Lorsque Veneur pénétra dans les appartements de la Belle Dame, ils disparaissaient entièrement sous un épais manteau de brouillard. Debout au centre de ces nuées laiteuses, sa suzeraine était occupée à en tisser les fils vaporeux. Sous l'impulsion de ses mains habiles et délicates, l'écheveau de brume se démêla et se tordit, ses volutes éparses se rassemblèrent puis s'enroulèrent sur elles-mêmes pour ne plus former qu'un fin ruban d'une blancheur intense. La Belle Dame entortilla le brouillard filé autour de son doigt jusqu'à le réduire à une minuscule pelote qu'elle laissa tomber dans un flacon de verre avant d'en sceller le goulot étroit.
Constatant qu'elle avait achevé son ouvrage, il se permit enfin de rompre le silence.
_ Vous m'avez fait appeler, ma reine ?
_ Cet assaut que tu prépares contre la commanderie des Chevaliers... Oublie-le. Dis à tes gens de se retirer.
_ Mais...
_ La Clef a élu son porteur, lui annonça-t-elle.
Veneur tressaillit. Il ne pouvait en croire ses oreilles.
_ Comment... comment est-ce arrivé ?
_ Je l'ignore. Mais le choix est fait. Il n'y a pas de retour en arrière possible.
_ Ça aurait dû être moi ! s'écria-t-il, dévasté par cette nouvelle. Ma reine, je ne supporte pas l'idée qu'un autre puisse...
La Dame posa la main sur la joue de son vassal dans un geste plein de compassion.
_ Et j'aurais voulu que ce soit toi. Cet honneur aurait dû te revenir, cher Veneur. Mais le destin en a décidé autrement, et nous ne pouvons que nous y soumettre.
Avec un effort visible, le chasseur parvint à se reprendre.
_ Que devons-nous faire maintenant ? Quels sont vos ordres ?
_ D'autres viendront pour cette jeune fille et pour ce qu'elle possède. Assure-toi qu'elle ne quitte pas les Chevaliers.
_ Et si cela venait à se produire ?
_ Alors trouve-la et ramène-la moi.
Elle lui tendit la petite bouteille qu'elle tenait toujours à la main ; la brume emprisonnée tournoyait avec lenteur sous son verre irisé.
_ Voici un charme que j'avais préparé pour les Frères de la Lance, peut-être pourras-tu lui trouver une utilité.
~*~
Simon ouvrit les yeux. Il était couché sur le dos dans la terre humide, au-dessus de lui les étoiles brillaient dans un ciel de velours noir, scintillantes et froides comme des diamants. Il reconnut aussitôt le rêve. Il se souvenait... Le Chemin des Dames.
C'était le jour où il était mort. Le jour où sa vie avait véritablement commencé.
Il sentait la morsure du vent sur ses joues couvertes de larmes séchées, et la douleur qui irradiait dans son cou, là où les éclats d'obus l'avaient frappé, mais le reste de son corps lui paraissait étrangement insensible. Combien de temps s'était-il écoulé depuis qu'il gisait ainsi dans cet état de semi-conscience, incapable de se relever ? Des heures sans doute... Les hurlements du Petiot, étendu dans le cratère boueux à quelques mètres de lui, les mains crispées sur la bouillie rouge qu'était devenu son ventre, avaient fini par se taire. Il espéra que le gamin était mort, qu'il avait enfin cessé de souffrir...
Du coin de l'œil, il vit une ombre noire sautiller en direction de son camarade. Un corbeau. Déjà les charognards arrivaient, le Petiot n'était même pas encore froid... Il chercha du regard un projectile pour faire fuir l'oiseau. Il ne lui restait rien ; il avait perdu son fusil, perdu sa musette à grenades... Là, un bout de ferraille tordu, tout près de sa main. Mais ses doigts refusèrent de bouger. Pas un muscle ne tressaillit. Il s'aperçut avec horreur qu'il n'arrivait même pas à tourner la tête. Le corbeau se posa sur la poitrine du Petiot et plongea son bec épais dans la plaie béante de son ventre. Il se mit à crier, aussi fort qu'il le pouvait :

VOUS LISEZ
Le Roi de l'Hiver
ÜbernatürlichesC'est un soir d'octobre comme les autres pour Sarah, une jeune femme sans histoires qui est loin de se douter que sa vie va basculer dans l'étrange. En tentant de secourir un inconnu, elle se retrouve bien malgré elle dépositaire d'un fardeau qui s...