Ethan : Le repas

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J'ouvre la porte de chez moi et Kate entre. Elle regarde partout autour d'elle avec des yeux émerveillés. Je dois avouer que ça me fait bizarre de rentrer chez moi après ce qui s'est passé auparavant. J'ai l'impression... Comment dire ? J'ai l'impression de ne plus être un meuble, de ne plus appartenir à mes parents comme leur canapé ou leur télévision. Je me sens libre. Pour la première fois, j'entre chez moi libre. Ça peut paraître bizarre, dit comme ça, mais je n'en reviens toujours pas.

- On est là !, je lance.

Ma mère se précipite dans l'entrée pour accueillir Kate comme une princesse. C'est étrange de la voir penser à quelqu'un d'autre qu'à elle-même. Ma mère est égocentrique et agit uniquement dans son propre intérêt, j'ai pu le constater si souvent... Kate est intimidée, et elle est magnifique quand elle rougit. Elle me jette un regard confiant, comme si elle était parfaitement à sa place dans ce déluge d'attention que ma mère lui prodigue. Autant l'avouer, je me suis inquiété pour rien.
Ma mère est particulièrement bien habillée pour un déjeuner informel. Elle a mis un haut fluide crème, un blazer blanc, un jean slim noir et des escarpins Louboutin, bien évidemment. Ce modèle n'est pas banal, elle en a parlé tout le temps quand il est sorti. Il s'appelle So Kate Vernis. Ma mère a un sens de l'humour bien à elle... Elle​ a complété sa tenue avec des boucles d'oreille en or en forme d'anneaux et une fine montre en argent, et a laissé détachés ses cheveux blonds. Elle a sorti le grand jeu. Je déteste quand ma mère fait étalage de son argent par son style vestimentaire sophistiqué. Elle l'accueille néanmoins chaleureusement.

- Appelle-moi Laëticia, lui propose-t-elle.

Kate acquiesce. Voilà. C'est elle, ma mère. Laëticia Langlois, et des fois je m'en veux d'être son fils, tant sa célébrité est grande. On rentre dans le salon, où trônent les luxueux canapés dont ma mère se vante souvent. Une grande télévision très moderne couvre un mur entier et des sculptures et des tableaux sont disposés ici et là dans l'appartement. Il y en a même de Marc. Mon père lui achète parfois quelques toiles, pour mon plus grand plaisir. La table est dressée. Verres à pied, chemin de table, couverts de chez Tiffany, un ramassis de luxe. Je commence à me demander pourquoi mes parents ont fait ça. Pourquoi ont-ils, en quelques heures, changé leurs plans ? Pourquoi avoir transformé un dîner de famille en déballage de luxe, de raffinement et d'étrangeté ? À quoi ils jouent ?
Nous nous asseyons sur les canapés et mon père sort de la cuisine pour saluer Kate. Elle se lève et lui fait la bise, totalement décontractée. À la façon dont se comporte mon père, je sais déjà ce qu'il a cuisiné. En entrée, des verrines à l'avocat, au saumon fumé et au yaourt à la grecque. Puis, un steak à cheval accompagné de pommes de terre rissolées. En dessert, un Tiramisu au café, la spécialité du chef Gaspard Langlois. Je sais déjà que Kate va adorer, qu'elle félicitera mon père, qui la remerciera modestement, comme le chef cinq fois étoilé qu'il est au Ritz. On passe à table, et mon père apporte les entrées. Pour l'instant, je ne me suis pas trompé. Quatre verrines sont posées sur le plateau. J'aime toujours autant la cuisine de mon père. Ce qui me sidère, c'est son talent pour dresser les plats. Ils donnent envie, et je dois me retenir pour ne pas me jeter sur ma verrine. Mon père nous regarde entamer l'entrée avant de commencer la sienne. Il lit sur les visages ce que chacun d'entre nous pense. J'apprécie énormément les plats de mon père, ma mère doit se féliciter de l'avoir épouser, comme en témoigne sa mine réjouie. Non, le plus étonnant vient de Kate. Elle prend le temps de goûter séparément le saumon fumé, le yaourt à la grecque et l'avocat, et de faire des mélanges. Quel aliment va le mieux avec lequel ?, doit-elle se demander. On sent à son expression concentrée qu'elle a une certaine expérience en matière de gastronomie. Mon père est surpris.

- C'est délicieux, déclare Kate. J'aime beaucoup l'avocat, son goût va vraiment bien avec le saumon fumé et la douceur du yaourt à la grecque.

- Merci, c'est gentil, répond mon père.

- J'avais déjà mangé un de vos plats au Ritz, et je suis contente de pouvoir mettre un visage sur une façon de cuisiner. Vous avez, comment définirais-je ça... Vos plats sont tous différents, mais on y retrouve toujours votre marque de fabrique, votre façon de faire propre à vous.

Mes parents sont bluffés. Moi aussi. Je ne savais pas que Kate avait un sens gustatif aussi développé et extraordinaire. Mon père reprend la parole, des trémolos dans la voix.

- Dis-moi, Kate, quel métier veux-tu exercer plus tard ?

- J'aimerais bien être critique gastronomique, c'est un domaine qui m'intéresse particulièrement.

- Tu iras loin, continue-t-il. Si ça t'intéresse, je peux te faire rencontrer des personnes qui pourront t'aider à y parvenir. Tu as des capacités incroyables, et tu peux réussir dans le métier.

- Je suis confuse, je ne veux pas vous embêter.

- Tu ne m'embêtes pas, au contraire. C'est rare de voir des gens qui ont déjà autant de perception gustative si jeunes. Je suis sûr que ça te plaira, conclut-il.

Je crois qu'on a la totale : ma mère regarde Kate comme un modèle collector de Louboutin et mon père l'a déjà prise sous son aile. Finalement, ça ne se passe pas si mal que ça. Passons aux choses sérieuses : au plat principal.

 Passons aux choses sérieuses : au plat principal

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