La nuit tombe et rapidement la mer vire au noir. Le moteur vomirait alors que nos lampes aperçoivent seulement l'entrée de la cavité au loin. Les vagues s'y engouffrent et je pries un dieu auquel je ne crois pas. Léo pousse le chalutier à son maximum, mais les vagues sont fortes et la pluie est de la partie. Je regarde fixement la grotte, dont l'entrée semble diminuée à chaque nouvelle vague.
Mes mains pressent le chambranle bu bateau, si fort que mes phalanges en deviennent blanches. Je tente de tenir debout, bousculée par les remous de l'eau, qui forcissent de minutes en minutes. Les gouttes de pluie s'intensifient, me frappant les joues. Les sauveteurs me sommes de rentrer me protéger dans la cabine, mas je refuse. Une vague s'écrase sur le pont du bateau, me faisant glisser sur le sol en bois. Je me relève et m'accroche de nouveau aux barreaux de fer. Alors que mon frère se meurt, je veux me sentir vivante. Je veux le voir la première, sauter du bateau et me battre contre la nature enragée. Chaque goutte de pluie, chaque bourrasque, chaque coup reçu m'électrise, comme une sensation nouvelle d'être si petite et de réussir à tenir, de continuer d'emplir mes poumons d'air marin. S'assurer d'être envie par pouvoir affronter la mort, la défier du regard et lui prouver qu'elle n'est pas maître de nous-mêmes. Prouver qu'elle peut nous reprendre mais qu'il y en aura toujours pour relever la tête et profiter du soleil.
Le projecteur du bateau éclaire l'entrée de la cavité à présent. Il ne reste que quelques instants avant qu'elle ne disparaisse totalement. Il nous est impossible de voir à l'intérieur tant le mouvement de l'eau est intense. Léo essaie de s'approcher davantage. L'opération est périlleuse : un écueil pourrait facilement percer la coque du chalutier de bois. Une seconde de répit et nous apercevons une masse sombre qui remonte à la surface avant de disparaître à nouveau.
Sans réfléchir, je passe ma jambe gauche par-dessus la barrière. Puis, je penche mon corps sur la côté pour basculer dans l'eau. Mais soudainement enserrée par la taille, on me tire vers le pont. Surprise, je bascule violemment en arrière, ma tête s'écrasant contre la poitrine de Léo. Je me débat, je hurle au désespoir, alors qu'il me plaque au sol, se plaçant au-dessus de moi. Son genou maintenant fermement mes jambes, il me ceinture les bras. Je continue de hurler de rage, gesticulant afin de me sortir de ce piège. Pendant quelques fractions de secondes je le déteste son corps s'écrasant sur le mien m'est insupportable, son souffle au creux de mon cou me répugne. A bout de force, j'abandonne le combat. Les larmes coulent sur mon visage déjà trempé. Mes muscles se détendent et je sanglote en silence. Léo finit par desserrer son emprise et pose ses deux mains sur mes joues. Il murmure qu'il est désolé, que c'est dangereux mais qu'ils vont sauver Sacha. Il m'embrasses sur le front, la bouche, les joues et me dit qu'il m'aime, qu'il sera toujours là.
Là, allongée sur le sol poisseux du bateau il ne se passe rien. Je sens seulement le mouvement des vagues et le vent couvre tout autre bruit. Léo m'aide à me relever et je vois enfin les plongeurs avec leurs lampes frontales qui contrent, tant bien que mal, les vagues qui se font d'autant plus fortes lorsqu'elles entrent dans l'ouverture de la roche. L'un d'eaux remonte brusquement. Dans ses bras il tient comme un poids mort. Le corps lourd l'oblige à faire contrepoids avec son corps pour maintenir la tête hors de l'eau.
- Je l'ai ! Il est là !
L'homme semble hurler et pourtant de là où nous sommes, seules quelques bribes parviennent à nos oreilles. Deux autres sauveteurs d'approchent difficilement afin d'aider à ramener Sacha à bord du bateau. Mon souffle se coupe alors que Léo m'agrippe le poignet. Ils se rapprochent et déjà je peux voir le visage de mon frère, bleu de froid. Sa tête retombe mollement contre son torse. Je me précipite jusqu'à l'échelle, où un policier attends déjà avec une couverture de survie. Non sans difficulté, ils parviennent à hisser le corps sans vie sur le pont du chalutier. Léo aide à transporter Sacha jusque dans la cabine tandis que mon sang se glace à la vue de ses lèvres closes, d'un blanc de mort. Dans la cabine, sous les néons, avant qu'on ne l'enveloppe de couvertures, j'ai le temps d'observer la peau laiteuse, presque grise, striée de veines bleues. Je me demande ce que cela fait d'être morte, emportée par les vagues les poumons emplis d'eau.
Les policiers aident les sauveteurs à tourner Sacha sur le flanc, après qu'on lui ait fait du bouche à bouche. Rien ne se passe. On tente de m'éloigner, une couverture de survie sur les épaule. Mais je regarde fixement les traits inanimés de mon jumeau. Si c'est la dernière fois, je veux être sure de me souvenir de chaque détail, le forme de son nez, sa bouche fine et ses joues creuses, tout comme ses boucles châtains. Après avoir réitéré le bouche à bouche, ils basculent à nouveau le corps sur le coté droit. A peine sa tête flanche sur le sol qu'il régurgite l'eau qui investi son système respiratoire. Il tousse plusieurs fois et beaucoup d'eau s'évacue.
- Voilà. S'il tousse, il respire.
Le poids qui me vrillait l'estomac se relâche soudainement à cette annonce. Ce n'st pas fini mais il est vie. Le sauveteur se tourne vers Léo.
- Il faut rentrer et vite !
Sur les pontons, des brancardiers nous attendent déjà. Ils emportent rapidement Sacha dans l'ambulance. Je regarde les lumières bleues s'éloigner alors que les policiers décident de m'interroger.
- Est-ce-qu'il se droguait ?
- Non. Enfin je ne sais pas. Je ne pense pas.
- A-t-il un suivit psychologique ?
Je repense à ces murs blancs, au médecin qui s'approche de mon frère d'un air avenant. Il lui tends la main et l'invite à entrer dans son cabinet pour la "visite de contrôle".
- Oui.
- Suicidaire ?
- Non ! Il est schizophrène.
S-C-H-I-Z-O-P-H-R-E-N-E. Le mot tourne dans ma tête, les lettres défilent devant ma rétine. C'est la première fois que je le prononce réellement. Je ne lui trouve aucune beauté et il ne va pas à Sacha. Lumineux, espiègle mais pas schizophrène. Adossée contre la voiture de police, je tremble de froid. Ou bien est-ce l'idée de savoir que mon frère en est réduit à une maladie. Je prends enfin conscience de ce qu'il a pu subir, de la souffrance de n'être plus que le fou de l'école.
- Prend-il ses médicaments ? Vous savez on en croise régulièrement des gens comme lui que se suicide.
- Des gens comme lui ?! Des fous vous voulez dire ? Des tarés en asile psychiatrique ? Mais vous ne comprenez vraiment rien ! Bien sûr qu'il prend ses médicaments. Il est shooté aux médoc's ! C'est de ma faute s'il veut mourir. Elle s'est barrée et moi aussi je voulais me tuer. Et puis Papa est dans le coma et je n'ai rien trouvé de mieux que d'accuser Sacha alors qu'il n'y est pour rien si notre père est alcoolique. C'est moi qui l'ai posé au suicide. Je l'ai laisser tomber. On l'a tous laissé tomber.
Abasourdis, le policier laissa tomber son stylo.
- On reprendra ça plus tard, d'accord ? On vous ramène chez vous.
VOUS LISEZ
Nos Âmes Brisées (EN REECRITURE)
Ficção AdolescenteIl y a ces moments où l'on s'aperçoit que nous ne tenons plus que sur un fil, si fin qu'une lésion peut nous être fatale. Depuis qu'elle est partie, leurs vies se sont effondrées. Ils se sont éloignés jusqu'à devenir des étrangers, attendant chacun...