*Camille*

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Sacha entra le premier dans la chambre sombre, bien que la lueur du jour tentait de percer par endroits. Les volets étaient évidemment toujours fermés, l'alcool ayant rendu papa sensible à tout ce qui pouvait le déranger dans sa beuverie. La porte ouverte laissa s'échapper les relents d'alcools et de sueur, qui avaient comme macérés dans la petite pièce. Je ne voyais rien tandis que mon frère tentait d'allumer la lumière. L'interrupteur ne fonctionnait plus et personne ne l'avait remarqué auparavant. Ne voulant pas affronter la vision d'un père déchu, je détournais le regard pour fixer le sol. Le parquet de bois, qui autrefois donnait un certain charme à cette chambre, était à présent tâché de vin et d'autres substances qui avaient séchées sans que l'on ne puisse les identifier. Sacha agacé par l'interrupteur, se précipita vers la fenêtre pour ouvrir les volets et laisser entrer les rayons du soleil, alors que je me dirigeais, tout aussi rapidement, de l'autre côté du lit. Sur le sol gisait celui qui avait été le héros de mon enfance. Je hurlait d'horreur en apercevant la tache sombre qui s'échappait de l'arrière de son crâne. Son corps se trouvait dans une posture improbable, sur le flanc, les jambes légèrement pliées et les bras ballants. Mamina sortit de la chambre en vitesse pour se jeter sur le téléphone et Sacha me rejoignit, blanc comme un linge, le regard hagard.

- Papa ? Papa ? Ne pouvais-je m'empêcher de répéter inlassablement.

Sacha, secoué par les évènements, repris quelque peu ses esprits et pressa sa main contre la plaie, d'où s'échappait encore le sang. Mamina entra à nouveau dans la chambre et m'éloigna du corps sans vie de mon père, que je ne distinguais plus qu'à travers mes larmes. Il n'avait aucune réaction et sa respiration semblait s'affaiblir un peu plus chaque seconde. Les minutes me parurent interminable, presque des heures, jusque l'arrivée des pompiers dans cette maison qui avait été le coeur de notre navire à la dérive. Ils nous éloignèrent un peu plus tandis qu'ils s'affairaient avec leur matériel de secours. Il analysèrent la plaie dans un premier temps, puis entourèrent la tête pour compresser et stopper le flot de sang. Alors qu'ils évacuaient Papa sur une civière, un masque à oxygène lui mangeant le visage, l'un d'eux s'approcha de nous trois, recroquevillés dans un coin de la chambre.

- Que s'est-il passé ? Demanda-t-il.

- On ne sait pas, nous l'avons entendu tomber et nous sommes immédiatement montés, répondit Mamina.

- Des informations médicales à nous communiquer ?

- Il est dépressif et alcoolique, dit Sacha d'une voix blanche.

Je le regardais, désemparée par sa réponse. Mon frère avait raison, mais je n'avais jamais osée poser des mots sur les problèmes de Papa.

- Des médicaments ?

- Non.

L'homme se tourna alors vers la table de chevet poussiéreuse. Et désigna une petite boîte blanche.

- Nous avons trouvé cette boite qui a certainement roulée sous le lit quand il est tombé. Nous pensons que votre père les as ingurgiter pour se donner la mort. Son prognostic vital est engagé, mes collègues le transporte à l'hôpital. Des examens complémentaires nous donnerons plus d'informations.

De rage je me jetais sur Sacha qui bascula en arrière sous le coup de la surprise. Je le frappais au visage, lui griffais les bras déversant ma colère sur celui que je tenais pour responsable du naufrage de nos parents. Il avait d'abord fait fuir maman avec ces excès de paranoïa qui avaient effrayés tous nos amis. Il était à présent le tuer de notre propre père. Je n'arrivais plus à contenir mes sentiments et continuait à m'acharner sur celui avec qui j'avais tout partager, jusqu'à ce que l'on me ceinture. Mon frère n'avait même pas essayé de se défendre, il s'était laissé agresser, comme s'il attendait que les coups pleuvent. Le pompier avait été pris au dépourvus et avait mis plus de temps qu'il n'en fallait pour réagir. Il m'enserrait fortement entre ses bras, comme je l'avais régulièrement fait avec Sacha. Je lui lançais un dernier regard de colère, sachant que je ne pouvais faire aucun mouvement de plus, tandis que Mamina l'amenait dans sa chambre. Ceinturée et furieuse comme je l'étais, je n'avais jamais autant ressemblée à mon jumeau qu'à ce moment.

Ces deux dernières années, j'avais soigneusement prêté attention à tous les signes qui pouvaient d'une manière ou d'une autre me rapprocher de me Sacha. Je tentais de me raisonner en répétant les paroles rassurantes des médecins auprès de ma mère :

- Les vrais jumeaux ont le même patrimoine génétique puisqu'ils viennent du même ovule de départ. Mais vos enfants étaient dans deux poches différentes et nous ne sommes pas encore sûrs que la schizophrénie se développe de manière génétique. D'autant plus que seulement peu de filles sont touchées par la maladie. Nous allons surveiller Camille, mais il y a peu de chances qu'elle développe des troubles.

Maman déjà détruite par l'annonce de la maladie de Sacha, je ne voulais pas la décevoir à mon tour. J'avais compris qu'elle se sentait totalement impuissante face à son propre fils. Elle ne pouvait pas le contrôler et avait peur d'être responsable de son mal-être. Elle ne pouvait plus le regarder en face sans penser qu'elle ne pourrait l'empêcher de blesser quelqu'un s'il venait à faire une crise dans la rue. On avait trop souvent entendu ces mêmes histoires, et ces remarques apeurées des personnes de notre entourage. La peur des adultes m'avaient été transmise, les autres enfants de l'école ne nous approchaient plus, ni mon frère, ni moi. J'avais fini par avoir si peur d'être moi-même malade que je n'approchais plus mon frère, même pour le calmer dans ses angoisses. Mais à ce moment, entourées par les bras du pompier, au milieu de la chambre dévastée par deux ans d'alcoolisme, je pensais que c'était moi la folle. 

Nos Âmes Brisées (EN REECRITURE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant