Kate

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En général, j'aime le mercredi. Mais pas celui-là. Je ne sais pas pourquoi, je ne le sens pas. Tant pis. Il faut bien que j'aille en cours. Je prends le bus pour aller au lycée, puis les heures s'enchaînent sans catastrophe.

Alors je sors du lycée. J'ai prévu de manger à Montmartre avec Thomas, mon copain.

Quand j'arrive au restaurant et que je le vois, il a l'air bizarre. Il ne m'embrasse pas. Il me dit de m'asseoir et de l'écouter. C'est tellement bizarre, tellement étrange, tellement inhabituel que j'obéis sans discuter.

"J'ai quelque chose à te dire et ça ne va pas te plaire. En fait, ça fait quelque temps que j'y pense. Je pense que, en fait, toi et moi, c'est pas vraiment une bonne idée. Je crois qu'on est allés​ trop vite. Ça ne fait que trois mois qu'on sort ensemble, mais je trouve que ça va trop vite. Ça me fait peur, et je pense qu'on devrait arrêter, tout arrêter, et même arrêter de se voir pendant quelques temps. Qu'est-ce que tu en penses ?"

Je suis trop surprise, trop sidérée, trop effarée pour réfléchir normalement. Je me lève, je le gifle et je pars. Je vais détester les mercredis, maintenant.
Je ne sais pas ce que je fais. Je marche dans la ville, dans toutes les places et dans toutes les rues. Je marche sans m'arrêter, et je laisse mes pensées défiler. Qu'est-ce que j'ai bien pu faire de mal pour que Thomas me quitte aussi brutalement ? Est-ce que j'ai été trop possessive ? Trop amoureuse ? Trop banale ? Thomas m'a-t-il jamais aimée ?
Mon portable sonne : c'est Thomas. Je regarde, tremblante, l'écran. Il y a son prénom écrit. Il faut que je fasse une croix dessus. Il faut que je me libère de son emprise. Donc je ne décroche pas. Je laisse les sonneries se succéder, une à une. Thomas continue à essayer de m'appeler, il réitère, il ne me lâche pas, mais je ne dois pas céder. Je le bloque, je le supprime de mes contacts, je le supprime de ma vie. C'est fini...
Je prends le premier bus que je croise et je rentre chez moi.
Quand j'ouvre la porte de chez moi, j'entends ma mère qui joue du piano et mon père qui parle au téléphone. Ma mère est une pianiste américaine, et mon père est PDG d'une entreprise qui fabrique des drones. Ils se sont rencontrés il y a une vingtaine d'années à Santa Monica dans un restaurant. C'était l'anniversaire de mon père et ma mère lui a joué "Joyeux anniversaire" au piano. Depuis, ils sont repartis en France et nous vivons ensemble à Paris. Je ne saurai dire auquel des deux je ressemble le plus. Ma mère, Julia Berkeley, est blonde et bronzée, joue du piano comme un ange et a le plus beau sourire du monde. Mon père, Alden Berkeley, a les cheveux châtains et des yeux verts magnifiques​. Il est intraitable en affaires mais est extrêmement gentil en privé. Je ne leur ressemble pas. J'ai de longs cheveux noirs et des yeux bleu foncé, presque noirs. Pourtant, à ce moment-là, j'aurais tellement aimé être comme eux, magnifique et assurée. Brillante, déterminée et intouchable. J'aimerais tellement être comme eux...
Je rentre dans ma chambre pour y poser mes affaires, puis je reviens dans le salon. Je dis bonjour à mon père et je m'installe dans le canapé pour écouter ma mère. Autour de moi, l'appartement est meublé avec goût. C'est luxueux et raffiné, et on finit par oublier, par habitude, que nous sommes privilégiés. L'appartement est à l'image de mes parents : c'est un appartement de bûcheurs qui ont réussi dans la vie. Heureusement, ma chambre est comme j'ai toujours voulu qu'elle soit : simple et confortable.

Ma mère se lève du tabouret du piano.

- Alors, ma chérie, comment s'est passée ta journée ?

- C'était... fatiguant. Très fatiguant.

- Ça s'est mal passé, tes cours ? Il y a quelque chose qui t'ennuie ? Tu me dirais, si ça n'allait pas ?

- C'est rien, je suis juste fatiguée. J'irai mieux demain, je t'assure.

Je reviens dans ma chambre. Là, je m'effondre sur mon lit et je pleure. J'essaie de me persuader que je n'ai jamais aimé Thomas, qu'il n'était qu'une passade. Que ce n'est pas lui le grand amour. Mais même avec ça, je me rends compte que j'ai tout perdu. Que j'ai tout gâché. Et que c'est fini. Je finis par m'endormir en pleurant. Quand je me réveille, je suis seule dans l'appartement. Il est 17 heures. Mes parents sont partis voir des amis qui les ont invités à une exposition. Je suis seule et j'avance dans le salon silencieux. J'avance vers le piano de ma mère, ce piano qui m'attire inexorablement vers lui. Je m'installe et je commence à jouer. Mieux : je commence à chanter. Je chante, je plaque des accords et je déverse ma fureur sur le monde. Il n'y a personne pour m'entendre, et c'est sûrement mieux comme ça.

                                                                                          🎹

                                                                                          🎹

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