*Camille*

9 3 1
                                    

J'embrassais le front de mon père, toujours inanimé. Le coma lui donnait l'air impassible. Les cernes violettes causées par le manque de sommeil, les marques de l'alcool et les vestiges de la douleur s'étaient presque totalement estompés. Son visage semblait rajeunit de quelques années, même si son corps, branché de toutes parts, ne lui appartenais plus. Sur le guéridon, les fleurs apportées par Mamina avaient séchées, personne n'avait songé à les remplacer. Dans un dernier regard vers le lit, je retins mes larmes, qui avaient déjà trop coulées. Les diagnostiques étaient rassurants, mais l'attente se faisait de plus en plus longue. Je laissais la place aux infirmières, rejoignant Léo qui m'attendait à l'extérieur de l'hôpital. Je me réfugiais dans ses bras. Son soutient m'était devenu indispensable. Je n'avais plus de nouvelles de Dany depuis que Sacha l'avait salement amoché et j'espérais ne pas le revoir.

Le soleil nous éblouissait en cette fin de journée. Peut-être que Maman pouvait le voir de là où elle était. Il était certain qu'elle ne pensait plus à nous comme nous pensions à elle. Je ne savais plus si j'avais encore envie de savoir où elle pouvait être, ce qu'elle faisait, et elle ne méritait pas l'attention que nous lui avions porté : elle avait quitté le navire pour de bon. Les illusions sont les reflets de nos espoirs, une fois retombés nous ne sommes plus bernés que par des mirages. J'avais décidé de ne plus espérer, de ne plus croire en certains rêves. D'autant plus que les médecins avaient été formels : je n'étais pas schizophrène. Les mirages, les hallucinations et la folie n'étaient pas mon quotidien, même si je ne pouvais m'empêcher de penser qu'elle se transmettait. Nous étions jumeaux jusqu'au bout des ongles, alors pourquoi pas fous ?

La pression de Léo sur ma main me ramena à la réalité.

- Ton téléphone. Il sonne.

L'appel semblait se faire insistant, bien que je ne l'avais pas entendu sonner la première fois. Je soupirais en lisant le numéro de la maison sur mon écran. Puis, je me décidais à décrocher. Au bout du fil, Mamina était paniquée. Je comprenais à peine la moitié de ce qu'elle disait, tant ses phrases étaient entrecoupées de sanglots.

- Clame-toi Mamina, je ne comprends rien.

- Ton frère...

- ...

- La lettre...

- J'arrive Mamina, j'arrive.

Je raccrochais hâtivement, soudainement angoissée par les paroles de ma grand-mère. Je n'y avais pas compris grand chose mais je craignais le pire. Sans attendre, je traversais le parking de l'hôpital pour me précipiter dans la voiture de Léo. Il sauta presque sur le volant et démarra immédiatement, tout en tentant de comprendre la raison de mon stress. Le temps me parut interminable alors que nous roulions à toute allure sur les routes étroites. Je regardais défiler le paysage, les jambes tremblantes et les mains moites. J'avais l'impression que nous n'avancions pas, que nous n'arriverions jamais à la maison tandis que Léo appuyait davantage sur l'accélérateur.

La voiture tournait encore sur le bas-côté que j'étais déjà sortie. Je courus afin d'atteindre la porte d'entrée aussi vite que je le pouvais. J'entrais à la volée, cherchant désespérément la raison pour laquelle Mamina m'avait appelée. Dans le salon, ma grand-mère était dans tous ses états. Les yeux rouges, le souffle court. L'air hagard, elle tenait une feuille de papier blanc, froissé entre ses mains tachetées par le temps. Elle me tendit ce qui s'avérait être une lettre. Je la saisissais du bout des doigts, déjà secouée par ce que j'imaginais y trouver.

- La police devrait arriver d'ici quelques minutes, m'informa-t-elle.

Alors que Léo se préoccupait de ma grand-mère, je parcourus les quelques lignes écrites au stylo noir. Je reconnus sans hésitation l'écriture de mon jumeau.

"Le sablier d'une vie s'arrête pour que les autres puissent reprendre leur chemin. Pardonnez-moi les douleurs causées par l'ouragan. Ma navigation s'achève ici. Ne perdez pas le cap. Je vous aimais."

Mon coeur rata un battement. Je le sentis s'effriter, se décomposer au fond de ma poitrine. Une partie de moi-même s'envolait avec mon frère. Je la voyais presque qui m'échappait, me filais entre les doigts sans que je n'arrive à l'agripper. Un lien semblait encore la retenir à mon corps mais cela ne tiendrait pas longtemps. Je compris que sans Sacha il ne me serait plus possible de continuer. Je l'avais ignoré, j'avais évité son regard, souhaité sa disparition, sa mort mais il m'était impossible de m'en détacher. Il était celui avec qui je parlais sans même ouvrir la bouche, celui qui me rappelait maman et cette enfance que j'imaginais entourée d'un fil doré. Il me rappelait qu'une famille c'était de l'amour à volonté, un amour insécable et indispensable qui résiste à la vie, à la mort.

A cet instant, un policier entra dans la maison. Je ne le vis pas s'approcher de moi. Sa voix me paraissait lointaine, tandis que Léo dirigeait mon corps vers un siège. Abasourdie, je m'assis tout en répondant mécaniquement aux questions que l'on me posait. Elles me semblaient absurdes, sans importance, aucune.

- Mademoiselle ? Y-a-t-il un endroit où il pourrait se trouver ?

Mon sang ne fit qu'un tour. Sacha était persuadé que maman était partie par la mer. L'étendue d'eau la fascinais tant, qu'il y passait ses journées.

- La plage !


Nos Âmes Brisées (EN REECRITURE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant