*Sacha*

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Le vent faisait onduler mes cheveux auburn, sur lesquels le sable collait. Il ne faisait pas assez beau pour prendre la planche et je ne comptais pas déchirer une nouvelle fois ma voile. La mer était agitée, des rouleaux de mousse blanche se jetaient sur les écueils du rivage. C'était ces jours-là que je la trouvais la plus belle. Elle me faisait penser à ma sœur, une force de la nature, à la fois gracieuse et totalement intouchable. Parfois douce et calme, d'autres fois emplie de colère, le cœur grondant. Pour moi, la mer c'était Camille et moi j'étais un coquillage échoué sur la mauvaise plage.

Je venais dans la baie tous les jours. Souvent je prenais ma planche et bordais ma voile. De temps à autres je m'asseyais au bord de la digue et j'observais. Je me rappelais que nos parents nous y emmenaient le week-end, plusieurs années auparavant. Mon père montait sur sa planche, l'air heureux, et nous le regardions partir au loin. Ma sœur, ma mère et moi, étions à la fois effrayés et émerveillés par sa capacité à "voler" sur l'eau, comme disait Camille. Cela faisait rire maman. Il était arrivé qu'il n'y ait pas assez de vent pour pouvoir "voler". Ces jours-là, nous pique-niquions sur le sable en attendant la brise. Maman faisait une salade que nous dégustions tous ensemble, à même le plat. Puis elle sortait de sa boîte à gâteaux quelques madeleines au citron, préparées la veille. C'était notre sortie dominicale, en famille. De temps en temps, Mamina se joignait à nous et nous racontait ces histoires de petite fille sur cette plage, où comme nous elle avait joué. Je l'entends encore nous répéter : "C'était une autre époque mes enfants, une époque d'insouciance". Je ne me doutais pas encore qu'elle avait raison, l'insouciance devient vite "une autre époque" et les châteaux de sable sont éphémères.

Le soleil se couchait lorsque je rentrais à la maison. L'odeur d'alcool, mélangée à celle de la javel et de la bougie parfumée au jasmin m'était insupportable. C'était l'odeur qui me rappelait que maman n'était plus là et l'odeur d'un père qui se tuait lentement. L'odeur du marin qui s'est échoué, n'ayant plus la force de lutter. Camille allumait toujours cette horrible bougie pour masquer les autres odeurs.

Je montais à l'étage, sans un bruit. Je plaquais mon oreille contre la porte de la chambre de ma sœur. Je l'entendis fermer rapidement son velux. Je compris qu'elle était sur le toit en train de fumer. Elle pensait que je ne l'avais pas remarqué, mais je l'avais su du jour où elle avait commencé. Ces vêtements sentaient la clope, je ne pouvais pas en dire autant de son haleine, puisqu'elle ne m'adressait que très peu la parole. Cela faisait plusieurs années que nous n'avions pas eu de conversation normale, nous passions notre temps à nous croiser sans jamais un regard pour l'autre. Cela me fendait le cœur, mais je n'en disais rien.

Je passais devant la chambre de mon père, qui devait sûrement décuver à cette heure. De toutes façons, lui non plus ne parlait plus. Il buvait trop pour pouvoir parler, il en était réduit à une épave, perdue au milieu d'un océan d'alcool et de désespoir. Nous étions tous des cœurs brisés, des âmes abandonnées, naviguant dans une vie dont on ne voulait plus. 

Nos Âmes Brisées (EN REECRITURE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant