2.Gauthier

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J'avais passé toute la soirée et une partie de la nuit sur le projet qui me tenait à cœur. Il s'agissait de réhabiliter un quartier de l'est parisien, de manière écologique. Il ne me restait ce matin qu'à effectuer les dernières mises en forme. Le projet devait être dans un premier temps présenté devant l'équipe pour obtenir leur validation. Ensuite celui-ci ne m'appartiendrait plus et il faudrait que je le défende devant les clients.

J'avais donc beaucoup bu de thé hier soir et m'étais couché tard pour boucler le dossier. Le manque de sommeil commençait à se faire sentir, surtout que par péché d'orgueil, je l'avoue j'avais choisit de porter mes lentilles plutôt que mes lunettes; conséquence directe : mes yeux me brulaient, quel âne !

Gauthier 0 - Boulot 1

Le projet tenait la route, j'en étais fier, un mélange de verre et de béton avec un aménagement paysager qui allait permettre de climatiser naturellement l'ensemble. Si les clients étaient ouverts j'allais même leur proposer un toit végétalisé, bref javais optimisé tous les éléments naturels. Summum, j'avais eu le temps de produire quelques esquisses pour la présentation. Il n'y aurait pas seulement que des images numériques, mes aussi mes croquis que j'avais eu le temps de coloriser et pour moi cela faisait toute la différence .

Bref un dossier bouclé : beau et bon, Gauthier, mon gars va falloir te surpasser pour tenir ton auditoire en haleine !

Gauthier 1 - Boulot 0

Travailler dans une structure plus petite, nous n'étions qu'une dizaine de collègues, me convenait. Elle était tournée essentiellement vers les énergies renouvelables et l'écologie. Cela m'apportait un apaisement après toutes ces années passées aux États-unis.

Certes celles-ci m'avaient fait progresser dans ma carrière mais elles avaient aussi été épuisantes. C'était donc tout naturellement, quand un ami rencontré en école d'architecture, m'avait contacté pour une place de directeur de projet, que j'avais quitté New-York. Je préférais laisser l'effervescence et la sur-dimension américaine pour revenir dans un cabinet de taille humaine.

Je travaillais donc pour "Architecture design vert" depuis maintenant six mois, j'avais mon bureau au premier étage. Les deux grandes fenêtres donnaient sur un parc où je pouvais voir les enfants et leurs parents se promener quand la saison le permettait. En été on sentait les effluves des tilleuls en floraison et cela me changeait des pots d'échappement.

.....

Au premier abord, le cabinet m'avait dérouté quand j'étais arrivé le premier jour. Heureusement qu'il y avait une plaque sur le devant en cuivre avec les initiales, sinon j'aurais cru que c'était un échoppe d'artisan. J'avais donc poussé la porte et j'avais été accueilli par une petite blonde tout en couleur et parfum vanillé avec un gigantesque sourire.

- Bonjour, son accent espagnol qui roulait les r très prononcé m'avait conquis d'emblée.

- Bonjour, je m'appelle Gauthier Demancel, j'ai rendez-vous avec Géraud Doreman, dis-je serrant la lanière de mon sac d'ordinateur un peu plus fort. Je ne pensais pas être aussi stressé.

- Gauthier, ah te voilà enfin dit-elle en s'exclamant et en soufflant. Suis-moi, elle se lève et se dirige vers une porte dans le fond, puis elle se retourne d'un coup sec en effectuant une sorte de pirouette sur ses très hauts talons. Tu permets que je te tutoie, ici c'est la règle, au fait, moi c'est Sofia.

- Oui, oui...heu.... enchanté, je bafouille, je ne peux détourner mon regard de tous ses colliers multicolores qui scintillent dans le rayon de soleil que laisse entrevoir les rideaux.

Gauthier 0 - Sofia 1

Elle frappe deux petits coups secs sur la porte fermée, n'attend pas de réponse et rentre. Géraud est au téléphone derrière une énorme pile de dossiers, son ordinateur est allumé sur des diagrammes de couleurs vives. Il tient une tasse de café fumante.

- Gauthier, salut, je suis à toi dans deux minutes, me dit-il en mettant une main sur le micro de son téléphone, assis-toi, mets-toi à l'aise, merci Sofia dit-il en lui faisant un clin d'œil.

Je pose mon sac à coté du fauteuil en face du bureau de Géraud et m'assois. Je balaye des yeux l'ensemble du bureau, au fond il y a une bibliothèque où les livres et les bibelots rapportés de voyages cohabitent. Je reconnaît le modèle réduit de taxi jaune new-yorkais que je lui avais offert quand il était passé me voir lors l'an dernier à Manhattan. Ça lui ressemble bien tout ce bric-à-brac, c'est généreux et mal rangé, et tout d'un coup ça me rappelle le studio qu'on partageait tous les deux pendant nos études.

.....

- Gauthier, amigo, tu es parti où dis-moi, Géraud s'était approché sans que je ne l'entende, la porte de mon bureau étant toujours ouverte. Il se tient contre le chambranle, les bras croisés en souriant. Je sens le tabac d'ici, il doit être stressé, eet a du fumer beaucoup trop ces jours-ci. Ce projet est très lourd pour notre cabinet, il doit lui assurer un revenu pendant un certain temps.

- Tu me connais dis-je en relevant, la tête de ma présentation, je suis parti loin, je repensais au premier jour quand je suis arrivé...

- ah oui, t'étais pas trop sûr de là où tu avais mis les pieds, et te voilà six mois plus tard à défendre le projet qui doit tous nous garder à flots, Géraud respire fort; je ne pensais pas t'embarquer dans cette galère à ce moment-là.

- Eh, no stress, ça va le faire ça l'a toujours fait. Je me lève, m'approche de lui et lui presse l'épaule de ma main droite. Don't worry, ce n'est qu'une mauvaise passe et surtout ne t'en veux pas, je ne regrette pas mon choix d'être là, je me sens mieux qu'à New York même si tout n'est pas encore calé. Je lui fais le sourire le plus bienveillant que je peux, j'y mets tout mon cœur.

- J'ai jamais fait un aussi bon choix le jour où j'ai pris mon téléphone pour te dire de venir travailler ici, il souffle et semble se détendre enfin.

- Eh les amoureux, on vous attend en salle de réunion, le café et le thé fument, Sofia arrive comme une tornade montée sur ses talons rouges extravagants, mon dieu comment fait-elle pour ne jamais tomber; elle doit surement posséder des talents de magicienne. Elle se tourne vers moi.

- Impressionne-nous l'américano, elle ricane. Prends tes dossiers l'ordi est prêt pour le show, elle lève le menton, les mains entourant sa taille.

-Sofia, ce qu'il y a de bien avec toi, c'est que tu ne me mets jamais la pression, je dis ça en avalant de travers. Je tourne le galet que j'ai dans ma poche, il me vient de la rivière à côté de la maison de mon grand-père, c'est mon talisman, je l'ai toujours avec moi.

Allez Edmond, papi, donne-moi de ton courage, porte-moi chance; il faut que ça passe.

- Are you ready for it ?, je souris et vais prendre mes planches de dessin.

- Merde, si tu cites Taylor Swift c'est que l'instant est grave, Géraud met la main sur son cœur et prends l'air grave avant d'éclater de rire. Sofia lève les yeux au ciel, elle est habituée à nos joutes verbales.

Gauthier 0 - Géraud 1

- A chacun ses philosophes, je ricane en arrivant devant la table ronde où attendent déjà mes collègues. Chevaliers, voilà ma présentation, je souris.

Les regards sont tendus, tout le monde attend tellement de ce projet. Je commence en plaquant une détermination de circonstance sur le visage, oublie-tout Gauthier, concentre-toi sur ton but, pense positif, comme aurait-dit mon grand-père.

J'inspire, expire.

Compte dans ma tête : 1, 2, 3

Voilà, les dés sont jetés.




Au-delà des méandresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant