Chapitre 1

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Wisconsin, Etats-Unis, 10 ans plus tard ... 


                         Je ne suis pas du genre à me plaindre. Non, vraiment. Bien des adjectifs peuvent me qualifier, mais on ne peut pas dire que je passe mon temps à pleurnicher. Mon truc, c'est plutôt l'ironie voire le cynisme. L'humour pourri si vous préférez. C'est un mécanisme de défense que j'ai acquis au cours des années. En conclusion si vous venez pleurer dans mon giron, attendez vous à une bonne remarque épicée plutôt qu'à un gros câlin. Je hais les pleurnichards. Ils me mettent mal à l'aise. Et pourtant, ce soir, j'étais à deux doigts d'en faire partie. Le verre en face de moi ne vous aurait pas soutenu le contraire. 

Comment j'en étais arrivée là, à regarder avec des yeux de chien battus un verre dans un bar minable ? A m'imaginer me noyer avec ? Longue histoire.


          Dire que j'avais passé une mauvaise journée était un euphémisme. Tout avait commencé avec ma voiture qui avait refusé de démarrer. Une voiture achetée la semaine d'avant, d'occasion. J'étais donc descendue en courant pour prendre un taxi, qui m'avait superbement ignorée et était parti en m'éclaboussant avec une flaque d'eau. Ce qui n'arrive qu'au cinéma normalement, on est d'accord. 

Autant dire que j'étais arrivée en retard dans la boutique de souvenirs et bibelots dans laquelle je travaillais, un petit boulot que j'avais enfin trouvé cette semaine-là. Le salaire ne payait pas de mines mais restait correct. Je devais juste bien accueillir les clients, baragouiner deux trois mots en langue étrangère si besoin, les inciter fortement -encore un euphémisme- à l'achat à coup de « oh mais vous ne voulez pas aussi une figurine qui danse sur place quand on la met au soleil ? Elle tient même un petit drapeau ! » et ne jamais me départir de mon sourire. A force, j'avais peur de rester figée dans ce sourire niais et archi-faux que je réservais aux clients. 

Le seul vrai point négatif, c'était cette obligation ridicule de se déguiser lors des fêtes. Mais j'étais tellement désespérée de trouver un travail que j'avais accepté. Quitte à me retrouver en schtroumph à Halloween ou en lutin de noël en décembre. J'avais bien trop besoin d'argent pour faire la difficile.

Ma journée donc, commençait plutôt mal. Et me voyant arriver avec vingt et une minutes de retard, dégoulinant sur la moquette verte qui orne le sol de sa magnifique boutique -notez bien l'ironie-, mon patron n'avait pas résisté à l'envie de me le faire remarquer. Je dois dire que le fait d'être quasiment chauve et myope alors qu'il a à peine quarante ans doit être la cause d'un mal-être profond qu'il cache derrière une capacité excessive à se rendre agréable -ironie encore une fois- avec ses employés. 

Pendant tout le temps qu'avait duré ma remontrance, soit dix-sept minutes exactement, je m'étais retenue de lui balancer ses quatre vérités en chantant l'hymne national dans ma tête. Et croyez-moi, dix-sept minutes c'est long. Très long.

          Ainsi donc j'avais passé la journée à m'ennuyer en ce mois d'octobre, peu propice au tourisme. Les seuls clients que j'avais eus étaient des chinois avec qui il m'était impossible de dialoguer. Et pourtant ce n'était pas faute d'avoir essayé. Ils étaient finalement sortis de la boutique sans rien acheter et Mr. Burton m'avait reproché de les avoir fait fuir. 

Vingt-six minutes de remontrances cette fois ci. Sa capacité à enchaîner les phrases de reproche sans respirer m'avait impressionnée. Cette fois ci, j'avais repassé mes tables de multiplication.


          Quand je pensais qu'enfin cette maudite journée allait se terminer, j'étais sortie et avais décidé de rentrer à pied. C'était sans compter le déluge qui était tombé à mi-chemin et m'avait fait ressembler à un chien mouillé pour la deuxième fois de la journée. J'étais rentrée chez moi dépitée, et face à mon minuscule appartement aux murs défraîchis j'avais failli me mettre à pleurer. J'avais le mal du pays.

Impossible de rester chez moi. Ceci expliquant enfin pourquoi je me retrouvais face à un verre de bourbon commandé à la hâte, un vendredi soir. C'est idiot d'ailleurs, étant donné que je n'aime pas ça. Mais plongeant à pieds joints dans le mélodrame, j'avais décidé d'user les clichés jusqu'au bout. Et je dois dire que cela ne m'avait guère réussi jusqu'à présent.


                    Le barman, un grand gaillard à la barbe blonde, passa pour la troisième fois devant moi. C'était tout à fait le stéréotype du viking un peu revêche. Mais pas sexy dans le genre de Thor malheureusement.

-Tu comptes le boire ton verre ?

Je levai les yeux au ciel, agacée.

-Puisque je te dit que oui ! Je l'ai payé, non ? Alors qu'est-ce que ça peut te faire que je mette trois heures à le boire ?!

Il repartit, vexé, essuyer ses verres. Je n'en éprouvai de la satisfaction que quelques instants. Mon ventre se retordit très vite et mon envie de pleurer ressurgit presque immédiatement. Je n'imaginai pas que ma journée puisse être pire. « Demain sera mieux » je songeai. 

Ouais, c'est ça. Et il neigeait en enfer. 

Je soupirai un grand coup avant de boire une gorgée du liquide ambré. Liquide que je recrachai presque d'ailleurs. Qu'est-ce qui m'avait pris de commander ça ?

-Je ne boirai certainement pas ce truc, je marmonnai.

Je me levai finalement du tabouret et glissai un billet au passage. J'avais beau être une chieuse, je n'étais pas inhumaine. Je sortis sans un regard pour le peu de clients présents et affrontai l'extérieur. Le froid me glaça instantanément. Je frissonnai et resserrai mes bras autour de moi. Mes yeux s'habituèrent lentement à la faible lumière du lampadaire qui éclairait maladroitement la rue. Je me mis en marche sans tarder, pressée de rentrer. 

J'empruntai une ruelle mal éclairée, petit raccourci pour gagner mon appartement. Très vite un bruit m'interpella et je me tins sur mes gardes. Ce bruit était presque ... régulier. Comme si quelqu'un frappait dans un sac de sable encore et encore. Mais un sac de sable qui geignait par moments.

-Alors gamin ? Tu ne dis plus rien ? Tu es déjà mort ?

Un frisson me parcourut la colonne vertébrale quand je compris enfin. C'était bien ma veine ! Voilà que je me retrouvais au milieu d'une bagarre ! 

Ne pas faire de bruit. Ne pas se faire repérer. 

Je commençai à reculer légèrement pour aller chercher de l'aide quand une main se plaqua sur ma bouche et qu'une autre me ceintura la taille.

Trop tard. 

**********

J'ai décidé de modifier un peu et de couper les premiers chapitres pour que ce soit un peu plus digeste. Donc voilà pour le moment :) 

Sang de loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant