Chapitre 61 - Le défi de la Belle Dame

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Thomas ne devait garder qu'un souvenir nébuleux de son long voyage de retour.

Il avait rebroussé chemin vers la surface dans une sorte de rêve éveillé, errant à l'aveuglette, exténué par trois nuits passées sous terre sans dormir ni se reposer. Ses réserves d'eau s'étaient  épuisées et la soif le torturait. Il se rappelait vaguement d'avoir traverser des ruines cyclopéennes couvertes de cendres, et d'ossements entassés qui craquaient sous ses bottes, de falaises abruptes qu'il avait escaladé jusqu'à s'arracher la peau des doigts et d'escaliers interminables s'élevant au-dessus du vide. Il se souvenait de l'obscurité omniprésente, oppressante, qui accompagnait chacun de ses pas.

Et puis subitement, tiède et aveuglant, le soleil.

Un pâle soleil de novembre, qui disparut bien vite derrière les nuages gris qui encombraient le ciel de la capitale.

Il avait marché jusqu'à la commanderie comme un automate, étourdi par le bruit et l'agitation de la ville après son long séjour dans le silence du monde souterrain, et s'était retrouvé devant ses portes avant même de s'en apercevoir. La force qui l'avait porté jusque là s'évanouit à l'instant où le frère tourier l'accueillit et il s'effondra dans le vestibule. La tête lui tournait ; le monde autour de lui n'était plus qu'un maelström confus de sons et de couleurs. Il entendit le frère tourier appeler à l'aide, puis un bruit de pas précipités. Des mains le soulevèrent et le guidèrent vers un banc. C'est avec un soulagement infini qu'il sentit la rassurante solidité d'un mur dans son dos. Des visages flous s'agitaient devant lui ; quelqu'un les écarta, se pencha vers lui. Dans un éclair de lucidité, il reconnut son parrain, le maréchal.

_ Donatien ! souffla-t-il. Je t'en prie, il faut absolument qu'on me permette de voir le commandeur...

_ Tout doux, mon garçon ! Que t'arrive-t-il ? répondit celui-ci, surpris par son ton fiévreux.

Il le toisa des pieds à la tête, et prit un air inquisiteur devant ses vêtements crottés de boue et les cernes noires qui se dessinaient sous ses yeux.

_ Et où étais-tu passé ? ajouta-t-il d'une voix sévère. Tu es introuvable depuis deux jours, alors que tu n'as reçu aucune autorisation de t'absenter. Même Guillaume ne savait pas où tu étais parti ! J'espère que tu as une bonne explication à donner, le prieur et le commandeur sont furieux contre toi ! Franchement, tu me déçois, je pensais que tu avais plus de respect pour nos règles...

Pour toute réponse, le jeune moine défit fébrilement les pans de sa veste pour extraire de sa poche le trésor qu'il y conservait, tout près de son cœur. Il écarta le linge qui l'enveloppait – tout ce qui restait de sa chemise - et la Lance de Saint Georges scintilla doucement au creux de sa paume. Pendant un bref instant, la lame aux reflets argentés sembla s'embraser d'un feu intérieur. Une expression de surprise incrédule puis d'allégresse se peignirent tout à tour sur le rude visage du maréchal. Il joignit ses mains, qui s'étaient mises à trembler.

_ Comment... Est-ce possible ? balbutia-t-il. Tu l'as trouvée, mon garçon... tu l'as vraiment trouvée... La Sainte Lame ! Rendons grâce au Seigneur !

La suite échappa totalement Thomas, qui venait de sombrer dans l'inconscience. Donatien remmaillota Ascalon avec révérence.

_ Portez-le dans sa chambre, qu'il se repose. Je dois remettre ceci à notre commandeur de toute urgence.

Thomas fut conduit jusqu'à sa cellule, où on le coucha tout habillé sur son lit. Il dormit plusieurs heures d'un demi-sommeil agité, peuplé de rêves déplaisants. La Belle Dame riait à gorge déployée et Sarah n'en finissait plus de disparaître, son visage au regard vide ne s'animait que pour l'appeler au secours, encore et encore.

Le Roi de l'HiverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant