- Tiens mon petit.
Je pris la tasse de thé que ma grand-mère me tendait. Elle était brûlante sous mes doigts, mais la douleur me rappelait que ce moment était bien réel. Je tournais la tête vers le canapé. Mon père y dormait, sa respiration était lente, calme. Il semblait apaisé, les traits adoucis. Mais je regrettais son corps athlétique, ses cheveux blondis par le soleil de chaque été passé sur sa planche à voile.
Je repensais à mes premiers pas sur l'eau. Je devais avoir sept ou huit ans, les jours et les années se confondaient, nous étions sur la plage. Maman était rayonnante, sa peau bronzée reflétait les rayons du soleil. Elle souriait chaque fois que papa se rapprochait du rivage. Alors, elle se levait, collait horizontalement sa main droite contre son front et regardais au loin. Elle attendais, patiemment. Et, lorsqu'il la regardait enfin, elle lui offrait son plus beau sourire, accompagné d'un grand geste de la main. Ce jour-là, elle l'avait fait jusqu'à ce que papa soit assez proche pour la prendre dans ses bras encore humides d'eau salée. Puis, papa avait décidé de nous emmener "voler sur l'eau" comme Camille disait à cette époque. Il nous avait tour à tour maintenus sur la planche qui clapotait au rythme des vagues. L'équilibre n'était pas sûr, les jambes tremblaient, les bras moulinaient parfois avant que papa ne nous rééquilibre de ses bras. Camille riait aux éclats chaque fois qu'une vague perturbait son équilibre sur la planche. Nos petits pieds ripaient sur la surface anti-dérapante mais nous avions attendu ce moment depuis si longtemps que l'on ne s'en souciait pas.
Mais la plage était devenue triste, je partais seul en mer. Même Camille avait laissé sa planche prendre la poussière, jusqu'à éviter totalement la plage. Mamina posa délicatement sa main sur mon poignet droit.
- Cela ira mieux.
- Je n'en suis pas sûr. Il n'est plus lui-même depuis qu'elle est partie.
- La souffrance ne partira jamais, comme pour Camille et toi. Mais il y en a pour qui elle met plus de temps à s'enfouir, avant laisser ressurgir la vie.
- C'est à cause de moi qu'elle est partie ? demandais-je, la voix chevrotante.
Elle ne répondit pas. Me regarda avec tristesse, ses yeux pourtant d'un gris si clair s'assombrirent instantanément. Puis, elle les baissa, bougeant machinalement ses doigts, où sa peau si fine révélait quelques veines. Mon coeur se serra. Elle ne voulait pas le dire, mais ne pouvait s'empêcher d'en vouloir à maman. Moi aussi je lui en voulais. Elle nous avait laissés, par lâcheté, par honte de sa propre famille, de son propre fils. Elle avait rendu mon père orphelin de sa femme, abandonné ses enfants. Sans même un au revoir, une explication, un mot ou une odeur. Je l'imaginais, heureuse, entourée de sa nouvelle famille, de sa nouvelle vie. Une vie faite de couleurs alors que la nôtre devenais de plus en plus noire, d'avantage insupportable à chaque levé de soleil.
Je serrais la tasse entre mes doigts. Je n'avais encore rien bu et cela me brûlait, mais peu m'importait, la douleur intérieure était plus grande. Toujours plus imposante. D'un coup je me levais, enivré de colère, d'une souffrance trop longtemps contenue. Au plus profond de moi j'avais espéré ne pas avoir été la seule raison de son départ. J'aurais aimé me convaincre que son amour pour moi avait été plus fort que sa peur de la maladie, de ma folie. Le silence de Mamina était ne disait rien, mais avouait tout. Sans un mot je me hâtait pour sortir de la maison, oppressante.
L'air frais me frappa le visage. Mais je décidais de courir, contre ce vent qui s'intensifiait, tentait de m'empêcher de m'enfuir, de partir loin, à l'autre bout du monde. Chaque pas était plus dur que le précédent, mais rien ne pouvait m'arrêter. Je courais de toutes mes forces, imprégnais mes poumons de l'air, puis les enflammait dans ma course folle. Je pleurais mais je ne saurais dire si c'était de colère ou bien par la faute du vent. Je n'entendais plus que le vrombissement dans mes oreilles.
Je me stoppais soudainement, les mains posées sur la barrière de sécurité. Face à moi, l'étendue bleue se trouvait toujours là, mais elle était loin à l'horizon. Je m'accroupis, les bras toujours scotchés à la barrière, les yeux fixés sur ce sable encore mouillé. Je repris mon souffle pendant quelques minutes. Je ne me rappelais pas avoir déjà sentit mon coeur battre aussi rapidement dans ma poitrine.
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Nos Âmes Brisées (EN REECRITURE)
Teen FictionIl y a ces moments où l'on s'aperçoit que nous ne tenons plus que sur un fil, si fin qu'une lésion peut nous être fatale. Depuis qu'elle est partie, leurs vies se sont effondrées. Ils se sont éloignés jusqu'à devenir des étrangers, attendant chacun...