J'entrais discrètement dans la maison, encore troublée et surprise par ce baiser furtif. Mon coeur avait fait un bond au contact de ses lèvres douces et mes doigts fourmillaient incessamment depuis que la chaleur m'avait envahie. Il m'avait embrassée et je n'avais rien dit, trop émotionnée pour réagir, trop timide pour m'approcher à nouveau de son visage et sentir son souffle aux commissures de ma bouche. Lui non plus n'avait osé laissé une parole éclater notre bulle. Il n'y avait eut aucun malaise, aucun silence pesant, mais plutôt un moment en suspend dans la nuit, nos visages émus seulement éclairés par les lampadaires. Ses yeux avaient caressés la peau de mes joues, et seuls les battements de nos coeurs contre nos poitrines avaient brisé le silence pudique, respectueux.
En arrivant dans ma chambre, qui me sembla alors terriblement fraîche, je pensais soudainement à Dany. Il m'avait embrassée plusieurs fois. Mais aucun de ses baisers ne m'avait fait ressentir pareil sentiment. Je ne me rappelais en rien de la douceur de ses lèvres, de leur pulpe, ni de leur sensations sur ma propre bouche. Lorsque Dany m'embrassait c'était humide, avec un arrière-goût d'herbe et d'alcool. C'était frissonnant, presque avide tant il y mettait de force. On aurait cru qu'il se nourrissait du contact physique de nos bouches pour le ramener sur Terre, le ramener à la réalité. M'embrasser était un moyen de s'assurer qu'il existait.
Les lèvres de Dany me rappelaient que j'étais toujours en vie, elles me disaient que chaque âme tente de survivre dans un monde hostile. Léo, lui, m'avait offert quelque chose de nouveau en un seul baiser, si rapide et pourtant si indélébile, comme gravé à l'intérieur de mon corps, touché par la puissance du contact, au contraste saisissant avec cette sensibilité qui caractérise si bien la fine peau de nos lèvres. Je m'étais sentie vulnérable, incapable, pour la première fois, de contrôler des émotions que dépassait le naufrage continuel de nos âmes et de nos corps. J'avais aperçu une marche, lumineuse, et contradictoire au gouffre sans fin qu'était ma vie. Un point solide, une once d'espoir qu'avant la mort certaine qui se trouve au bout du tunnel, il y a quelque chose de plus grand et de plus puissant, un quelque chose qui rend à la vie la peine d'être vécue. Ce n'était pas de la gêne ou de la souffrance, mais une vulnérabilité qui nous dévoile aux yeux de l'autre, qui nous rend plus fort à chaque regard échangé. Ce n'était pas de l'amour au sens où on l'entend mais une attirance, menée par la curiosité commune, la soif de connaissance de l'autre, et surtout de soi-même.
Je m'allongeais, emmitouflée sous ma couette avec l'espoir de retrouver un peu de cette chaleur si agréable à mon âme. Je regrettais déjà sa présence et ce qu'elle provoquait dans chaque partie de mon être. Avant de sombrer dans un sommeil profond, je repensais à la phrase inscrite sur le banc, ainsi qu'à son mystérieux auteur : « Chaque baiser volé est un petit bout d'innocence qui nous échappe ». Cette phrase prit alors une toute autre résonance dans mes pensées et dans mon coeur.
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Nos Âmes Brisées (EN REECRITURE)
Teen FictionIl y a ces moments où l'on s'aperçoit que nous ne tenons plus que sur un fil, si fin qu'une lésion peut nous être fatale. Depuis qu'elle est partie, leurs vies se sont effondrées. Ils se sont éloignés jusqu'à devenir des étrangers, attendant chacun...