Chapitre 2 - Madame Carmen

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_ Si on essayait celui-là ? Ça a l'air génial ! s'exclama Camille, enthousiaste, en désignant à Sarah une sorte de balancier géant.

Le mot "KAMIKAZE" s'étalait en lettres clignotantes sur les deux bras rotatifs de la monstruosité. Une nacelle était accrochée à chaque extrémité et une vingtaine de pauvres diables y étaient assis, propulsés à toute vitesse à plus d'une dizaine de mètres de hauteur. Têtes en bas. Et hurlants. L'estomac de Sarah lui fit aussitôt savoir, avec une véhémence ne laissant aucune place au doute, qu'il ne tolérerait pas pareil traitement.

_ Hum, je crois que ça sera sans moi, répondit-elle. J'ai eu ma dose de sensations fortes pour ce soir.

_ Froussarde ! repartit Camille sur le ton de la plaisanterie. Tu ne vas quand même pas te mettre à jouer les poules mouillées ?

Comme souvent, Sarah se demanda où son amie trouvait toute cette énergie. Cette petite blonde pétillante l'étonnait sans cesse ; d'une bonne humeur inaltérable, elle ne se laissait jamais abattre et semblait toujours déterminée à dévorer la vie à belles dents. À la presser jusqu'à la dernière goutte en toutes circonstances. Elles s'étaient connues par le biais d'une annonce de colocation et cela faisait déjà deux ans qu'elles habitaient ensemble, pour le plus grand bonheur de Sarah qui avait trouvé en elle, non une simple colocataire, mais une amie sincère et attentionnée, toujours prête à lui remonter le moral.

_ Je ne sais pas comment tu fais ! Non, désolée, je passe sur ce coup-ci...

Camille haussa les épaules puis lui adressa un sourire espiègle ; une adorable fossette creusa sa joue.

_Tant pis pour toi ! Nous, on y va en tout cas. On se retrouve après !

Et elle entraîna vers le manège un Julien quelque peu réticent. Sarah s'éloigna un peu, flânant sous les arbres, à la lisière de la foire. De l'autre côté des voies de tramway et de la fontaine des Girondins, elle tomba sur un beau carrousel ancien, décoré de miroirs et de panneaux peints à la main. Il y avait là des chevaux empanachés de plumes d'autruches, un carrosse doré aux sièges de velours rouges, un éléphant blanc, un lion et un ours aux pelages constellés de verroterie, et même un cygne de bois, qui tournaient et virevoltaient, accompagnés par la musique d'un orgue de barbarie.

Quelques attractions plus petites étaient installées autour du manège, des machines à sous et des jeux d'arcade, mais il n'y avait pas grand monde ici comparé au reste de la foire, et la plupart étaient libres. L'une d'elle en particulier attira l'attention de Sarah, une femme automate emprisonnée dans une sorte de boîte vitrée.

La femme était assise devant une tablette sur laquelle étaient étalées des cartes de tarot, et seul son buste était visible sur le fond de velours cramoisi. Elle était couverte de bijoux de pacotille et vêtue comme une gitane de carnaval, avec un boléro brodé de couleurs vives et un foulard rouge noué autour de la tête, duquel s'échappait un flot de boucles noires. On aurait dit de vrais cheveux, pas une perruque en plastique. Sarah se pencha plus près, admirant la finesse des détails de l'automate. Sur le devant de la boîte des lettres noir et or annonçaient : « Amour, famille, affaires, tiercé, Madame Carmen détient toutes les réponses ». La peinture s'écaillait par endroits et le bois de la cabine était piqué. Il y avait deux fentes pour les pièces, l'une pour les messieurs, l'autre pour les dames. Le tarif annoncé était de deux euros - on avait grossièrement barré le mot « franc » pour le remplacer par "euro". Une autre fente s'ouvrait tout en bas pour délivrer les réponses de la voyante.

Sarah ne croyait pas à la bonne aventure, encore moins venant d'une poupée. Pourtant, peut-être par désœuvrement, peut être par curiosité, ou peut-être parce que l'automate était si beau et si ancien, et qu'elle aimait les choses belles et anciennes, elle glissa une pièce dans la fente.

Le Roi de l'HiverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant