La chapelle de la commanderie était de proportions modestes mais harmonieuses. Une double rangée de colonnes de marbre aux chapiteaux sculptés de motifs floraux soutenait les arches nervurées de la voûte, peinte en bleu azur et semée d'étoiles d'argent. Les murs de la chapelle étaient percés d'étroits vitraux aux couleurs chatoyantes, dont chacun illustrait un épisode marquant de la Bible : ici, on devinait dans la pénombre les ailes d'or de l'archange Gabriel penché vers une Vierge Marie enveloppée d'outremer et d'écarlate ; là-bas, un mince rayon de soleil faisait resplendir le camaïeu de verts d'un jardin d'Eden luxuriant.
Mais Thomas, assis sur l'un des bancs qui occupaient la nef, n'avait d'yeux que pour la grande toile suspendue au-dessus de l'autel. Exécuté bien des siècles plus tôt par un maître de la Renaissance italienne, le tableau représentait Saint Georges terrassant le dragon, dans un décor de forêt d'une sombre opulence. Conformément aux canons de l'époque, le martyr de l'Antiquité était peint sous les traits d'un chevalier en armure. Sa silhouette resplendissante se détachait sur le fond obscur, dressée sur la selle de son cheval blanc, et plongeait sa lance argentée dans la gueule immonde et rougeoyante d'un monstre au corps écailleux. Dans un coin du tableau, une jeune fille en robe pourpre priait, les yeux levés vers ciel : la princesse lybienne offerte en tribut que le dragon s'apprêtait à dévorer. Cette peinture avait toujours été la favorite de Thomas, autant pour son thème que pour la beauté de ses couleurs et l'élégance de sa composition, et il puisait toujours beaucoup de réconfort dans sa contemplation.
Lorsqu'il était enfant, il en avait reçue une reproduction montée dans un joli cadre à liseré d'or - un cadeau de son parrain, le maréchal, lors de sa confirmation. De toutes ses maigres possessions, c'était la plus chère à son cœur, et il l'avait accrochée juste en face de son lit dans le dortoir de la Maison des Oblats. Combien de fois en s'endormant, Thomas s'était-il imaginé dans l'armure scintillante de ce chevalier auréolé de gloire ? Combien de fois avait-il rêvé au jour où il pourrait enfin rejoindre les rangs des Frères de Saint-Georges, les yeux fixés sur le petit cadre de bois verni ?
Un coffre de bois doré était suspendu au plafond par quatre chaînes, juste au-dessus du tableau et de l'autel. Il abritait toujours la châsse qui avait contenu Ascalon, la plus précieuse relique de leur Ordre. Mais cela faisait maintenant plus deux siècles qu'elle était vide. On avait pourtant laissé le coffre en place, afin que nul ne puisse jamais oublier ce qui leur avait été ravi.
Il repensa à Sarah. Que savait-elle sur Ascalon ? Peut-être rien. Qu'avait bien pu apprendre le commandeur en l'interrogeant ? Et que leur avait-elle dit sur ce qui c'était passé avec Veneur ? Il revit le bras en décomposition du chasseur, sa chair qui tombait en lambeaux... Voir leur maître dans un tel état avait complètement bouleversé les chiens. C'était en partie grâce à Sarah que Guillaume et lui avaient pu s'en tirer face à eux.
Les portes de la chapelle s'ouvrirent dans un grincement qui tira Thomas de sa rêverie. Il sursauta comme un enfant pris en faute. Mais ce n'était que le frère Donatien. Ce dernier l'aperçut et remonta les travées pour venir s'asseoir à ses côtés.
_ Tu as l'air bien pensif, Thomas. Qu'est ce qui te préoccupe ? lui demanda le maréchal avec bienveillance.
Lorsqu'ils n'étaient que tous les deux, ils s'adressaient rarement l'un à l'autre par le nom de "frère". Donatien l'avait vu grandir ; pendant ses années d'apprentissage, il était celui qui l'avait guidé sur le rude chemin de la chevalerie. Les liens qui les unissaient se passaient de tant de cérémonie. Il connaît si bien mon cœur, se dit le jeune homme. Il devine mon trouble sans que j'ai à dire un mot...
_ Je repensais simplement à notre entretien de ce matin. J'ai bien peur que le frère Guillaume ne vous ait donné une fausse impression...
_ C'est à propos de cette jeune femme, n'est-ce pas ? Je suis désolé de te l'apprendre, Thomas, mais nous l'avons soumise à l'ordalie de saint Mathurin, et elle a échoué...

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Le Roi de l'Hiver
ParanormalC'est un soir d'octobre comme les autres pour Sarah, une jeune femme sans histoires qui est loin de se douter que sa vie va basculer dans l'étrange. En tentant de secourir un inconnu, elle se retrouve bien malgré elle dépositaire d'un fardeau qui s...