Bonus n°9 : Mike - Les bons mots

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                         Les mots avaient un pouvoir. Mike en était convaincu. Chaque personne avait une façon différente de les prononcer, il l'avait remarqué. Suivant la voix, l'humeur, le mot en question ... Chaque mot était unique. Et il y avait des milliers de manières de les prononcer. Ils pouvaient rendre heureux, montrer de l'amour, et blesser aussi.

En un sens, il était bien content de ne pas être concerné par le problème. Le choix des mots était bien trop important, pouvait avoir bien trop de conséquences. Et il préférait, de loin, ne pas avoir à les assumer.


          Il était né muet. Il n'avait jamais prononcé un mot, au grand damn de ses parents. N'avait jamais rien connu d'autre. Mais dès l'enfance il avait compris que quelque chose clochait chez lui. Qu'il était différent. Et c'était quelque chose de le dire chez les loups-garous.

Les autres n'avaient pas été méchants avec lui. Loin de là. Ils avaient peut-être même été trop gentils. Ils avaient pris grand soin à lui apprendre à lire et à écrire, à toujours avoir de quoi communiquer sous la main. Très tôt, en plus du goûter, il avait déjà du papier et un crayon dans son cartable.

« Pour que tu puisses t'exprimer » lui avait-on dit.

Et les mots ... C'était avec ces gens-là qu'il avait appris que les mots pouvaient être différents : ils lui parlaient tous d'une façon différente. Une note de musique entre la pitié et l'hésitation. Sans compter ceux qui parlaient plus fort.


          Très tôt, il avait détesté les mots. Il avait détesté ne pas pouvoir les dire et encore plus les entendre dans la bouche des autres. Il avait détesté être différent. Il ne demandait pas la voix de Rambo. Non, tout ce qu'il voulait, c'était être comme les autres.

Il avait aussi détesté le papier et le crayon. Parce qu'ils n'allaient jamais aussi vite que sa pensée. Parce qu'ils mettaient au propre son handicap.

Il aurait voulu crier à ceux qui parlaient plus fort qu'il n'était pas sourd ou, à défaut, leur écrire d'aller se faire foutre. Mais ce n'était pas des mots qu'on inscrivait sur le papier. Non, les mots qu'on prend le temps d'écrire doivent valoir la peine.

Puis, il l'avait accepté. Il s'était dit qu'il aurait pu être sourd en plus. Et jusqu'à preuve du contraire, il avait deux bras, deux jambes et des organes en parfait état de marche. Il était capable de se transformer, n'allait pas mourir sous peu. Ça aurait pu être pire.

Il n'aurait pas été jusqu'à dire qu'on lui avait rendu service. Mais au moins il ne devait pas se forcer à trouver les mots adéquats, ou politiquement corrects. Il n'avait pas besoin de mentir ou de faire du baratin. On ne lui en demandait pas tant. Il pouvait même faire dériver ses pensées sans que son interlocuteur ne s'en rende compte.

Il avait laissé tomber le cahier et le crayon. Ses proches avaient appris le langage des signes ce qui, il fallait l'avouer, lui avait fait plaisir. Mais il préférait s'en passer.

Il n'aimait pas communiquer, alors ça lui allait très bien comme ça. On le laissait tranquille. Il était libre de mener sa vie, seul. Il s'était littéralement muré dans le silence, en avait fait une carapace.

Il s'en accommodait très bien, traçant sa route pendant toute son adolescence. Le seul moment où il le regrettait, c'était lors de ses transformations. Il était tout à fait capable de communiquer avec ses congénères, via l'espèce d'échanges d'images ou d'émotions qui pouvait avoir lieu au sein d'une meute sous forme lupine. Mais, mystère génétique, il était incapable de hurler à la lune comme les autres. Et dans ces moments-là sa cage thoracique le comprimait un peu trop. Parce qu'il se sentait vraiment à part.

Sang de loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant