J'étais à peine entré dans ce que je qualifiais de « zone à hauts risques », que je sentis l'atmosphère pesante de l'école sur mes épaules. Chaque pas se fit plus lourd que le précédent, chaque regard croisé m'étouffais de l'intérieur, comme s'ils savaient qui j'étais. Mon penchant pour la solitude pendant ces deux dernières années m'avait rendu peut-être légèrement plus agoraphobe que la plupart des gens, et sûrement encore plus paranoïaque. J'avançais néanmoins, tentant de m'enfermer dans cette bulle que j'avais matérialisé autour de moi jusqu'à ce jour. Je me concentrais sur ma respiration afin d'oublier le reste du monde.
J'étais presque arrivé devant l'entrée du lycée lorsque, poussé par quelque sensation dérangeante, je m'arrêtais, puis dirigeais mon regard à l'endroit précis où se trouvait ma soeur. Je croisais furtivement le regard de ses amis, que je voyais pour la première fois. Je ne m'attardais pas, gêné par leurs regards insistants. Je n'avais jamais imaginé ma soeur avec ce genre d'énergumènes aux allures peu communes. En réalité, je n'avais jamais pensé ma soeur avec d'autres personnes que moi. J'avais été son unique ami pendant toute notre enfance, certains diront que c'est égoïste, et c'est sûrement vrai, mais je sentis mon coeur se serrer à la pensée qu'elle puisse les préférer à moi. L'idée me traversa furtivement l'esprit que Camille leur ai parlé de moi. Mais je chassais rapidement cette pensée absurde, tandis que la femme de la plage, juchée sur ses petits escarpins, se dirigeait vers moi avec détermination. Son regard était toujours aussi dur et sa démarche toujours aussi ridicule.
- Votre père ne vous accompagne pas ? m'interrogea-t-elle sans même me regarder.
Cette femme aimait visiblement être désagréable. Je m'abstins de tout commentaire pour la suivre sans un mot jusqu'à son bureau.
La pièce était petite et totalement impersonnelle: aucune photo de famille, aucun cadeau d'élève ne trônait fièrement. Seulement un stylo et un calepin.
L'assistante sociale s'assit en face de moi. Je fis de même, tout en prenant soin de ne pas faire de bruit en déplaçant la chaise. J'avais peur de déranger cette atmosphère étrange qui régnait dans son bureau. On aurait pu croire à une présentation IKEA tant tout était rangé et soigné jusqu'au moindre détail. On aurait dit que personne ne vivait ici.
Le silence se fit d'autant plus pesant qu'elle se tenait droite face à moi, réfléchissant sûrement à ce qu'elle pourrait me dire. Puis, je me pris à l'observer, me perdant dans ses pupilles presque noires, détaillants les petites ridules autour de ses yeux et m'attardant sur sa bouche pincée, teintée de rouge carmin type années trente. Je ne décelais aucune trace de tendresse dans son regard et ses cheveux tirés en une queue de cheval stricte me laissais croire qu'aucun mot ne pouvait être délicat ou doux dans la bouche de cette femme. Décidément, elle n'avait rien pour plaire.
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Nos Âmes Brisées (EN REECRITURE)
Teen FictionIl y a ces moments où l'on s'aperçoit que nous ne tenons plus que sur un fil, si fin qu'une lésion peut nous être fatale. Depuis qu'elle est partie, leurs vies se sont effondrées. Ils se sont éloignés jusqu'à devenir des étrangers, attendant chacun...