Chapitre 35 - Le Prince sous la Colline

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Il y avait des murmures tout autour d'eux, trop bas pour que Sarah les comprennent mais suffisamment forts pour qu'elle se rende compte qu'ils venaient de tout près. Simon sortit son briquet de sa poche et l'alluma.

Une minuscule flamme naquit et se refléta aussitôt dans la centaine de paires d'yeux qui les entouraient.

Sans s'en rendre compte, ils avaient quitté l'étroit couloir de pierre et se trouvaient à présent dans une salle, où plutôt une sorte de terrier creusé dans la terre, cernés par des dizaines de créatures plus effrayantes et étranges les unes que les autres. Certaines avaient l'air quasi-humain, d'autres étaient plus proches de la bête sauvage, rappelant ces animaux de foire qui singent l'homme pour l'amusement du public. Dans la faible lueur tremblotante, Sarah découvrit des mufles velus et des cornes spiralées émergeant de casques de bronze, des torses épais et contrefaits sanglés d'armures de cuir et de cottes de mailles noircies, des pattes griffues qui serraient des lances, des épées et des boucliers peints. Ambre se plaça devant Sarah, les deux pieds fermement plantés dans le sol, prête à en découdre.

Simon fit un pas en avant. Les créatures s'agitèrent aussitôt, sifflèrent et grognèrent d'un air menaçant. Il l'ignora et se mit à leur parler, mais ce n'était pas dans une langue que Sarah connaissait, ou même qu'elle se rappelait avoir déjà entendue. Un grand silence se fit tandis que les créatures l'écoutaient.

Lorsqu'il eut terminé, l'une d'elle se détacha du groupe. Avec sa longue moustache grise et la paire de bésicles perchée sur son nez, elle aurait presque pu passer pour un vieillard humain, n'auraient été les oreilles de renard qui pointaient de sous son chapeau de feutre à larges bords et la queue rousse en panache qui se balançait derrière elle. Après quelque mots timides, la créature s'inclina devant eux en balayant le sol de son couvre-chef, puis les invita du geste à la suivre.

_ Allons-y, dit Simon, ils vont nous mener à Maëlkaruos.

_ Quel genre de créatures est-ce ? lui demanda Sarah à voix basse.

_ Ce sont des korrigans, les serviteurs du Prince Cerf.

Les korrigans les conduisirent jusqu'à une salle aux vastes proportions, dont le sol s'élevait progressivement en larges terrasses. Des racines noueuses surgissaient çà et là des murs de terre et de pierres, pendaient depuis le haut plafond et s'enroulaient comme du lierre autour des énormes piliers de bois sculptés qui le soutenaient. La grande fosse à feu rectangulaire qui occupait le centre de la pièce en était la seule véritable source de lumière, et ses flammes mouvantes faisaient danser les animaux fantastiques qui étaient ciselés, gravés ou peints sur chaque centimètre carré de pierre, de bois ou de métal. Plusieurs ruisseaux aux eaux limpides cascadaient depuis le point le plus élevé de l'immense salle et circulaient à travers elle dans d'étroits canaux de pierre.

Un tel lieu pouvait-il vraiment exister ? se demanda Sarah. Il était encore plus étrange que le jardin suspendu d'Auberon. On l'aurait cru tout droit sorti de ces anciennes légendes pleines de palais de cristal cachés au fond des lacs, de vals enchantés et d'épées scellées dans la pierre. À travers la fumée du brasier, on distinguait une foule bigarrée de korrigans qui se pressa en murmurant sur leur passage, tandis que leur escorte les entraînait vers une estrade érigée à l'autre bout de la salle.

Un enchevêtrement de racines cascadait jusqu'au sol de la terrasse, formant un dais au-dessus d'un trône d'ivoire incrusté d'argent. Celui qui y était assis était d'une taille deux fois supérieure à celle d'un homme normal. Même Ambre avait l'air d'une enfant à côté de lui. Drapé de soie verte et vêtu de braies de cuir, son cou et ses bras puissants cerclés de torques d'or torsadés, Maëlkaruos irradiait de grâce et d'une force sauvage, indomptée. Sa peau sombre avait l'éclat du cuivre poli, et les traits de son visage étaient d'une inhumaine perfection. Mais ce ne fut pas sa beauté qui frappa le plus Sarah.

Le Roi de l'HiverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant