Chapitre 3

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               -Dix sept dollars la figurine ?! Mais c'est du vol !

Je respirai un grand coup et luttai pour garder mon sourire crispé n°5 devant ce client exigent. Exigent n'était certes pas le mot qui conviendrait le mieux pour décrire le fond de ma pensée, mais je tentai de modérer tout mon être. Ce n'était certainement pas la première fois ni la dernière qu'un client tentait de négocier le prix comme s'il s'agissait d'une brocante. Mais personnellement mes consignes étaient claires. Un, conseiller le client. Deux, rester polie avec lui quelle que soit la situation. Traduction : même s'il s'agissait d'un connard de première. Trois : toujours garder le sourire. Et quatre : ne jamais, au grand jamais, contredire le client. Juste détourner son attention sur un autre objet. En somme, le client pense être roi mais on le pigeonne.

-Eh bien monsieur, puisque cet article ne semble pas vous convenir puis-je vous suggérer cette magnifique théière à l'effigie de Barack Obama ?

-Non mais vous m'écoutez quand je vous parle ! Je vous parle de cet objet, qui est clairement hors de prix !

Zeeeen. Contrôle-toi. Je détournai mon regard vers ladite figurine en question, qui se révéla représenter Homer Simpson. Un choix qui reflétait le fort mauvais goût du casse-pied en face de moi, si vous voulez mon avis. Qui achèterait un objet du genre ? Je supportai pendant plusieurs minutes les plaintes du client avant de jeter un coup d'oeil vers ma montre, coup d'oeil qui ne lui échappa malheureusement pas.

-Dites-moi si je vous dérange !

Je levai un sourcil avant de me mettre à sourire, un vrai cette fois.

-A vrai dire, oui. Et ça va être l'heure de ma pause déjeuner. Comme vous n'avez pas l'air convaincu par le prix je vous invite à sortir et à y réfléchir avant de savoir si vous voulez vraiment faire cet investissement ou non. Si vous permettez.

J'enfilai mon manteau et déplaçai la pancarte « open » avant d'ouvrir la porte en grand et de l'inviter à sortir. Il resta quelques instants sans voix avant de comprendre que j'étais sérieuse et, posant rageusement la figurine au passage, il sortit d'un pas furieux en s'époumonant. « C'est un honte, un scandale ! ». C'était un scandale que des gens comme lui existent, oui !

Je poussai un soupir de soulagement avant de sortir à mon tour, sans oublier de fermer la boutique. J'avais profité du jour de congé de Mr Burton pour me débarrasser de ce client, chose qu'il m'aurait été impossible de faire s'il avait été présent. Et il n'y avait pas à dire, je me sentais mieux ! Enfin jusqu'à ce que je me rende compte qu'il pleuvait des cordes. J'ouvris tant bien que mal mon parapluie décoré d'un charmant « I love Wisconsin » et bravai la tempête pour aller m'acheter un repas chaud.

Je rêvais d'un bon hot-dog quand le vent faillit faire s'envoler mon parapluie. Je jurai furieusement et repris ma marche quand je me rendis compte que quelque chose n'allait pas. J'avais une sensation étrange. Celle d'être observée.

Respire. Ce n'est sûrement qu'une impression.

Du coin de l'oeil j'aperçus une silhouette d'homme qui me fixait de l'autre côté de la rue. Puis une autre un peu plus loin. Et encore une autre. Une légère anxiété me saisit à l'idée que ces hommes puissent être à ma recherche. Je tentais de me rassurer en songeant que je m'imaginais certainement des choses. Mais rien à faire, l'impression qu'ils m'en voulaient personnellement me collait à la peau.

Je poursuivis mon chemin le plus calmement possible tout en jetant des coups d'oeil aux vitrines alentours. La plupart étaient fermées lors de la pause déjeuner et je ne pouvais pas espérer y trouver refuge. La panique me gagnait, montait sinueusement le long de mon dos et je frissonnais presque. Lorsqu'une main m'agrippa au détour d'une rue je voulus émettre un cri mais pas le moindre son ne sortit. Car la poigne qui m'avait saisie n'était pas celle d'un adulte mais plutôt d'un enfant. Je reconnus sous la capuche les traits du gamin de l'autre soir. Un son étranglé que je ne reconnus pas sortit de ma propre gorge.

-Toi ?

-Chut ! Dépêche, on se casse !

Il m'agrippa alors le bras plus fort et se mit à courir. Et honnêtement, je n'émis pas la moindre protestation. J'avais le souffle court et les poumons en feu quand nous nous arrêtâmes enfin. Il stoppa net derrière une benne à ordures et inspecta les alentours avec précaution. Il n'avait pas l'air le moins du monde fatigué et ne m'accorda pas un regard tandis que je tentais de reprendre mon souffle en agonisant presque. Il avait cependant gardé sa main sur mon poignet et seul ce contact humain m'empêchait de perdre pied.

-Je pense que la voie est libre, finit-il par dire.

Il m'aida à me relever et s'approcha d'un véhicule noir un peu ancien garé un peu plus loin dans la rue. Il plaqua ses mains contre la vitre pour voir à l'intérieur. Se relevant finalement, il me demanda :

-Tu sais conduire ?

Je ne répondis pas, troublée. Mon coeur battait bien plus vite que de raison. Mon souffle devenait plus régulier mais mes oreilles bourdonnaient. J'étais en état de choc. La voix du gamin me sortit de ma torpeur lorsqu'il réitéra sa question.

-Oui, pourquoi ?

-Parce que moi pas.

Et sous mes yeux ébahis il ouvrit la portière. Il actionna les levier du capot et observa les différents fils et réservoirs. Mon ironie revint à grands pas, seule barrière contre la folie qui m'entourait.

-Et tu comptes faire quoi maintenant ? Couper des fils et en lier d'autres ensemble pour faire démarrer le moteur ? Ça ne marche que dans les f...

La fin de ma phrase et le ricanement qui suivait se perdirent dans ma gorge. Mon dieu, mais qui était ce gosse ? Et qui lui avait appris à faire ça ?

Il eut un sourire satisfait avant de refermer le capot et de s'installer sur le siège passager. Voyant que je restai complètement paralysée, il m'apostropha :

-Eh, tu viens ? On ne devrait pas rester traîner dans le coin. Ils pourraient revenir.

Sa voix me ramena encore une fois à la réalité et je m'exécutai mécaniquement. Mon cerveau était en mode « erreur 404 » et n'était pas près d'en sortir.

Sang de loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant