Chapitre 12 - Chevaliers de Saint Georges

788 108 19
                                    

L'espace cafeteria de la station-service se composait en tout et pour tout d'une demi-douzaine de tables et de quelques tabourets en plastique, encadrés par deux rangées de distributeurs automatiques aux couleurs acidulées. L'endroit était d'une propreté méticuleuse, aussi violemment éclairé qu'un bloc opératoire et pratiquement désert à cette heure de la nuit. Hormis le caissier qui s'ennuyait ferme derrière son comptoir, il n'y avait pour clients que trois routiers aux mines fatiguées, avachis devant des gobelets en carton vides, et un jeune couple qui s'engueulait à voix basse dans un coin.

_ Alors, vous êtes qui, exactement ? demanda Sarah, une fois attablée devant un expresso fumant.

Elle se sentait beaucoup mieux à présent, rassérénée par ce décor à la banalité réconfortante et par l'arôme revigorant du café. Ce fut le blond qui lui répondit. Sous la lumière crue des néons, elle s'aperçut qu'il était plus jeune que ce qu'elle pensait. Il devait à peine avoir une année ou deux de plus qu'elle. Le regard qu'il tourna vers elle était franc et direct ; il avait des yeux très noirs, où l'iris ne se distinguait pratiquement pas de la pupille, et qui contrastaient avec la pâleur de sa peau et de ses cheveux.

_ Je suis le frère Thomas. Et voici le frère Guillaume..., ajouta-t-il en désignant son compagnon aux tempes argentées.

Sarah tiqua. Des... frères ? C'est une blague ?  Incrédule, elle dévisagea les deux hommes qui lui faisaient face de l'autre côté de la table en formica.

_Vous voulez dire que vous êtes des... moines ? Sérieusement ?

_ Oui, confirma-t-il sans se troubler. Nous appartenons tous les deux à l'Ordre de Saint Georges.

Sarah n'avait jamais entendu parler d'un ordre religieux portant ce nom - et ses parents étaient pourtant de bons catholiques. Ces deux-là, avec leur carrure de déménageurs et leurs cheveux coupés si ras qu'on apercevait la peau de leurs crânes, avaient bien plus l'air de soldats - ou de miliciens - que celui de paisibles religieux. Même les vêtements sombres qu'ils portaient - pantalons épais, rangers et manteaux longs presque identiques - rappelaient plus un uniforme que la robe de bure traditionnelle des moines. De plus, les hommes d'Église n'étaient en général pas vraiment connus pour leur usage de la violence... ou des arbalètes.

_ Des moines qui portent des armes, c'est plutôt bizarre, non ? lâcha-t-elle avant de porter son gobelet à ses lèvres et d'avaler une gorgée brûlante.

Le café était étonnement buvable pour une boisson sortie d'un distributeur.

_ C'est malheureusement une nécessité pour un ordre comme le nôtre. Les Chevaliers de Saint Georges sont l'un des derniers ordres religieux militaires d'Occident, expliqua celui qui disait s'appeler Thomas.

C'était vraiment ridicule ! Un ordre religieux militaire... Ça existait peut-être au Moyen-Âge, mais on était au XXI ème siècle, là ! Ces types-là ne pouvaient pas réellement être des moines, se dit Sarah. C'était plus probablement deux illuminés échappés d'une secte... Elle remarqua qu'ils portaient tous les deux la même bague passée à l'annulaire gauche : un anneau d'or dont le chaton en émail rouge était gravé d'un cavalier brandissant une lance, surmonté d'une croix pattée.

_ Bien, reprit-il. Maintenant que nous nous sommes présentés, peut-être accepterez-vous de nous dire qui vous êtes et ce que Veneur peut vous vouloir ?

_ Mon nom est Sarah Perrault, répondit-elle du tac au tac. Et je n'ai pas la moindre idée de qui est ce Veneur dont vous parlez.

_ L'homme qui vous a attaquée dans le parc.

Oh ! Lui... le cinglé aux cheveux roux.

_  Mais je ne sais pas ce qu'il me veut ! C'était la première fois que je le voyais de ma vie. Bon sang, je ne sais même pas ce qu'il est ! Je ne suis pas sûre qu'il soit humain...

Le Roi de l'HiverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant