"Fais la passe ! hurle Stéphane, en courant à côté de moi.
J'allonge mon pied droit, je suis en extension et pas de mon meilleur angle. Je tire aussi fort que je peux sans m'occuper de ses paroles. Au loin je vois le gardien qui se détend, il est très grand; il décolle dans la lucarne mais son temps d'hésitation lui fait perdre l'avantage.
J'entends un silence, mon souffle et puis tout d'un coup le bruit du ballon dans les filets. Les cris du public s'amplifient, des hourras, mon prénom et quelques jurons de l'équipe adverse.
Je m'arrête dans ma course, finalement à 34 ans t'es pas fichu Adam, comme quoi tu as encore de beaux restes. Je me penche en avant pour souffler, les mains sur les cuisses.
J'engrange au maximum toutes les sensations : la brise légère, l'odeur de la pelouse fraichement tondue, mon cœur qui bat à tout rompre dans ma poitrine...
Le fils caché de Claudio Marchisio, la classe à l'italienne quoi...moins les tatouages.
Je n'arrive plus à penser de manière cohérente quand je sens les autres arriver sur moi, certains me tapent sur l'épaule, d'autres m'attrapent par le cou, c'est ma minute de gloire !
"Eh capitaine bien joué m'envoie Stéphane en me rattrapant, il rit, t'as bien fait de te la jouer perso !
- T'endors pas sur tes lauriers l'ancien ricane Aymeric dans mon dos, arrêtez de trop le flatter les gars crie-t-il aux autres, on ne va plus l'entendre, allez on y retourne c'est pas encore gagné."
Il a raison,chacun reprend sa place,l'arbitre siffle, même si j'ai marqué on est toujours mené 2 à 1, et en plus c'est le derby : Chateauval / Marcoin. Si on ne veut pas en entendre parler au bistrot tous les week-end, il va falloir améliorer le score. Il faut dire que certains ont la dent dure dans le village.
Finalement Xavier, à la dernière minute a réussit à égaliser, ouf l'orgueil est sauf, les équipes se tapent dans les mains et on va dans les vestiaires. Je retrouve Aymeric sur le banc, je m'assois et souffle. Je transpire abondamment, il fait chaud en ce début du mois de septembre pour jouer le dimanche après-midi. Je prends ma serviette et vais me doucher.
"Eh capitaine, tu payes ta tournée ce soir ? me dit Stéphane, et après on pourrait partir en chasse, une petite poulette bien roulée, il mime des hanches généreuses en éclatant de rire.
- Pas ce soir, je suis déjà pris si tu vois ce que je veux dire, je lui fais un clin d'œil, avec un peu de chance il va me lâcher.
-Ouais je vois le genre, rien ne vaut une petite femme ! quand je pense qu'il y en a qui préfèrent les hommes, non mais je te jure faut bien être bizarre pour penser des trucs comme ça !
-Beurk, moi ça m'écœure renchérit Xavier d'un air dégouté, en faisant tourner sa serviette d'un air menaçant, je te jure y a des claques qui se perdent.Si j'en tenais un...il serre son poing en le levant."
Au fond du vestiaire, certains renchérissent, d'autres gloussent et certains font des gestes obscènes, 10 ans d'âge mental pour la plupart ! Et pourtant, pris à part, ils sont tous sympa, ça me fait mal, j'ai honte pour eux, tant d'étroitesse ça vous brise les ailes. Je serre mon pendentif entre mes doigts, je le mets entre mes lèvres et l'embrasse.
Maintenant Stéphane mime une scène avec Xavier, Aymeric lève les yeux au ciel, les autres rient. Stéphane, c'est celui qui parle le plus fort et beaucoup de jeunes l'écoutent. C'est un coureur invétéré, son mariage n'y a pas résisté d'ailleurs, malgré ses deux filles.
Je range les affaires dans mon sac, récupère un coca dans le sac que nous a laissé le coach.
"Les gars, salut, je lance à la cantonade, passez une bonne soirée, je vous dis à vendredi pour l'entraînement, je mets mon sac sur le dos et je quitte le vestiaire.
Au loin, j'aperçois la tête d'O'clock, mon épagneul breton qui apparait, il a senti que j'arrivais. Il a passé la match à m'attendre tranquillement couché à l'arrière du pick-up, dans une niche que je lui ai fabriqué. Il fait un tour sur lui-même puis se recouche il sait qu'on va démarrer, il est content de rentrer à la maison.
- Adam, attends, m'interpelle Aymeric, il arrive à ma hauteur, pose sa main sur mon épaule, tu me poses chez moi au passage ? "
Il a encore compris que j'ai menti. C'est vrai, je rentre chez moi sans sortir . Il me regarde en serrant les lèvres, je vois qu'il se retient, il attend qu'on rentre dans mon pick-up.
"Allez vas-y fais-toi plaisir, dis-je en tournant la clef dans le contact.
- Merde, je ne te comprends pas, il tape du plat de sa main sur le tableau de bord.
Il est énervé et ce n'est pas la première fois que nous avons cette conversation.
- Je ne me sens pas de faire autrement, je lui réponds les dents serrées. Tu l'entends comme moi Stéphane. Comment veux-tu que je fasse ? Des Stéphane y en a plein les rues, alors...
- Tu peux pas fuir toute ta vie, un jour tu vas te faire avoir, t'es content de cette situation?
- D'après toi ? je murmure en tournant dans la cour de sa maison.
- Allez, ne restes pas seul ce soir, tu vas ruminer c'est pas bon. Viens manger avec nous, Judith a préparé des lasagnes, elle sera ravie de te voir, il met sa main sur mon épaule, comme toujours pour me calmer.
- Non les amoureux, c'est gentil mais vous avez autre chose à faire et je vais vous lasser avec mes vieilles histoires, je lui réponds en essayant d'y mettre le plus de détachement! A mardi, sur le chantier.
- On aura bien besoin de ce lundi de repos, il rigole."
Il attrape son sac, sors et se dirige vers la porte d'entrée. Elle s'ouvre avant qu'il tourne la poignée.
Sacrée Judith elle devait nous observer par la fenêtre. Comme toujours elle nous a laissé un moment seuls pour discuter. Il en a de la chance, elle est à ses petits soins.
Ils font un beau couple. Je souris en le regardant l'enlacer, elle rigole, je vois qu'il lui murmure au creux de l'oreille quelques mots. Elle rougit en me faisant un signe de la main.
Je klaxonne en faisant demi-tour, je soupire, c'est ça qui me manque le plus, ces petits gestes du quotidien. Je les envie d'une certaine manière, peut-être qu'un jour, je connaitrai moi-aussi des bras virils qui m'attendront quand je rentrerai tard pour me réconforter.
Merde Adam, tu vires romantique ou quoi ? je m'ébroue la tête, vas boire une bonne bière et casser du bois ça te fera du bien.
J'aperçois au loin la grange d'Edmond, je gare mon pick-up derrière. Cela fait maintenant plus de dix ans que j'y habite Mes études terminées, on avait entrepris tous les deux les réparations et on avait aménagé un appartement, un deuxième était en projet pour l'aménager en gite.
Je prends mon sac à l'arrière, O'clock descend. Il furette, abois un coup en direction de la maison, il s'agite.
- Allez mon chien, on rentre, tu as sans doute sentit un lapin, y a personne chez Edmond tu le sais bien, je soupire.
Qu'est-ce que j'aurais aimé voir la lanterne du porche allumé, il la laissait tous le soirs pour moi, "elle te guidera, tu retrouveras toujours le chemin de chez toi" disait-il en souriant. Je serais passé le voir et on aurait bu une bière ensemble sous la tonnelle.
Je vais aller me coucher, Aymeric a raison je vais ruminer, demain, comme c'est mon lundi de repos, je me lèverai tôt et j'entreprendrai de fendre le tas de bois sur le côté pour l'hiver. Le bruit ne pourra déranger personne, je soupire.
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Au-delà des méandres
RomanceGauthier en revenant dans la maison de son grand-père dont il avait hérité ne pensait pas faire de rencontre. Adam lui, avait une vie bien organisée. Il aura suffit d'un regard pour que tout bascule. Mais à trop réfléchir on peut tout perdre... Il f...