Chapitre 56 - Dédale

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L'église fleurait bon l'encens et l'encaustique.

L'air y était d'une agréable fraîcheur mais on devinait qu'il faisait grand soleil à l'extérieur, car les vitraux qui perçaient les vieux murs de pierre étincelaient comme si le verre était en fusion. Sarah fit quelques pas sous les arches blanches de la nef puis s'assit sur l'un des bancs de pin alignés face à l'autel.

Des missels à couvertures de velours bleu y étaient posés, n'attendant plus que l'arrivée des fidèles. Ils lui rappelèrent ceux, plus modernes, de la paroisse où ses parents allaient à la messe, du temps où elle les accompagnait encore. Elle se souvenait trop bien de ces longs dimanches d'ennui, et de ces heures perdues au catéchisme alors qu'elle aurait cent fois préféré aller jouer avec ses amis dans les bois. Même enfant, elle n'était pas sûre d'avoir jamais vraiment cru en Dieu. Ce qui était certain, en revanche, c'est qu'elle n'avait déjà plus la foi le jour où elle avait fait sa première communion, uniquement pour faire plaisir à sa mère qui y tenait beaucoup. Et quelques années plus tard, elle avait complètement cessé d'aller à l'église, au grand dam de son père, qui n'avait pas vraiment approuvé sa décision. C'était même devenu un sujet de dispute entre eux. Un de plus.

Mais en cet instant, elle se surprit à apprécier la quiétude du lieu, ce sentiment de calme et de recueillement qu'inspirait la simplicité de ce décor épuré. Si on excluait ses splendides vitraux, c'était une église plutôt modeste : un confessionnal, quelques statues de bois peint et des candélabres de fer chargés de cierges en composaient tout le mobilier liturgique. L'endroit était certes dépouillé, mais aussi très propre et bien entretenu.  Une nappe de lin blanc recouvrait l'autel, sur lequel une main dévote avait posé un vase de fleurs fraîchement coupées ; un lumignon au verre rouge brûlait à côté du tabernacle de cuivre, si bien astiqué qu'il reluisait comme de l'or. Elle remarqua que la pierre qui soutenait la table de l'autel semblait plus ancienne que le reste de l'église. Elle était plus usée, et taillée dans un granit sombre et irrégulier.

Sarah était sûre de l'avoir déjà vue. À vrai dire, l'église entière avait un air familier... Elle était déjà venue ici. D'ailleurs, comment était-elle arrivée jusque là ? Elle n'arrivait pas à s'en souvenir...

Si,elle se rappelait ! Elle se trouvait dans l'En-Dessous... Oui ! Thomas l'accompagnait... et ensuite...

La lumière baissa brusquement, comme si le soleil au-dehors avait disparu derrière des nuages. Il ne restait plus que les quelques cierges encore allumés et la lampe perpétuelle sur l'autel pour éclairer l'église. Sarah entendit le vent mugir à l'extérieur, de plus en plus violemment. Son cœur se mit à battre la chamade. Quelqu'un arrivait... ou quelque chose. Au moment elle se leva, les portes de l'église s'ouvrirent avec fracas et la tempête envahit la nef, éteignant toutes les flammes des cierges.

Rien de tout cela n'est réel, se dit-elle pour tenter de se rassurer. Je suis simplement de retour dans le Nulle-Part.

Le blizzard l'enveloppa. Elle n'arrivait plus à bouger, ses pieds étaient comme cloués au sol. Le vent glacé caressait son visage, il murmurait son prénom... Comme toutes les autres fois, elle sentit de nouveau cette étrange présence, écrasante et inhumaine.

Quelqu'un était là avec elle.

Non, pas quelqu'un. Ce n'était pas une personne, pas tout à fait. Cette chose n'avait pas visage, pas de forme. Pas de nom. Ce qu'elle ressentait, c'était une force à l'état brut, la puissance dévastatrice d'un être primordial. Un ouragan déchaîné mais doué de conscience, plus ancien et plus redoutable que les dieux eux-mêmes. Une chose vieille de milliers d'années, née du profond de l'hiver, d'un temps où la glace recouvrait le monde et où la famine menaçait. Elle était la tempête qui hurle dans la nuit, cette peur ancestrale qui fait se blottir près du feu pour oublier les prédateurs qui rôdent au-dehors en espérant l'aube...

Le Roi de l'HiverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant