Mes pieds sont dans un trou, enfouis sous le sable. Les grains collés à mes jambes par la crème solaire me grattent. Le chocolat du goûter pris plus tôt dans l'après-midi, fait encore le tour de ma bouche. Je suis assis sur la plage, entouré d'une serviette à l'effigie de superman, mon préféré. Je ne peux plus bouger, fait prisonnier par ma propre soeur. Ses petites mains potelées tapotent le monticule sous lequel on devine que je bouge mes doigts de pieds. Le sable se fissure alors que ma jumelle ne cesse de taper et de rajouter du sable à l'aide de sa pelle en plastique rouge.
- Arrêtes, tu vas tout casser, rit Camille d'une voix fluette.
Près de nous, en tailleur sur sa serviette de plage, maman fixe l'horizon, carnet et crayon en main. Elle ne se déplace jamais sans. L'air concentré, les sourcils légèrement froncés, quelques mèches de cheveux collés au visage, elle trace trois ou quatre traits, qui me semblent aléatoires. Se sentant certainement observée, elle lève les yeux de son esquisse et me sourit. Au même instant, une ombre surgit au-dessus de ma tête, cachant le soleil qui chauffait ma peau fine. Pour ma taille d'enfant, papa est un géant, fort et rassurant. Il est à peine arrivé que Camille et moi sommes déjà soulevés de terre, un entre chaque bras. Sa peau est fraîche et encore humide, toute juste sortie de l'eau et je frissonne à son contact. Une pluie de bisous s'acharne sur nos joues, tandis que nous mimons le dégoût. Nous essuyons nos visages suite à cette attaque, appréciable seulement si nous faisons croire à l'inverse. Derrière l'épaule de papa, j'observe cette étendue bleue, immense et pourtant si attirante. Maman nous empêche d'y aller seuls, même pour les besoins d'un château de sable elle veut nous accompagner. Nous ne pouvons pas non plus y aller sans nos bouées oranges, trois fois plus imposantes que nos propres bras, si bien que nous sommes forcés de marcher en nous dandinants.
- Tu étais loin dans la mer papa ?
Il se retourne pour à son tour observer l'horizon.
- J'étais tout là-bas, près du petit bateau bleu. Tu le vois Sacha ?
J'acquiesçais. Un sentiment d'admiration mêlé de fierté passa dans le regard du petit garçon, signe que son père avait acquis une place particulière dans son coeur.
Nous avions tous besoin d'un héros sur qui prendre example, avant de nous-même devenir le héros d'un autre.
Assis sur une chaise, je fixais le mur que l'on aurait presque pu croire immaculé si nous ne pouvions y voir quelques aspérités. Des grincements se faisaient entendre à chacun de mes mouvements, si bien que je n'osais plus bouger le moindre membre. Les cliquetis des machines perturbaient le silence ambiant, presque angoissant. Dans un coin se trouvait un guéridon, en bois de mauvais qualité, sur lequel avaient été déposés quelques magazines datant de plusieurs mois déjà. Je les avait parcourus, lus, relus jusqu'à ne plus pouvoir les regarder, comme agacé par leur présence. Ou bien était-ce parce qu'ils rappelaient ma présence dans cette chambre où je ne voulais pas être, jamais. Je ne voulais pas non plus me souvenir du visage gris, de la barbe sale et des yeux fermés de mon père. Il paraissait calme, apaisé, peut-être un peu trop à mon goût tant je le voyais déjà mort.
Qu'aurais pensé le Sacha aux joues rebondies et à la parole zozotante de celui qui se trouvait au chevet de papa ? Sans aucun doute il n'aurait pas vu un héros. Superman n'aurait jamais tué papa. Il n'aurait pas non plus fait fuir maman. Le petit Sacha aurait été déçu d'apprendre que ce n'était pas aller loin sur la mer qui nous donnait une cape et la stature d'un héros, capable de rendre le monde meilleur. Il aurait été déçu de voir que ni papa ni moi n'étions ceux qu'il espérait. Le papa du petit Sacha n'avait jamais eu besoin d'alcool pour vivre, il n'aurait pas non plus laisser ces enfants naviguer seuls dans cette vie. Ma main posée sur celle de papa, je ne savais plus si le héros était celui qui tentait de sauver un monde déjà perdu ou si être le héros était de survivre dans ce monde. Peut-être qu'il n'y avait pas de héros finalement. Peut-être que ce n'était qu'une imagination d'enfant.
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Nos Âmes Brisées (EN REECRITURE)
Teen FictionIl y a ces moments où l'on s'aperçoit que nous ne tenons plus que sur un fil, si fin qu'une lésion peut nous être fatale. Depuis qu'elle est partie, leurs vies se sont effondrées. Ils se sont éloignés jusqu'à devenir des étrangers, attendant chacun...