Chapitre 17 :

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Une fois, deux fois, trois fois. Bill eut l'impression d'avoir vérifié des dizaines de fois, mais Léo avait peur et ne faisait que lui demander. Il avait fallu embarqué ses deux doudous, son tee-shirt préféré, son jouet préféré, et tout ça pour une seule journée ! Mais quelle journée... elle était primordiale. Bill lui-même était pas mal stressé, mais tout de même confiant. Il avait confiance en sa famille. Il n'y avait plus qu'à espérer que Léo accepte aussi de leur accorder, et ça, même si c'était en progrès, c'était loin d'être acquis.

Aujourd'hui, Léo allait visiter la maison. Ça pouvait être génial tout comme tout foutre en l'air. Tout dépendait de la façon dont il se sentirait, et puis peut-être aussi sa façon de réaliser qu'il était vraiment prêt à partir. Était-il prêt, lui ? Moralement ? Il le pensait, mais Léo restait assez imprévisible.

« T'as pris mon doudou ? »

« Ouuui, Léo, ça fait mille fois que je vérifie ! » ; l'enfant fit la moue, semblant inquiet. « Tout se passera bien, d'accord ? Je suis là et on va juste visiter. »

Léo jeta un coup d'oeil vers lui, peu convaincu.

« Et Domino ? »

« Il a à manger et à boire, il ira bien. C'est juste une journée ! » ; en le voyant aussi inquiet, Bill se baissa jusqu'à se retrouver à sa hauteur. « Je vais demander à Ana de garder un oeil sur lui si tu préfères, ok ? Tout va bien, Léo, essaie de me faire confiance. »

L'enfant baissa les yeux vers lui, et puis tendit ses bras en avant. Bill le laissa enrouler ceux-ci autour de son cou, le soulevant finalement du sol. Qu'il soit perturbé et effrayé n'était pas surprenant, c'était inhabituel pour lui. Et encore, malgré sa nervosité, il n'avait fait aucune crise, c'était déjà bien.

Après encore un bon moment, ils descendirent, retrouvèrent Sarah et se mirent en route.

Durant le voyage, Léo garda le silence, absorbé par le paysage qui défilait derrière la vitre. Bill lui jetait des coups d'oeil réguliers, inquiet pour la suite. Toutes les visites de ses parents à l'hôpital s'étaient à peu près bien passé, mais ça ne voulait pas dire que ça n'allait pas foirer maintenant. Rien n'était sûr et surtout, Bill ne voulait pas lui forcer la main. À quoi ça servirait à part lui faire du mal et lui prouver qu'on ne l'écoutait pas ?

Jusqu'à ce qu'ils arrivent, il ne bougea pas, ne parla pas, ne lâcha pas l'extérieur des yeux. Il ne recommença à s'animer que lorsque la voiture s'arrêta et qu'il entendit le bruit des ceintures qu'on retire. Bill contourna la voiture pour venir lui ouvrir tout en lui souriant.

« C'est là ? »

« Oui. » ; Léo tendit ses bras, mais le médecin le fit descendre jusqu'au sol pour ne lui prendre que sa main. «Tout va bien, regarde. » ; lui indiqua-t-il de son index. Le petit tourna son regard affolé vers cette même direction, y découvrant la maison, fleurie, accueillante, et sa famille qui attendait devant. Rosalie avait le sourire, même s'il était évident qu'elle était aussi stressée. André tenait Zoé dans ses bras et Louise était aussi là, fidèle à elle-même. Léo suivit le pas lorsqu'il avança, intimidé mais pas plus effrayé.

« Salut petit prince ! » ; l'accueillit Rosalie en souriant. Léo le lui rendit timidement. Il n'avait pas vraiment peur avec elle. Elle était douce, attentive, et surtout elle ressemblait beaucoup à Bill. C'était rassurant pour lui. Il accepta de lui embrasser la joue, mais se stoppa en se tournant ensuite vers André. Il y avait Zoé. Et Zoé, il ne la connaissait pas. Celle-ci se mit à sourire, remuant jusqu'à ce qu'André la repose au sol. Elle fit face au petit, étant un peu plus grande que lui de quelques centimètres.

« Tu veux jouer à la balançoire avec moi ? »

Les yeux de l'enfant s'illuminèrent à cette proposition. Il tourna la tête vers Bill, interrogateur. Celui-ci sourit et passa distraitement ses doigts au milieu de ses cheveux.

« Tu dis bonjour et tu peux y aller. »

Léo hocha la tête, colla un baiser contre la joue d'André, puis de Louise, timidement. Il n'eut pas vraiment le temps de s'y éterniser puisque Zoé attrapa sa main et le tira vivement vers l'arrière du jardin pour aller jouer.

En les voyant partir, Bill échangea un léger sourire avec ses parents. Si ça se passait bien, ils étaient plutôt bien partis.
Ils suivirent les enfants pour aller se poser sur la terrasse, pile face à la balançoire sur laquelle Zoé et Léo venaient de grimper, à quelques mètres de là. Rosalie servit quelque chose à boire à tout le monde, ainsi que quelques gourmandises. Elle avait prévu quelques petites choses pour Léo et espérait qu'il aimerait.

« Et bien... il n'a pas l'air traumatisé. » ; commenta Sarah en regardant les deux petits se balancer. En effet, Léo semblait plutôt content d'être là, sur cette balançoire. Il souriait à Zoé même s'il ne parlait pas vraiment et c'était déjà très bien.

« Non. Il a l'air bien. » ; souffla le médecin tout en y réfléchissant. « Il n'aurait jamais accepté d'aller jouer s'il ne l'était pas. »

« Il serait certainement resté glué à toi ? » ; s'amusa sa mère. Bill haussa doucement les épaules, avalant une gorgée de sa boisson chaude sans lâcher les deux petits des yeux. Il devait avouer qu'il avait eu peur qu'il se ferme, mais ce n'était visiblement pas le cas et il en était heureux. « Laissons Zoé l'apprivoiser doucement, je suis sûr qu'il va l'adorer. »

« Tout le monde adore Zoé. » ; répondit-il à nouveau. À ses côtés, Louise sourit. Leur cadette était la plus mignonne selon eux, il était difficile de résister à sa bouille d'ange.

Ils discutèrent un petit peu tout en surveillant les enfants de loin, buvant et grignotant les petites gourmandises préparées par Rosalie. Après, Léo allait visiter un peu la maison et s'y acclimater. Bill se doutait qu'il préférait largement rester dehors et jouer avec tout ce qu'il n'avait jamais eu, mais au pire, ça ne prendrait que quelques minutes. Il observa distraitement l'enfant s'élancer dans les airs avec ce sentiment de liberté. Il pouvait clairement le voir sur son visage. C'était génial ! Il se souvenait avoir ressenti la même chose étant petit, quand il rentrait de l'école, jetait son sac et sautait sur la balançoire en attendant le goûter. Généralement, il n'avait que dix minutes, un quart d'heure tout au plus, avant de goûter puis de faire ses devoirs. Mais sa mère les lui avait toujours accordé et ces quelques minutes de liberté étaient quelque chose qu'il attendait chaque jour. Bizarre, mais important.

« Et sinon, chéri, comment ça va aujourd'hui ? » ; demanda Rosalie au médecin. Bill fronça le nez et hocha la tête.

« Je vais très bien, et vous ? Quoi de neuf ? »

« On a rencontré le petit ami de Louise. » ; annonça cette fois André. Le blond haussa un sourcil, jetant un coup d'oeil à sa cadette, curieux. Le petit ami dont elle lui avait parlé ? Le dealer ?

« Ah ouais ? »

« Oui. Il m'a l'air plutôt gentil. » ; reprit sa mère. Ça, Bill ne pouvait pas en juger, il ne l'avait jamais vu. Il interrogea discrètement Louise du regard et celle-ci sourit tout en baissant les yeux. Visiblement, c'était bien lui. Il devrait peut-être demander à le rencontrer histoire de savoir à qui il avait affaire. « Billy, mon ange, tu peux venir cinq minutes ? »

Décidé à ignorer les sourires amusés à propos du surnom, Bill acquiesça distraitement, avala la fin de son café d'une traite et se leva pour suivre sa mère dans la maison. Elle le guida jusqu'à la cuisine où trônait une délicieuse odeur de pâtisserie et le blond haussa les sourcils lorsqu'elle se tourna vers lui.

« Qu'est-ce qui se passe ? »

« Je voulais savoir comment tu allais vraiment. » ; l'informa-t-elle en préparant des petits gâteaux dans une assiette. « Parce que depuis que tu y es, tu te tues au boulot et je m'inquiète. »

« Quoi ? Mais pourquoi ?! » ; Rosalie jeta un coup d'oeil vers lui, lui lançant ce même regard autoritaire et en même temps inquiet auquel il avait eu droit de nombreuses fois en grandissant.

« Je sais que tu aimes ce boulot et que soulager les autres est important pour toi, mais tu es du genre à prendre toute leur douleur, justement, et je veux pas que tu te rendes malade. »

« Mais je vais bien, maman... » ; elle plissa les yeux en l'entendant, alors Bill avança et passa un bras autour de ses épaules. « Fais-moi confiance. »

« Je te fais confiance. » ; répondit Rosalie tout en frottant affectueusement son dos d'une main. « Je te demande juste de faire attention à toi. »

« T'en fais pas. » ; il embrassa distraitement son front, puis la relâcha tout en lui souriant, se voulant rassurant. « Je t'aide ? »

« Oui, va demander aux enfants s'ils veulent leur chocolat viennois maintenant. »

« Et moi ? » ; amusée, sa mère lui tendit l'assiette qu'elle avait préparé et lui jeta un petit regard taquin.

« Je vais le faire. »

Avant de le pousser à filer, elle colla un baiser bruyant contre sa joue. Bill s'échappa tout en riant légèrement. Il alla déposer l'assiette de gourmandises sur la table du salon de jardin, puis traversa celui-ci afin de rejoindre les petits. Léo riait avec Zoé, ça faisait plaisir à voir. Bill se faufila entre les deux balançoires, sachant d'avance comment l'un des deux allait réagir.

« Qui veut un chocolat viennooois ? »

Sous son sourire amusé, sa cadette freina aussi sec, s'aidant de ses pieds pour stopper sa course dans les airs.

« Moi ! »

« Toi je m'en serais douté. » ; répondit le blond avant de jeter un oeil à Léo qui ralentissait peu à peu pour s'arrêter lui aussi. « Léo ? T'en veux ? » ; le petit fronça le nez, semblant surpris. Bill lui adressa son éternel sourire rassurant et alors il hocha lentement la tête en réponse. « Bien. Venez, y a pleins de bonnes choses à manger, vous pourrez revenir jouer ensuite. »

Il leur tendit ses deux mains et ils sautèrent simultanément afin de venir les lui attraper. Évidemment, son petit patient s'accrocha plus que Zoé, de nouveau intimidé. Il les attira avec lui sur la terrasse, laissant sa soeur grimper tranquillement sur une chaise alors que Léo restait près de lui. Rosalie revint avec un plateau rempli qu'elle déposa au centre, faisant pétiller leurs yeux de gourmandise. Bill sourit et poussa doucement l'enfant vers elle, jusqu'à ce qu'il comprenne et ne réclame lui-même. Il observa le sourire maternelle qu'il connaissait si bien, et puis la façon dont elle fit grimper Léo sur ses genoux. Elle lui tendit aussitôt une petite cuillère afin de pouvoir manger la chantilly tranquillement.

« Tiens, régale-toi mon ange. » ; souffla-t-elle en passant ses doigts dans ses cheveux. Léo s'attaqua au chocolat sans protester. Rosalie avait les mêmes gestes que Bill, alors il y était plutôt habitué.

Le médecin observa la scène avec attention. Qu'il s'ouvre ainsi était génial, mais ils n'étaient pas à l'abri d'une quelconque crise et ça restait stressant pour lui.

Une bonne heure, peut-être deux, passèrent alors qu'ils restaient à cette table, buvant et mangeant avec un peu d'excès, discutant, s'apprivoisant. Après ça, Bill avait prévu de montrer sa chambre au petit. Elle n'avait pas tellement changé, mais elle aurait sûrement droit à un petit rafraîchissement et un bon gros tri afin de lui laisser la place.
**


« Aloooors, comment ça s'est passé ?! »

Bill fronça les sourcils et fit signe à son ami de se taire et de se calmer. Gabriel, qui s'apprêtait à lui sauter dessus, se stoppa net en voyant l'enfant profondément endormi dans ses bras.

« Comme tu le vois, épuisant. » ; répondit-il à voix basse.

« Dans le bon ou le mauvais sens ? » ; demanda l'infirmier tout en le suivant. Bill avança jusqu'à atteindre la chambre de Léo, le coucha délicatement, retira ses chaussures et faufila les peluches contre lui avant de le couvrir et de se décider à répondre.

« Il a joué toute la journée dehors. » ; souffla-t-il doucement. Ils sortirent pour ne pas le réveiller. « Il s'est bien entendu avec Zoé, et puis je l'ai laissé un peu seul avec ma mère et ça s'est bien passé. »

« C'est génial ! » ; Bill acquiesça tout en souriant.

« Il a vu ma chambre, qui est censé être la sienne... il a refusé qu'on change quelque chose. »

« Pourquoi ça m'étonne pas ? » ; taquina Gabriel avec amusement.

« Parce que c'est Léo ? » ; souffla le blond alors qu'ils rejoignaient son bureau. « Alors, quoi de neuf ici ? »

« Oh ! Noa est passé, il voulait te voir. Apparemment il a été chez toi avant... tu devrais l'appeler. » ; Bill fronça les sourcils et acquiesça tout en pensant à ce qui pouvait bien se passer encore. « Et Tom joue au rebelle. » ; au quoi ? Il tourna vivement la tête, confus.

« Quoi ? »

« Je te jure, il a pété un câble. Je n'sais pas ce qu'il cherche.. »

« Qu'est-ce que tu veux dire par là ? » ; Gabriel s'approcha pour lui parler d'une voix plus basse. Visiblement, il n'avait rien dit à personne.

« Il a fait un vrai carnage avec ses draps. Il a tout mis en miettes ! » ; Bill haussa les sourcils, ne s'attendant pas du tout à ça.

« Vraiment ? »

« Oui ! Il en a fait de la charpie, mais j'ai rien dit parce que je peux comprendre qu'il soit en colère, tu vois ? Alors j'ai juste changé les draps, et il a recommencé ! » ; bizarre. La raison de tout ça s'imposa tout de même rapidement dans la tête du médecin. « Je rêve ou ça te fait marrer ? »

Bill se mordit l'intérieur des joues pour ne pas sourire, secouant lentement la tête en réponse.

« Et bien... il a plus de force que je l'imaginais. »

« Ça, c'est sûr ! Mais ça ne t'inquiète pas plus que ça ? » ; Bill fit encore non de la tête. « C'est quoi ton idée ? »

« Il essaie de me prouver qu'il mérite ce qu'il a vécu. » ; répondit-il tout en cherchant Noa dans ses contacts. Il lui envoya d'abord uniquement un sms pour lui demander ce qui se passait. « Il cherche à être puni comme il l'a été là-bas. »

« C'est glauque ! »

« Ça reste normal pour lui. Je n'sais pas encore comment le convaincre du contraire, mais dis-toi que péter un câble est une réaction, une réaction humaine. Depuis combien de temps on attendait tout ça ? » ; Gabriel afficha une mine confuse. C'était vrai, ils l'attendaient. Il ne réalisait pas que c'était en train de se produire.

« Qu'est-ce que tu comptes faire maintenant ? »

« Je sais pas trop. » ; répondit distraitement le blond. Noa venait de lui répondre brièvement et ça l'inquiétait pas mal. Il lui demanda alors s'il pouvait repasser, il aurait bien le temps de lui parler un peu même s'il prenait sa garde. « Je vais lui parler. »

« Tu ne vas pas t'énerver ? »

« Non ? Pourquoi je ferais ça ? Ce serait lui donner ce qu'il veut. »

« C'est vraiment trop bizarre. Comment tu peux te sentir mieux en te faisant descendre ? » ; Bill faufila son téléphone dans sa poche, enfila sa blouse et jeta un coup d'oeil à l'horloge.

« Une fois, il m'a dit qu'il n'était rien. » ; avoua-t-il discrètement. « Ça te donne une idée de ce qu'on lui a mis dans la tête ? » ; l'infirmier fronça les sourcils, à la fois confus et agacé.

« Les gens sont des putain de cons. » ; marmonna-t-il pour lui-même. « Tu crois que c'est pour ça qu'il se laissait mourir de faim ? »

« Il s'est forcé à subir ce qu'on lui a fait subir. Ne pas manger, c'était normal, je pense qu'il s'est fait vomir pour nous énerver ou nous décourager. Il n'a pas peur d'avoir mal. »

« Comme si on allait finir par cesser de lui donner à manger et d'essayer ? Comme là-bas ? »

« Sans doute. » ; Gabriel soupira, sa réaction n'avait rien d'anormal pour lui, mais ça l'énervait de savoir qu'un gamin ait eu à subir de telles choses.

« Comment on est censé l'aider avec ça ? »

« En lui parlant et en se comportant normalement. C'est plus un gamin, on ne peut pas lui parler comme s'il en était un. »

« Mais il doit réapprendre à vivre normalement ! »

« Je sais. Je vais aller le voir. Préviens-moi si Noa repasse ok ? »

« Pas de soucis. »

Cette fois, ils se quittèrent. Bill partit vers la 248, alors que son ami retournait à son boulot. Ce chemin, il pourrait le parcourir les yeux fermés. Tout comme celui menant à la chambre de Léo. Il savait que c'était mal, dans un sens, mais préférait ne pas s'en soucier.
La porte fut ouverte avec une certaine prudence. La première chose qu'il remarqua ne fut pas l'état de la chambre, mais le jeune dreadé, debout, devant la fenêtre. Il ne pouvait quasiment rien voir de ce qui se passait à l'extérieur, mais peut-être qu'il l'imaginait, et ça c'était en progrès. Une fois la surprise passée, il s'intéressa au lit, dont les draps étaient en lambeaux, et les oreillers éventrés. Bill ignorait comment et avec quoi il avait fait ça, peut-être par la seule force de ses mains, mais Tom avait littéralement tout réduit en miettes. Il s'était bien acharné. Bill était surpris qu'il ait tant de force en lui. Il avait probablement la rage, certes, mais quand même.

Après constatation des dégâts, il reporta son attention sur Tom qui n'avait pas bougé, bien qu'il l'ait entendu. Il avança sans savoir ce qu'il allait dire. Il ne voulait pas crier, il voulait qu'il comprenne. Alors quoi ? Qu'y avait-il à dire ? Il comprenait pourquoi il réagissait comme ça, mais il ne pouvait pas le lui dire pour autant.

« Tu sais que tu auras beau faire tout ce que tu veux, je ne te traiterais pas comme eux. » ; souffla-t-il calmement. « Arrache autant de draps que ça te chante, je ne te frapperais pas pour soulager ta conscience. »

À ces mots, Tom se retourna vivement, surprenant le blond qui s'était peut-être un peu trop approché puisqu'ils se heurtèrent dans le mouvement. Visiblement tout aussi surpris de le retrouver aussi proche, le dreadé loucha sur sa bouche, et puis ses yeux. Bill se mordit l'intérieur des joues, conscient de cette proximité excessive. Il recula d'un pas, plus par obligation qu'autre chose. Tom le regardait sans rien dire, sans bouger non plus. Il avait l'air plutôt sûr de lui par rapport à ce qu'il avait fait, pas anxieux pour un sou. Il était clair qu'il cherchait les problèmes, parce que lui dire le contraire de ce qu'on lui avait appris ne lui plaisait pas. Comment pouvait-on préférer être frappé ou verbalement descendu ?

« Je ne suis pas eux, Tom. »

Le jeune homme ne répondit rien, le fixant seulement tel un ado insolent. Bill soupira faiblement, puis finalement se retourna. Sous les yeux perdus du dreadé, il se baissa, ramassant quelques morceaux de tissu. Il y en avait partout, un vrai carnage ! Tom savait qu'il se serait pris une raclée pour ça, mais Bill ne fit rien d'autre que tout rassembler, tout ramasser. Son calme et sa façon de réagir troublaient beaucoup son patient. Il le regarda bouger dans la pièce, ressentant cette étrange peine dans son ventre et dans sa gorge. Il préférerait le voir s'énerver, vraiment.

Bill disparut le temps d'aller tout jeter et embarquer d'autres draps. Le jeune dreadé attendit contre la fenêtre, sans oser bouger, comme si durant son absence il allait pouvoir disparaître. Comme pratiquement à chaque fois, Bill foutait tous ses plans en l'air.
Lorsqu'il réapparut, Tom plaqua un peu plus son dos contre la surface froide derrière lui, espérant inconsciemment s'y fondre. Il avait été si déterminé, et puis tout était retombé aussi brutalement que si le sol se dérobait sous ses pieds. Il l'observa étirer et placer de nouveaux draps d'un blanc immaculé, les troisièmes de la journée. Gabriel était resté calme en découvrant le désastre deux fois d'affilée, et Bill l'était encore plus. En tout cas, il en avait l'impression. Il était trop calme, trop silencieux. Et si sa colère montait sans prévenir ?

Tom se décolla enfin de la vitre et avança lentement, prudent. Il voulait voir ses yeux. Quand il était petit et qu'un adulte ne s'énervait pas tout de suite, il savait que ce serait pire ensuite. Il pouvait voir la colère éclater et déformer les traits de leur visage avant que ce ne soit sur lui qu'elle n'explose, alors il avait appris à anticiper en déchiffrant certaines expressions. Il se faufila entre Bill et le lit, l'obligeant à stopper ce qu'il faisait en s'asseyant au bord du matelas. L'androgyne leva un peu plus les yeux pour le voir, son nez se fronçant de confusion.

« Tom, je dois faire ton lit. »

Surpris, le dreadé détailla ses yeux, ses traits, mais n'y vit aucune colère. Rien du tout. Il avait plutôt l'air triste. Est-ce que c'était sa faute ? Ou l'était-il déjà avant et il n'avait rien vu ?

« Je sais le faire. » ; cette fois, Bill fut celui qui eut l'air surpris. De l'entendre ou de savoir qu'il était capable de faire son lit ?

« C'est pas à toi de le faire. » ; répondit inutilement le médecin. Tom haussa les épaules et le blond haussa les sourcils. Que cherchait-il cette fois ? « Sur quoi est-ce que tu dormais ? » ; demanda-t-il avant même de savoir que les mots allaient sortir de sa bouche. Avait-il déjà posé une question aussi directement à propos de ce qu'il avait vécu ? Il ne s'en souvenait pas. Sous ses yeux, il vit le jeune patient accuser le coup, s'agiter un peu et hésiter. Ses doigts se mirent à s'entortiller nerveusement les uns aux autres et il garda les yeux baissés durant un long moment. Bill pensa qu'il ne répondrait pas, après tout, il recommençait tout juste à parler, il pouvait bien prendre son temps. Et puis qui aurait envie de répondre à une telle question ?

« Mon pull. »

Comment ?

« Ton pull ? » ; répéta stupidement l'autre homme. Tom n'acquiesça pas, les yeux rivés sur ses genoux. « Tu dormais sur ton pull ? Par terre ? » ; à nouveau, aucune réponse. Ce souvenir-là semblait plus douloureux que ne pas avoir été nourri correctement. Bill se baissa pour s'accroupir et tenter de croiser son regard. «Tom... » ; comment avait-il pu dormir à même le sol durant si longtemps ? Dans la crasse et la fraîcheur d'une cave ? La dureté du sol ?

De ses mains hésitantes, il attrapa celles du dreadé qui se laissa faire, les enfermant dans la chaleur des siennes. Il y avait rien à dire, rien à faire. Il ne pouvait pas lui retirer ces souvenirs.

« J'aimerais vraiment pouvoir changer ça tu sais. » ; souffla-t-il d'une voix plus basse. « Je sais très bien que je peux pas t'empêcher d'y penser ou de tirer un trait là-dessus, je ne peux pas changer le passé, mais je veux que tu sortes de là. » ; peu à peu, Tom lui accorda son attention, baissant son regard perdu vers lui. « Tu trouves normal de ne pas manger, de te faire frapper ou rabaisser, mais ça ne t'empêche pas d'en avoir peur. » ; le jeune dreadé fronça les sourcils, puis Bill se redressa pour se poser à ses côtés, l'incitant à le suivre du regard. « Et c'est normal d'avoir peur, seulement tu dois te rendre compte que personne n'avait le droit de te traiter comme ça. »

« Comment ? » ; demanda faiblement son patient.

« Comment tu es censé être traité ? » ; Tom acquiesça. Bill se mordit l'intérieur des joues en réfléchissant à sa réponse. Il avait une question qui les aiderait peut-être un peu, mais c'était trop tôt. « Avec du respect, déjà. Que tu sois enfant ou adulte, tout le monde te doit le respect. Personne n'a le droit de te frapper ou de t'affamer. C'est illégal. »

Tom afficha une mine confuse, et Bill se demandait sérieusement s'il se souvenait de sa famille. La vraie. Comment avait-il été éduqué avant ça ? Avait-il connu un peu d'amour ou pas du tout ? La question lui brûlait la langue, mais il était clair que le dreadé se refermerait s'il la lui posait.

Au lieu de ça, il leva une main et toucha les longues dreadlocks attachées de façon brouillonne avec cette même technique de bandes de tissu arraché. Au moins, son visage était complètement dégagé et Bill le préférait comme ça.

« Tout le monde n'est pas forcément doux avec les enfants, mais ça ne veut pas dire qu'ils leur font du mal. Tu peux être distant et ne pas aimer les enfants sans pour autant leur faire du mal. On est pas obligé d'aimer qui que ce soit, tu sais ? Mais on doit respecter les autres un minimum. »

« Alors pourquoi ? » ; Bill pencha la tête, incertain. Difficile de lui donner une réponse.

« Je suppose que tu n'as pas eu de chance... de tomber sur une telle famille d'accueil. Tu ne mérites pas ce que tu as vécu, ni la façon dont on s'est occupé de toi ici. » ; Tom n'eut pas l'air d'y trouver quoique ce soit d'anormal. Il leva l'une de ses mains, la tendant vers le blond qui dut abandonner ses dreads pour la lui prendre. « Je comprends pas pourquoi personne ne s'est réellement bougé le cul avant. » ; marmonna-t-il pour lui-même. Il put sentir les doigts de son patient effleurer sa paume de main, comme pour l'apaiser. Bill était tendu et il était clair qu'il le sentait. « Bon... il faut finir ton lit. Allez. » ; souffla-t-il finalement. Tom fronça le nez lorsqu'il le lâcha, mais ne dit rien. Il se leva, poussé par le regard insistant du médecin, et observa celui-ci tirer sur les draps.

Parfois, il avait l'impression que Bill se souvenait soudainement qu'il était un cas désespéré et préférait le fuir, comme maintenant. Il lui parlait et puis d'une seconde à l'autre, il changeait. Il ignorait ce qui lui passait réellement par la tête, mais son idée lui paraissait la plus plausible.

« Essaie de ne pas en refaire des confettis ok ? Tu vas liquider le stock de linge si tu continues. » ; taquina le blond une fois qu'il eut terminé de refaire le lit. Tom ne répondit rien et alla simplement s'y asseoir. Il n'avait plus qu'une envie : se coucher, se retrouver dans le noir et arrêter de penser. Peut-être se rouler en boule et se cacher loin sous les couvertures aussi. Histoire de se faire oublier.

Malheureusement, alors que Bill le laissait, Gabriel, lui, déboulait avec ses cachets du soir. Celui-ci lui adressa son habituel sourire, et puis lui tendit les petits comprimés avec un verre d'eau. Tom les prit et les avala distraitement, le laissant ensuite vérifier. Gabriel fronça les sourcils à ses gestes lents et las. Qu'est-ce qui s'était passé ? Il avait l'air plus triste qu'avant.

« Tom ? » ; appela-t-il prudemment. « Ça va pas ? »

Bien qu'il ne lui ait jamais parlé, l'infirmier continuait d'espérer qu'il le ferait un jour. Il avait bien commencé à réagir normalement et à le regarder quand il l'entendait ! Pas dans les yeux, mais c'était déjà énorme pour lui qui l'avait vu éteint durant si longtemps.

« Je pensais que tu irais mieux après avoir vu Bill. » ; souffla-t-il tout en détaillant attentivement les expressions de son visage. Il le vit clairement baisser les yeux sur les draps, semblant confus. Gabriel haussa les sourcils et se posa au bord du lit. « Qu'est-ce qui va pas avec lui ? » ; lui demanda-t-il doucement. « Tom ?»

Le jeune garçon leva les yeux et le regarda, à sa grande surprise. L'infirmier tenta de masquer son trouble et d'en profiter pour détailler son regard pétillant. Il l'avait connu vide durant si longtemps ! À présent, il ne l'était plus. Il était incapable d'y déceler quoi que ce soit, mais rien que le fait de regarder les autres directement dans les yeux prouvait qu'il n'était plus le gamin éteint qu'il avait connu.

« Il s'enfuit. »

Il quoi ? Bon dieu, quoi ? Est-ce qu'il venait de parler ? Gabriel papillonna stupidement des paupières durant plusieurs secondes, sous le choc. Il mit très longtemps à réussir à se concentrer pour comprendre ce qu'il lui avait dit et pourquoi.

« Il s'enfuit ? Comment ça ? » ; cette fois, Tom détourna les yeux. Il ne sut jamais s'il refusait de répondre ou s'il ne savait pas comment s'expliquer. Heureusement, Gabriel était habitué à faire la conversation tout seul et jouer aux devinettes, comme la plupart du personnel ici. « Il te parle et il a l'air ailleurs d'un seul coup ? Et puis il s'en va ? C'est ça ? » ; demanda-t-il à nouveau. « Parce que si c'est ça, tu dois savoir qu'il est toujours comme ça. » ; le dreadé jeta un coup d'oeil vers lui, semblant attentif à ce qu'il disait. « Bill t'adore, tu sais, mais il se souvient qu'il n'a pas le droit et il fuit parce qu'il sait pas comment gérer ça. »

Tom fronça le nez et l'infirmier tenta de déceler une quelconque réaction. Est-ce qu'il comprenait ? Est-ce que c'était clair, ce qu'il disait ?

« Il ne part pas parce qu'il abandonne, il part parce qu'il a peur de mal faire les choses, tu comprends ? Si tu savais le nombre de fois où il me plante en plein milieu d'un couloir parce que ce que je lui dis ne lui plait pas et qu'il veut fuir ! » ; s'amusa-t-il, espérant dédramatiser. « C'est juste ce qu'il est, et puis il cogite beaucoup alors il se fait du mal tout seul. Ça n'a rien à voir avec toi. »

Tom plissa les yeux en l'entendant. Bill cogitait ? Et sur quoi ? Et pourquoi au point de se faire du mal ? À propos de qui ?

« Tom ? »

« Pourquoi ? » ; comment ça pourquoi ? Gabriel mit plusieurs secondes à réagir à cette question à peine audible, et puis ses yeux s'agrandirent un peu plus lorsqu'il en comprit le sens.

« Pourquoi il cogite autant, tu veux dire ? » ; il n'y eut pas de réelle réponse, mais l'infirmier eut l'impression que c'était ça. « Qu'il soit psychiatre ne veut pas dire qu'il sait gérer ses propres problèmes, tu sais. D'ailleurs, il a beau être doué avec les autres, il est plutôt nul quand il s'agit de lui ! » ; Tom eut l'air surpris de l'apprendre. Comme tous ceux qui ne connaissaient pas encore le médecin. « Il a du coeur, trop peut-être. Il s'inquiète beaucoup pour les autres, et puis il a ses propres problèmes, alors il a très souvent trop de choses en tête. Tu vois ce que je veux dire ? »

Le dreadé garda les yeux fixés sur les draps, visiblement perdu dans ses propres pensées. Gabriel était sûr qu'il comprenait. Il était loin d'être idiot ! Il comprenait parfaitement les choses, le seul problème chez lui, c'était la façon dont on lui avait appris à réagir, celle dont on l'avait traité. Il avait peur qu'en y pensant, Tom finisse par croire qu'il était un problème et qu'il s'efface pour ne plus en être un. Il ne voudrait pas être la cause des tourments de Bill, c'était certain. Qui sait ce qu'il était capable de faire ?

« Essaie juste de ne pas te prendre la tête ok ? » ; le conseilla-t-il sans pour autant y croire. C'était Tom. Il avait beau ne rien montrer, il ne faisait que ça : cogiter.
**


« Quel est mon putain de problème ?! »

« Noa... »

« J'en ai assez ! » ; cracha l'adolescent, rageur. Il était pourtant clair qu'il était plus triste que colérique. « Y a rien qui va. Ils me traitent comme si j'étais une erreur, la petite racaille du quartier. Je suis juste mauvais pour eux, et ça m'énerve, et c'est ce que je deviens ! »

« Non, écoute-moi. » ; tenta le blond. « Ce n'est pas ce que tu es et si c'est ce qu'ils croient, alors ignore-les. »

« Je ne peux pas ! » ; Bill soupira et passa une main devant ses yeux. C'était lui qui l'avait poussé à trouver quelqu'un de sa famille pour le garder, parce que sa mère n'en était pas capable, et ces gens le rendaient malheureux. Il s'était bien planté, visiblement.

« On va trouver une solution, ok ? Tu n'as qu'à dormir à la maison ce soir. »

Noa baissa le regard vers le sol, ses pieds raclant le vieux lino terne des couloirs. Il hocha distraitement la tête à la suggestion, plutôt soulagé.

« Tu rentres pas ? »

« Non, je suis de garde. » ; répondit le médecin. « Mais je te fais confiance. »

L'adolescent releva vivement les yeux, surpris d'entendre ça. Bill lui adressa un sourire assuré, confiant. De toute façon, il pensait qu'accorder sa confiance à quelqu'un qui n'avait pas confiance en lui-même était une bonne chose, une bonne manière de le pousser et de se responsabiliser.

« Alors tu rentres demain matin ? » ; Bill acquiesça en réponse.

« J'ai quinze minutes pour manger après, tu peux rester manger avec moi si tu veux discuter un peu. Je te filerais mes clés ensuite. »

Noa accepta très vite, content de ne pas avoir à se retrouver seul tout de suite. L'androgyne sourit et passa une main contre son épaule, lui indiquant qu'il n'en avait pas pour longtemps et qu'il aurait bientôt sa pause repas.
**


« Votre fille n'est pas malade, elle est harcelée à l'école et c'est pour ça qu'elle va mal. »

Deux regards surpris et inquiets le scrutèrent comme s'il était fou. Bill se mordit l'intérieur des joues pour se forcer à rester courtois.

« Vous n'avez rien vu ? Rien entendu ? »

« Non ! Comment aurions-nous pu ? » ; demanda la mère avec effarement.

« Et bien, vous m'avez dit qu'elle se renfermait un peu plus chaque jour, qu'elle ne vous parlait plus, que ses notes avaient chuté à l'école. Vous n'avez pas pensé qu'elle pouvait avoir des problèmes ? »

« Non, elle a toujours été très calme et sérieuse. Elle n'avait pas l'air d'en avoir. »

Pas l'air ? Et son renfermement ? Bill fronça le nez et fit distraitement tourner son stylo entre ses doigts pour se concentrer sur quelque chose. Bon nombre de gamins tentaient et réussissaient même à se suicider parce que les parents avaient de véritables œillères, pensant uniquement qu'un quelconque changement de comportement était dû à l'adolescence.

« Bien. Je vais voir avec elle, je vais récupérer son téléphone et nous en reparlerons ensuite. »

« Vous comptez la garder ? »

« Quelques jours en observation, oui. J'ai besoin d'en savoir plus et nous verrons ensuite quelles démarches vous allez devoir faire pour la protéger. »

Les parents acquiescèrent docilement, conscients qu'il fallait absolument agir avant qu'un drame ne survienne. Ces histoires étaient de plus en plus courantes. Trop. Beaucoup trop. Personne ne voulait que ça arrive aussi à cette gamine.
**


« Comment tu crois que ça va se passer ? »

« J'en sais trop rien. Bien, j'espère. Il faut surtout que cette histoire cesse. »

« Effectivement, c'est une priorité si tu veux qu'elle aille mieux. » ; répondit Gabriel alors qu'ils avançaient ensemble dans le couloir. « Mais bon, je suis sûr que tu vas encore faire des miracles. »

« Je ne fais pas de miracles, je fais mon boulot. »

« Mais tu le fais bien et ça c'est pas si courant ! » ; Bill jeta un coup d'oeil vers lui, haussant les épaules pour simple réponse. « Je suis sérieux oh ! »

« J'ai jamais dit le contraire. » ; se défendit le blond. « Toi aussi tu fais bien ton boulot, alors je ne vois pas pourquoi ça a l'air si exceptionnel. »

« Je sais pas, c'est différent. »

Bill haussa un sourcil, puis fut stoppé par la main de son ami sur son avant-bras.

« Quoi ? »

« Regarde ça. Putain, quand je dis que tu fais des miracles. »

Bill leva les yeux vers l'endroit indiqué et dut s'y reprendre à deux fois avant de réaliser et d'être sûr de ce qu'il voyait. Tom sortait de sa chambre, ou plutôt hésitait à sortir, accroché à l'encadrement de la porte. Incroyable ! Que faisait-il là ? Lui qui ne sortait jamais de sa chambre ? Lui qui semblait avoir si peur du monde extérieur ?

« Vas-y ! » ; s'exclama Gabriel en le poussant dans le dos. Bill avança dans le mouvement, prudent et hésitant. Tom se faufilait peu à peu contre le mur, juste à côté de la porte, le longeant comme s'il pouvait s'y fondre, comme si ça le rendrait invisible. Le dos collé au mur, il n'alla pas plus loin, trop angoissé pour ça.

Lorsqu'il arriva face à lui, Tom faufila ses mains derrière son dos comme pour rester accroché au mur, et leva lentement les yeux vers le sourire du blond. Bill voyait bien qu'il avait peur, qu'il mourrait d'envie de retourner s'enfermer dans sa chambre, à l'abri de tout, mais il ne bougea pas et le regarda droit dans les yeux.

« Salut... » ; souffla le médecin avec prudence. Honnêtement, il n'en revenait pas. « Ça va ? » ; demanda-t-il par réflexe. Il n'avait jamais de réponse, mais trop l'habitude de le lui demander. Il était quasiment certain que le dreadé gardait ses yeux rivés sur les siens pour être sûr de ne rien voir de ce qui se passait autour, du personnel, qu'il surprenait, des autres, qui se demandaient probablement d'où il sortait.

Un peu plus loin, des cris résonnèrent. Des cris de protestation ou de désespoir. Bill ne pouvait pas le dire, mais le bruit fort et si proche de lui effraya Tom qui se mit à trembler sous ses yeux. Son regard s'était agrandi à la seconde où il avait sursauté et Bill préférait le ménager avant qu'il ne parte dans une crise d'angoisse.

« Ok, c'est bon. Tu as été génial, Tom, mais on va rentrer maintenant d'accord ? » ; il jeta un coup d'oeil derrière lui, où Gabriel était toujours. Celui-ci leva son pouce en l'air, chacun pensant que le fait qu'il soit venu tout seul était déjà énorme. Bill lui répondit par un sourire, puis enroula délicatement ses doigts autour du poignet de son patient. « Allez viens. » ; appela-t-il en le tirant avec lui. Tom se décolla du mur et le suivit automatiquement, sans réfléchir ou penser que tous ses efforts venaient de s'envoler.

Bill le fit entrer en premier dans la chambre, prenant soin de refermer et de le couper de l'extérieur. Il avait déjà fait un bel effort en prenant l'initiative de sortir tout seul, même si c'était peu. Il ne voulait pas le brusquer. Tom alla se poser au bord du lit, sonné et silencieux. L'androgyne vint alors s'asseoir à ses côtés, cherchant à l'encourager.

« C'était dingue, tu sais ! J'aurais jamais imaginé que tu serais sorti tout seul. »

Le jeune dreadé garda les yeux baissés vers le sol, semblant se remettre, s'apaiser un peu. Bill pencha la tête, espérant croiser son regard à nouveau.

« Je voulais te voir. » ; répondit la voix rauque de son patient.

Surpris, le médecin haussa les sourcils. Le voir ? Il était sorti pour le voir ?

« Pourquoi ? »

Tom mit du temps à répondre. Il restait fixé, réfléchissant, ou hésitant. Il ne bougeait même pas. L'androgyne patienta sans rien dire, sachant que le brusquer ne ferait que le braquer. Il se déciderait tout seul, comme toujours.

« Tu n'es pas venu. » ; pas venu ? Comment ça ? Pourquoi ?

« Tu veux dire depuis quelques jours ? »

Il fallut un long moment avant que le dreadé ne se décide à lever les yeux vers lui.

« Tu t'es enfui et tu n'es pas revenu. »

Bill fronça le nez et détourna les yeux durant de longues secondes. Non, c'était vrai. Il avait filé et n'était pas revenu à la fin de son service. Mais pourquoi Tom le remarquait ?

« J'suis désolé... » ; en fait, il ne savait pas du tout quoi dire. Est-ce qu'il était en colère ? Il n'en avait pas vraiment l'air, alors il ne savait pas comment interpréter les choses. Tom haussa doucement les épaules, détournant son regard vers la porte. Il savait parfaitement qu'il n'était pas seul, mais ça ne lui plaisait pas vraiment. « Comment tu te sens ? » ; demanda le médecin après un moment. Pour le coup, le dreadé ne répondit pas et n'eut pas l'air de savoir lui-même. « Est-ce que t'es fâché ? »

La question étonna un peu Tom, qui finalement secoua la tête. Il se posait des questions, il n'aimait pas trop cette situation, mais il pouvait supporter.

« Je suis content que tu fasses des efforts. Plus tu en fais et plus vite tu sortiras d'ici... je sais que ça te fait peur, mais tu es déjà rester enfermé bien trop longtemps. »

Le dreadé regarda à nouveau vers lui, mais sans pour autant répondre. L'extérieur, il n'en avait qu'un vague souvenir, et le peu dont il se souvenait était douloureux.

« Je ne suis pas mauvais, tu le sais, n'est-ce pas ? » ; Tom fronça le nez à cette question. D'où est-ce qu'elle sortait ?

« Oui. »

« Et Gabriel et Anna non plus ? » ; cette fois, la réponse tarda. En vérité, il n'était pas sûr de la réponse. « Tu sais très bien qu'ils t'adorent, Tom. Et ils ne t'ont jamais fait de mal, si ? »

« Non... » ; souffla son patient d'une voix hésitante. Bill fronça les sourcils.

« Mais ? »

Le jeune homme se mordit les lèvres, l'air nerveux, ou pas sûr de lui. Difficile à déceler. Bill pencha la tête pour trouver ses yeux et ainsi l'encourager à parler.

« ...c'est pas pareil. » ; le blond le regarda avec une certaine confusion. Qu'est-ce que ça voulait dire ?

« Qu'est-ce qui n'est pas pareil ? »

« Toi. » ; pour une fois, il avait l'air sûr de lui au moins. « Tu es différent. »

« Je suis différent ou j'agis différemment ? » ; la façon dont le dreadé regarda droit dans ses yeux lui rappela en quoi il différait des autres. Il était proche de lui. Trop, peut-être, mais il l'était bien plus que ses amis qui pourtant étaient là depuis bien plus longtemps.

« Les deux. »

Est-ce que c'était bien, au moins ? Il n'était pas sûr de la façon dont il devait se sentir par rapport à ça.

« Et ça change quelque chose ? » ; bon, en fait, c'était plutôt logique. Tom changeait avec lui. À présent, il parlait, mangeait à chaque repas, faisait même l'effort de sortir.

« J'aime pas quand tu ne viens pas. »

Alors ça, il n'était pas certain que ça répondait à sa question, mais c'était quelque chose !

« Pourquoi ? » ; demanda le blond sans vouloir insister avec ses questions. Tom baissa à nouveau les yeux vers le sol et haussa une épaule. Son psychiatre tendit alors prudemment une main vers les siennes, lui en prenant délicatement une. « Tu n'as pas l'impression que je t'abandonne hein ? »

Leurs doigts s'emmêlèrent naturellement, mais le plus jeune des deux ne releva pas les yeux pour autant, répondant silencieusement à cette question.

« Tom... t'as pas le droit de croire à ça. » ; souffla doucement l'autre homme. « Je veux te sortir de là. Jamais j'abandonnerais. Jamais je t'abandonnerais ! » ; s'exclama-t-il tout en sachant que des mots ne restaient que des mots. Il était difficile d'y croire, dans n'importe quelle situation et avec n'importe qui. « Je ne suis pas eux, je croyais que tu l'avais compris. »

Tom baissa les yeux vers leurs mains, démêlant leurs doigts pour toucher sa paume de la sienne, à plat, et puis caressant ses doigts sans pour autant les lier à nouveau. Bill ignorait si c'était un jeu ou une tentative pour détourner son attention.

« Je sais... » ; répondit finalement le dreadé, concentré sur ses gestes. Il se mordit l'intérieur des joues, hésitant. Bill ne savait pas ce qu'il voulait dire, mais il était clair qu'il avait quelque chose à dire. « Je déteste qu'on me touche. » ; bredouilla-t-il à voix basse. Le médecin le regarda, les yeux remplis d'étonnement et de confusion. Qu'est-ce que c'était censé vouloir dire ? Est-ce qu'il se sentait forcé ? Il hésita sérieusement à le lâcher, fixant l'expression sur son visage comme s'il allait pouvoir deviner la réponse à sa question.

« Pourquoi ? T'as peur qu'on te fasse du mal ? » ; demanda-t-il, espérant au moins pouvoir profiter de cette occasion pour en parler un peu.

« Non. » ; Bill pencha légèrement la tête, mais le cadet lui accorda enfin son attention. « J'ai pas peur... » ; et son regard le prouvait. Il était calme. « Ça m'écoeure, c'est tout. »

Écoeurer ? C'était quand même fort, comme terme. Bill ne comprit pas pourquoi. En sachant qu'il avait été maltraité, en avoir peur aurait été logique, et si on l'avait touché, il aurait vraiment pu en être dégoûté ! Mais il lui avait pourtant bien dit que ce n'était jamais arrivé, ou alors il avait mal compris ?

« Pourquoi ? Ça te dégoûte vraiment qu'on te touche ? » ; demanda-t-il, confus. Tom se mordit les lèvres, assez fort pour qu'elles rougissent pas mal.

« Je ne suis pas... je... » ; est-ce qu'il cherchait ses mots ou est-ce qu'il hésitait à parler ? « Je ne suis personne. » ; lança-t-il clairement.

« Quoi ? Bien sûr que si ! »

« Je suis sale et minable. Je mérite qu'on me touche seulement pour me punir. »

Le jeune médecin ouvrit de grands yeux en entendant ça. Il l'avait récité comme si c'était normal, comme si c'était une leçon qu'on lui avait apprise.

« C'est n'importe quoi ! » ; s'exclama-t-il sans trop y réfléchir. C'était clairement ce que cette famille lui avait mis dans la tête et ça l'agaçait.

« Mais toi tu... » ; Bill plissa les yeux, curieux. Lui quoi ? « C'est différent. »

« En quoi ?! »

« Je ne déteste pas... » ; et ses doigts fermement accrochés aux siens le lui prouvaient. « Je me sens pas... »

« Sale ? » ; demanda le blond, son nez se fronçant en prononçant ce mot. « Et bien heureusement ! Tu n'es ni sale ni minable, tu ne mérites pas qu'on te fasse du mal. Au contraire ! Tu mérites qu'on te rassure et qu'on prenne soin de toi. » ; le dreadé secoua la tête, ce qui, loin de le surprendre, énerva tout de même son psychiatre. Ces gens se rendaient-ils compte des dégâts psychologiques que leurs erreurs engendraient ? «Tom, je sais que c'est difficile à oublier, mais ce qu'on t'a appris est faux. Tu n'es pas obligé d'accepter qu'on te touche, tu as totalement le droit de refuser, tu sais. C'est ton corps, et il n'appartient qu'à toi, alors personne ne devrait te toucher sans approbation. »

Tom eut l'air surpris de l'apprendre. C'était l'inverse de ce qu'il avait appris, en tout cas dans ses souvenirs, et c'était difficile à imaginer.

« Et si j'ai envie ? » ; Bill regarda dans ses yeux tout en essayant de dissimuler son étonnement. L'entendre parler autant était encore très inhabituel, et l'entendre dire qu'il avait envie de quelque chose était carrément nouveau.

« Et bien... tu peux juste le montrer, le dire ou le faire... tout en fixant tes limites. »

« J'ai le droit ? »

« Évidemment ! C'est même un devoir. Ne laisse jamais personne te forcer ou te toucher si tu n'en as pas envie, même si c'est juste... te prendre la main. » ; souffla-t-il en pressant son pouce contre sa peau. « Un contact est un contact, et si t'en as pas envie, personne ne devrait insister. »

Tom baissa les yeux entre eux, se fixant sur leurs mains avec l'air de réfléchir à quelque chose. Il se passa de longues minutes comme ça, sans qu'il ne parle ou le regarde à nouveau. Il était perdu. Perdu dans ses songes. Perdu entre le passé et le présent, ce qu'on lui avait appris et ce qu'il apprenait aujourd'hui. Bill était tout de même très curieux de savoir ce que sa vraie famille lui avait appris. Est-ce qu'il s'en souvenait au moins ? Est-ce qu'il se forçait à agir de la mauvaise façon parce que ces gens l'avaient descendu et probablement ruiné les valeurs que ses parents lui avaient inculqué ?

L'androgyne le laissa y penser. Dans un sens, affronter ses souvenirs allait l'aider à sortir de tout ça. Il le regarda se concentrer sur ce qu'il faisait, à savoir : jouer avec ses doigts. Malgré la conversation, il ne l'avait toujours pas lâché et Bill pensait que c'était bien. Ça ne l'effrayait pas, c'était déjà ça. Il s'ouvrait tout doucement, progressivement. C'était ce qu'il fallait.
Après un long moment où le silence restait maître, Tom lui accorda à nouveau son attention, plongeant dans ses yeux aux couleurs chaudes et rassurantes. En fait, il avait l'air plutôt curieux. Pourquoi, Bill n'en était pas sûr, mais quelque chose l'intriguait.

« À quoi tu penses ? » ; lui demanda-t-il dans un souffle.

Tom haussa doucement les épaules, restant pensif. Est-ce qu'il réfléchissait à ce qu'il lui avait dit ?

« Au passé ? » ; demanda à nouveau le blond. « Dis-moi, est-ce qu'il y avait d'autres enfants avec toi ? »

La question eut l'air de surprendre son patient. Il était vrai qu'il ne posait jamais de questions de ce genre. Pas aussi directes en tout cas. Il avait voulu attendre, mais il pensait à présent qu'il pouvait. Il espérait que Tom ne se braque pas à la première occasion.

« Oui. »

« Ils étaient punis aussi ? » ; Tom secoua lentement la tête en réponse. « Tu sais si c'était leurs enfants ou d'autres ? » ; à nouveau, il baissa le regard entre eux.

« À eux. »

« Ok alors tu étais le seul enfant qui n'était pas à eux ? » ; un vague hochement de tête lui répondit, alors Bill continua sur sa lancée. « Et ces enfants, ils étaient gentils avec toi ? »

Pour le coup, il n'y eut aucun signe de réponse. Bill pencha la tête afin de croiser son regard, comprenant que son refus était la réponse. Ça ne l'étonnait pas vraiment. Souvent, les petits prenaient exemple sur les parents et si ceux-ci méprisaient Tom, il n'était pas étonnant que les enfants l'aient aussi rejeté.

Le médecin observa ses traits avec attention. Comme il mangeait régulièrement, il reprenait tout doucement du poids et ça commençait tout juste à se voir au niveau des joues. Auparavant si creuses, elles semblaient un peu plus pleines à présent, progressivement. Et ça, ça faisait plaisir à voir.

« Tu sais que tu as meilleure mine ? » ; d'accord, il était encore loin de manger correctement et d'atteindre un poids normal, mais il était sur la bonne voie. La seule chose que Bill craignait, c'était qu'il replonge. Ça pouvait venir du jour au lendemain. Une contrariété, ou la mauvaise question, la mauvaise parole. Tout. Tout était susceptible de le faire replonger dans cette spirale vicieuse et infernale. Tom leva les yeux de surprise en entendant ça, et Bill lui adressa un sourire. Il relâcha sa main pour pouvoir toucher sa joue, effleurant la légère courbe qu'il n'avait finalement jamais vu. Personne ici ne l'avait sans doute jamais vu avec les joues rondes ! «J'ai hâte de voir à quoi tu ressembles quand t'es un peu plus en forme. »

Étonnamment, Tom se laissa toucher et n'eut pas l'air de se renfermer par rapport à ce qu'il disait. Le sujet restait délicat. Comme il avait pris le rythme des repas, Bill ne lui en parlait plus et ne lui demandait plus jamais de manger. Il préférait le laisser évoluer à son rythme, même si ça prenait du temps.

Peu à peu, il prit conscience qu'ils se fixaient tous les deux depuis un bon moment, un peu trop sans doute. Tom le regardait avec une telle intensité, et sans même en avoir conscience. Bill ignorait à quoi il pouvait bien penser, et pourquoi c'était lui qu'il regardait comme ça, et puis aussi pourquoi ça le perturbait. Parfois, un patient fixait, comme ça, on pouvait croire qu'il vous regardait mais il était en réalité plongé dans le vide, seulement, ce n'était pas le cas de Tom puisqu'il n'avait jamais fait ça avant. L'androgyne paniqua définitivement lorsque, consciemment ou pas, le regard du dreadé loucha sur sa bouche. Il retira sa main de sa joue, un peu vite peut-être, et se leva du lit en un temps record, sous les yeux impuissants et confus du jeune patient.

« Je... j'ai le dîner à surveiller. » ; bredouilla-t-il, bien qu'il ne soit pas certain que ce soit l'heure. « Je repasserais te voir ok ? »

Tom n'eut ni le temps d'y répondre, ni d'y penser. La porte se referma très vite sur la silhouette du médecin et le silence lui revint brutalement en pleine figure, tout comme la réalité. Dure réalité.


À suivre...

Chambre 248.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant