7. Adam

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Urgence médicale, je n'aime pas ça, je ne peux m'empêcher d'appeler ma mère pour savoir si elle va bien. Elle répond à la troisième sonnerie.

- Adam bonjour, comment vas-tu ? Vous avez gagné hier ? Il m'a semblé entendre des coups de klaxon. Elle est essoufflée quand elle parle.

- Bonjour, oui ça s'est bien passé mais je suis rentré tôt hier soir, j'étais fatigué de la semaine et de la chaleur. Ça va ? Je pars en intervention là, je voulais simplement vérifier que vous alliez bien avec Barbara.

- Quand vas-tu cesser de t'inquiéter, elle soupire, c'est plutôt mon rôle de jouer les mamans poule. Je suis dans le potager, j'arrose avant que le soleil ne gâte les salades. Ta sœur ne travaille pas aujourd'hui, elle va se baigner avec des copines, il me semble, elle a 25 ans et je ne vérifie pas tout le temps ce qu'elle fait. Laisse-lui du mou sur sa laisse papa ! Elle part d'un éclat de rire. Dis donc Adam je ne te demande pas si tu as passé la nuit seul, il me semble ?

Ma mère, c'est mon rayon de soleil, elle a toujours une histoire drôle à raconter, une anecdote sur l'un ou l'autre. Tout le monde la connait et la respecte dans le village, elle est à la retraite maintenant. Mais elle s'occupe encore très activement dans l'association qu'elle a créée, elle lit pour les enfants, les malades. Elle continue donc malgré tout son travail de bibliothécaire en bénévolat.

C'était comme ça qu'elle avait rencontré mon père, il s'était cassé la jambe et avait été hospitalisé, elle était venue lui lire des livres pendant les semaines de rééducation. Elle était étudiante, lui travaillait comme charpentier. Il m'avait dit qu'il avait eu le coup de foudre pour cette jolie rousse qui souriait timidement.

- Tu sais Adam, quand elle est entrée, j'étais en train de boire un verre d'eau et rien qu'en la voyant je me suis étouffé. Un vrai idiot, j'en ai perdu mes moyens, je n'arrivais plus à parler après ça. Elle est venue tout de suite m'aider, me taper dans le dos. On s'est mis à rire, on a tout de suite sympathisé, elle est revenue souvent par la suite. Remarque, elle avait du travail avec moi, je ne connaissais aucun des livres dont elle me parlait. Elle disait que j'étais sa Shérazade. Tu verras quand tu rencontreras la bonne personne, ce sera comme un feu d'artifice, il n'y pas d'entrée en matière tiède. A ce moment-là tu sauras, tu le ressentiras dans ton cœur, tu auras trouvé ton âme sœur.

Quel romantique mon père sous ses airs de bourru, il rajoutait toujours :

- Chut, pas un mot à ta mère, elle n'aurait pas fini de me titiller avec cette histoire. Ce sera notre secret entre nous, un secret d'homme, les femmes n'ont pas besoin de savoir !

...

- Maman, je dois te quitter j'arrive à la caserne, bonne journée, bises.

- Fais attention à toi chéri, passe me voir quand tu as le temps, je te ferai un panier, bises.

J'éteins, me gare en trombe sur le parking, les collègues sont déjà là, je quitte le pickup en courant.

Henri, me salue, c'est le chef de la caserne.

- Adam, habille-toi, on part chez Mme Sauvât, elle a fait une chute dans les escaliers, ses voisins nous attendent, il me tape sur l'épaule.

Je récupère mon casque, saute dans le camion, Guillaume conduit, il me sourit. Merde avec lui ça va être rock'n'roll, il adore activer la sirène et le gyrophare, il roule de manière très sportive, je m'accroche déjà à la poignée.

Le fils caché de Dominic Toretto de Fast and furious mais avec les cheveux en prime .

Estelle est là aussi, c'est reparti pour les œillades, et merde ça va être long ! Je me renfrogne dans mon col après avoir salué tout le monde.

- Alors Apollon, on décuve me lance Xavier.

Merde je ne l'avais pas vu, il ne manquait plus que ça ! Les allusions lourdes vont reprendre.

- Lâche-le tu veux râle Estelle, elle ne peut s'empêcher de venir à mon secours.

Bordel comment je vais me sortir de ce marais, je m'enfonce à chaque pas, je soupire.

- Monsieur a ses règles on dirait ricane Xavier.

Je préfère ne pas répondre mais je lui lance un regard assassin. Ouf on arrive déjà devant la maison de Mme Sauvât, merci à la conduite de Guillaume, pour une fois !

Même si on se chambre beaucoup, dès qu'on est sur le terrain chacun connait sa place, les gestes à faire ; rien n'est laissé au hasard, il n'y a plus de rigolade. On est professionnel avant tout.

Je me dirige vers les escaliers, je connais cette maison, c'est celle de mon ancienne prof de maths du collège, comme je n'étais pas un élève très concentré, j'y allais parfois le soir pour réviser les problèmes.

Elle est étendue et semble souffrir, elle a quand un petit sourire sur son visage très pale quand elle me voit.

- Tu viens pour Pythagore Adam ?

- J'aurais préféré finalement, ne bougez pas, j'évalue en même temps d'un coup d'œil et en touchant différentes parties de son corps. On va vous amener à l'hôpital, sans trop vous bouger, vous avez mal ? de l'oxygène va vous aider à respirer, le médecin arrive; mais qui pourrait suivre de près Guillaume, il oublie que c'est un camion de pompier pas une voiture de course qu'il pilote.

Elle rigole et une quinte de toux la cloue sur place.

- Adam, toujours à faire le joli cœur dès qu'il y a une demoiselle clame le Dr Paquet. Laisse-moi de la place je l'examine et vous la mettrez sur la civière, il dicte ses ordres, je me relève et attends.

Je suis toujours celui qui va réconforter le patient, cette place m'a été dévolue dès que j'ai commencé, je parle et j'évalue. Même si je suis stressé pour la personne apparemment je ne transmets rien c'est ce que tout le monde à la caserne dis. Il parait même que je perds toute ma rigidité dans ses moments, moi je ne m'en rends pas compte, c'est instinctif, je crois.

- Je pense que c'est le col du fémur, direction l'hôpital, elle est sédatée vous pouvez la transporter, Guillaume mollo sur l'accélérateur où vous allez finir dans un fossé, Adam, vas à l'arrière avec elle, elle te réclame, apparemment vous devez réviser Thales et Pythagore, bon courage, il rigole.

Rien ne me sera épargné aujourd'hui, pourtant je n'ai pas cassé de miroir. Je voulais fendre du bois, me vider la tête et puis revoir Simon pour me détendre différemment, mes lèvres frémissent. La journée avait pris un tout autre chemin, un mauvais départ avec le petit-fils d'Edmond et puis maintenant....

J'allais en avoir jusque vers 14h00, entre le transport à l'hôpital, les papiers à remplir, le débriefing ensuite, la collation qui suivait histoire d'évacuer toute la pression, je ne serai pas chez Simon avant 17h00.

Il sourit en ouvrant la porte de son appartement et me voyant débarquer avec mon air contrit. Il m'ouvre les bras et je viens immédiatement m'y lover même s'il faisait une tête de moins que moi, je m'y sentais toujours en sécurité.

- Allez rentre et raconte-moi ta journée, si tu es là c'est que tu dois être bien mal et il se met à m'embrasser. Il sent son gel de douche citronné, je ferme les yeux de plaisir, il a toujours une manière tendre de me caresser la nuque. A travers son jean je sens qu'il est déjà prêt à m'accueillir.

Je pousse la porte avec le pied sans arrêter de l'embrasser mais quand je rouvre les yeux ce n'est pas le visage de Simon que je vois mais celui d'un petit oisillon brun ébouriffé, tout perdu avec de grands yeux couleur miel qui étincelaient derrière des lunettes. Cette image eut pour effet de m'exciter immédiatement.

- Mumm, je sens que tu es content de me voir, Simon était fier de l'effet qu'il me faisait, je laissais tomber ma tête sur son épaule, vaincu.

J'ai envie de vomir, le gout de la bile vient dans ma bouche. Ce n'est pas possible, je suis encore en train de m'enivrer pour oublier. Depuis longtemps, j'avais érigé des murs tout autour de moi en protection. Ce n'était qu'un château de carte instable prêt à tout moment de s'effondrer. Le problème c'est que les dommages qui allaient en découler toucheraient beaucoup plus de personne que moi-même.

Tout d'un coup j'eus cette terrible pensée que ma vie s'écoulait sans que je sois aux commandes.

Au-delà des méandresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant