Chaque matin, au réveil, je regardais autour de moi et je me demandais ce que je faisais encore ici. Parfois, je regrettais que mon cœur ne m'ait pas lâché durant la nuit, comme elle l'avait fait. Je ne cessais de m'en vouloir de ne pas être partie avec elle, de ne pas l'avoir suivie. Je me raisonnais en me disant que j'avais pensé qu'elle reviendrait, que j'avais espéré que tout ça se finirait, que ce n'était que passager. L'espoir était parti, comme elle, quatre ans auparavant. Il s'était usé au fil du temps, j'avais fini par m'habituer à son absence.
J'avais espéré longtemps pourtant, trop longtemps sûrement. Je m'étais même inscrite à un cours d'Art Appliqués, cela ne me passionnait pas vraiment. Pas du tout, même. Mais je me disais que peut-être, un jour, je trouverais quelqu'un qui la connaissait, quelqu'un qui l'avait croisée, même si ce n'était que furtivement. Je pensais qu'un tout petit souvenir d'une de ces personnes aurait peut-être pu me mettre sur ces traces. Alors, dès que je rencontrais un nouvel artiste lors d'une expo, ou d'un stage, ou encore une nouvelle personne qui s'inscrivait dans mon cours, je lui demandais s'il ne l'avait pas vu. Je la décrivais toujours comme quelqu'un de souriant, parce qu'elle l'avait été. Quelqu'un que l'on remarque obligatoirement, parce que tout le monde n'avait d'yeux que pour elle.
Mais ce quelqu'un, je ne l'avais jamais vu. Elle avait disparue, s'était évanouie. J'avais fini par comprendre qu'elle était loin, trop loin, car je savais qu'elle n'aurait pas résisté à sa passion pour les Arts Appliqués. J'avais cessé de demander aux nouveaux s'ils ne l'avaient pas rencontrée, mais étonnamment, j'avais continué les Arts Appliqués. Peut-être qu'une partie de moi-même s'était mise à faire preuve de créativité, ou bien qu'au fond je n'acceptais toujours pas cet abandon.
Je n'avais jamais dit à personne que je faisais ces cours, tout comme j'avais gardé pour moi les dessins que j'avais retrouvés dans sa chemise bleue. Elle l'avait oubliée sous son lit en partant. Je me plaisais à me dire qu'elle les avait laissés à mon intention, que ce n'était pas anodin, puisqu'elle avait emporté les reste des chemises, pochettes et autres calepins remplis d'une vie d'artiste. Je l'imaginais, se disant que je les trouverais, comme un message caché. Je les avais tous regardés, observés, des centaines, des milliers de fois même. Mais rien. Ils n'avaient rien de différents. Ils représentaient tous la mer, à différentes saisons, sous différentes luminosités, à différents endroits. On aurait pu croire que son œuvre ne se résumait qu'à la mer sous différentes formes, comme si elle ressentait une fascination particulière pour celle-ci, alors qu'il n'en était rien. Je me rappelais de ces esquisses représentant mon père à son bureau, ou celle de mamina telle qu'elle était dans une autre époque, celle où elle ne portait encore que l'admiration d'une enfant sur sa mère dans son regard.
Je voyais une psychologue au début, le collège nous l'avait imposé. Mon père ne s'y était pas opposé, il pensait que ça nous aiderait à surpasser son absence. J'y étais allée pour lui faire plaisir, et peut-être aussi parce que j'espérais qu'elle reviendrait et que tout s'arrangerais. La psy était toute petite, vieille et aigrie, elle parlait d'une voix éraillée et glacée, qui me faisait frissonner dès qu'elle ouvrait sa bouche, entourée d'un rouge à lèvres collant. Elle avait fini par m'avouer qu'elle comprenait très bien qu'elle se soit enfuie loin de nous - malgré le fait qu'elle détestait sa peinture totalement irréaliste et aucunement artistique - puisque vivre avec un psychopathe dans sa propre maison c'est comme vouloir aimer son propre tueur. Je n'y étais plus jamais retournée, et j'avais continuer à assister à ces cours d'art. Comment avait-elle osé insulter sa peinture de cette manière ? Je n'obligeais personne à apprécier son art mais il y avait un minimum de respect à avoir envers l'artiste et ce qu'il avait souhaité transmettre.
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Nos Âmes Brisées (EN REECRITURE)
Genç KurguIl y a ces moments où l'on s'aperçoit que nous ne tenons plus que sur un fil, si fin qu'une lésion peut nous être fatale. Depuis qu'elle est partie, leurs vies se sont effondrées. Ils se sont éloignés jusqu'à devenir des étrangers, attendant chacun...