Prologue

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Il est temps d'écrire la fin. Je n'ai pas l'envie d'une fin mémorable, celle dont on se rappelle encore une centaine d'années après. Je ne veux pas non plus que cela se termine dans une certaine quête de reconnaissance, de recherche du statut de martyre. Loin de mes idées est de recevoir de grands discours élogieux à mon propos. Je sais qu'ils seraient, pour beaucoup, empreint d'une hypocrisie à peine feinte. Cette hypocrisie qui apparait lorsque la culpabilité est si forte que l'on tente de la cacher, ou bien celle qui se manifeste après avoir réalisé que nous aurions pu apporter notre pierre à l'édifice, mais que nous ne l'avons pas fait. Nous savons tous reconnaitre cette envie irrépressible de faire croire que l'on a apprécié le personnage car chacun d'entre nous est coupable de cette supercherie.         Non, je souhaite seulement quelque chose de simple, quelque chose qui m'appartient. C'est le dernier point, celui qui doit être précis, détaillé mais pas trop. Il doit être dénué de toute force externe, de tout encombrement afin que cela reste sans importance, presque invisible. Je pense que c'est pour le mieux. Le bout d'un chemin n'est pas toujours glorieux, ou empreint de déception. Ce bout là, c'est le mien. Je suis le seul à pouvoir le choisir, c'est au moins ce qu'il me reste, ce qu'on me laisse. Je ne veux pas que l'on gâche cet unique morceau de mon pouvoir sur cette fin. C'est mon point final.

Avant de clore pour de bon, je veux affirmer qu'ils ont raison. Je ne leur aurais jamais dit de vive voix, comme eux pratiquent l'hypocrisie, j'aurais souvent pratiqué la lâcheté. Je n'aurais jamais du exister, je suis une erreur créée par la nature. Une de ces mutations étranges qui apparaissent de temps à autres à un endroit de la planète. Je n'ai aucun sens ni pour les autres, ni pour moi-même. Je n'arrive pas à connaitre les limites de mon identité, et par conséquent ce qui me définit. Il n'y a pas de jolis mots pour dire ce qui je suis réellement, penser qu'il pourrait y avoir une définition n'aurait peut-être pas dû exister. Je ne sais si je puis même être considéré comme un être à part entière. Ce qui n'était pas censé avoir d'essence, de présence, de chaleur ou de brise ne peut être nommer. On ne nomme pas ce que l'on ne connait pas réellement, ce dont on n'a pas seulement l'intuition qu'il puisse faire partie intégrante de notre monde. Je comprends à présent que s'il y a une incertitude sur mon essence, il n'y a jamais eu de doute sur sa finalité. J'ai toujours su la fin de mon histoire, cela m'apparaît comme une évidence jusqu'au plus profond de mon être. Je sens que c'est aujourd'hui, c'est le bon moment.

Je me concentre sur, non plus mon esprit, mais mon corps, ce que je ressent dans les chairs. Je tente de reconnaitre chaque sensation, chaque nerf passant son signal au prochain. Je commence à sentir les premiers fourmillements aux extrémités de ma peau. C'est froid. Chaud. Je ne sais plus trop. Ma tête tourne, ma vision se trouble, la chaleur me quitte finalement. Déséquilibré, je m'allonge sur le sable humide, qui se colle contre la peau, que je devine bleue, de mon dos. Si je n'ai plus le regard clair, mon ouïe s'affine. Le son lent des vagues qui s'échouent sur le sable, s'engouffrent peu à peu dans la cavité où je me trouve pour enfin entrer en contact avec le bout de mes pieds. Le bruit du vent qui siffle par les trous dans la roche, puis balaie mais cheveux, partiellement collés sur mes tempes par le sel. Je garde les yeux rivés sur la paroi noire de la grotte, tandis que le soleil se couche. Ma vision floue me permet d'apercevoir le ciel qui vire au rose puis à l'orange, il s'enflamme petit à petit, créant sans aucun doute des reflets colorés à l'endroit où il rencontre l'eau. Je n'aurais pu rêver meilleur moment pour m'échapper de ce cauchemar.

Puis, il y a ce noir qui m'envahit petit à petit, la luminosité qui diminue, d'abord par le côté de mes yeux, ensuite le centre de mes pupilles. L'eau salée qui à présent recouvre mes pieds, je veux me rappeler des dernières sensations, je veux savoir jusqu'au bout, je veux connaître la fin de mon histoire. Je respire une dernière fois l'odeur iodée de la mer, laissant le bruit des vagues me bercer et envahir tout mon être, jusqu'au néant.

Nos Âmes Brisées (EN REECRITURE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant