Chapitre 21 - Corvus Ex Machina

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Sarah parvint jusqu'en haut des marches sans rencontrer personne sur son chemin. Tout était calme, d'un silence presque surnaturel, et pas une seule lumière n'était allumée, comme si le bâtiment s'était entièrement vidé de ses occupants. Elle progressa avec prudence le long des corridors désertés, hésitant à ouvrir les portes qui se dressaient devant elle. Elle devait se trouver au rez-de-chaussée, estima-t-elle, mais dans une partie où elle n'était pas encore allée. Elle arriva finalement devant une imposante porte de bois sculpté à demi-ouverte.

En s'approchant, elle la reconnut. Elle l'avait déjà franchie lorsqu'on l'avait amenée dans le bureau du commandeur ; ce qui voulait dire que le cloître devait être tout près. De là, elle serait capable de retrouver la porte d'entrée... La voie de la liberté. En supposant qu'elle ne soit pas verrouillée. De toute façon, elle n'avait guère le choix : c'était le seul accès vers l'extérieur dont elle connaissait le chemin. Elle ne pourrait pas passer par une fenêtre ; elles étaient toutes garnies de barreaux épais comme son pouce. Elle aurait pu essayer d'attirer l'attention d'un passant mais cela lui sembla trop risqué de se mettre ainsi à découvert. Sarah se coula entre les deux vantaux massifs. De l'autre côté, il faisait encore plus sombre...

Quelque chose d'humide et de froid frôla sa cheville dans l'obscurité. Retenant un cri, Sarah fit un bond de côté et chercha des yeux ce qui l'avait touché, mais elle n'aperçut qu'une vague forme qui glissait sur le sol, rapide et luisante. Elle n'eut pas le temps de s'appesantir sur le sujet : un claquement de sandales précipité venait de se faire entendre. Un faisceau de lumière se mit à danser sur les murs. Une lampe-torche... Quelqu'un venait ! Sarah plongea dans un recoin, se recroquevillant derrière un fauteuil. Le bruit de pas s'intensifia puis s'interrompit.

- Je viens de faire le tour, fit une voix masculine essoufflée, tout près d'elle. Toutes les caméras du rez-de-chaussée sont mortes. Pourquoi les lumières ne sont pas encore rallumées ? Vous n'avez pas réussi à mettre le générateur en route ?

Un crachotement chargé de parasites lui répondit :

_ Si,mais le système ne répond toujours pas. Je n'ai aucune image ici, aucune connexion. C'est comme si on avait désactivées les caméras manuellement, une par une...

_Impossible, il y en a beaucoup trop ! On les aurait forcément vus faire...

Un rayon de lumière blanche balaya le sol près de l'endroit où Sarah s'était cachée, puis s'immobilisa... à quelques centimètres de ses pieds.

_Qu'est-ce que c'est que ça ? s'exclama l'homme à mi-voix.

Elle l'entendit se rapprocher et se fit encore plus petite, les jambes serrées au maximum contre sa poitrine. Elle retint sa respiration, persuadée qu'il allait l'entendre. Pourvu qu'il ne vienne pas jusqu'au fauteuil... Aucune chance qu'il la rate s'il venait de côté-là. Et elle n'avait nulle part ou fuir s'il la découvrait...

Mais l'homme passa à côté d'elle sans la remarquer. Il s'immobilisa tout près de sa cachette. Sarah le vit s'accroupir sur le dallage, son dos tourné vers elle, et braquer sa lampe-torche sur le sol. Elle aperçut ce qui avait attiré son attention : une large flaque qui s'étalait au milieu du couloir. L'homme y plongea les doigts puis les examina.

_ De l'eau ? Mais d'où ça vient ? l'entendit-elle murmurer, étonné, avant qu'il ne lève les yeux et sa torche vers le plafond.

La radio grésilla :

_ Frère Damien ? Tu es toujours là ?

L'homme se releva lourdement et essuya ses doigts mouillés sur sa robe de bure.

_ Oui, grommela-t-il. Et les télécoms ? Tu as pu les récupérer ?

_ Non, c'est le frère Antonin qui s'en occupe mais il ne s'en sort pas...

Le Roi de l'HiverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant