Chapitre 57 - Le Collectionneur

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Pendant ce qui lui sembla des heures, Sarah continua son chemin dans ce dédale où trésors et ordures se mêlaient sans distinction. La douleur dans son genou s'était atténuée grâce au médicament qu'elle avait pris, mais elle avait de plus en plus de mal à le plier. Il n'était pas question de s'arrêter, cependant, même un instant. Les empilements se succédaient les uns au autres, toujours plus hauts, toujours plus étranges. Ils prenaient des formes presque fantasmagoriques dans l'épaisse fumée que les torches de Sarah laissaient dans son sillage et qu'aucun souffle de vent ne venait disperser. Le second feux à main mourut et un troisième le remplaça sans que Sarah ait l'impression de s'être rapprochée d'une quelconque sortie. Était-elle en train de tourner en rond ? Non, c'était impossible. Elle était sûre de ne pas être passée au même endroit deux fois. Cette caverne était tout simplement immense... Elle fatiguait, et puis il y avait cette sensation d'être suivie, épiée, qu'elle était parvenue à repousser dans un coin de son esprit mais qui ne la quittait jamais vraiment.

La jeune femme déboucha bientôt sur un large carrefour entouré de quatre piliers. Des centaines de tableaux étaient accrochés le long des énormes fûts de pierre, et beaucoup n'était pas dans le bon sens. On aurait dit une collection rassemblée par un enfant un peu attardé : portraits, paysages, marines ou compositions abstraites s'étageaient dans tous les sens sans aucune logique. Là encore, les toiles de maître en cadres dorés côtoyaient les œuvres naïves de peintres du dimanche ou de ces croûtes immondes qu'on ne trouve que sur les marchés aux puces. Il était impossible de discerner clairement leurs couleurs... Il n'y en avait qu'une, omniprésente : le rouge incandescent de la torche à main, qui teignait tout de sa lueur sanglante.

Sarah fut contrainte de s'arrêter quelques minutes. Sa jambe recommençait à la faire souffrir, elle forçait trop dessus. Sa torche en profita traîtreusement pour s'éteindre. En allumant la suivante, elle constata qu'elle était déjà arrivée à la moitié du paquet. Il fallait qu'elle se dépêche de retrouver Thomas... Elle se remit en marche, aussi vite que le lui permettait son genou blessé, et traversa le carrefour.

De l'autre côté l'attendaient de nouvelles collines d'objets empilés à perte de vue. Le désespoir s'abattit sur elle. Cet endroit était trop grand, jamais elle ne trouverait une sortie. Jamais elle ne trouverait Caligo. Elle allait continuait à errer dans ce dédale jusqu'à ce que sa dernière torche s'éteigne. Le noir l'engloutirait. Puis viendrait la fatigue. La faim. La soif. Ses réserves n'étaient pas inépuisables. Elles finiraient par manquer et elle s'écroulerait dans un coin, perdue pour toujours...

Non, elle ne devait pas penser ainsi, se morigéna-t-elle. Elle n'était pas toute seule. Thomas la cherchait. Pendant qu'elle restait là s'apitoyer sur son sort, il devait être en train de se frayer un chemin vers elle, quelque part dans cette immensité. Elle ne pouvait pas baisser les bras.

Comme pour confirmer ses pensées, Sarah fit une découverte au détour du chemin qui lui amena un sourire aux lèvres : des lampes. Des milliers de lampes, amoncelées les unes sur les autres. De toutes les formes et de toutes les tailles. D'impressionnant lustres de cristal voisinaient avec des suspensions bon marché et de modeste lampes à huile en argile, de coûteuses lampes en pâte de verre étaient renversées contre des lanternes d'ateliers au métal oxydé et des lampadaires aux abat-jours en tissu fleuri... il y avait même quelques enseignes lumineuses dans le tas.

Peut-être se trouvait-il, quelque part dans ce fatras, une lampe-torche ? se prit-elle à espérer.

Sarah s'approcha en boitillant du tas de luminaires et planta son feu à main dans le sol pour mieux s'éclairer. Il ne lui fallut pas longtemps pour repérer une grosse lampe-tempête incrustée à l'intérieur de la pile, au fond d'une sorte de niche ménagée par un énorme lustre à pampilles. La lampe avait toujours sa mèche et son verre était seulement légèrement fêlé. Il était impossible de dire si son réservoir contenait encore du pétrole ou non, mais il fallait au moins qu'elle essaye. Avec d'infinies précautions, la jeune femme dégagea un passage entre deux rangées de néons, puis se coula dans la brèche étroite. Elle rampa lentement vers la lampe-tempête, se contorsionnant et s'aplatissant autant qu'elle le pouvait pour épouser les méandres de cette accumulation de pieds et d'abat-jours qui semblait toute prête à chavirer sur elle. Elle parvint enfin sous le dôme de cristal qui abritait l'objet de sa convoitise et s'empara de la lampe à pétrole, dont le réservoir émis un clapotement de fort bon augure lorsqu'elle la saisit. Mais elle avait du la prendre un peu trop brusquement : le lustre au-dessus d'elle se mit s'agiter dangereusement, et glissa sur le côté lorsqu'elle retira la lampe de l'emplacement où elle était coincée.

Le Roi de l'HiverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant