. En fait, ça pourrait être marrant. Certains faisaient les clowns dans le bain et un petit supplément serait pas mal.

Finalement, après un long moment, il posa les yeux sur le dreadé qui s'accommodait lentement de cette chose nouvelle. Il le regarda passer ses mains dans l'eau et en recouvrir son visage. La moitié de ses dreads était immergée, puisqu'elles descendaient bas dans son dos, et il repoussa lentement celles qui gênaient son visage. Bill essaya de ne pas trop détailler ses épaules toutes frêles et ses clavicules ressortant dix fois trop, et puis surtout, son dos nu où chaque petite bosse de sa colonne était parfaitement visible.

Lentement, il se laissa glisser dans le fond de la baignoire, jusqu'à ce que sa tête soit totalement immergée. Plus rien de son corps ne dépassait. Bill approcha par réflexe, il préférait rester prudent même s'il savait que Tom n'était pas bête et que faire quoique ce soit devant lui serait stupide. Il observa quelques bulles remonter à la surface. À travers l'eau, il pouvait voir les longues dreadlocks éparpillées tout autour de sa tête. Bill tendit une main, mais se stoppa avant de toucher l'eau. Tom fut celui qui le toucha le premier et le fit d'ailleurs sursauter en s'agrippant ainsi à sa main pour se redresser. Il expira aussitôt qu'il sortit la tête de l'eau et Bill regarda toutes les petites gouttes transparentes dévalant son visage et ses épaules avec une certaine fascination. À bien y réfléchir, Tom avait une espèce de grâce en lui, de légèreté. Il n'y avait jamais fait attention. Il se baissa pour se retrouver accroupi à côté de la baignoire et plongea dans ses yeux légèrement rougis et pétillants. Tom lâcha sa main, seulement pour déposer la sienne, mouillée, contre sa joue. Le médecin n'y omit aucune objection, se fichant pas mal de se retrouver mouillé. Franchement, il y avait bien plus important ! Il ne savait absolument pas pourquoi Tom venait et le touchait de cette façon, mais c'était un avancement comme un autre et il ne pouvait pas dire non.

Il regarda droit dans ses yeux, s'y perdant et cherchant. Plus le temps passait et plus il avait l'impression de voir des choses. Il n'avait plus qu'à trouver comment les déchiffrer à présent. Il tourna légèrement la tête, juste assez pour pouvoir déposer ses lèvres contre sa paume humide. En même temps, ses doigts s'enroulèrent autour de son poignet, mais Tom ne se retira pas alors essayer de le retenir était inutile. Il suivit seulement ses gestes du regard, en silence. Il avait l'air un peu mieux. Plus en forme. Plus serein peut-être aussi. Bill lui lança un petit sourire, faisant doucement descendre sa main de sa joue sans pour autant la lâcher.

« J'aime trop tes dreads. » ; souffla-t-il spontanément. Sa main libre remonta et il poussa délicatement une dreadlocks derrière son épaule afin qu'elle rejoigne les autres dans son dos. « T'en as encore du soin ? » ; demanda-t-il sans vraiment s'attendre à une réponse. Pourtant, Tom fit non de la tête. Légèrement, mais il le fit. L'androgyne plissa le nez. « Pourquoi tu me l'as pas dit ? Tu pouvais au moins me le faire comprendre, l'écrire ou je sais pas. » ; cette fois, le dreadé ne fit que baisser les yeux vers sa main qu'il tenait toujours. «Est-ce que tu les as depuis que tu es petit ? » ; bon, par petit il voulait dire depuis qu'il était parti de chez cette famille, mais il avait peur que Tom se referme s'il posait clairement la question. Il attendit un signe quelconque qui servirait de réponse, mais le jeune dreadé le regarda simplement et il ne fut pas certain de savoir interpréter les choses.

Finalement, il décida de le laisser tranquille avec ses questions. Il avait déjà fait de beaux efforts alors il ne pouvait pas trop le pousser. Ce serait inutile.
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Le week-end de cette semaine là, Jazzy fut autorisée à passer une journée chez elle. Et ce même jour, Léo eut une autre visite avec ses parents à laquelle Bill n'assista pas complètement. Il fallait absolument que le gamin se fasse à son absence et il avait plus ou moins réussi à s'éclipser discrètement. Bientôt, il irait visiter la maison et si tout se passait bien, il avait de grandes chances d'y emménager très vite.

« Salut Domino. » ; le chaton répondit en venant aussitôt se frotter à ses jambes et Bill tendit une main, l'attrapant dans ses bras tout en avançant dans le parc. Il cherchait une petite mamie qui se sauvait régulièrement dans des endroits improbables chaque fois qu'elle refusait ses soins ou ses séances. Elle n'était jamais bien loin, mais quand même !

Il regarda autour de lui, plissant les yeux tout en réfléchissant.

« Bill ! Y a une admission. » ; l'androgyne se retourna, accordant son attention à Ana. « Ça a l'air délicat. C'est un homme drogué avec des épisodes psychotiques. Ils l'ont retrouvé dans la rue. »

« Quoi d'autre ? »

« Ils ont parlé de VIH, mais ils sont pas sûrs. Il faudra vérifier. »

« Oh, hum... d'accord. Est-ce que tu peux essayer de retrouver Ange pour moi ? Je voudrais pas qu'elle reste cachée pendant des heures. »

« Pas de problème, sois prudent ! » ; le conseilla-t-elle en passant une main contre son avant-bras. Bill lui sourit et fila.

Rapidement, il trouva où ils étaient puisque des cris résonnaient dans tout le bâtiment. Il courut rejoindre ses collègues tentant de le maîtriser avec une certaine difficulté et sut qu'il allait falloir le sevrer avant toute chose. Et vu son état, ça allait être mouvementé.
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« Bah qu'est-ce que tu fais encore là, toi ? T'avais pas fini ? »

Bill leva les yeux de son téléphone et tourna la tête vers son ami. Il était assis à l'une des tables, dehors, fumant tranquillement.

« Si ? Je fume, et puis je voulais voir Tom ensuite. J'attends qu'il ait mangé. » ; Gabriel haussa les sourcils et se posa à ses côtés, dans le sens inverse du banc qui entourait la table.

« Et pourquoi tu veux voir Tom ? »

« Pourquoi tu devrais le savoir ? » ; répondit le blond avec un air malicieux.

« Parce que ! Allez... je peux venir ? » ; Bill jeta un coup d'oeil vers lui.

« Non. »

« Bill. »

« Gabriel. » ; l'infirmier soupira, ennuyé. Il le poussa de son épaule et Bill expira la fumée de sa cigarette tout en souriant.

« Je suis sûr que tu fais des cachotteries avec lui. » ; s'exclama son ami sur le ton de la confidence.

« Peut-être. » ; souffla le médecin, amusé et plutôt satisfait de le frustrer.

« Mais dis-moi ! » ; Bill secoua lentement la tête. Il aimait ses petits secrets. « Je croyais qu'on était amis. »

Cette fois, le blond lui jeta un regard blasé. La carte de l'amitié, franchement ? Il était clair que Gabriel avait trouvé sa place dans sa vie, mais ça n'avait rien à faire là.

« N'essaie pas de m'embrouiller. Je dirais rien. »

« Pfffff, t'es trop nul. » ; Bill sourit, haussant doucement les épaules. Même s'il finirait par lui dire, il voulait attendre encore un peu. Finalement, il écrasa sa fin de cigarette et se leva pour aller la jeter.

« J'y vais. » ; souffla-t-il distraitement. Il était presque vingt heures et il faisait encore très chaud. « Je vais essayer de le convaincre de sortir. »

« Va donc voir ton prince. » ; Bill plissa les yeux et se retourna, curieux. Il décida finalement de ne pas chercher à comprendre et fila très vite à l'intérieur.

Se faufiler discrètement fut plutôt périlleux mais il parvint à traverser les couloirs sans trop se montrer. Il avait fini depuis déjà plus d'une demi-heure normalement et il voyait déjà venir les questions si on le voyait. Gabriel, c'était rien. Il ne dirait rien si Bill le lui demandait. Mais les autres... c'était différent.

Lorsqu'il entra, Tom repoussait son plateau. Bill y jeta un oeil sans pour autant s'y attarder. Il avait mangé, il ne pouvait rien lui demander de plus.

« Salut. » ; dit-il en s'approchant. « Je sais que tu vas pas aimer mais j'aimerais bien que tu sortes. » ; Tom leva les yeux, restant impassible à la suggestion. « Tu n'es pas obligé d'y rester et tu as le temps d'y penser, mais j'aimerais que tu ailles prendre l'air et le soleil, même pour cinq minutes. »

De toute façon, il ne s'attendait pas à ce qu'il saute de joie ou quoique ce soit. D'abord, il voulait qu'il y pense. Comme pour le bain. Après tout, il avait fini par accepter !

Derrière eux, la porte s'ouvrit vivement et tous les deux eurent un léger sursaut à cette intrusion. Bill fronça les sourcils, jetant un oeil à Alex qui entrait pour récupérer le plateau.

« Heeeey, t'es encore là toi ? » ; le salua-t-il aussitôt qu'il le vit.

« J'allais partir. La délicatesse tu connais pas ?! »

« Désolé. » ; souffla l'autre homme avec une petite moue. Plutôt que s'avancer vers la tablette et embarquer le plateau, il s'approcha du blond et pencha la tête vers son oreille. « Dis, tu fais quoi demain soir ? »

« Je dors ? »

« Non mais sérieusement ! » ; l'androgyne gronda mentalement et acquiesça pour approuver ce qu'il venait de dire. Alex attrapa alors un morceau de son tee-shirt pour le rapprocher de lui, s'amusant à souffler chaudement contre la peau de son cou. « T'es sûr ? »

Non mais qu'est-ce qui lui prenait d'agir comme ça ? Et juste devant un patient en plus ? Bill le força à lâcher prise sur son haut et le repoussa.

« Arrête ça. »

« Allez... » ; Alex jeta un coup vers le jeune dreadé qui ne les avait pas lâché des yeux. « C'est Tom qui t'inquiète ? Il dira jamais rien de toute façon. »

« C'est une raison ? » ; gronda le blond en chassant les mains qui tentaient d'attraper ses hanches. « C'est bon, lâche-moi. »

« Tu disais pas ça la dernière fois. » ; cette fois, Bill leva les yeux au ciel, le força à éloigner ses mains et à se retourner.

« Tu me lâches et tu fais ton boulot correctement ou je te colle un rapport, compris ? J'ai dit non. » ; bien que surpris que Bill use de son statut de supérieur, l'infirmier l'écouta et alla prendre le plateau sans pour autant avoir l'air vexé ou fâché. Bill, lui, l'était. « Dehors ! » ; le chassa-t-il en le voyant sourire de loin.

Il soupira lourdement, agacé, et se tourna ensuite à nouveau vers Tom qui détourna aussitôt les yeux. Bill se mordit l'intérieur des joues et vint se poser juste au bord du matelas. Il pencha la tête pour chercher ses yeux, mais visiblement, Tom refusait de le regarder. Le médecin tenta d'attraper sa main, et cette fois le dreadé recula la sienne pour échapper au contact. Bill fronça le nez face à son refus.

« Tom... »

Il n'avait pas pu se renfermer ? Il ne semblait plus le faire, plus autant en tout cas. Si Bill lui tenait la main et que quelqu'un déboulait pour apporter son plateau ou quoique ce soit d'autre, certes, il le lâchait, mais il la lui reprenait ensuite.

À nouveau, Bill leva une main pour le toucher, mais le jeune homme replia ses jambes contre son torse, comme pour faire barrage. Le blond baissa alors sa main avec cette espèce de pincement au coeur. Qu'est-ce qui clochait ?

« Ok... bon, je te laisse alors. » ; souffla-t-il en se levant. Insister ne servirait à rien pour le moment. Il y jeta un dernier coup d'oeil, voyant bien qu'il l'évitait volontairement et qu'il avait l'air assez contrarié. Mais pourquoi ?

« Il est jaloux. »

Les yeux ronds comme des billes, Bill sursauta violemment et lança un regard à la fois sombre et interrogateur à Gabriel qui se trouvait juste devant lui, dans le couloir. Il était là comme s'il avait attendu derrière la porte.

« Putain. Tu vas me faire mourir un jour. » ; gronda-t-il en frappant dans son épaule. « Tu m'espionnes ou quoi ? »

« Oui. » ; le médecin le regarda comme s'il était fou et Gabriel gloussa tout en l'attrapant par le bras pour marcher dans le couloir. « J'ai vu Alex entrer. Je vous ai entendu. »

« Et tu n'as pas pu t'empêcher d'écouter ? »

« Non. » ; Bill leva les yeux au ciel. « J'suis désolé. »

« Bon. Et alors ? Tu n'as pas pu nous voir ?! »

« Bah... » ; il tourna vivement la tête vers lui, faisant face à son sourire un peu gêné. Comment avait-il pu voir à l'intérieur ? « Alex a laissé la porte entrouverte. J'ai juste refermé quand tu t'es levé. » ; son ami souffla et lui donna un coup de coude. « J'étais trop curieux de voir la tête de Tom, Alex t'a carrément chauffé devant lui ! »

« Merci. Je suis au courant. »

« Il a carrément eu l'air fâché dès qu'Alex t'a touché, c'était évident ! » ; le blond lui jeta un regard confus.

« Pourquoi est-ce que c'est la jalousie qui te vient en premier à chaque fois ? » ; demanda-t-il sans comprendre.

« Parce que c'est évident. Il déteste qu'on vous dérange, ça se voit. Il déteste que tu t'occupes des autres, il déteste qu'on te touche. »

« Non mais t'exagères ! » ; Gabriel secoua vivement la tête et s'arrêta tout en agrippant ses avant-bras pour l'inciter à lui faire face.

« Non. J'aime le scandale, ok, tu le sais, mais je suis sérieux. Je dis pas ça pour t'ennuyer. » ; le médecin fronça les sourcils. « Il a beau avoir passé sa vie enfermé, il n'en est pas moins humain. Il est comme nous ! Il est attaché à toi et il aime pas te voir avec les autres. C'est normal. »

« Normal ? »

« Oui ! Regarde-moi. Que tu sois ami avec Ana ne me dérange pas, parce qu'on était tous les trois ensemble dès le début, et j'ai beau m'entendre avec Alex, ça me plait pas spécialement cette histoire. » ;alors ça. Bill ne fut pas certain de comprendre.

« Mais... euh, pourquoi ? »

« L'amitié c'est important. J'aime mes amis, j'aime pas qu'ils aient dix milles autres amis à côté. »

« Tu es possessif. » ; Gabriel haussa les épaules.

« Un peu. Je le suis quand je veux garder la personne dans ma vie. »

« Ok, ouais... je comprends. Tu veux des amis stables. Comme une famille. » ; l'infirmier hocha la tête. Bill pensait qu'il pouvait l'être. Même si Gabriel avait tendance à abuser régulièrement, il l'adorait.

« Bon, bref, pour en revenir à Tom... » ; reprit-il finalement. « Ce serait plutôt logique. Tu n'as qu'à lui parler et tu verras bien ! »

« On verra. Je veux pas l'étouffer. Et puis on en est même pas certains ! » ; son ami haussa une épaule, reprenant sa marche et le tirant avec lui vers la machine à café.

« Toi non. Moi oui. »
**


Le lendemain, la journée fut agitée. Léo était énervé, criant et courant dans tous les sens, grimpant n'importe où, jetant n'importe quoi... une belle crise, en somme. En plus de tout ce boucan, il y avait cet homme arrivé quelques jours plus tôt : Martin. Âgé d'une quarantaine d'années, il était bel et bien junkie, préférant s'enfoncer dans les spirales de l'enfer plutôt qu'écouter qui que ce soit. Pendant deux jours, il avait été attaché et forcé de s'en passer. Bizarrement, ces quarante-huit heures avaient été plus ou moins calmes, et c'était aujourd'hui qu'il avait décidé d'exploser. Après quelques examens, Bill avait eu confirmation de sa séropositivité. À présent, il se demandait si justement il était tombé dans la drogue par peur, chagrin, douleur ou quoique ce soit d'autre, ou si au contraire il l'avait attrapé en se droguant.

Maintenant, Bill devait l'aider à supporter son sevrage avec un calmant. Le problème, ce serait de le convaincre. Il avait demandé à ce qu'on le détache afin qu'il ne se sente pas piégé comme un animal, mais il pensait à présent qu'il aurait peut-être dû attendre un peu. Martin était très agité. Ses yeux étaient rouges et brillants, ses membres tremblants. Bill avança prudemment dans la chambre. Il n'avait pas peur, mais on était jamais à l'abri d'une agression, surtout dans un cas de dépendance.

« Je vais vous donner quelque chose qui vous fera peut-être un peu de bien. » ; l'informa-t-il d'abord. Martin ne fit que grogner en réponse. Il avait hurlé contre un infirmier un peu plus tôt mais ne semblait plus avoir envie de parler. Bill s'occupa alors à préparer son injection sans rien dire. S'il ne voulait pas parler, et bien il n'allait pas le forcer. À quoi ça pouvait bien servir ? Il ne l'écouterait pas tant que l'appel de la drogue passerait avant tout. « Vous êtes prêt ? »

Une fois la seringue prête, il se tourna vers lui et garda un air serein malgré la noirceur des yeux de son patient.

« Ça ne va durer qu'une seconde. »

Lorsqu'il prit son bras pour le piquer, l'homme ne bougea pas. Bill put aisément lui injecter le produit. Par contre, lorsqu'il recula, Martin lui sauta violemment dessus. Bill lutta d'abord, tentant de le repousser. Sans qu'il ne puisse faire quoique ce soit face à la force décuplée de l'homme en colère, il sentit son poignet être retourné, la douleur le forçant ainsi à lâcher prise, puis ses yeux s'écarquillèrent brusquement. L'aiguille venait de s'enfoncer dans son bras. À lui. Martin la lui retira et le lâcha après seulement quelques secondes, vengé. C'était tout ce qu'il voulait.

Au delà de la douleur, il pensa aussitôt à ce que ça pouvait engendrer et son coeur s'accéléra violemment. Ses yeux passèrent du regard noir et satisfait de son patient, à son bras douloureux. Il avait enfoncé la seringue si fort qu'il saignait et sa peau changeait déjà de couleur autour. Sonné, il mit un certain temps à réagir, lui arracha la seringue des mains et bipa du monde. Lorsqu'il tenta de lui agripper les poignets, l'homme se mit à hurler et s'agiter.

Enfin, deux personnes déboulèrent, dont Gabriel. Celui-ci vint aussitôt aider le blond à maîtriser Martin et lui jeta un regard interrogateur.

« On le rattache ? »

Honnêtement, Bill n'aimait pas ça. Mais qui savait de quoi il était capable dans cet état de manque ?

« Ouais... » ; le second infirmier les aida, et à trois ils parvinrent avec beaucoup de difficulté à l'allonger et rattacher ses mains. Il hurla encore plus, évidemment. Bill profita qu'il soit maîtrisé pour sortir de la pièce et reprendre ses esprits. Pendant qu'on lui administrait de quoi dormir, Gabriel le suivit, inquiet. Bien sûr, il avait vu que quelque chose clochait.

« Hey, Bill, attends ! » ; appela-t-il dans le couloir en le voyant filer aussi vite. « Qu'est-ce qui s'est passé ? » ; l'androgyne ouvrit la salle du personnel, vérifia qu'il n'y avait personne, jeta la seringue et se tourna ensuite lentement vers son ami. Celui-ci le regarda sans comprendre, puis baissa les yeux lorsqu'il souleva la manche de sa blouse. Il vit progressivement les yeux de Gabriel s'arrondir, puis dévier vers la poubelle, semblant se poser des questions. Il attrapa ensuite délicatement le dessous de son bras pour inspecter la blessure. « C'est arrivé avant ou après que tu le piques ? » ; face à son absence de réponse, il releva vivement les yeux. «Putain, merde. »

En fait, paniquer ne servirait à rien. Mais quand même ! Ne pas imaginer était difficile. Bill ne pouvait pas s'empêcher de penser à tout ce que cette merde était capable d'engendrer.

« Bon. Je vais désinfecter ça, et puis tu vas voir un médecin pour savoir quand faire le test. »

Même si ça l'ennuyait franchement d'avoir encore affaire à un autre médecin, il était trop sonné pour refuser.

« Gabriel ! » ; appela-t-il, le rattrapant avant qu'il ne file chercher de quoi le soigner. « Garde ça pour toi. S'il te plaît. »

Inquiet, le jeune infirmier acquiesça et pressa une main contre son épaule.

« T'en fais pas. Je dirais rien. Et le doc non plus. »

Cette fois, il partit et l'androgyne soupira lourdement, se laissant tomber sur la première chaise venue et baissant les yeux vers son bras. La blessure et la douleur en elle-même, il s'en fichait pas mal. En revanche, le sang malade de Martin mêlé au sien, beaucoup moins. En y pensant, il se trouva égoïste et franchement dégueulasse. C'était une maladie avec laquelle on pouvait vivre, enfin plus ou moins, et puis cet homme était malheureux alors il ne pouvait franchement pas lui en vouloir d'avoir pété les plombs.

Il ne savait même pas si le pire était la maladie ou plutôt le fait de la faire subir à sa famille. Ça détruisait beaucoup de familles. La peur, la souffrance. Bill ne s'autoriserait jamais à faire subir ça à qui que ce soit. Pas moyen. Il n'y aurait rien, et puis voilà. Et dans le pire des cas il ne dirait rien.


À suivre...

Chambre 248.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant