Ethan : Retour à la réalité

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B, je sais que tu ne connaîtras jamais cette histoire. Pourtant, ce chapitre est pour toi. Toi qui veux tellement "atteindre des sommets", n'oublie pas d'ouvrir les yeux : je serai là.

Je suis retourné dans la maison des parents de Kate à pied. J'avais besoin de réfléchir, de faire le vide dans ma tête. J'ai fait un détour par la plage. Je me suis assis sur un rocher, j'ai sorti mon carnet à dessins, un crayon, et je me suis mis à dessiner tout ce qui me passait par la tête, comme une espèce d'écriture automatique. Essayez, ça revient moins cher qu'un psy. J'ai dessiné des paysages, et des visages aussi. Il y a un visage qui revenait souvent, tellement ancré dans ma mémoire ces derniers temps. Je me suis rendu compte que je prenais énormément de temps à dessiner ses yeux, mais à chaque fois il manquait quelque chose. Je n'arrivais pas à cerner cette chose qui manquait. Je n'arrivais pas à comprendre Kate.

La scène de mon départ repassait en boucle dans ma tête. Je tentais d'analyser chaque réaction de Kate, de voir ce que j'aurais pu dire ou faire de mieux, je revoyais Apolline derrière le bow window, je revoyais Kate qui pleurait, qui me repoussait, et je me disais que je n'aurais jamais voulu que ça se passe aussi mal.

Je m'en veux, Kate, de m'être senti si mal à un moment où tu te sentais si bien, entourée et chérie. Je m'en veux énormément, mais je ne peux pas contrôler ce que je ressens, parce que je l'ai trop fait. Étouffez vos sentiments en public pour qu'ils vous reviennent peu après en plein visage. Et surtout, surtout, n'oubliez pas votre veste de costume et rajustez cette mèche de cheveux rebelle qui vous revient sur les yeux, je vous en prie, c'est insupportable ! J'ai une vie très facile, je le reconnais, mais tellement contraignante ! Où sont l'imprévu, la joie et la surprise dans cette vie ? Les gens se marient-ils plus souvent par intérêt ou par amour ?

Je me souviens, maintenant, de ce que je voulais faire avant de connaître Kate. Je dessinais dans les marges de mes cahiers, mon agenda débordait de couleurs et de personnages, mes portraits-qui-embellissent s'amélioraient, je commençais les natures mortes et les paysages, et je voulais "atteindre des sommets". Je ne voulais pas être le nouveau Picasso, non, je voulais être mieux. Je voulais que lorsqu'on prononce mon nom, il suscite tant d'admiration et d'amour que j'en serais troublé.

Là, je suis redescendu sur Terre.

Kate n'a pas une vie particulièrement facile et heureuse, mais ce n'est pas pour ça que je suis parti. Elle le sait, je crois. Enfin, j'espère. Ma propre hésitation me fait peur. Et tout d'un coup je me dis que je dois partir d'ici le plus vite possible. J'ai besoin de retourner chez moi, de revoir mes parents, de retrouver Marc et mon univers si particulier, de revenir Place du Tertre à Montmartre et de réfléchir. Kate et ses problèmes me font redescendre sur Terre.

Je quitte la plage assez rapidement, après avoir fait assez de croquis pour envahir les murs de ma chambre. Je repasse dans les rues qui s'animent joyeusement, et je retrouve vite la maison des parents de Kate. La clé est sous le tapis, même si ici, personne n'a le cœur à fermer sa porte à clé. Quand on a la chance d'avoir la plage à côté de chez soi, on vit dehors.

Je fais le moins de bruit possible : je ne suis pas chez moi et je ne tiens pas à laisser de mauvais souvenirs à Kate. Je retourne dans la chambre, notre chambre. Mes vêtements sont dans le dressing à côté, près des vêtements de Kate. Son parfum perdure dans la pièce, c'est sa présence à lui seul. Ne pas inspirer, surtout pas. Trop tard. Je prends ma valise et je commence à la remplir : c'est vite fait, je n'ai pas emporté beaucoup de vêtements.

Avec mon portable, je réserve un billet de train qui arrive dans deux heures. Autant y aller tout de suite, sinon je ne parviendrai jamais à repartir. Ce sont comme des adieux sans personne en face, seulement une maison, et c'est bien pire. Où que j'aille, dans n'importe quelle pièce, il y a des photos. Beaucoup de photos. Beaucoup de souvenirs. Ceux d'une famille qui a disparu et qui ne reviendra pas repasser de vacances à Granville. Certains sont émouvants, d'autres touchants ou drôles. Tous ont un goût amer.

Décidément, il faut que je parte.

Je traîne ma valise derrière moi, mon manteau sur le dos, et je ferme la porte à clé. Je ferme la porte sur Kate, métaphoriquement. Je marche jusqu'à un café près de la gare, où je commande un sandwich et un café, avant d'entrer dans la gare. Au moment de monter dans mon train, j'aperçois un couple qui se sépare. C'est la jeune femme qui s'en va. Le couple s'étreint et s'embrasse passionnément. Malgré moi, je pense à celle qui me manque. Elle pourrait être là... Non, je rectifie. C'est moi qui pourrait ne pas être là. Mais bon, c'est ça la liberté : faire des choix et en assumer les conséquences. Alors j'encaisse ce manque en moi.

Arrivé Gare Montparnasse, c'est encore pire. Il y a deux jours, je me tenais là avec Kate et ma mère, près à me lancer pour ce weekend plein de promesses. Je ne contrôle pas le temps, il ne me reste que le présent. Maintenant, il faut tourner la page et avancer.

Je prends le métro pour rentrer chez moi. Ça me fait drôle de revoir des Parisiens, stressés, pressés et malpolis. Après tout, j'en suis un.

J'imagine Kate avec Apolline, Esther et sa famille et je me dis qu'elle est bien entourée, qu'elle est au bon endroit. Moi aussi je me rends dans un endroit où j'espère me sentir mieux, si c'est possible, et retrouver ma place : chez moi. J'espère seulement qu'elle ne regrette rien.

 J'espère seulement qu'elle ne regrette rien

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