Chapitre 29 - La tempête se lève

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Le gravier crissa sous les pas d'Ambre tandis qu'elle s'approchait de la paroi de verre qui fermait l'autre côté du patio. Un son qui lui sembla bien trop bruyant dans le silence ouaté qui l'entourait. Le brouillard était ici plus épais qu'il ne l'était quelques étages plus haut, et elle devait se diriger au jugé, d'après la position des arbustes dont les silhouettes fantomatiques étaient la seule chose qu'elle distinguait. Elle fit un pas de plus et, tout d'un coup, son pied rencontra le vide. Déséquilibrée, elle glissa sur quelques dizaines de centimètres avant d'atterrir les deux pieds dans l'eau et d'effrayer quelques pauvres carpes koï au passage. Étouffant le chapelet de jurons qui lui montait aux lèvres, Ambre se tira du ruisseau envahi de nénuphars, à peine assez profond pour que l'eau lui arrive aux genoux, et gravit pesamment la rive opposée. Sur sa droite se devinait l'ombre d'un pont en demi-lune ; elle ne l'avait raté que d'un mètre.

Après quelques tâtonnement de plus, elle déboucha enfin sur une terrasse en bois exotique, sur laquelle s'alignaient de luxueuses chaises longues. Un peu plus loin, elle aperçut la double porte vitrée qui donnait sur l'intérieur de l'hôtel. Elle tenta de l'ouvrir, mais elle était verrouillée. Évidemment, pensa-t-elle avec un soupir fataliste. Elle colla son visage à la vitre pour voir ce qu'il y avait de l'autre côté, et découvrit une piscine, faiblement éclairée, et que la brume n'avait pas encore envahie. Elle devait être arrivée à ce que la brochure de l'hôtel - qu'elle avait distraitement feuilletée en arrivant - présentait comme l'étage « détente » : celui où se trouvaient le restaurant panoramique, la piscine, le spa et la salle de sport - tous probablement complètement déserts à cette heure.

Elle fit descendre Sarah et Simon de ses épaules et les adossa contre l'un des immenses fenêtres du patio. Ils étaient toujours aussi inertes et raides que des mannequins de bois, pris dans un sommeil qui semblait aussi profond que la mort. Un bruissement d'ailes brisa le silence, et le corbeau qui accompagnait le magicien vint se poser près d'elle, sur l'une des lanternes de pierre qui bordaient la terrasse. L'oiseau n'avait pas l'air incommodé le moins du monde par l'épais brouillard qui régnait autour de lui.

_ Tiens, te voilà, toi..., grommela-t-elle.

Ambre se mit à la recherche de quelque chose de lourd, et avisa quelques pierres décoratives qui ornaient un massif d'azalées. Elle choisit la plus pointue et la soupesa. Oui, ce serait parfait. Ambre ramena son bras en arrière et frappa la porte vitrée avec la pierre. Le verre trempé s'étoila autour du point d'impact et se brisa en un milliers de petits morceaux aux bords émoussés. Elle avait essayé de faire le moins de bruit possible, mais le fracas de verre cassé lui sembla  tout de même assourdissant. Pourvu que personne n'ait rien entendu...

Il était tôt, l'espace détente n'était pas encore ouvert aux clients de l'hôtel, et toutes les lumières étaient éteintes, à l'exception des spots de la piscine dont le rectangle bleu lagon se découpait dans l'obscurité. Des fauteuils et des transats en teck étaient disposés autour du bassin et face aux larges baies donnant sur le jardin japonais. A gauche, on devinait le couloir pavé de mosaïques qui menait au hammam, au sauna et aux cabines de soins du spa. A l'opposé, une cloison de verre dépoli séparait la piscine de la salle de sport tapissée de miroirs et de ses tapis de course et appareils de musculation. La sortie devait se trouver par là.

Ambre entra, un corps sous chaque bras, et la brume la suivit, s'infiltrant par la porte brisée. Aucun signe de Veneur ou de sa meute. Il n'y avait pas de chambres à cet étage, qui ne comportait que l'espace détente, ainsi que l'un des deux restaurants de l'hôtel. Si la chance était de son côté, Veneur n'aurait pas pensé à y envoyer sa meute. Et si elle réussissait à gagner le couloir, elle pourrait peut-être prendre l'ascenseur et descendre jusqu'au parking souterrain où l'attendait sa voiture.

Le Roi de l'HiverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant