Epilogue

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Les nuages parsèment le ciel. Petite j'aimais leur trouver de quelconques ressemblances avec des animaux ou des objets du quotidien. C'était le passe-temps des après-midi d'ennui et des trajets en voiture. A présent, je n'ai plus autant d'imagination et les nuages ne sont plus que des tâches blanches ou grises au-dessus de ma tête. Le soleil de midi m'éblouit, j'ai beaucoup de difficultés à garder les yeux rivés vers l'immensité bleue. Dans quelques heures je regarderais le monde d'un nouveau point de vue. J'ai la malheureuse idée de bouger de quelques centimètres, ce qui me fait grimacer, me rappelant que ces lattes de bois n'étaient pas confortables en position allongée.

Je me souviens de la dernière fois où je suis venue sur ce banc, un joint coincé entre les doigts. J'avais pensé que la vie ne valait plus la peine et qu'un joint de plus me rapprochait davantage de la mort. Lors des journées de prévention contre les drogues, les infirmières nous avait expliquées que le risque de cancer lié à ce genre de consommation était vingt fois plus élevé qu'avec une cigarette normale et que l'on avait 40% de risques de développer une maladie mentale. Ironie du sort, j'avais si peur d'être schizophrène que je consommais des drogues qui augmentaient mes risques de le devenir réellement. J'étais si habitué à la sensation du rouleau sur ma peau que son contact me soulageait. Le papier qui frottait contre mes lèvres humides, la fumée qui emplissait ma bouche, ma gorge et mes poumons d'un goût étrange, mais que mon palais trouvait doux. En fait de goût, mon palais n'avait plus idée de ce qu'était la réalité du goût agréable et du détestable. Il ne faisait plus la différence mais se satisfaisait grandement de la drogue. Cela me procurait des sensations de force, d'énergie, je sentais mon coeur palpiter, mon sang circulait plus vite et le monde semblait plus léger. Je pensais que c'était les seuls moments où je vivais réellement. Un petit peu de substance pour une vie palpitante, exaltante. Si la drogue me montrait la vie en me tuant à petit feu, il n'y avait aucune raison pour que je l'abandonne.

Allongée sur ce banc, la peau brûlante de par la chaleur extérieure, j'ai l'impression que cela fait une éternité que je n'ai pas fumé. Ma thérapeute dit que c'est bien que j'y pense pour pouvoir mesurer le parcours accomplit en peu de temps. Elle a peut-être raison. D'ailleurs, je suis plutôt fière de mes progrès alors que je me remémore qu'il n'y a pas un an je lisais cette phrase magique, à cet endroit précis : "Chaque baiser volé est un petit bout d'innocence qui nous échappe". Elle sonne toujours aussi vraie dans mon esprit. Elle n'a sûrement rien de particulier pour les autres, mais elle marque le début d'un tournant pour moi. Sur ce vieux compagnon derrière le lycée, fermé pour les vacances, je serre ce petit marqueur noir entre mes doigts. J'inspire un grand coup ; c'est à mon tour d'écrire une part de vérité. J'y ait réfléchi longtemps. Je ne voulais pas écrire n'importe quoi, il fallait que cela soit une part de moi. Là, aujourd'hui, je savais que c'était le bon moment, j'étais prête. Je n'avais pas hésité à venir sur un coup de tête, passer par le trou du grillage cassé du l'établissement pour pouvoir atteindre mon objectif. Peut-être qu'un jour un élève viendra calmer des angoisses sur ce banc et qu'il passera son doigt sur ces mêmes lettres indélébiles. Peut-être qu'il gardera mes mots en mémoire, que cela l'aidera. Peut-être que lui aussi voudra graver sa vie. Je m'assois et passe moi-même mon index sur les mots écrits par Léo, prenant soin de suivre chaque trait comme si je les écrivais. J'ouvre ensuite mon marqueur et choisit d'écrire juste en-dessous : "Les mots ont un pouvoir que l'on oublie trop vite".

- C'est bon tu as fini ? Je peux ?

J'acquiesce alors que Sacha s'empare du feutre. Je l'avais fait attendre adossé au mur de l'école, alors que je contemplais le ciel, le feutre en main et il s'impatientait.

Il s'approche du banc en secouant son poignet pour en faire sortir l'encre. J'essaie de deviner ce qu'il écrit mais son bras cache volontairement les lettres noires.

- Dépêche-toi, je vais rater l'avion et Léo va me tuer, je râle de mauvaise foi.

- Vous prendrez le prochain. Le monde peut attendre encore un peu que tu en fasses le tour.

Il s'écarte et admire quelques instants son travail. Puis, il me rend le stylo avant de s'éloigner tranquillement. Sur le dossier du banc, je vois qu'il a complété ma phrase de sa jolie écriture : "Deux mots suffisent à nous sauver". Je souris en pensant que d'autres écriront certainement leurs histoires sur ce gardien muet, où plusieurs générations adolescentes peuvent se côtoyer. Seul ce le boi saura ce que chacune de ces phrases signifient, une trace de nos vies éphémères, que le temps n'effacera peut-être pas si vite. 

FIN

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Et oui, c'est déjà fini ! Enfin presque... il y aura bien évidemment des modifications, ajouts et corrections suivant les commentaires que j'ai pus recevoir mais aussi les idées et envies qu'il me tarde d'ajouter pour étoffer l'histoire. 

Bien à vous chers lecteurs ! Au plaisir de vous revoir ! 

Nos Âmes Brisées (EN REECRITURE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant