CHAPITRE 4 | L'amour rend aveuble.

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Dimanche, je me réveillai avec les oreilles qui bourdonnaient autant que lorsque je m'étais couchée. Il était aux alentours de midi et Pierce était encore profondément endormi dans mon lit.

Le week-end, ma mère était chez son compagnon et ne rentrait que le dimanche en fin de journée. Nous avions donc, chaque fin de semaine, l'appartement rien que pour nous.

La tête encore dans les eaux troubles du sommeil, je me levai péniblement et me dirigeai vers la cuisine pour préparer le petit déjeuner. Et j'étais perturbée ; cette nuit, j'avais rêvé de Rule. Un rêve tout ce qu'il y avait de plus commun, certes, mais un rêve quand même, avec M. Malpoli en tête d'affiche. Soudain, une pensée désagréable me traversa.

Avais-je prononcé son nom dans la nuit ? Pierce avait-il remarqué quelque chose pendant que je dormais ? Mal à l'aise, j'allais bientôt être fixée. J'entendis le parquet de la chambre craquer. Mon petit ami était en train de se lever.

— Salut ? lançais-je, hasardeuse.

— Salut, me répondit-il doucement.

Premier signe ; il parlait. Je n'aurais pas à faire de monologue et pour l'heure, c'était satisfaisant et se satisfaire de peu était devenu, en ce qui concernait mon petit copain, un moyen de limiter les frustrations alors je m'en accommodai une nouvelle fois.

Nous avions petit déjeuné lentement puis j'étais partie prendre une douche régénératrice. L'eau chaude ruisselant sur mon corps m'aiderait peut-être à me laver de l'image de Rule et de l'agacement que provoquait insidieusement Pierce en moi. 

Je me sentais bizarre, fautive. Bien sûr, avec tout ce que m'avait fait subir Pierce depuis le début de notre relation je n'aurais pas dû me sentir si coupable de penser à quelqu'un d'autre, pourtant, ma sage conscience tirait la sonnette d'alarme.

J'avais toujours été une fille bien comme il faut et droite dans mes bottes. J'étais faite comme ça, c'était mon mode de fonctionnement et j'en étais assez fière. Le simple fait d'être en contact avec quelqu'un d'autre que Pierce dans un métro bondé me hérissait le poil. 

Je ne supportais pas qu'on entre dans ma zone d'intimité qui se résumait, pour ma part, à un cercle d'un mètre autour de moi. Mon corps et mon âme étaient pour Pierce, quoi qu'il m'en coûte, et, effectivement, depuis le début, cela m'avait coûté... Une bonne partie de mon insouciance et de ma joie de vivre, en fait. 

Je ressentais un stress constant, une épée de Damoclès suspendue en permanence au-dessus de ma tête. Pierce n'avait aucune pitié. Lorsqu'il avait décidé de faire ce qui lui chantait, peu importait ce que je ressentais. Il savait. 

Il savait que même si j'avais le cœur en miettes, même s'il fallait me ramasser à la petite cuillère et jouer au parfait amant navré pendant quelques jours, il me récupérerait. C'était toujours comme ça que cela se passait. Devant ses éternelles promesses bafouées, je cédais. 

Et le cercle vicieux était bouclé jusqu'à la prochaine trahison. Après trois ans d'enfer, je ne savais toujours pas comment je croyais encore dur comme fer qu'il allait changer. J'étais ridicule. Un jour, l'une de ses conquêtes, touchée par mon désarroi, m'avait aidée à le prendre sur le fait. 

Sentant que cette fois le vent était en train de tourner et que j'avais toutes les preuves sous les yeux, qu'il ne s'agissait plus seulement de ragots qu'il pourrait décrédibiliser, il m'avait demandée en fiançailles. Rien que ça. 

Et devinez quoi ? Momentanément apaisée par cette preuve d'amour, j'avais passé l'éponge. Effectivement, l'amour pouvait rendre complètement aveugle... et idiote.

Comme de trop nombreux dimanches, Pierce était parti jouer au football toute l'après-midi avec ses amis et j'étais dépitée. Dès qu'il n'était pas là, j'étais désœuvrée, ç'en était malheureux. J'avais l'impression que sans lui près de moi, rien n'avait de saveur. 

Je ne me rappelais même pas de la façon dont j'occupais mes week-ends avant de le connaître. C'était dingue et parfaitement...

Je ne savais plus trop, en fait.

Le lundi matin était enfin-là et contrairement à l'accoutumé, j'en étais plutôt satisfaite. Et le plutôt avait toute son importance ici car tout est relatif lorsque votre vie entière est régie par les bons vouloirs d'une tierce personne. 

Je ne pouvais pas non plus dire que j'étais tout à fait heureuse que la semaine commence parce que cela voulait dire que je ne pourrais plus vraiment entrer en contact avec Pierce. Et pour cause. Ce dernier avait depuis longtemps décidé que s'appeler au cours de la journée le dérangeait et lui faisait perdre un temps précieux. 

Mais récemment, la règle s'était durcie et c'était tout juste s'il tolérait de recevoir un message le soir pour que je puisse lui souhaiter une bonne nuit ; et par la même occasion lui notifier que j'étais toujours vivante, merci bien.

Alors non, le début de la semaine ne me réjouissait généralement pas mais, pour la première fois depuis longtemps, ce lundi matin me donnait un petit sourire revanchard. Cette matinée était la première de cinq longues journées de cours avant le week-end suivant. Et dorénavant dans mon esprit, lycée rimerait avec Rule. 

C'était d'ailleurs parfaitement idiot vu l'ignorance la plus absolue dont j'avais fait l'objet samedi dernier au Démoniac. Pourtant, une petite partie de moi était légèrement excitée à l'idée de croiser Rule à chaque pause. J'étais irrécupérable. 

Complètement accro à Pierce depuis exactement trois ans, cinq mois et six jours - parce que oui, en plus, je comptais - et maintenant obnubilée par l'attraction qu'exerçait Rule sur moi et que j'étais visiblement la seule à ressentir. Tout ceci était parfaitement charmant.

Pour la première fois depuis bien longtemps, je me levai de mon lit d'un bond, si bien que ma mère avait écarquillé de grands yeux ronds et trouvé utile de me demander si tout allait bien. 

Habituée à batailler ferme pendant une bonne demi-heure pour me tirer du lit alors que j'avais éteint mon réveil six fois de suite, je comprenais sa surprise en me voyant aujourd'hui les yeux bien ouverts et un petit sourire aux lèvres avant la première sonnerie. En moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, j'étais prête à partir. 

Aussi, je sautai dans la voiture, m'installai au volant pour grapiller trois petits kilomètres sur mon cahier de conduite accompagnée et pris la direction du lycée. Même avec la circulation, il ne me fallut que quelques minutes pour arriver devant l'établissement. 

Discrètement, je me glissai à l'extérieur de la voiture, embrassai ma mère qui prenait place sur le siège conducteur et me dirigeai vers les grilles. Pas après pas, mon cœur accélérait la cadence et une petite pique sournoise dans l'estomac me tira un hoquet de surprise. 

Au loin, je l'aperçus. Rule était là, comme toujours. Et si avant je ne le regardais pas, trop centrée sur mon petit ami, à cet instant je ne voyais que lui. Il porta une cigarette fumante à sa bouche alors qu'il discutait avec ses amis amassés comme un harem hétérogène autour de sa petite personne. 

Alors que je n'étais plus qu'à quelques pas de l'entrée et que je m'apprêtais à détourner la tête avant qu'il ne remarque ma présence, son regard désarmant trouva le mien sans hésitation aucune comme s'il m'avait déjà repérée depuis le haut de la rue. 

Ses yeux noisette accrochés à mon regard azur, il plissa les cils comme pour me scruter plus en profondeur et, doucement, un petit sourire étira ses lèvres.

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"Le cœur a ses raisons que la raison ignore".

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Pour respecter l'anonymat des personnes qui interviennent dans ce récit, leurs noms et les lieux de la véritable histoire ont été changé.

Il était une fois Lui, Lui et Moi [Roman complet publié]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant