« Où est-ce que tu cours comme ça ? » ; loupé ! Bill se mordit l'intérieur des joues, se stoppa et se retourna tout en essayant de prendre un air naturel. Face à lui, Gabriel haussa les sourcils, curieux.
« Je bosse ? »
« Allez, raconte-moi ! Ça s'est mal passé ? » ; demanda-t-il rapidement. « Pourquoi tu te précipites ? »
« Non. » ; souffla le blond, se sentant coincé. « Non, ça a été plutôt bien même. » ; et c'était vrai. Il avait réussi à le faire parler un peu plus, il avait appris des choses. C'était plutôt bon !
« Alors pourquoi tu t'enfuis ? »
Le jeune psychiatre se mit à remuer, bougeant d'un pied sur l'autre sans savoir quoi dire. Ce n'était pas qu'il voulait s'enfuir, c'était juste qu'il voulait échapper à une situation qu'il ne connaissait pas.
« Je ne fuis pas. »
« Bien sûr que si ! J'étais surpris quand Tom y a cru, mais il n'a pas totalement tort quand il dit que tu t'enfuis. » ; comment ? Tom ? Parler ? À Gabriel ? Il n'était pas au courant de ça.
« Il t'a parlé ?! »
« Oui, mais c'est pas le sujet ! » ; s'exclama rapidement son ami. « Que tu m'envoies bouler et que tu t'enfuis quand je pose les questions qui fâchent, je veux bien, mais que tu fuis Tom, je comprends pas. Tu sais très bien qu'il passe sa vie à cogiter, alors pourquoi tu lui en donnes les raisons ? »
« Je ne veux pas lui en donner ! » ; marmonna le médecin, finissant par attraper son collègue par le bras pour le tirer dans un coin où personne ne les écouterait. Gabriel suivit sans discuter. Il avait beau adorer le taquiner, sa question était sérieuse. « Je pensais pas qu'il y penserait au point d'en parler à quelqu'un... »
« Honnêtement, je me suis demandé si je rêvais pas. » ; lui répondit son ami en souriant. « Mais non... il m'a dit que tu fuyais, pour de vrai. Je sais que t'as un peu peur de pas gérer entre ton attachement et le boulot, je sais que tu t'arrêteras jamais d'essayer de l'aider, mais le fuir ? »
« Je sais ! »
« Pourquoi ? Qu'est-ce qui te pousse à partir alors que tu sais qu'il est fragile ? »
Bill souffla et baissa le regard vers ses pieds durant de longues secondes, ses épaules s'affaissant. Il se sentait vraiment naze de réagir comme ça, mais il n'arrivait pas à gérer ça correctement.
« Est-ce qu'il t'a regardé dans les yeux ? » ; demanda-t-il d'une voix rauque. Il releva d'ailleurs les siens et fit face à ceux, étonnés, de son ami.
« Oui ? » ; le blond pencha légèrement la tête sur le côté sans le lâcher des yeux, préférant lui faire comprendre plutôt que le dire. Gabriel ne mit que quelques secondes à réagir, se souvenant parfaitement du regard du dreadé. Il avait mis si longtemps à espérer le croiser pour de vrai ! « Ok, il te fout en l'air... » ; l'androgyne soupira, soulagé de ne pas être le seul à remarquer et avoir ce sentiment étrange. « Je comprends, il a une putain d'intensité dans les yeux et en même temps il a l'air tellement fragile. » ; c'était pire que ça même. « Mais t'en as vu d'autres, non ? T'en as vu des gens brisés, détruits et tout ce qui est possible de te donner mal au coeur. Tu les as toujours géré, Bill, alors pourquoi tu t'inquiètes ? »
« J'en sais rien, j'ai l'impression de pas m'en sortir avec lui, c'est tout. »
« Tu as peut-être besoin de t'habituer au fait qu'il parle et te regarde ! Il a été éteint pendant tellement longtemps que je pensais pas que c'était possible. Franchement, quand il m'a regardé, je me suis demandé où et qui j'étais, et si c'était vraiment le même Tom. C'est normal que ce soit bizarre, alors tu n'as pas besoin de te prendre la tête pour ça ! »
Loin d'être convaincu, Bill acquiesça distraitement. Il savait que c'était stupide ! Alors pourquoi ? Pourquoi ne pas laisser sa pseudo-perturbation de côté et bosser correctement ?
« Je sais... » ; plus facile à dire qu'à faire, quand même.
« Y a autre chose ? »
Bill se mordit nerveusement la lèvre inférieure. Il y aurait autre chose s'il en faisait autre chose, mais il ne le voulait pas. Il voulait arrêter de se tourmenter.
« J'ai appris quelques trucs, si tu veux on en parle après le dîner ? »
« Carrément, ouais ! T'es de service au self ? »
« Oui, et toi en individuel, je le sais déjà. » ; taquina le blond.
« Pffff, connerie de supériorité. » ; Bill lui tira la langue. Le fait qu'il soit son supérieur ne posait jamais problème et il en était heureux. Ils aimaient se chamailler, se taquiner, mais rien de plus. En réalité, Gabriel était content de ne pas avoir de décisions à prendre, ça semblait trop lourd pour lui. Être celui qui décide et dirige les autres était un sacré boulot. Bien plus dur que ça en avait l'air en tout cas.
**
Après une telle journée, Bill fut heureux de rentrer chez lui. Bien qu'il ne soit pas spécialement fan de la solitude, ce soir, il avait juste envie d'une douche et d'une bonne nuit de sommeil réparateur.
Pourtant, lorsqu'il arriva devant sa porte, il comprit tout de suite que sa soirée n'aurait rien de reposant. Noa était recroquevillé contre le mur, les jambes repliées contre son torse et les joues trempées.
Dans le mouvement, Bill se stoppa, pensant à ce qui avait bien pu se passer. Encore une embrouille avec sa famille ? Ou bien son mal-être évident ? Il fronça le nez, inquiet, et se baissa pour se retrouver à sa hauteur. En premier lieu, il décida que les mots n'étaient pas nécessaires. Noa avait besoin de réconfort. D'un réconfort familier auquel il n'avait jamais droit. Il tendit ses bras et les enroula autour des épaules de l'adolescent, celui-ci se laissant faire sans visiblement avoir la force de dire quoique ce soit. Honnêtement, Bill pouvait le comprendre. Il était malheureux et il en avait assez de cette situation instable. Quoi de plus normal ?
Il prit le temps de le réconforter, de le calmer un peu, puis recula pour le voir.
« Bon... viens, on va quand même pas rester devant la porte. » ; souffla-t-il, se hissant sur ses pieds tout en lui tendant ses mains. Noa les prit et suivit le mouvement sans pour autant lever les yeux. Bill l'attira à l'intérieur après avoir déverrouillé la porte, abandonna ses chaussures au passage et puis l'entraîna vers la cuisine. «Installe-toi. »
Noa s'exécuta sans rien dire. L'androgyne lui servit un grand verre de jus d'orange, sachant qu'il aimait ça, puis tira sur la casquette qui cachait à moitié son visage. Ses joues étaient toujours trempées, ses yeux rouges et ses traits plutôt tirés, Bill ne savait pas encore comment aborder ses questions. Qu'est-ce qui s'était passé ?
« Est-ce que t'as faim ? » ; l'adolescent secoua lentement la tête, finissant par frotter ses joues avec sa manche. « T'as déjà mangé ? »
« Non. »
« Tu devrais manger un peu... » ; tenta le plus âgé.
« J'ai pas faim. »
Bill soupira faiblement et vint appuyer ses coudes face à lui, sur le petit comptoir.
« Est-ce que tu veux en parler ? » ; Noa haussa une épaule, visiblement pas certain. Il frotta à nouveau ses yeux avec sa manche, l'eau s'écoulant toujours même s'il tentait de l'en empêcher. « Tu n'es pas obligé de me voir comme un psychiatre, tu sais. Je ne suis pas là pour te juger ou t'analyser. »
« Je sais. » ; finalement, il tira le verre de jus de fruits vers lui, voulant se redonner contenance. « Tu me laisserais jamais dormir ici si tu étais juste un psy. Tu peux pas faire ça avec tout le monde. »
Certes. Bien qu'il en était capable. Le jeune médecin baissa distraitement les yeux vers ses mains, cherchant ses mots.
« Tu n'as jamais été mon patient de toute façon. »
« Alors je suis quoi ? »
Sa voix cassée lui fit mal au coeur. Bill savait ce dont il avait besoin. Un cadre. Une famille, et une vraie ! Le problème, c'était qu'il ne l'était pas et que s'il s'imposait, sa famille aurait le droit de lui tomber dessus. Tiraillé entre ces deux choses, Bill ne sut pas quoi lui répondre. Il tendit une main afin de la déposer sur les siennes, se voulant rassurant.
« Je tiens à toi, tu le sais très bien. » ; souffla-t-il d'une voix rauque.
« Mais pas assez pour me garder. » ; répondit Noa sans le regarder. « Comme tous les autres. »
« Noa ! » ; s'exclama le blond tout en soupirant. « C'est faux, c'est juste pas aussi simple. » ; tenta-t-il tout en sachant que ça ne servirait à rien.
« Ça l'est quand on veut. »
Bill souffla, puis passa ses mains sur son visage. Il avait demandé à pouvoir l'avoir quelques jours par semaine, mais étant totalement inconnu par rapport à la famille, il avait du mal à obtenir un peu d'attention. La famille ne comprenait pas pourquoi il s'imposait et le juge se méfiait. C'était loin d'être gagné et ça lui prenait la tête.
« Tu crois que je fais rien ? Que je m'en fiche ? » ; le jeune homme hésita, puis leva enfin les yeux vers lui.
« Non... » ; soupira-t-il faiblement. « Mais j'en ai assez. » ; Bill afficha une petite moue, contrarié de ne pas pouvoir y faire grand chose. Il tendit cette fois ses deux mains et attendit que ce soit Noa qui établisse le contact.
« Allez... Si tu me racontes, je négocie avec ta tante pour que tu passes le week-end avec moi. » ; Noa attrapa ses mains mais haussa les sourcils en entendant ça.
« Elle va gueuler. »
« À partir du moment où ça ne te retombe pas dessus après, c'est mon problème. » ; l'adolescent se mordit l'intérieur des joues, dissimulant un léger sourire. « D'ailleurs, tu vas me promettre que si ça arrive un jour, ou si quelqu'un te frappe, tu me le diras. »
« Je sais me défendre. » ; Bill pencha la tête, lui lançant son pseudo regard autoritaire.
« Noa. »
« Oook, c'est bon. » ; râla-t-il, finissant par lever les yeux au ciel.
« Bien, tu vas me raconter maintenant ? Et manger ? Pas de repas, pas de week-end. » ; encore une fois, le cadet gronda au chantage, mais acquiesça, agissant comme s'il se sentait déjà mieux de savoir qu'il passerait les deux prochains jours ici et pas avec sa famille.
« Tu vas l'appeler maintenant ? »
Il n'attendait que ça, le soulagement d'être certain qu'il n'y retournerait pas tout de suite. Bill plissa les yeux et attrapa son téléphone. S'il se sentait mal là-bas, il pouvait comprendre qu'il agisse de cette manière. Il espérait juste que Noa ne lui cache rien.
**
Le regard focalisait sur l'enfant qui courait et criait dans tous les sens, Bill fit signe à son ami d'approcher. Léo était très agité depuis quelques jours, sans raison particulière, ou alors Bill ne la connaissait pas. Il était bourré d'énergie, courait, sautait partout et sans pratiquement jamais se fatiguer. C'était infernal !
« Salut ? » ; l'androgyne tendit distraitement son bras, enlaçant brièvement son vis-à-vis sans pour autant lâcher le petit des yeux. « Je tombe mal ? »
« Non non. » ; répondit le blond, concentré.
« Qu'est-ce que t'es en train de faire ? »
« J'attends de savoir dans combien de temps il tombera comme une masse. Si mes calculs sont bons, ce sera dans l'heure, j'espère que t'es pas pressé. »
Curieux, Georg jeta un petit coup d'oeil à l'enfant et esquissa un sourire amusé. Il était convenu qu'il devait venir chercher Bill et qu'ils passeraient ensuite la soirée ensemble, mais leurs plans allaient probablement changer à présent.
« Ça me gêne pas ! C'est lui le petit Léo ? » ; Bill acquiesça distraitement, réfléchissant en même temps. « Et bien... il a la pêche. »
« Ouais... ça fait trois jours qu'il est comme ça, j'essaie de comprendre pourquoi. »
« Sympa comme ambiance ! Je comprends pourquoi t'es toujours crevé. » ; remarqua le plus âgé tout en suivant lui aussi les mouvements incessants de Léo. Chacun se demandait où il puisait toute cette énergie étant donné qu'il ne s'arrêtait pas.
Finalement, Bill décida de tenter de l'arrêter. Il voulait lui présenter Georg et voir comment il allait réagir.
« Léo ? » ; appela-t-il d'abord. L'enfant n'eut aucune réaction, continuant de courir. Le médecin se demandait d'ailleurs comment il faisait pour ne pas avoir le tournis. Tout en réfléchissant, il se baissa, posant un genou au sol pour se stabiliser. « Hey, petit prince... » ; appela-t-il calmement. Cette fois, et étonnamment, l'enfant se stoppa. Il tourna la tête vers lui, l'air épuisé, et puis avança machinalement jusqu'à venir enrouler ses petits bras autour du cou de Bill. Le blond ne fit aucun commentaire sur le fait qu'il soit infernal depuis si longtemps et qu'il ne semble vouloir se stopper que maintenant. Il se releva avec le petit dans ses bras et lui indiqua son ami tout en prenant un ton doux. « Je te présente Georg, c'est mon meilleur ami. »
Léo regarda curieusement Georg, de ses yeux fatigués, mais intenses. Après tout ce temps en pleine crise, c'était le moment où il tombait de fatigue, mais il prit tout de même le temps de s'intéresser à lui. C'était l'entourage de Bill, évidemment que ça l'intéressait ! De manière générale, il n'aimait pas savoir que telle ou telle personne était proche du médecin, il se sentait évincé, il voulait que Bill ne s'occupe que de lui. Seulement, Bill lui avait appris à l'accepter, et puis quand il était là, il était en sécurité, il était bien, alors il ne disait rien.
Georg avait un sourire bienveillant, et puis des yeux malicieux. Il pensait qu'il avait l'air gentil. Il pouvait le tolérer. Aujourd'hui. De toute façon il était trop fatigué pour s'énerver. Sans lâcher l'autre homme des yeux, il se laissa aller contre Bill, collant sa joue à la sienne et resserrant ses bras derrière sa nuque. Georg sourit et jeta un regard discret à son ami, comprenant pourquoi il avait tant entendu parlé de ce gamin.
« Bon... je crois que tu vas aller te coucher. » ; souffla le blond en sentant l'enfant s'affaisser contre lui. « Tu m'attends ici ? » ; demanda-t-il ensuite à son ami. Georg acquiesça. « Tu peux t'asseoir là-bas si tu veux. » ; ajouta-t-il en lui indiquant les bancs.
Léo toujours fermement accroché à lui, il pivota et traversa la cour afin de retourner à l'intérieur. Il monta rapidement, sentant le petit appuyer sa tête contre son épaule. Bill se dépêcha d'entrer dans sa chambre afin de lui faire mettre son pyjama avant qu'il s'endorme. Il alla le déposer au bord du lit, faisant attention à ce qu'il ne bascule pas pendant qu'il cherchait un pyjama du regard.
« Léo... » ; prévint-il en le sentant sombrer. « Attends au moins que je t'habille. »
L'enfant papillonna des paupières et Bill fila fouiller dans le petit placard. Lorsqu'il revint avec le fameux pyjama, Léo luttait sérieusement, tanguant à moitié et sa tête basculant vers l'avant.
« Encore une minute. » ; souffla-t-il doucement, déposant les vêtements propres sur le lit avant de commencer à lui ôter son tee-shirt. Épuisé, Léo se laissa mollement déshabiller, soupirant seulement de fatigue. Bill l'aida à enfiler le pyjama, souriant en voyant qu'il dormait debout. « Allez, tu peux te coucher. »
« Doudou... » ; l'androgyne chercha les deux peluches qu'il traînait partout. Son fameux doudou, et puis la vieille peluche de Bill qu'il refusait aussi de lâcher. Il les lui donna rapidement, le regardant caler son bien contre son torse et allant tirer les rideaux pour tamiser la lumière. « Bisou. »
Bill revint près du lit en l'entendant, amusé. Il ne pouvait plus partir sans lui faire de bisous. En tout cas s'il oubliait, ça ne plaisait pas à Léo.
« Dors bien. Et pas de panique si tu te réveilles dans la nuit ok ? Ana sera dans les parages. » ; l'enfant acquiesça brièvement et Bill embrassa longuement son front tout en remontant la couverture. « Je reviens demain matin. »
Léo marmonna ce qui ressemblait à un -à demain- et enfonça son visage contre l'oreiller, prêt à sombrer. Le blond caressa distraitement ses cheveux, puis se leva, s'éclipsant silencieusement de la chambre pour le laisser s'endormir tranquillement.
Cette fois, il put dire que sa journée était terminée. Il allait pouvoir rejoindre Georg et passer une soirée détente. Il fila alors chercher ses affaires et se dépêcha de descendre pour retrouver son ami.
« C'est bon, tu l'as bordé ? » ; lui demanda Georg lorsqu'il le vit revenir. Bill se mordit l'intérieur des joues tout en souriant.
« De toute façon si je le fais pas il m'engueule. »
« Un gosse qui te mène par le bout du nez. Pourquoi ça m'étonne pas ? » ; Bill lui tira la langue, puis lui indiqua la sortie.
« Allez, j'ai soif. » ; dit-il pour détourner le sujet. Georg eut un petit rire, mais ne fit aucun commentaire. Il se laissait déjà constamment embobiner par Zoé alors ça n'avait rien de surprenant.
« En tout cas, je comprends pourquoi tu t'y attaches autant. » ; reprit son ami avec plus de sérieux. Ils se dirigèrent vers sa voiture, montant tous les deux et prenant aussitôt la route pour un petit bar sympa.
« Pourquoi tu dis ça ? »
« Il a l'air adorable, t'es obligé de craquer. » ; Bill sourit en y pensant. C'était vrai. « Et puis vu la façon dont il agit avec toi... »
« Quoi ? Laquelle ? » ; Georg jeta un coup d'oeil vers lui, prenant tout de même garde à rester concentré sur la route.
« Laquelle ? T'es aveugle ou quoi ? » ; le médecin fronça le nez en l'entendant. « Il est aussi proche de toi qu'un enfant avec sa mère. »
« Moi je ressemble à une mère ?! » ; son ami leva les yeux au ciel et fit claquer sa langue contre son palet.
« Idiot. Je veux dire qu'il est naturellement très proche de toi. Un enfant, surtout de son âge et de sa pathologie ne se laisse pas aussi facilement aller. À partir du moment où il s'accroche à toi, où il s'endort avec toi, c'est qu'il se sent assez en sécurité pour lâcher prise. » ; le regard rivé sur la route même s'il ne conduisait pas, Bill se mordit la lèvre inférieure. Il aimait cette image, tant pis si c'était trop par rapport à son boulot.
« Je croyais que j'étais celui qui avait étudié la psychologie. » ; taquina-t-il, riant en sentant Georg donner un coup dans sa jambe.
« Petit con. Je remarque, c'est tout. »
Bill retrouva son sérieux en quelques secondes. Honnêtement, et même s'il aimait cette proximité avec Léo, il n'était pas sûr que ce soit bien. Il n'était pas sûr de faire ce qu'il fallait.
« Tu crois vraiment ? » ; Georg regarda à nouveau vers lui, surpris qu'il lui pose la question.
« Oui ? Tu t'en rends pas compte ? » ; le médecin haussa une épaule en réponse. « Ça crève les yeux pourtant. »
En y réfléchissant, il était clair que c'était lui que Léo réclamait tout le temps, qu'il était constamment glué à lui alors qu'il n'aimait pas vraiment le contact avec les autres, et beaucoup d'autres choses aussi, mais il se forçait à garder mentalement une certaine distance avec cette situation. Il ne voulait pas se croire indispensable. D'abord, parce que si Léo le rejetait du jour au lendemain, il aurait encore plus mal, et puis peut-être aussi parce qu'il ne s'était jamais senti indispensable pour quoi que ce soit. Léo avait une famille, aussi absente soit-elle, et Bill ne pouvait pas se permettre de prendre cette place. Pas dans sa tête en tout cas.
**
Se créer un monde extérieur était quelque chose que Tom avait fait très tôt. L'imaginer, s'y engouffrer, s'y perdre. C'était ce qui le soulageait, ce qui le protégeait des autres, du monde, de l'environnement dans lequel il était. Au début, il l'avait créé pour s'occuper, pour se sentir mieux, moins seul, moins vulnérable. Il l'avait créé pour ne pas voir le reste, pour ne plus voir l'obscurité effrayante dans laquelle il s'était si souvent senti étouffer. Et puis au fil des jours, des semaines, puis des années, il était resté plongé dans ce monde imaginaire. Il y était resté cloîtré, ignorant ce qui se passait autour, ce qu'on lui faisait, ce qu'on lui disait. Ce monde l'avait protégé durant si longtemps, et puis Bill était arrivé, et Bill l'en avait sorti. Tom ignorait comment c'était arrivé, comment il avait réussi à l'extirper peu à peu de sa bulle. Il avait réussi et Tom n'avait plus eu si peur de la réalité. Elle était dure, triste, oppressante, toujours ! Mais moins effrayante. Moins insupportable. Seulement aujourd'hui il regrettait. Aujourd'hui, il n'arrivait plus à tenir ce bouclier intérieur face à ce qui lui arrivait et ça le paralysait complètement. Il entendait des voix, des cris, il sentait le mouvement autour de lui, il sentait qu'on le touchait, et il était terrorisé. Incapable de comprendre, de faire face ou même de se protéger.
Et Bill, où était-il ? Où était son regard doux et rassurant ? Celui qui apaisait la réalité ? Pourquoi avait-il fait éclater sa bulle ? Pourquoi l'avait-il laissé ainsi, sans bouclier, sans armes ?
Dans sa tête, les voix résonnaient, lointaines, mais il ne les comprenait pas. Il ne voyait rien d'autre que le flou superposé à l'image effrayante de cette personne. Une fille. Un visage rond et de grands yeux noirs. Un sourire terrifiant. Il ne voyait que ça, encore et encore. Comme un démon. Et puis ses cris, son rire ! Il se mêlait au brouhaha étouffé qu'il entendait, et ça le terrorisait encore plus.
Peu à peu, mais vraiment dans le flou, il vit d'autres yeux apparaître devant lui. Des yeux plus doux. Cette couleur entre la noisette et l'ambre, il la connaissait par coeur. En se concentrant sur ces yeux, il réussit à revenir. Un peu. Tout était toujours lointain mais il entendait son nom qu'on appelait encore et encore. C'était bizarre, ce mélange. La superposition de ces deux regards, les sons brouillés. C'était comme si rien n'était réel. Il ne comprenait pas qu'il était dans le néant, qu'il était parti loin et qu'il ne voyait rien de ce qui se passait sous ses yeux. Il voyait bien Bill, mais dire s'il était réel ou non lui était impossible.
Sans savoir depuis combien de temps il était comme ça, ni même dans quel état il était extérieurement, il pensa seulement qu'il en avait assez, qu'il voulait qu'on le sorte de ce cauchemar. Il avait l'impression de s'enfoncer, de sentir sa gorge se serrer un peu plus à chaque seconde.
Soudain, il sentit qu'on le touchait, que des mains étaient posées sur chacune de ses joues. Il paniqua aussitôt sans pouvoir le contrôler, sursautant violemment au contact, se sentant comme si l'oxygène n'atteignait plus ses poumons sous la panique.
« Tom, Tom, calme-toi ! C'est juste moi... »
Les yeux du dreadé s'agrandirent un peu plus si c'était possible. Il étouffait, mais cette voix semblait toute proche maintenant. La sensation d'oppression le força à s'agiter, comme si ça ferait à nouveau passer l'air dans ses poumons. Il sentit l'une des deux mains remonter vers le haut de son crâne, se faufiler derrière, et puis s'emmêler au milieu de ses longues dreadlocks. Enfin, il reconnut cette façon de le toucher, et le voile devant ses yeux se leva pour le laisser prendre conscience des choses. Bill était juste devant lui, essayant vainement de le faire réagir depuis déjà un bon moment. Sous le coup du soulagement, Tom se laissa complètement aller et avança jusqu'à poser son front contre le haut de son torse. Là, il ne voyait rien, il sentait sa présence, il se sentait en sécurité. Même si lui ne le touchait pas, ça suffisait à le rassurer. Il ne pouvait pas le toucher. Le seul contact qu'il tolérait de lui-même, c'était ça, et puis lui tenir la main, et c'était déjà trop parfois.
« Hey, Tom, respire ! » ; entendit-il au dessus de lui. Il put sentir son menton s'appuyer contre le haut de sa tête et ses deux mains dans ses cheveux. Un contact qui, si lui se refusait à le faire, le rassurait de la part de Bill. « Concentre-toi. Ferme les yeux et laisse l'air passer. »
Tom ferma les yeux comme demandé et prit conscience que c'était bien lui qui s'empêchait de respirer. C'était lui qui bloquait l'air ! Il mit du temps à comprendre qu'il devait desserrer sa gorge, se détendre un peu et laisser l'oxygène passer dans ses poumons, mais ça marcha. Il recommença lentement à respirer correctement et le poids à l'intérieur de lui s'apaisa.
Au dessus de lui, Bill jeta un coup d'oeil à Gabriel, puis à d'autres collègues qui se regardaient. Tous étaient surpris, parce que Tom refusait toujours le contact, Tom ne les écoutait pas. Ils ne le connaissaient pas comme ça, loin de là ! Seul Gabriel savait plus ou moins tout ce qui se passait et même lui était étonné de le voir aussi proche de son ami.
Bill décida d'ignorer tout ça et de s'occuper du jeune dreadé à moitié tremblant.
« Tom, écoute-moi. » ; appela-t-il à voix basse. « On va se relever et je vais te ramener à ta chambre, ok ? Et rien ne t'arrivera d'ici là. »
Il attendit un peu, laissant son patient analyser ses mots. Tom avait fait une belle crise de panique, plutôt impressionnante même. Il savait qu'il allait devoir y aller en douceur. Ses mains abandonnèrent les dreadlocks attachées, et il hésita sérieusement à attraper les siennes. Il le voulait, et il se doutait que ça aiderait à le rassurer, mais ils étaient beaucoup entourés. Se montrer ne lui plaisait pas vraiment, et puis il était quasiment certain que ça ne plairait pas non plus à Tom.
« Est-ce que t'es prêt ? » ; souffla-t-il, se contentant d'agir comme il le ferait avec n'importe qui. Tom recula son visage, gardant les yeux rivés vers le bas mais lui prouvant qu'il était prêt à bouger. Bill recula alors lui aussi et se redressa sans le toucher ni l'aider, attendant simplement qu'il se lève lui aussi. Et il le fit ! Même debout, il garda les yeux au sol. Bill manqua de lui attraper la main pour l'entraîner avec lui mais se retint au dernier moment, se retournant tout en soufflant un -on y va- afin qu'il suive ses pas.
En passant à côté de Gabriel, Bill lui fit un petit signe. Il fallait qu'ils parlent, parce que si Tom avait fait cette crise, c'était pas pour rien et il ignorait ce qui s'était réellement passé.
Heureusement pour le pauvre dreadé, sa chambre n'était qu'à quelques mètres de là et il put retrouver cette sécurité assez vite. Bill ignorait comment il avait pu atterrir si loin dans le couloir et pourquoi, c'était plutôt surprenant, et très inattendu venant de lui.
Une fois la porte refermée, Tom alla directement se poser au bord du lit, toujours aussi tremblant.
« Ça va aller ? » ; demanda le blond en venant s'asseoir près de lui. « Tu es sorti tout seul ? »
Son patient frotta lentement ses yeux de ses paumes de main, les y enfonçant comme pour effacer ce qu'il semblait ressasser. Pour toute réponse, il acquiesça brièvement et Bill chercha des questions qui ne paraîtraient pas trop intrusives.
« Qu'est-ce qui s'est passé ? » ; demanda-t-il à nouveau. Pour l'aider, il devait comprendre, et pour comprendre, il fallait que quelqu'un parle. Si ce n'était pas lui, ce serait Gabriel qu'il ne se gênerait pas de bombarder de questions.
« Je sais pas. » ; répondit finalement le jeune garçon. Sa voix sonnait un peu enrouée, et puis toujours aussi basse. S'il commençait peu à peu à s'ouvrir, sa peur de trop s'imposer ou de faire du bruit persistait.
« Ok, hum... et pourquoi tu es sorti de ta chambre ? » ; Tom lui accorda enfin son attention, son regard, et le médecin pouvait dire qu'il était toujours fébrile. Il ne répondit pas à voix haute, mais lui fit comprendre que c'était lui qu'il avait voulu voir, comme la fois précédente ! Bill plissa les yeux face à son regard insistant, prenant un peu de temps pour comprendre. La raison pour laquelle il faisait l'effort de sortir plutôt que de l'attendre en sachant qu'il venait quasiment tous les jours lui échappait. « Pourquoi ? » ; souffla-t-il prudemment.
« Pour être mieux. »
Oula. Pourquoi mieux ? Bill était tiraillé entre les tonnes de questions qu'il avait à lui poser et le fait de ne pas vouloir le brusquer.
« Parce que ça n'allait pas ? » ; le dreadé haussa lentement les épaules, alors Bill réfléchit à ce que ça pouvait être. Il commençait à bien le connaître, alors ce n'était pas si difficile. « T'as fait des cauchemars, c'est ça ? »
Tom baissa les yeux vers le sol, fronçant le nez à cette question. Sa réponse ne s'apparenta qu'à un vague -mhh- mais fut assez claire. Il faisait régulièrement des cauchemars. Ses souvenirs revenaient à la surface, précis, réalistes. Ça le foutait en l'air à chaque fois.
« Tu voulais m'en parler ? » ; il pencha la tête, cherchant à croiser à nouveau son regard. Tom avait cessé de trembler, mais il était toujours très nerveux.
« Non. » ; répondit faiblement le cadet. Il eut un soupir. « Je sais pas... »
Il était clair qu'il hésitait, ou alors qu'il ne savait pas s'il devait parler. Ou peut-être que c'était le choc qui lui faisait perdre ses moyens ?
Bill se remit à réfléchir. Il parlait toujours quand il s'y attendait le moins, alors forcer les choses maintenant ne servait à rien. Il se mordit l'intérieur des joues, agacé de ne pas pouvoir faire grand chose. Il tendit finalement l'une de ses deux mains, paume vers le haut. Tom dévia son regard vers elle, n'ayant pas l'air surpris par le geste. Il avait plus ou moins pris l'habitude de le toucher ainsi.
Bill ne le forçait jamais à parler, et heureusement, sinon Tom serait vraiment seul. Là, il l'était un peu moins. Bill ne le prenait pas pour un fou et essayait un minimum d'avoir l'air compréhensif, et il préférait ça. Il descendit alors sa propre main vers celle du blond, toucha d'abord sa paume, comme si c'était la première fois qu'il le touchait ou qu'il avait besoin de tâter le terrain. Évidemment, le médecin le laissa prendre son temps, attendant patiemment comme à son habitude. Il pensait surtout que Tom prenait son temps parce qu'il avait besoin de réapprivoiser la sensation du toucher à chaque fois. Il n'avait pas peur, mais il se posait des questions, il cogitait.
Après au moins une bonne minute à lui chatouiller la paume du bout des doigts, Tom attrapa enfin réellement sa main. Comme d'habitude, il emmêla leurs doigts, et puis joua, concentré.
« C'était qui ? » ; demanda-t-il d'un ton rauque. Bill fut surpris par la question. D'habitude c'était lui qui les posait.
« Qui ça ? »
« Cette fille. » ; enfin, fille était un grand mot. Elle ressemblait plutôt à un démon, mais Tom ne pouvait pas le dire.
« Oh ! Lucie ! » ; s'exclama le blond. « Elle n'est pas méchante, mais tu n'as pas eu de chance de tomber sur elle, elle est en pleine psychose. » ; le dreadé fronça le nez, il avait encore son visage dans la tête. « Je suis désolé si elle t'a fait peur... elle en est pas vraiment consciente. » ; pas consciente ? Et son rire ?! «Est-ce qu'elle t'a fait du mal ? »
Tom baissa les yeux vers son corps. Honnêtement, il ne se souvenait pas de ce qui s'était passé. Cette fille, Lucie, était très grande et costaud. Il savait qu'elle avait été brutale avec lui, mais dire ce qu'elle lui avait fait était impossible.
« Je sais pas. » ; Bill fronça les sourcils, jetant un oeil sur lui. Étant donné la veste qu'il portait, il ne pouvait rien voir. Il pensait d'ailleurs que Tom avait besoin d'autre chose que ces vêtements miteux.
« Tu me laisses regarder ? » ; demanda-t-il prudemment. Son patient haussa les épaules, alors Bill pencha la tête et écarta les côtés de sa veste pour pouvoir vérifier. Au niveau de son cou, il n'y y avait rien. Il vérifia ses épaules une par une, repoussant son tee-shirt pour pouvoir voir quelque chose. Tom se laissait faire, heureusement, et étonnamment. Le médecin mesurait ses gestes afin de ne pas le brusquer, il regardait sans trop s'attarder et sans le déshabiller aussi. Pour ses bras, il n'eut qu'à descendre sa veste, les découvrant et observant sa peau, jusqu'à ses poignets. D'ailleurs, ceux-ci étaient entourés de marques bleues-violettes, et cette fois Tom se braqua, remontant vivement la veste de ses bras à ses épaules et s'emmitouflant dedans. Bill fronça le nez, ennuyé. Qu'est-ce qui allait encore lui traverser l'esprit ? « Tom... » ; appela-t-il d'une voix à peine audible. Pourquoi avait-il l'impression que cette histoire allait déclencher quelque chose à nouveau ?
Il détailla ses traits, cherchant à quoi il pouvait bien penser. À cette fille ? Au passé ? Aux coups ? Tom se cachait à moitié dans sa veste trop grande pour lui et ça ne lui inspirait pas grand chose de bon.
« Je suis désolé. » ; souffla-t-il prudemment. « Elle n'aurait pas dû te faire du mal et tu n'aurais jamais dû te faire agresser en sortant d'ici. »
« Si. »
« Non ! » ; s'exclama le blond. Tom garda les yeux fixés sur quelque chose d'autre que lui, pensif.
« C'est normal. » ; comment ?
« Pourquoi tu te caches si tu trouves ça normal ? »
« Parce que c'est pas normal de se montrer. » ; Bill passa deux doigts entre ses yeux, sachant qu'il allait encore être agacé de ce qu'il allait lui dire.
« De montrer quoi ? Tes blessures ? » ; cette fois, le jeune homme acquiesça. « Pourquoi ? »
« Parce que ça se fait pas. »
« Est-ce que t'as peur qu'on recommence ? Si tu les montres ? » ; une réponse négative lui vint et Bill ne fut pas certain de comprendre. Il n'avait pas peur d'avoir mal, il n'avait pas peur qu'on le frappe, mais il avait bel et bien peur. Alors de quoi ? « La faiblesse ? T'as peur qu'on te croit faible ? Qu'on te descende encore ? » ; demanda-t-il à nouveau.
« Non. » ; en sachant qu'il se descendait lui-même, Bill n'était pas surpris. Encore une fois, se sous-estimer, se dénigrer était normal pour lui alors que ça n'avait pas lieu d'être.
« Alors pourquoi ça se fait pas de se montrer ? »
Enfin, Tom reposa son regard sur lui. Si lointain, et serein en même temps. C'était très bizarre.
« Je ne suis rien. Je ne mérite pas qu'on m'accorde de l'attention. »
« Tu penses que tu ne mérites pas qu'on s'occupe de toi si tu es blessé ? » ; il reçut un hochement de tête pour cette fois. Bill ravala un soupir. « Ok, mais moi je te porte de l'attention, je m'inquiète pour toi, et tu le sais. Pourquoi tu me rejettes pas ? »
Une nouvelle fois, Tom baissa les yeux. Aucune réponse ne vint. Est-ce qu'il ne la connaissait pas ? Ou il ne voulait pas la dire ?
« C'est pas un reproche tu sais, au contraire. » ; lui dit-il tout en lui reprenant la main. Il faufila ses doigts sous sa manche, touchant son poignet marqué. « Je suis content que tu le fasses. Tu as le droit de te montrer, je veux dire... je peux comprendre que tu te sentes mal à l'aise, mais ce qui n'est pas normal c'est de te frapper, de te faire te sentir mal. C'est pas toi qui ne l'est pas. »
Tom se laissa toucher, baissant les yeux vers la manche que son médecin remonta un peu afin de détailler les marques. Il les effleura du bout des doigts, pas très surpris que sa peau soit si marquée même si cette fille l'avait juste serré.
« Ça fait mal ? » ; comme Tom secoua la tête, il pensa qu'il aurait juste à lui mettre une crème.
Celui-ci leva les yeux vers lui, plongeant tout de suite dans les siens, s'y perdant sans prêter attention aux doigts enroulés autour de son poignet. Il y eut une, voire plusieurs longues minutes durant lesquelles ils se regardèrent dans le silence. Bill se demandait à quoi il pouvait bien penser. Techniquement, il n'avait rien d'anormal, outre cette éducation sordide et les séquelles que ça avait engendré. Il ne savait pas faire la part des choses parce que Bill lui apprenait le contraire de ce qu'on lui avait appris plus jeune et changer ça pouvait prendre du temps.
« Bon... je vais te chercher de la crème. » ; souffla le blond après un moment. Tom fronça le nez, le sentant s'échapper comme à chaque fois. Il le regarda se lever, le lâcher et s'éloigner, impuissant.
Bill lui fit un petit signe de main avant de passer la porte, filant chercher de quoi le soigner. Pour ses hématomes, il n'aurait besoin que d'une bonne pommade. Et heureusement !
En chemin, il croisa Gabriel et lui fit signe de venir sans s'arrêter.
« Suis-moi. Faut qu'on parle. »
Surpris, l'infirmier fronça les sourcils et le suivit sans protester. Bill avait l'air sérieux, plus que d'habitude en tout cas, alors c'était pas le moment de s'amuser.
« Qu'est-ce qui se passe ? »
« Qu'est-ce qu'elle lui a fait exactement ? » ; demanda le psychiatre tout en se dirigeant vers la petite pharmacie de l'hôpital.
« Il est sorti, il n'a rien eu le temps de voir qu'elle lui sautait dessus. Elle l'a attrapé tout de suite alors il s'est figé. » ; raconta son ami tout en y réfléchissant.
« Et ensuite ? »
« Elle s'est mis à crier, elle riait aussi, elle avait les mains sur ses joues et elle était tellement proche de lui que j'ai cru qu'il allait étouffer. » ; Bill jeta un coup d'oeil vers lui, puis s'arrêta pour fouiller dans les petits compartiments.
« Pourquoi ça a duré si longtemps ? » ; Gabriel fit la moue à cette question. Il était clair que ça avait duré trop longtemps. Dix fois trop. Trop pour Tom en tout cas. Il le savait et il n'avait pas agi assez vite.
« J'suis désolé... » ; l'androgyne haussa les sourcils, cherchant au milieu de tous les tubes.
« Il s'en remettra. » ; pas étonnant qu'il ait cessé de respirer si cette gamine avait envahi son espace vital.
« J'aurais dû réagir plus tôt. »
« C'est bon. On va jamais assez vite de toute façon ! » ; il trouva enfin ce qu'il cherchait et se tourna vers l'autre homme. « Il a eu peur, mais je pense que ça ira. Disons qu'il en a vu d'autres. »
Gabriel ne répondit pas vraiment, se sentant coupable d'avoir laissé cette scène se produire. Il observa distraitement le médecin noter quelque chose, tout en cherchant comment poser sa question.
« Je peux te demander un truc ? » ; Bill reposa curieusement les yeux sur lui et acquiesça. « Tu m'avais pas dit que tu étais aussi proche de lui. »
Le jeune médecin haussa un sourcil, sortant de la pièce avec l'autre homme, la fameuse pommade entre les mains.
« C'est pas une question. » ; Gabriel lui donna un coup de coude.
« Tu sais très bien ce que je veux dire. Il te laisse le toucher et être aussi proche, pourquoi tu m'as rien dit ? Ça fait combien de temps ? »
Oula. Même lui ne s'en souvenait pas. Quelques semaines, peut-être ? Lui prendre la main était une chose, mais l'avoir aussi proche en était une autre. C'était empiéter sur l'espace personnel de l'autre.
« Honnêtement, je m'en souviens pas. » ; répondit-il. Et puis il n'avait pas eu spécialement envie d'en parler.
« Alors tu fais des cachotteries ? » ; Bill lui lança un regard sombre.
« Ça me regarde. » ; gronda-t-il. Bien sûr, il savait qu'il pouvait faire confiance à Gabriel, mais il ne l'avait pas voulu, c'était tout.
« Techniquement, non. Ici c'est pas ta vie privée ! » ; il agrippa son avant-bras, tirant dessus pour réclamer. «Allez, raconte-moi un peu ! Je te promets que je dirais rien. » ; Bill leva les yeux au ciel, sachant qu'il ne le lâcherait pas.
« Tu as droit à trois questions. » ; marmonna-t-il. « Et dépêche-toi parce que je dois aller le revoir. »
« Ahah, je le savais ! » ; gazouilla joyeusement son ami. « Hum... Est-ce qu'il te touche lui ? » ; Bill jeta un regard vers lui alors qu'ils traversaient les couloirs. Cette question lui semblait avoir un double sens.
« Pas vraiment. Me toucher les mains n'a pas l'air de le déranger, et si je le tire vers moi il ne refuse pas, mais il ne me touche pas et il ne se colle pas, il pose juste sa tête. »
« Il laisse un écart entre vous ? »
« Oui. »
« Et tu crois qu'il arrêtera un jour ? » ; ça, il ne pouvait pas en être sûr. Si Tom refusait, il ne forcerait jamais les choses.
« J'en sais rien. Peut-être... il a encore en tête qu'on le touche pour le frapper et qu'il ne mérite pas l'attention. J'essaie de lui faire comprendre que c'est faux, mais si ça le met mal à l'aise, on peut rien faire.»
« Bien sûr que si ! » ; s'exclama son ami. « Toi tu peux, j'en suis sûr. Peut-être que toi tu le vois pas, mais moi je l'ai vu se rapprocher de toi et se calmer grâce à toi. Et puis la façon dont il colle son front à toi, je trouve ça vachement intime, même si ça en a pas l'air. »
Le psychiatre haussa une épaule. Non, il ne voyait pas de quoi ça avait l'air, mais il était de toute façon toujours surpris du contact.
« Ma priorité c'est qu'il aille mieux, pas qu'il devienne un bisounours. Alors s'il refuse de me toucher, c'est pas si grave. » ; son collègue fit la moue, lui, ça l'amusait et il trouvait cette petite évolution importante.
« Ok mais tu sais aussi bien que moi qu'il a justement besoin de douceur pour sortir de sa coquille. »
Bill se mordit l'intérieur des joues sans répondre. Entre les distances qu'il était censé prendre vis-à-vis de son boulot et Gabriel qui le poussait, au contraire, à s'en rapprocher, il était perdu.
Finalement, ils arrivèrent devant la 248 et Bill interrogea son ami du regard en voyant qu'il le suivait.
« Quoi ? Je voudrais lui parler. » ; se justifia l'infirmier face à son regard insistant.
« Maintenant ? »
« Oui, pourquoi ? Je te dérange ? » ; le blond haussa les épaules et ouvrit, ignorant le sourire amusé de l'autre homme. « Hey Tom ! » ; s'exclama-t-il en entrant. Le dreadé leva les yeux en l'entendant, visiblement surpris. Bill hésita à retourner à sa place, jetant plutôt un coup d'oeil au fauteuil qui trônait un peu plus loin. « Tu te sens mieux ? Je voulais te dire que j'étais désolé, j'aurais dû réagir beaucoup plus vite. » ; confia le jeune infirmier sous le regard confus de leur patient. Très peu habitué à ce qu'on s'excuse auprès de lui, il ne savait même pas pourquoi Gabriel le faisait. Il ne comprenait pas et le faisait savoir rien qu'avec les yeux. « Si j'avais bougé plus tôt elle n'aurait jamais eu tout ce temps. »
Malgré ses quelques bribes de visions effrayantes, Tom ne se souvenait même pas de ce qui lui était arrivé. Il avait été trop à l'ouest, trop enfoncé dans sa peur. Et peut-être que ça l'avait aidé au final.
« C'est rien. »
Bill fronça le nez en entendant sa voix basse. C'était la première fois qu'il l'entendait parler à quelqu'un d'autre et c'était très bizarre. Gabriel avança jusqu'à aller se poser au bord du lit, à ses côtés.
« Je suis désolé quand même. » ; le jeune dreadé tourna la tête et leva les yeux vers lui sous le regard curieux de son médecin. Cette fois, il ne répondit pas, gardant seulement les yeux sur l'infirmier durant quelques secondes. Ça ne dura pas, mais c'était la première fois que Bill voyait ça et il croisa les bras contre son torse lorsque Gabriel lança un sourire amusé vers lui. « Bien ! Je vais vous laisser. Je voulais juste m'assurer que tu allais bien. »
Pour appuyer ses dires, il se releva, fit un petit signe de main à son ami comme pour lui dire qu'il lui laissait sa place et disparut très vite. Bill fronça les sourcils, sentant son ventre se contracter sans raison. Il se reprit très vite et avança finalement vers le dreadé qui le fixait. Il déboucha le tube de crème, puis baissa directement les yeux vers le poignet droit du jeune homme, qu'il attrapa prudemment, écartant la manche de sa veste afin d'y déposer une noisette de pommade. Alors que Tom le regardait, lui garda les yeux fixés sur ce qu'il faisait. Ne comprenant pas pourquoi il avait l'air de l'ignorer, le jeune dreadé plissa les yeux, puis les baissa à son tour, confus. Qu'est-ce qui s'était passé en l'espace de cinq minutes ?
« Voilà, ça devrait aller. » ; souffla le blond après un moment. Tom s'empressa de cacher ses mains dans les manches trop grandes de sa veste, se recroquevillant naturellement à l'intérieur du vêtement. « Ana t'en remettra tout à l'heure si c'est toujours aussi foncé. »
Vu la façon dont il parlait, Tom sut qu'il allait partir après ça. Il s'était renfermé, il agissait sans le voir, et ça arrivait de plus en plus souvent. Le dreadé ne comprenait pas pourquoi, peut-être à part le fait qu'il en ait sûrement marre de lui.
Comme il eut peur de s'imposer, il ne dit rien lorsque son médecin lui annonça qu'il partait, et se laissa seulement basculer sur le côté, contre son oreiller, lorsque celui-ci se dirigea vers la porte. Franchement, il détestait ces moments. Il ne savait pas ce qui se passait et cette incertitude lui pesait. À cet instant, il désirait juste se nicher au fin fond de la couette et se faire oublier, comme à chaque fois, et même un peu plus. Le problème, c'était que même caché sous ses couvertures et replié sur lui-même dans un coin du lit, on le retrouverait très vite. C'était stupide. C'était du grand n'importe quoi. Pourquoi avait-il de telles idées ?
À suivre...
